Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Trump a-t-il autorisé Israël à attaquer l’Iran pour sauver ses producteurs de pétrole ?

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Trump a-t-il autorisé Israël à attaquer l’Iran pour sauver ses producteurs de pétrole ?

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    Trump a-t-il autorisé Israël à attaquer l’Iran pour sauver ses producteurs de pétrole ?

    Auteurs

    Cette note, publiée aujourd’hui par l’Institut Rousseau, nous a été envoyée le 11 juin 2025, c’est à dire quelques jours avant l’attaque israélienne sur l’Iran dans la nuit du 12 au 13 juin, qu’elle venait, d’une certaine manière, prédire. Il est donc intéressant de relire la perspective développée par l’auteur sur les motivations possibles d’un tel conflit à la lumière des événements observés, en particulier l’idée que les producteurs de pétrole américains ont un intérêt direct à une remontée des prix du pétrole sur le marché international. En effet, depuis 2017 les États-Unis sont ainsi devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Mais l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste a un coût marginal plus élevé que celle du pétrole traditionnel exploité par l’Arabie Saoudite ou la Russie, lesquels tentent de faire plonger le prix du pétrole, depuis quelques années, au-dessous du seuil de rentabilité des producteurs américains, dans une stratégie de « last man standing ». Cet élément de la géopolitique de l’énergie a-t-il été un facteur déterminant dans l’attaque israélienne contre l’Iran ? Depuis l’attaque, le prix du pétrole a ainsi nettement augmenté.

    Retrouvez le texte en version anglaise originale en cliquant ici

     

    Une frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires iraniennes pourrait-elle n’avoir presque rien à voir avec la géopolitique du Moyen-Orient, mais tout à voir avec le prix du pétrole de schiste dans l’État américain reculé du Dakota du Nord et les besoins politiques immédiats de Donald Trump ? Une série de faits documentés nous amène à nous poser ces questions. Si l’on se rappelle de la campagne électorale de Trump et de son slogan phare (« Drill-Baby-Drill » [fore bébé, fore !]), on peut s’interroger sur le fait de savoir si les « cow-boys » du pétrole de schiste, qui ont soutenu Trump, pourraient aujourd’hui se sentir trahis ? Ce pétrole, qui a au mieux un avenir incertain dans un contexte de transition écologique, se heurte-t-il à une offre excédentaire absolument certaine ? Pourquoi le goulet d’étranglement que connaît la production de pétrole, d’une évidence aveuglante, devrait être au cœur du débat ? Et enfin, pourquoi la crédibilité chancelante de Trump aux États-Unis pourrait jouer un rôle majeur dans cette problématique économique ?

    La plupart des analyses relatives à une éventuelle frappe israélienne sur les installations nucléaires iraniennes se focalisent sur l’analyse géopolitique du Moyen-Orient. Dans Le Monde du 23 mai 2025, ou pouvait ainsi lire : « Benyamin Nétanyahou est apparu bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale. »[i]

    Drill-Baby-Drill et les frackers texans

    Quel que soit le projet de Donald Trump pour le Moyen-Orient, il s’est surtout présenté aux élections avec le slogan « Drill-Baby-Drill », avec pour objectif la « domination énergétique » des États-Unis. Cela implique notamment une augmentation massive de la production de pétrole américain, c’est-à-dire plus de recours à la fracturation hydraulique. En la matière, les meilleurs espaces sont le bassin permien, qui s’étend en grande majorité sous le Texas, et la formation Bakken, sous le Dakota du Nord[ii]. La fracturation hydraulique, sous l’administration Biden, défenseur des énergies renouvelables, avait ironiquement fait des États-Unis, grâce à ces réservoirs, le plus grand producteur de pétrole au monde. Selon les données publiées par le NASDAQ, en 2024, les États-Unis produiront 21,91 millions de barils par jour, soit presque le double de l’Arabie saoudite (11,13 millions de barils par jour).[iii]

    Pourtant, le nombre de forages a diminué au lieu d’augmenter sous la politique du « Drill-Baby-Drill » de Trump. Pourquoi donc ? En partie en raison de la forte augmentation des coûts de forage. De surcroît, les droits de douane appliqués de manière erratique par Trump ont conduit au renchérissement de l’acier et de l’aluminium importés nécessaires au forage. Aucun producteur pétrolier américain n’est satisfait de cette situation. Le PDG de Chevron, Mike Wirth, a choisi la plus importante tribune de l’industrie pétrolière américaine pour dénoncer les caprices douaniers de Trump : lors de sa prise de parole lors de l’immense conférence annuelle de l’industrie pétrolière à Houston, Wirth a fustigé Trump : « Passer d’un extrême à l’autre n’est pas la bonne politique… Il nous faut vraiment une politique cohérente et durable. »[iv]

    « Drill Baby Drill » et la stratégie du « dernier survivant »

    Les forages américains ont également subi la concurrence d’autres acteurs qui savent jouer à « Drill Baby Drill ». Le 3 avril, la coalition de producteurs pétroliers menée par l’Arabie Saoudite et la Russie a pris de court les marchés en annonçant pour le mois de mai une augmentation de production trois fois supérieure aux prévisions. Bloomberg.com cite ainsi Helima Croft, responsable de la stratégie matières premières chez RBC Capital et ancienne analyste de la CIA, qui explique que cette hausse vise « à envoyer un signal d’avertissement au Kazakhstan, à l’Irak, et même à la Russie sur le coût de la surproduction persistante ».[v]

    Mais la stratégie saoudienne va au-delà des volumes produits. Après deux nouvelles annonces d’augmentations de production, Bloomberg rapportait le 1er juin que « selon des sources proches du dossier, Riyad est motivé par la volonté de reconquérir les parts de marché qu’il a cédées au fil des ans aux foreurs de schiste américains ».[vi] En effet, le monde se détourne des énergies fossiles au profit des renouvelables – plus lentement qu’il ne le faudrait, mais de façon inexorable. La moitié des voitures neuves vendues en Chine sont désormais électriques[vii]. Pour l’Agence internationale de l’énergie l’an dernier, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique mondial « passerait de 30 % en 2023 à 46 % en 2030. Le solaire et l’éolien représentent la quasi-totalité de cette croissance. »[viii]

    Chaque géant pétrolier semble ainsi vouloir être le « dernier survivant ». À l’heure actuelle, il semble qu’il s’agira un acteur moyen-oriental. Selon un rapport d’octobre 2024 du cabinet de conseil énergétique Rystad Energy, « les gisements terrestres du Moyen-Orient constituent la source la moins chère de nouvelle production, avec un seuil de rentabilité moyen de seulement 27 dollars par baril »[ix], sans toutefois détailler publiquement ces chiffres par pays ou par entreprise de la région.

    Cependant, on lit dans le prospectus obligataire publié par Saudi Aramco à la Bourse de Londres cinq ans plus tôt[x] que le seuil de rentabilité de l’entreprise se trouve à environ 10 dollars par baril. Quel que soit le véritable seuil de rentabilité de l’Arabie Saoudite, il est vraisemblablement inférieur à celui des producteurs américains de pétrole de schiste, selon les données d’une enquête de mars 2025 menée par la succursale de Dallas de la Réserve fédérale américaine. Les meilleurs (ou les plus chanceux) des producteurs de pétrole de schiste interrogés ont en effet besoin de 40 dollars par baril pour couvrir les coûts d’un nouveau puits[xi]. Au moment de la rédaction de cet article, le WTI [West Texas Intermediate, NDLR], référence américaine, évoluait dans la fourchette basse des 60 dollars. De nombreux producteurs de schiste perdent donc de l’argent actuellement.

    Même en se basant sur le chiffre publié par Rystad Energy, Saudi Aramco sera donc soit l’unique « dernier survivant », soit dans le groupe très restreint de ceux qui survivront… à moins qu’un événement majeur ne survienne.

    Une majorité des soutiens de Trump, les frakers [fractureurs] américains, ne sont évidemment pas satisfaits de la baisse des prix du pétrole due à l’excès de production au Moyen-Orient combiné aux coûts excessifs du forage aux États-Unis. Comme le rapportait le Washington Post le 10 mai 2025, rapportant les propos de T. Grant Johnson, président de la Lone Star Production Company, société d’exploration pétrolière texane, et de l’Association texane des producteurs indépendants et propriétaires de redevances : « Cela affecte vraiment tout le monde […] On a beaucoup parlé de « Drill Baby Drill ». Mais ces entreprises ne vont pas forer si le contexte économique ne suit pas. Toute cette peur et cette incertitude poussent les gens à être bien plus prudents… Si cette souffrance perdure trop longtemps et rejaillit sur les élections de mi-mandat, cela pourrait devenir très désagréable pour ceux qui nous ont menés là »[xii]. Or Trump les y a menés.

    Un autre dirigeant pétrolier texan, D. Kirk Edwards, ancien président de l’Association pétrolière du bassin permien, déclarait dans le même article : « Je pense que nous allons assister d’ici 30 à 60 jours à l’arrêt de nombreuses plateformes actuellement en activité… La plupart des gens sont sous le choc de voir comment cela peut arriver sous une administration républicaine. »

    Les frackers ont de bonnes raisons d’être sous le choc. Après une collecte de fonds auprès d’eux, organisée dans son domaine de Mar-a-Lago en avril 2024, Donald Trump avait récolté 75 millions de dollars de dons de campagne (il en avait réclamé un milliard). L’événement était organisé par l’homme qui a lancé la révolution du schiste, Harold Hamm, patron de Continental Resources. Le gouverneur du Dakota du Nord, Doug Burgum, était d’ailleurs présent. Celui-ci est depuis devenu le secrétaire à l’Intérieur de Trump, responsable des forages sur les terres fédérales, et le « tsar de l’énergie » de Trump. Chris Wright, patron de Liberty Energy, grande entreprise de services de fracturation hydraulique, l’était aussi. Il est désormais secrétaire chargé de l’Énergie[xiii].

    Une guerre pour créer un goulet d’étranglement pétrolier mondial

    Or, une grande partie du pétrole bon marché du Moyen-Orient doit transiter par un passage très étroit, le détroit d’Ormuz, comme le rappelle l’Agence d’information énergétique du gouvernement américain : « Le détroit d’Ormuz, situé entre Oman et l’Iran, relie le golfe Persique au golfe d’Oman et à la mer d’Arabie. [Il s’agit du potentiel] goulet d’étranglement pétrolier le plus crucial au monde car d’énormes volumes de pétrole y transitent. En 2023, les flux pétroliers à travers Hormuz ont atteint en moyenne 20,9 millions de barils par jour, soit l’équivalent d’environ 20 % de la consommation mondiale de produits pétroliers… »[xiv].

    À propos d’une guerre dans cette zone, voici ce que rapportait la chaîne américaine CNN le 20 mai 2025 : « Les États-Unis ont obtenu de nouveaux renseignements suggérant qu’Israël se prépare à frapper les installations nucléaires iraniennes, alors même que l’administration Trump menait des négociations diplomatiques avec Téhéran, ont déclaré à CNN plusieurs responsables américains au fait des derniers renseignements… Une telle frappe constituerait un affront flagrant au président Donald Trump, ont précisé les responsables américains. Elle pourrait aussi risquer de déclencher un conflit régional plus large au Moyen-Orient… »[xv]

    Une guerre au Moyen-Orient aiderait-elle Trump à éviter les sujets de son honnêteté et de sa compétence ?

    En 2024, Trump a obtenu les voix de nombreuses personnes qui ne l’appréciaient pas personnellement mais pensaient qu’il améliorerait leur pouvoir d’achat et l’économie. Plusieurs sondages de référence soulèvent aujourd’hui de nouvelles interrogations. Le sondage américain le plus célèbre et toujours l’un des plus fiables est celui de Gallup. Son évaluation globale de Trump en janvier de cette année, juste avant son entrée en fonction, affichait 47 % d’opinions favorables contre 48 % défavorables. Son dernier sondage, publié le 23 mai, montre une détérioration notable : 43 % d’opinions favorables, 53 % défavorables[xvi]. Concernant l’économie, le sondeur ajoute que « la majorité estime que la situation économique se dégrade (58%) plutôt qu’elle ne s’améliore (37%). » Ce résultat « révèle une vision radicalement différente du climat économique par rapport à celle qui prévalait durant les trois premières années du premier mandat de Trump, quand la… [perception] était résolument positive. » Avec des sondages en berne, Trump pourrait avoir un réel besoin de changer de sujet. Les guerres constituent un moyen classique d’y parvenir. Donner son feu vert, implicite ou même explicite, à Israël pour attaquer lui permettrait de changer la focale tout en satisfaisant une partie importante de ses soutiens qui s’estiment floués, et permettrait d’atteindre la « domination énergétique » par ricochet : le pétrole du Moyen-Orient se trouverait bloqué et/ou parti en fumée, faisant des frackers les « derniers survivants ».

    Robert Bell

    Professor de Management au Brooklyn College, Université de la ville de New York

    Son dernier article publié par l’Institut Rousseau :

    A handful of investors own big oil: what to do about it

    [i] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/05/23/le-rapprochement-de-donald-trump-avec-les-monarchies-du-golfe-limite-le-jeu-israelien-au-moyen-orient_6607899_3232.html

    [ii] https://www.bakkenshale.com/#:~:text=the%20bakken%20shale%20play%20is,until%20the%20past%20ten%20years

    [iii] https://www.nasdaq.com/articles/10-top-oil-producing-countries-updated-2024

    [iv] https://www.ft.com/content/269b9c8b-4622-4654-bde4-fe41f9cfde11 1/4

    [v] https://www.bloomberg.com/news/articles/2025-04-03/opec-stuns-oil-market-with-policy-switch-to-drive-down-prices?srnd=homepage-europe&sref=XVZ2svL2

    [vi] https://www.bloomberg.com/news/articles/2025-06-01/saudi-arabia-tightens-grip-on-opec-by-pushing-through-oil-surge?embedded-checkout=true&sref=XVZ2svL2

    [vii] https://www.asiafinancial.com/one-in-nearly-every-two-cars-sold-in-china-was-electric-in-2024

    [viii] https://www.iea.org/reports/renewables-2024/global-overview

    [ix] https://www.rystadenergy.com/news/upstream-breakeven-shale-oil-inflation

    [x] https://www.rns-pdf.londonstockexchange.com/rns/6727U_1-2019-4-1.pdf

    [xi] https://www.dallasfed.org/research/energy/indicators/2025/en2504

    [xii] https://www.washingtonpost.com/business/2025/05/10/oil-price-energy-tariffs-trump/

    [xiii] https://www.ft.com/content/63e6ef98-363e-435c-9621-c628086300d0

    [xiv] https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.php?id=63446

    [xv] https://edition.cnn.com/2025/05/20/politics/intelligence-israel-possible-strike-iran-nuclear-facilities?iid=cnn_buildContentRecirc_end_recirc

    [xvi] https://news.gallup.com/poll/690986/political-economic-indicators-steady-may.aspx

    Publié le 18 juin 2025

    Trump a-t-il autorisé Israël à attaquer l’Iran pour sauver ses producteurs de pétrole ?

    Auteurs

    Robert Bell
    Professor of Management at Brooklyn College, city University of New York

    Cette note, publiée aujourd’hui par l’Institut Rousseau, nous a été envoyée le 11 juin 2025, c’est à dire quelques jours avant l’attaque israélienne sur l’Iran dans la nuit du 12 au 13 juin, qu’elle venait, d’une certaine manière, prédire. Il est donc intéressant de relire la perspective développée par l’auteur sur les motivations possibles d’un tel conflit à la lumière des événements observés, en particulier l’idée que les producteurs de pétrole américains ont un intérêt direct à une remontée des prix du pétrole sur le marché international. En effet, depuis 2017 les États-Unis sont ainsi devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Mais l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste a un coût marginal plus élevé que celle du pétrole traditionnel exploité par l’Arabie Saoudite ou la Russie, lesquels tentent de faire plonger le prix du pétrole, depuis quelques années, au-dessous du seuil de rentabilité des producteurs américains, dans une stratégie de « last man standing ». Cet élément de la géopolitique de l’énergie a-t-il été un facteur déterminant dans l’attaque israélienne contre l’Iran ? Depuis l’attaque, le prix du pétrole a ainsi nettement augmenté.

    Retrouvez le texte en version anglaise originale en cliquant ici

     

    Une frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires iraniennes pourrait-elle n’avoir presque rien à voir avec la géopolitique du Moyen-Orient, mais tout à voir avec le prix du pétrole de schiste dans l’État américain reculé du Dakota du Nord et les besoins politiques immédiats de Donald Trump ? Une série de faits documentés nous amène à nous poser ces questions. Si l’on se rappelle de la campagne électorale de Trump et de son slogan phare (« Drill-Baby-Drill » [fore bébé, fore !]), on peut s’interroger sur le fait de savoir si les « cow-boys » du pétrole de schiste, qui ont soutenu Trump, pourraient aujourd’hui se sentir trahis ? Ce pétrole, qui a au mieux un avenir incertain dans un contexte de transition écologique, se heurte-t-il à une offre excédentaire absolument certaine ? Pourquoi le goulet d’étranglement que connaît la production de pétrole, d’une évidence aveuglante, devrait être au cœur du débat ? Et enfin, pourquoi la crédibilité chancelante de Trump aux États-Unis pourrait jouer un rôle majeur dans cette problématique économique ?

    La plupart des analyses relatives à une éventuelle frappe israélienne sur les installations nucléaires iraniennes se focalisent sur l’analyse géopolitique du Moyen-Orient. Dans Le Monde du 23 mai 2025, ou pouvait ainsi lire : « Benyamin Nétanyahou est apparu bien isolé durant la tournée de Donald Trump, du 13 au 16 mai, dans le Golfe. Lors du retour du républicain à la Maison Blanche, le premier ministre israélien s’imaginait en tête de proue d’une reconfiguration régionale – un nouveau Moyen-Orient débarrassé de la menace de l’Iran et de ses affidés – par la force, dans le prolongement de la guerre qu’il mène dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. Il n’a pu qu’acter le fossé grandissant avec le président américain, qui se voit en « faiseur de paix » et en « unificateur » au Moyen-Orient, et fait désormais d’un accord avec l’Iran la clé de voûte de sa vision pour une paix régionale. »[i]

    Drill-Baby-Drill et les frackers texans

    Quel que soit le projet de Donald Trump pour le Moyen-Orient, il s’est surtout présenté aux élections avec le slogan « Drill-Baby-Drill », avec pour objectif la « domination énergétique » des États-Unis. Cela implique notamment une augmentation massive de la production de pétrole américain, c’est-à-dire plus de recours à la fracturation hydraulique. En la matière, les meilleurs espaces sont le bassin permien, qui s’étend en grande majorité sous le Texas, et la formation Bakken, sous le Dakota du Nord[ii]. La fracturation hydraulique, sous l’administration Biden, défenseur des énergies renouvelables, avait ironiquement fait des États-Unis, grâce à ces réservoirs, le plus grand producteur de pétrole au monde. Selon les données publiées par le NASDAQ, en 2024, les États-Unis produiront 21,91 millions de barils par jour, soit presque le double de l’Arabie saoudite (11,13 millions de barils par jour).[iii]

    Pourtant, le nombre de forages a diminué au lieu d’augmenter sous la politique du « Drill-Baby-Drill » de Trump. Pourquoi donc ? En partie en raison de la forte augmentation des coûts de forage. De surcroît, les droits de douane appliqués de manière erratique par Trump ont conduit au renchérissement de l’acier et de l’aluminium importés nécessaires au forage. Aucun producteur pétrolier américain n’est satisfait de cette situation. Le PDG de Chevron, Mike Wirth, a choisi la plus importante tribune de l’industrie pétrolière américaine pour dénoncer les caprices douaniers de Trump : lors de sa prise de parole lors de l’immense conférence annuelle de l’industrie pétrolière à Houston, Wirth a fustigé Trump : « Passer d’un extrême à l’autre n’est pas la bonne politique… Il nous faut vraiment une politique cohérente et durable. »[iv]

    « Drill Baby Drill » et la stratégie du « dernier survivant »

    Les forages américains ont également subi la concurrence d’autres acteurs qui savent jouer à « Drill Baby Drill ». Le 3 avril, la coalition de producteurs pétroliers menée par l’Arabie Saoudite et la Russie a pris de court les marchés en annonçant pour le mois de mai une augmentation de production trois fois supérieure aux prévisions. Bloomberg.com cite ainsi Helima Croft, responsable de la stratégie matières premières chez RBC Capital et ancienne analyste de la CIA, qui explique que cette hausse vise « à envoyer un signal d’avertissement au Kazakhstan, à l’Irak, et même à la Russie sur le coût de la surproduction persistante ».[v]

    Mais la stratégie saoudienne va au-delà des volumes produits. Après deux nouvelles annonces d’augmentations de production, Bloomberg rapportait le 1er juin que « selon des sources proches du dossier, Riyad est motivé par la volonté de reconquérir les parts de marché qu’il a cédées au fil des ans aux foreurs de schiste américains ».[vi] En effet, le monde se détourne des énergies fossiles au profit des renouvelables – plus lentement qu’il ne le faudrait, mais de façon inexorable. La moitié des voitures neuves vendues en Chine sont désormais électriques[vii]. Pour l’Agence internationale de l’énergie l’an dernier, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique mondial « passerait de 30 % en 2023 à 46 % en 2030. Le solaire et l’éolien représentent la quasi-totalité de cette croissance. »[viii]

    Chaque géant pétrolier semble ainsi vouloir être le « dernier survivant ». À l’heure actuelle, il semble qu’il s’agira un acteur moyen-oriental. Selon un rapport d’octobre 2024 du cabinet de conseil énergétique Rystad Energy, « les gisements terrestres du Moyen-Orient constituent la source la moins chère de nouvelle production, avec un seuil de rentabilité moyen de seulement 27 dollars par baril »[ix], sans toutefois détailler publiquement ces chiffres par pays ou par entreprise de la région.

    Cependant, on lit dans le prospectus obligataire publié par Saudi Aramco à la Bourse de Londres cinq ans plus tôt[x] que le seuil de rentabilité de l’entreprise se trouve à environ 10 dollars par baril. Quel que soit le véritable seuil de rentabilité de l’Arabie Saoudite, il est vraisemblablement inférieur à celui des producteurs américains de pétrole de schiste, selon les données d’une enquête de mars 2025 menée par la succursale de Dallas de la Réserve fédérale américaine. Les meilleurs (ou les plus chanceux) des producteurs de pétrole de schiste interrogés ont en effet besoin de 40 dollars par baril pour couvrir les coûts d’un nouveau puits[xi]. Au moment de la rédaction de cet article, le WTI [West Texas Intermediate, NDLR], référence américaine, évoluait dans la fourchette basse des 60 dollars. De nombreux producteurs de schiste perdent donc de l’argent actuellement.

    Même en se basant sur le chiffre publié par Rystad Energy, Saudi Aramco sera donc soit l’unique « dernier survivant », soit dans le groupe très restreint de ceux qui survivront… à moins qu’un événement majeur ne survienne.

    Une majorité des soutiens de Trump, les frakers [fractureurs] américains, ne sont évidemment pas satisfaits de la baisse des prix du pétrole due à l’excès de production au Moyen-Orient combiné aux coûts excessifs du forage aux États-Unis. Comme le rapportait le Washington Post le 10 mai 2025, rapportant les propos de T. Grant Johnson, président de la Lone Star Production Company, société d’exploration pétrolière texane, et de l’Association texane des producteurs indépendants et propriétaires de redevances : « Cela affecte vraiment tout le monde […] On a beaucoup parlé de « Drill Baby Drill ». Mais ces entreprises ne vont pas forer si le contexte économique ne suit pas. Toute cette peur et cette incertitude poussent les gens à être bien plus prudents… Si cette souffrance perdure trop longtemps et rejaillit sur les élections de mi-mandat, cela pourrait devenir très désagréable pour ceux qui nous ont menés là »[xii]. Or Trump les y a menés.

    Un autre dirigeant pétrolier texan, D. Kirk Edwards, ancien président de l’Association pétrolière du bassin permien, déclarait dans le même article : « Je pense que nous allons assister d’ici 30 à 60 jours à l’arrêt de nombreuses plateformes actuellement en activité… La plupart des gens sont sous le choc de voir comment cela peut arriver sous une administration républicaine. »

    Les frackers ont de bonnes raisons d’être sous le choc. Après une collecte de fonds auprès d’eux, organisée dans son domaine de Mar-a-Lago en avril 2024, Donald Trump avait récolté 75 millions de dollars de dons de campagne (il en avait réclamé un milliard). L’événement était organisé par l’homme qui a lancé la révolution du schiste, Harold Hamm, patron de Continental Resources. Le gouverneur du Dakota du Nord, Doug Burgum, était d’ailleurs présent. Celui-ci est depuis devenu le secrétaire à l’Intérieur de Trump, responsable des forages sur les terres fédérales, et le « tsar de l’énergie » de Trump. Chris Wright, patron de Liberty Energy, grande entreprise de services de fracturation hydraulique, l’était aussi. Il est désormais secrétaire chargé de l’Énergie[xiii].

    Une guerre pour créer un goulet d’étranglement pétrolier mondial

    Or, une grande partie du pétrole bon marché du Moyen-Orient doit transiter par un passage très étroit, le détroit d’Ormuz, comme le rappelle l’Agence d’information énergétique du gouvernement américain : « Le détroit d’Ormuz, situé entre Oman et l’Iran, relie le golfe Persique au golfe d’Oman et à la mer d’Arabie. [Il s’agit du potentiel] goulet d’étranglement pétrolier le plus crucial au monde car d’énormes volumes de pétrole y transitent. En 2023, les flux pétroliers à travers Hormuz ont atteint en moyenne 20,9 millions de barils par jour, soit l’équivalent d’environ 20 % de la consommation mondiale de produits pétroliers… »[xiv].

    À propos d’une guerre dans cette zone, voici ce que rapportait la chaîne américaine CNN le 20 mai 2025 : « Les États-Unis ont obtenu de nouveaux renseignements suggérant qu’Israël se prépare à frapper les installations nucléaires iraniennes, alors même que l’administration Trump menait des négociations diplomatiques avec Téhéran, ont déclaré à CNN plusieurs responsables américains au fait des derniers renseignements… Une telle frappe constituerait un affront flagrant au président Donald Trump, ont précisé les responsables américains. Elle pourrait aussi risquer de déclencher un conflit régional plus large au Moyen-Orient… »[xv]

    Une guerre au Moyen-Orient aiderait-elle Trump à éviter les sujets de son honnêteté et de sa compétence ?

    En 2024, Trump a obtenu les voix de nombreuses personnes qui ne l’appréciaient pas personnellement mais pensaient qu’il améliorerait leur pouvoir d’achat et l’économie. Plusieurs sondages de référence soulèvent aujourd’hui de nouvelles interrogations. Le sondage américain le plus célèbre et toujours l’un des plus fiables est celui de Gallup. Son évaluation globale de Trump en janvier de cette année, juste avant son entrée en fonction, affichait 47 % d’opinions favorables contre 48 % défavorables. Son dernier sondage, publié le 23 mai, montre une détérioration notable : 43 % d’opinions favorables, 53 % défavorables[xvi]. Concernant l’économie, le sondeur ajoute que « la majorité estime que la situation économique se dégrade (58%) plutôt qu’elle ne s’améliore (37%). » Ce résultat « révèle une vision radicalement différente du climat économique par rapport à celle qui prévalait durant les trois premières années du premier mandat de Trump, quand la… [perception] était résolument positive. » Avec des sondages en berne, Trump pourrait avoir un réel besoin de changer de sujet. Les guerres constituent un moyen classique d’y parvenir. Donner son feu vert, implicite ou même explicite, à Israël pour attaquer lui permettrait de changer la focale tout en satisfaisant une partie importante de ses soutiens qui s’estiment floués, et permettrait d’atteindre la « domination énergétique » par ricochet : le pétrole du Moyen-Orient se trouverait bloqué et/ou parti en fumée, faisant des frackers les « derniers survivants ».

    Robert Bell

    Professor de Management au Brooklyn College, Université de la ville de New York

    Son dernier article publié par l’Institut Rousseau :

    A handful of investors own big oil: what to do about it

    [i] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/05/23/le-rapprochement-de-donald-trump-avec-les-monarchies-du-golfe-limite-le-jeu-israelien-au-moyen-orient_6607899_3232.html

    [ii] https://www.bakkenshale.com/#:~:text=the%20bakken%20shale%20play%20is,until%20the%20past%20ten%20years

    [iii] https://www.nasdaq.com/articles/10-top-oil-producing-countries-updated-2024

    [iv] https://www.ft.com/content/269b9c8b-4622-4654-bde4-fe41f9cfde11 1/4

    [v] https://www.bloomberg.com/news/articles/2025-04-03/opec-stuns-oil-market-with-policy-switch-to-drive-down-prices?srnd=homepage-europe&sref=XVZ2svL2

    [vi] https://www.bloomberg.com/news/articles/2025-06-01/saudi-arabia-tightens-grip-on-opec-by-pushing-through-oil-surge?embedded-checkout=true&sref=XVZ2svL2

    [vii] https://www.asiafinancial.com/one-in-nearly-every-two-cars-sold-in-china-was-electric-in-2024

    [viii] https://www.iea.org/reports/renewables-2024/global-overview

    [ix] https://www.rystadenergy.com/news/upstream-breakeven-shale-oil-inflation

    [x] https://www.rns-pdf.londonstockexchange.com/rns/6727U_1-2019-4-1.pdf

    [xi] https://www.dallasfed.org/research/energy/indicators/2025/en2504

    [xii] https://www.washingtonpost.com/business/2025/05/10/oil-price-energy-tariffs-trump/

    [xiii] https://www.ft.com/content/63e6ef98-363e-435c-9621-c628086300d0

    [xiv] https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.php?id=63446

    [xv] https://edition.cnn.com/2025/05/20/politics/intelligence-israel-possible-strike-iran-nuclear-facilities?iid=cnn_buildContentRecirc_end_recirc

    [xvi] https://news.gallup.com/poll/690986/political-economic-indicators-steady-may.aspx

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