Le Pacte pour l’Avenir, vous connaissez ?
Avez-vous entendu parler du Sommet de l’Avenir, qui s’est tenu les 22 et 23 septembre derniers au siège de l’ONU, à New York ? Et du « Pacte pour l’Avenir », adopté à l’unanimité par les 193 États membres à la suite de ces discussions impliquant des représentants de gouvernements, de la société civile, des secteurs privé et public, du monde universitaire et d’ONG ? Très probablement non. Faites une recherche sur Qwant ou Google, et vous serez surpris du faible nombre de références autres que celles émanant des institutions de l’ONU. Ce texte particulièrement ambitieux reste ainsi hors des radars médiatiques et du débat citoyen. Cette absence de couverture médiatique interroge, d’autant que les sujets abordés dans le Pacte pour l’Avenir touchent à des questions centrales de notre époque.
Le Pacte pour l’Avenir se veut pourtant une feuille de route pour l’action collective des États dans cinq grands domaines : le développement et le financement durables, la paix et la sécurité internationales, l’égalité numérique, la jeunesse et les générations futures, et la gouvernance mondiale. À ces domaines s’ajoutent des sujets cruciaux comme la lutte contre la crise climatique, les droits humains et l’égalité des sexes. Tous sont au cœur de l’actualité et constituent des enjeux de première importance, certains étant même devenus particulièrement urgents.
Deux actions parmi une soixantaine.
Loin de moi l’idée de lister au fil d’une longue énumération l’ensemble de ces actions ; la présentation en une phrase de chacune d’entre elles dans le rapport[1] est très explicite. Mais je voudrais mettre en exergue deux des objectifs retenus.
Tout d’abord, dans le domaine de la « paix et la sécurité », les deux premières de la quinzaine d’actions répertoriées[2] mettent l’accent sur la volonté de « redoubler d’efforts pour construire des sociétés pacifiques, inclusives et justes et pour [s]’attaquer aux causes profondes des conflits » et de « protéger toutes les populations civiles dans les conflits armés ». Cela peut sembler n’être que de pieux vœux à un moment où se déroulent les conflits les plus meurtriers. Mais il s’agit dans cet axe, au-delà d’une réponse aux guerres actuelles, qu’elles soient déclarées, larvées ou potentielles et à un moment où les défis sont multiples, de définir les bases d’un nouvel ordre pacifique mondial fondé sur la justice, l’équité et la coopération.
Concernant les ‘développement et financement durables’, le Pacte pour l’Avenir vise la sortie des énergies fossiles et réaffirme les objectifs de l’Accord de Paris. Cet objectif[3] avait un temps été retirée sous la pression des ‘pétro-Etats’ avant d’être réintégrée face notamment à la grogne de la société civile et des ONG appuyées par plusieurs états. Elle appelle ainsi à renforcer les efforts visant à « l’abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques […] de manière à parvenir à un bilan net nul d’ici à 2050 en matière d’émissions de gaz à effet de serre ». L’abandon progressif des énergies fossiles inclut dans l’accord final de la COP 28 de Dubaï en décembre 2023 est ainsi confirmé.
Des raisons de douter…
Le Pacte pour l’Avenir, bien qu’adopté à l’unanimité, n’a pas de caractère contraignant. Malgré le ton très volontariste adopté : « Action 1 : we will… ; Action 2 : we will… ; … » : « Nous allons… ; nous allons… ; nous allons… », on peut tout à fait craindre qu’il s’agisse davantage d’une liste d’intentions que d’un véritable plan d’action. Et on peut tout autant douter de ces engagements pris sans contraintes juridiques, sans engagements financiers et sans ‘obligations de résultats’, notamment en matière de paix, de justice sociale ou d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Ceci alors même que les conséquences de la timidité, quand ce n’est du manque, des actions entreprises sont bien réelles et qu’elles se traduisent par une quasi-banalisation des conflits y compris les plus meurtriers, des inégalités croissantes tant entre le Nord et le Sud qu’au sein de chaque pays, des écosystèmes de plus en plus fragilisés quand ils ne sont détruits et des millions de personnes qui subissent déjà, aujourd’hui, les effets du dérèglement climatique.
On peut aussi légitimement se poser la question de savoir quelle place réelle ce Pacte occupera dans les décisions des mois et années à venir. Approuvé par l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement, on ne peut qu’espérer qu’il ne soit pas ignoré lors des prochains grands sommets programmés ces prochains mois : COP 29 sur le climat en Azerbaïdjan en novembre ; COP 16 sur la lutte contre la désertification en décembre à Ryad ; Conférence des Nations Unies sur les pays en développement sans littoral au Botswana en décembre. Ou lors de l’évaluation des prochaines ‘Contributions déterminées au niveau national’ qui se trouvent au cœur de l’Accord de Paris et qui doivent être rendus d’ici février 2025.
Ce Pacte pourrait aussi être utilement rappelé lors des discussions sur les conflits en cours à l’ONU, devant la Cour Internationale de Justice ou à la Cour Pénale Internationale.
Mais on ne peut que constater que nombre d’Etats, s’ils ont validé les engagements du Pacte pour l’Avenir, adoptent devant d’autres instances internationales des positions qui y sont en flagrante contradiction. Trop souvent, les intérêts court-terme, qu’ils soient commerciaux, électoraux, géopolitiques, financiers, diplomatiques… sont autant de prétextes pour renier les principes validés en d’autres lieux.
Le Pacte pour l’Avenir a le mérite d’exister. Et il pose, soit explicitement, soit en filigrane, un certain nombre de questions. Quelle efficacité pour une gouvernance mondiale qui ne repose que sur des engagements non contraignants ? Comment faire primer les objectifs de justice, d’équité, de solidarité, de coopération quand chaque Etat, chaque entreprise multinationale, chaque acteur économique, chaque groupe d’intérêts poursuit ses seules priorités et ses seuls objectifs, trop souvent à court terme ? Quelles doivent être les transformations des structures, des systèmes et des modèles économiques dominants aujourd’hui ? Et les évolutions des mécanismes de financement dans le contexte d’une solidarité globale ?
Alors, oui ! On ne peut qu’éprouver une certaine perplexité et même un certain scepticisme quant à l’efficacité de ce texte et de ses engagements pris pour l’avenir.
Mais, malgré tout, des raisons d’espérer.
Il ne faut cependant pas oublier que des textes de portée très large ont conduit des années après, à des avancées internationales importantes. Ainsi du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en juin 1992 qui commence à déboucher sur des actions concrètes et des engagements des Etats ; engagements qui, malheureusement, sont parfois encore plus ou moins fermes et toujours plus ou moins à géométrie variable.
La Convention-cadre des Nations Unis sur les changements climatiques issue du Sommet de la Terre a, entre autres, conduit dès 1997 au Protocole de Tokyo qui a introduit l’engagement de certains pays de limiter leurs émissions de GES puis, en 2015 à l’Accord de Paris, aux engagements qui y ont été pris (notamment l’objectif de long terme de limiter le réchauffement global bien en dessous de 2 °C tout en visant 1,5 °C) et au suivi qui a été institué au travers des ‘‘Contributions déterminées au niveau national’. Créée également à Rio, la Convention des Nations-Unis sur la diversité biologique a débouché en 2022 à l’adoption de l’Accord de Kunming-Montréal qui, par le biais de 23 objectifs, fixe un cadre à l’action internationale face à la crise de la biodiversité et vise à enrayer la destruction de la nature par les activités humaines.
Par ailleurs, dans le cadre de ces deux conventions des Nations-Unis, des outils de financement ont vu ou voient le jour. Ainsi, à Bakou en Azerbaïdjan, les enjeux de financement devraient dominer. Un Nouvel Objectif de Financement Climatique (NCQG en anglais) devrait venir remplacer d’ici 2025 le Fonds Vert pour le Climat et la promesse de 100 milliards de dollars fournis chaque année par les pays développés aux pays en développement pour les aider à faire face au changement climatique. De même, à Cali, la création de fonds spécifiques pour la biodiversité avec notamment l’atteinte des 20 milliards de dollars promis pour 2025 est à l’ordre du jour.
Mais ces évolutions sont trop lentes et prennent trop de temps.
Plus le temps passe, plus la liste de victimes, directes et indirectes, des conflits en cours s’allonge démesurément. Plus le temps passe, plus les quantités de GES émises par les êtres humains dans l’atmosphère augmentent avec toutes les conséquences, diverses et multiples, que nous connaissons déjà et que nous pouvons augurer ; et plus le temps passe, plus nous prenons de retard pour adopter les mesures nécessaires pour y remédier. Plus le temps passe, plus les inégalités de toutes sortes progressent et affectent de plus en plus de personnes sur la Terre. Plus le temps passe…
Le Pacte pour l’Avenir existe. Il ne doit pas n’être qu’un catalogue de vœux pieux mais il doit constituer une véritable feuille de route. Sa suite est à écrire le plus rapidement possible !
[1] Texte du Pacte pour l’Avenir : https://digitallibrary.un.org/record/4061879?v=pdf#files
[2] Cf. les actions 13 et 14 du Pacte.
[3] Objectif inclus dans l’action 9 du Pacte.