La COP16 à Cali en Colombie avait la charge de passer des mots à l’action.
Elle a enregistré quelques avancées significatives
mais des engagements importants pris antérieurement n’ont pas été tenus.
La Convention des Nations unies sur la diversité biologique (COP16) s’est tenue à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre 2024. Cette COP avait pour but de s’accorder sur la mise en œuvre, d’ici à 2030, des 23 objectifs fixés par l’Accord de Kunming-Montréal (conclu lors de la COP15 en 2022), comme la préservation d’au moins 30 % des terres et des mers d’ici 2030, la réduction des pollutions et du risque lié aux pesticides [pour plus de détails sur le contexte, voir l’encadré en fin d’article].
La Colombie, quatrième pays le plus riche en biodiversité[1] et le plus diversifié en termes d’espèces d’oiseaux, de papillons et d’orchidées, a-t-elle su faire aboutir les négociations et obtenir de réelles avancées ?
Malgré quelques progrès notables, des blocages importants demeurent :
- Représentation des peuples autochtones : la COP16 a conduit à la création d’un groupe permanent au sein de la Convention sur la diversité biologique pour intégrer les peuples autochtones, reconnaissant ainsi leur rôle central en tant que protecteurs de la nature et de la biodiversité.
- Lancement du « Fonds Cali » pour garantir le partage équitable des bénéfices tirés des ressources génétiques, notamment au profit des pays en développement, afin de compenser les usages industriels de ces ressources. Mais son abondement est volontaire, ce qui ne peut que susciter des craintes sur les montants versés.
- Un retard général sur l’élaboration des stratégies nationales de préservation de la biodiversité et des efforts pour intensifier la protection des écosystèmes qui restent limités, malgré l’urgence illustrée par les chiffres alarmants concernant la perte de biodiversité. Le mécanisme de pilotage et de suivi de ces stratégies et plans nationaux n’a pas été mis en place, contrairement à ce qui était prévu.
- L’impasse des négociations sur le financement : les discussions sur la mise en place d’un fonds autonome dédié à la biodiversité, sous gouvernance onusienne, ont échoué. Ce mécanisme, réclamé par les pays en développement pour remplacer l’actuel jugé inadéquat, s’est heurté à l’opposition des pays développés.
- Des contributions financières en croissance mais représentant seulement 2 % de l’objectif 2030 : huit gouvernements ont annoncé un total de 400 millions de dollars pour le Fonds-cadre mondial pour la biodiversité, une étape très modeste en vue de l’objectif de 200 milliards de dollars d’aide annuelle d’ici 2030.
- Encadrement des « crédits biodiversité » : une feuille de route en vue de s’assurer que ces mécanismes de marché, conçus pour compenser les pertes écologiques, soient crédibles et servent effectivement la préservation de la nature a été proposée aux débats mais n’a pas pu être discutée faute de quorum. Le débat de fond sur l’utilisation ou non de ces crédits controversés (notamment suite aux scandales dont ont fait objet leurs équivalents carbone[2]) n’est ainsi pas tranché.
I. Quelques avancées positives
Un accord majeur a été officialisé lors de la COP16 : la création d’un organe permanent pour représenter les peuples autochtones au sein de la Convention sur la diversité biologique. Représentant un peu plus de 6 % de la population mondiale, les peuples autochtones occupent 22 % des terres de la planète abritant plus de 80 % de la biodiversité mondiale. Leur savoir traditionnel est souvent en première ligne pour la protection de la biodiversité et la préservation des écosystèmes contre des intérêts économiques à court-terme. La création de cette structure officielle reconnaît leur rôle comme essentiel et leur permettra de renforcer leur statut dans les futures négociations liées à la nature et au climat.
Des avancées ont également été faites en matière de partage avec les populations locales (y compris les peuples autochtones), des bénéfices issus de la « biopiraterie », à savoir l’exploitation économique des ressources naturelles de pays en développement, par le séquençage numérique de l’ADN de plantes, d’animaux ou de microorganisme qui sont spécifiques à ces territoires. Le texte adopté stipule que les industries pharmaceutiques, cosmétiques, agricoles, alimentaires et biotechnologiques qui utilisent ces ressources devront verser 0,1 % de leur revenu ou 1 % de leurs bénéfices dérivés des données génétiques de la nature au nouveau « Fonds Cali ». Malheureusement ces seuils ne sont qu’indicatifs et il n’y a aucune obligation pour ces entreprises d’y contribuer. Ce qui, on ne peut que le craindre, risque de limiter très fortement le montant de ces versements.
Enfin, un des textes importants adoptés place la biodiversité au même niveau que la décarbonation et le changement climatique. Cette décision va dans le sens des travaux de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES – l’équivalent du GIEC pour la biodiversité), qui indiquent que le changement climatique est une des causes majeures directes du déclin de la biodiversité. Elle doit permettre de créer des synergies pour solutionner les différentes problématiques de façon globale, sans (trop) les hiérarchiser ou les opposer. Elle devrait aussi permettre une plus grande attention politique et médiatique aux futures COP Biodiversité.
II. Un premier échec majeur : celui des financements
Les financements en provenance des États des pays riches pour la protection et la restauration de la nature, affichés à hauteur de 20 puis 30 milliards de dollars par an à horizon 2025 et 2030 à Montréal, sont très éloignés de l’objectif. Les engagements à l’alimentation du Fonds mondial pour la biodiversité (GBFF en anglais) se montent à seulement 400 millions de dollars. Les financements du secteur privé sont quant à eux quasiment absents.
Il faut rappeler que les financements en provenance de toutes les sources (publiques, privées, philanthropiques, domestiques, innovantes sous la forme de taxes, etc.), et allant des pays du Nord vers ceux du Sud afin qu’ils investissent pour protéger et restaurer la biodiversité, sont estimés devoir être de l’ordre de 200 milliards de dollars par an. On en est très loin.
Plus globalement, la prise de conscience par le secteur privé de l’effondrement de la diversité biologique paraît très limitée. Autant les dépendances, les impacts (négatifs et éventuellement positifs) et les risques posés par le changement climatique et ses conséquences commencent à être pris en compte aussi bien par les différents acteurs que par les banques et surtout par les assureurs, autant ceux liés à la dégradation de la biodiversité et aux destructions des écosystèmes semblent encore, au-delà de la communication sur leurs ambitions, peu pris en compte dans la réflexion stratégique des entreprises, des investisseurs et de leurs financeurs.
III. Une COP inachevée
Le nombre de délégués encore présents étant insuffisant pour constituer le quorum, les débats ont été interrompus le matin du samedi 2 novembre, après près de 24 heures de discussions sans interruption. La clôture formelle des travaux de la COP16 a alors été reportée à une date ultérieure.
Les délégations présentes à Cali n’ont ainsi pas pu se mettre d’accord sur la création d’un nouveau fonds, réclamé par les pays du Sud qui considèrent que le fonds actuel est difficile d’accès, qu’il n’est pas favorable à leurs intérêts et qu’il bénéficie davantage aux pays émergents comme la Chine et le Brésil. Abordée en toute fin de réunion, cette question importante n’a pas pu être réglée.
La problématique des « crédits biodiversité » visant à « récompenser » des actions bénéfiques aux écosystèmes n’a pas été solutionnée. L’un des 23 objectifs de l’Accord de Kunming-Montréal prévoit en effet la recherche de systèmes innovants tels que « les crédits et les compensations en matière de biodiversité ». Ce dispositif est très fortement controversé ; peut-on considérer qu’on peut détruire « ici » si l’on compense « ailleurs » ? Entre ceux qui ne souhaitent pas que ces crédits soient utilisés pour de la compensation et ceux (i.e. les acteurs économiques) qui pensent qu’ils en ont besoin pour compenser, le débat est vif. Ceci d’autant plus que le bilan très critiqué (car très critiquable) des crédits-carbone octroyés en contrepartie de tonnes de CO2 évitées ou (trop souvent soi-disant) absorbées, est dans tous les esprits. La question de savoir si ces crédits peuvent participer à la cible de 200 milliards de dollars du Fonds mondial pour la biodiversité n’a pas non plus été tranchée.
Autre conséquence de la suspension des travaux de la COP 26 : le mécanisme de pilotage et de suivi des stratégies et plans nationaux pour la biodiversité n’a pas été adopté. Il devait fixer les règles et les indicateurs de suivi devant permettre d’établir un premier bilan de ces actions lors de la COP17 en 2026 à Erevan en Arménie.
IV. Une fois encore, des engagements étatiques non tenus
Une fois de plus, les ambitions n’ont pas engendré d’actions.
Tout d’abord, malgré les engagements pris il y a deux ans lors de la COP15 Montréal, les pays les plus riches n’ont pas apporté au Fonds mondial pour la biodiversité les sommes promises. Tous les États ont collectivement échoué à mettre en place les mécanismes permettant de mobiliser les financements nécessaires pour protéger la biodiversité sur le long terme.
En outre, les États devaient présenter leurs stratégies et leurs plans d’action nationaux de préservation de la biodiversité alignés sur les mesures de l’accord adopté lors de la COP15. Or seuls 44 des 196 pays ont établi un plan national pour enrayer la perte de biodiversité et pour répondre aux menaces qui pèsent sur elle.
Cet échec est d’autant plus critiquable que la signature d’accords internationaux engage les États signataires. Que ce soit l’Accord de Kunming-Montréal de 2022[3] ou le Pacte pour l’Avenir [4] qui a été adopté il y a tout juste quelques semaines. Dans sa mesure 9-e, ce Pacte fait expressément référence au Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal quand il indique qu’il est « important de préserver, protéger et restaurer la nature et les écosystèmes ». Il demande aussi à « redoubler d’efforts pour restaurer, protéger, conserver et utiliser durablement l’environnement » (mesure 10). Et pourtant…
V. Un avenir un peu plus sombre depuis les élections américaines
L’élection de Donald Trump, pour qui le réchauffement climatique est « One of the greatest scams of all time » (« une des plus grandes arnaques de tous les temps ») et qui est un ardent défenseur des énergies fossiles, assombrit l’avenir de l’ensemble des négociations relatives au climat et à la biodiversité. Il est très probable que, comme cela avait été le cas en 2017, les États-Unis se retirent de l’Accord de Paris. Cela peut se faire par simple décret présidentiel. Le retrait des conventions conclues à Rio de Janeiro en 1992 (la Convention-cadre sur le changement climatique dont l’Accord de Paris n’est qu’un des textes d’application, la Convention sur la diversité biologique et la Convention contre la désertification) ne peut être totalement exclu. La sortie de ces traités fondateurs de toute la diplomatie climatique et environnementale nécessite toutefois d’obtenir une majorité des deux-tiers du Congrès étasunien.
Les premiers effets négatifs se sont fait sentir à la COP29 sur le climat de Bakou, où l’un des enjeux centraux des discussions portait sur les financements mis en place par les pays occidentaux principaux responsables du réchauffement climatique, à destination des pays en développement qui en sont les plus victimes. L’augmentation des engagements climatiques est très largement en-deçà de ce qui était escompté, et de ce qui est nécessaire. Elle a été rendue encore plus difficile par la discrétion des représentants de l’administration Biden et par la possibilité d’une sortie des États-Unis, premier bailleur de fonds – et également deuxième contributeur au changement climatique.
Quelques rappels utiles
À l’issue du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en juin 1992, trois conventions ont été ratifiées :
– La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui organise tous les ans la COP (Conférence des Parties) sur le climat. La COP29 à Bakou en Azerbaïdjan qui s’est tenue du 11 au 23 novembre 2024 a été dominée par les enjeux de financement dont la mise en place d’un « nouvel objectif collectif quantifié de financement climatique » (NCQG) ; celui-ci vise à accroître les contributions des pays développés. Il faut rappeler à ce sujet qu’en 2009, ces derniers s’étaient engagés à « fournir et mobiliser » la somme emblématique de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 ; cet objectif n’a été atteint qu’en 2022.
– La Convention des Nations unies sur la diversité biologique dans le cadre de laquelle des Conférences des Parties sont organisées tous les deux ans. Elle a pour but de protéger, restaurer et utiliser de manière durable la biodiversité à l’échelle internationale. La COP16 sur la biodiversité (objet du présent article) s’est tenue à Cali en Colombie en octobre 2024.
– La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification qui ambitionne d’accélérer les actions de restauration des terres et de résilience à la sécheresse. Aujourd’hui, jusqu’à 40 % des terres de la planète sont dégradées, ce qui affecte la moitié de l’humanité et a des conséquences désastreuses sur ses moyens de subsistance. La COP16 contre la désertification est programmée en décembre 2024 à Ryad en Arabie Saoudite.
Ces conventions ont pour objet la nature dans sa globalité. La crise planétaire que nous connaissons a de multiples aspects (réchauffement, augmentation de la température et de la salinité des océans, recul des glaciers et des banquises, perte de biodiversité, disparition d’espèces, destruction d’écosystèmes, pollutions, avancée des déserts, évènements climatiques extrêmes plus nombreux et plus intenses etc.). Tous sont étroitement imbriqués.
À l’issue de la COP15 Biodiversité en 2022, le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal a été conclu.
23 objectifs ont été actés parmi lesquels la protection d’au moins 30 % des zones terrestres et marines de la planète d’ici à 2030, la réduction de moitié de l’usage de pesticides à cette même échéance, la mise en œuvre par chaque état de plans d’actions pour la protection de la nature et la restauration des écosystèmes dégradés et la mobilisation de 200 milliards de dollars de dépenses annuelles pour la nature dont le transfert annuel par les pays les plus riches à destination des pays en développement d’au moins 20 milliards de dollars par an à l’horizon 2025 et au moins 30 milliards de dollars d’ici 2030.
Les pays « mégadivers »
Un pays « mégadivers » est un pays sur lequel se trouve une très grande diversité biologique ; on y trouve de grandes quantités d’écosystèmes et des milliers de formes de vie endémiques (i.e. qui sont propres à ces territoires), tant végétales que d’animaux terrestres et marins.
Les 17 pays mégadivers identifiés à la COP16 sont l’Afrique du Sud, l’Australie, le Brésil, la Chine, la Colombie, l’Équateur, les États-Unis (qui n’ont pas signé l’accord de Kunming-Montréal), l’Inde, l’Indonésie, Madagascar, la Malaisie, le Mexique, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Pérou, les Philippines, la République démocratique du Congo et le Venezuela.
Ils contiennent environ 70 % de toute la biodiversité mondiale.
[1] La Colombie accueille 19 % des espèces d’animaux de la planète. Elle était ainsi l’un des 17 pays « mégadivers » (megadiverse en anglais) présents à Cali.
[2] Est-il vrai que 90% des crédits carbone ne valent rien ?
[3] Rappelons que les États-Unis ne sont pas signataires de cet accord.
[4] Texte du Pacte pour l’Avenir : https://digitallibrary.un.org/record/4061879?v=pdf#files