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Vers une sécurité sociale de l’alimentation

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Vers une sécurité sociale de l’alimentation

Introduction : L’alimentation, au cœur des préoccupations des Français

Filmées par le média Brut pendant la pandémie de Covid-19, les images de l’interminable file d’attente d’étudiants lors d’une distribution alimentaire organisée par l’association Linkee dans le XIIIe arrondissement de Paris avaient marqué la réémergence de l’alimentation comme une urgence nationale[1]. La crise sanitaire passée, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a continué de progresser sur fond d’inflation des prix alimentaires pour atteindre un niveau record de 2,4 millions de bénéficiaires d’après le réseau des banques alimentaires[2]. Pour elles, l’aide alimentaire est souvent un moyen de pouvoir tout simplement manger à leur faim, alors que « le système alimentaire, de la production jusqu’à la consommation, dysfonctionne totalement, ne répondant à aucune promesse »[3]. Elle est aussi perçue par 86 % des bénéficiaires comme indispensable pour manger de manière saine et équilibrée. Plus largement, les études convergent pour dire que ce sont près de 8 millions de personnes qui vivent dans la précarité alimentaire en France, soit plus d’un français sur dix[4]. Plus largement encore, 55 % des Français considèrent aujourd’hui qu’il est trop cher de manger équilibré[5].

L’accessibilité de l’alimentation étant une source de tensions, le sujet a trouvé une place nouvelle dans le débat public. Dès 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat a retenu parmi ses propositions celle du « chèque alimentaire », prenant la forme d’une aide mensuelle aux plus modestes fléchée sur l’achat d’aliments durables et issus de l’agriculture biologique. C’est une forme embryonnaire de sécurité sociale alimentaire à grande échelle. Le président de la République a repris à son compte cette proposition lors des élections présidentielles de 2022, avant de l’abandonner en 2023[6]. L’élection présidentielle de 2022 a aussi été largement marquée par l’enjeu de l’alimentation puisque le positionnement des candidats sur la consommation de produits carnés a cristallisé de manière inattendue la campagne. Malheureusement réduit médiatiquement à une caricaturale opposition entre France du « bifteck »[7] et France du « quinoa »[8], ce débat présentait au contraire des enjeux majeurs et sérieux, dont nous tentons de démontrer ici qu’ils peuvent trouver des réponses rassembleuses, écologiques et solidaires. Puis, l’inflation historique des prix des produits alimentaires en 2022 et 2023, notamment du fait de la hausse des coûts de l’énergie, de la guerre en Ukraine et de l’action à contre-emploi de certains grands groupes du secteur[9], a replacé l’alimentation au second rang des postes de dépense du budget des foyers français[10]. L’alimentation est revenue au premier plan de manière spectaculaire début 2024 avec la colère des agriculteurs, exprimant leurs difficultés à vivre de leur travail. Les violences alimentaires touchent bien les deux extrémités de la chaîne de valeur : de la fourche à la fourchette. Les Français s’y sont montrés particulièrement sensibles et se sont rangés avec une rare unanimité du côté des agriculteurs, 90 % d’entre eux affirmant soutenir leur action[11].

C’est que « bien manger » a de nombreuses significations pour les Français. Même si la place de l’alimentation dans nos vies est propre à chacune de nos cultures, sa place centrale pour notre santé est bien définie par le concept « One Health[12] », développé par l’ONU au début des années 2000, qui promeut une approche intégrée et systémique de la santé publique, animale et environnementale à toutes les échelles. Le contenu de nos assiettes a ainsi des effets directs sur la santé publique mondiale et sur la santé de la planète.

« Bien manger » est d’abord pour chacun d’entre nous une priorité pour le bien-être individuel. La corrélation entre l’alimentation et la santé est de mieux en mieux identifiée par la population, y compris par celle qui n’a pas les possibilités de manger équilibré. C’est d’ailleurs ce que démontre le succès de l’application française Yuka, permettant de scanner le code barre d’un produit alimentaire pour connaître les effets sur la santé et qui revendique plus de 16 millions d’utilisateurs en France. « Bien manger », c’est aussi une ambition pour les autres. Créer les conditions pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail s’est affirmé comme un enjeu populaire, ce qu’on retrouve par exemple avec le succès des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). Pour les autres aussi, car partager un repas en famille et entre amis est perçu comme une activité de partage et de lien social importante[13]. C’est également un moment de plaisir, de découverte et de maintien des traditions. « Bien manger », c’est enfin une urgence pour la planète. Le GIEC estime que le système alimentaire au sens large est directement et indirectement responsable de 21 % à 37 % des gaz à effet de serre (l’élevage étant une des principales causes)[14].

Mais par où commencer pour répondre à toutes ces questions à la fois et permettre à chacun d’entre nous de bien manger ? Les défis à relever sont vitaux et enchevêtrés. Ils concernent très directement notre santé, le lien social, la lutte contre la précarité et l’habitabilité de notre planète. Seule une proposition réformiste radicale, solutionnant les difficultés en les envisageant à leurs racines, permettra de réellement faire face aux multiples défis auxquels nous sommes confrontés.

C’est pourquoi, la réflexion au menu de cette note s’inscrit dans la perspective d’un changement en profondeur de notre système alimentaire. La sécurité sociale alimentaire consiste à socialiser le bien commun qu’est l’alimentation à travers la création d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale. Elle constitue donc un changement majeur pour toute l’organisation de la société. Cette proposition a déjà fait l’objet de modélisations économiques. Elle émerge dans le débat public mais elle est parfois réduite à une carte vitale alimentaire ou à son coût élevé. Nous contribuons au débat en développant ici un chemin progressif pour avancer vers une sécurité sociale alimentaire. Cela passe d’abord par un investissement public en faveur de l’éducation alimentaire, afin de reconstruire une « culture alimentaire » donnant davantage d’outils à la population pour savoir bien se nourrir. Nous portons aussi le développement d’un fonds d’expérimentation pour les initiatives locales, une réflexion sur la gouvernance et les modalités de conventionnement ainsi que l’exploration de pistes de financements. En particulier, les nombreuses initiatives locales et citoyennes que nous présentons offrent des pistes de réflexion et démontrent un engouement populaire qui peut servir de levier. Elles démontrent aussi que la sécurité sociale de l’alimentation ne constitue pas un dispositif accessoire mais emporte avec elle une métamorphose des systèmes productifs et des usages liés à l’alimentation.

Le présent travail de l’Institut Rousseau s’inscrit de manière distincte mais à la suite de réflexions déjà menées sur le sujet par l’Institut en lien avec le Collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation[15], qui cherche à faire entendre depuis plusieurs années la nécessité d’une refondation profonde de notre rapport à l’alimentation.

A. L’urgence d’une rupture avec le système alimentaire actuel

1.Les limites de l’aide alimentaire face à l’ampleur de la précarité alimentaire

Le dimanche 3 septembre 2023, les Restos du Cœur lançaient un appel à l’aide historique. Face à une hausse de 35 % de repas servis en plus en un an, conjuguée à la hausse du prix des denrées alimentaires et de l’énergie, l’association fondée par Coluche en 1985 était en incapacité de répondre à l’ampleur des besoins des Français en situation de précarité alimentaire. Pour la première fois dans leur histoire, les Restaurants du Cœur ont annoncé devoir refuser du monde à partir du mois de novembre 2023. L’afflux record de dons privés et publics qui en a suivi a permis à l’association de se remettre à flot.

Cet épisode symbolise la progression spectaculaire de la précarité alimentaire en France, avec 16 % de la population française qui déclare ne pas manger à sa faim contre 9 % en 2016[16]. Les banques alimentaires ont de leur côté constaté un triplement du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire entre 2011 et 2022, passant d’environ 800 000 à 2,4 millions de personnes.

Le fait marquant de l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire est la diversification du public. Comme le note l’étude Profils 2023 de la Banque alimentaire[17], jusque-là assez peu présente, la population active a fait une entrée massive dans l’aide alimentaire, représentant 17 % des bénéficiaires. Il s’agit essentiellement de travailleurs pauvres, dont 60 % ont un emploi à temps partiel. On voit ici clairement exprimées les limites du système alimentaire : gagner sa vie en travaillant ne permet plus de se nourrir, à sa faim et/ou de manière équilibrée. Il en est de même avec les retraités, qui représentent également 17 % du public et qui étaient jusqu’à récemment plutôt absents des soupes populaires. Les pensions des retraités les plus pauvres, pour lesquelles ils ont travaillé de nombreuses années, ne leur permettent pas de se nourrir décemment.

Malgré les aides publiques et privées exceptionnelles ces derniers mois, l’aide alimentaire traditionnelle paraît donc à bout de souffle. La baisse du pouvoir d’achat a d’ailleurs limité les « petits dons » aux associations de l’aide alimentaire, en baisse en 2024 selon France Générosités[18]. Il en résulte finalement un « effet ciseau » entre la hausse spectaculaire de la demande, la hausse des prix alimentaires et une stagnation des moyens. Combien de temps ce système en déséquilibre pourra-t-il tenir ?

2. Des inégalités dans nos assiettes

Si l’enrayement de la faim est le premier enjeu qui vient en tête lorsqu’on s’interroge sur l’alimentation, s’arrêter là signifierait passer à côté de défis majeurs auxquels est confrontée la société française. Car parallèlement au retour inquiétant de la faim en France, d’autres formes d’insécurités alimentaires prospèrent et se cumulent entre elles, soulevant des problèmes de santé publique.

Phénomène de société, l’obésité a par exemple progressé de 8,5 % à 17 % entre 1997 et 2023[19]. Si rien n’est fait, elle pourrait toucher entre 25 et 29 % de la population d’ici 2030, avec des répercussions génétiques conséquences sur les générations futures[20]. Cela a un coût très concret pour la collectivité puisqu’une analyse de la Direction générale du Trésor de 2016[21] évaluait le coût social de la surcharge pondérale à 20,4 milliards d’euros, dont 9,5 milliards d’euros pour la seule dépense de santé. De même, le nombre de diabétiques a progressé de 160 % en France par rapport au début du siècle[22].

La société française n’est pas affectée de manière égale par ces problématiques. Carences alimentaires résultant d’un manque de nutriments vitaux, « malbouffe », surconsommation de sucre, obésité, difficultés d’accès à une offre commerciale variée, hausse inégale des prix… Plusieurs types d’inégalités alimentaires peuvent être identifiées.

Les inégalités alimentaires liées aux inégalités de revenus sont les plus évidentes. Plus le revenu est faible, plus l’alimentation occupe une part importante du budget. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) démontre que cela en fait une variable d’ajustement prioritaire, au détriment de la quantité et de la qualité des produits ingérés. Dans une étude de 2017[23], elle indique que les catégories modestes consomment des produits en apparence similaire mais en fait de plus mauvaise qualité.

Ainsi, aux produits frais, les ménages les plus modestes préfèrent des produits transformés bon marché, auxquels l’industrie agroalimentaire ajoute du sucre, des émulsifiants, des colorants, des édulcorants, des exhausteurs de goût afin de les rendre désirables et addictifs malgré leur moins bonne qualité. Les conséquences sur la santé sont directes. Ils ont d’abord une plus faible qualité nutritionnelle. Ils génèrent aussi des maladies. Une étude Nutri-Net Santé de 2019[24] démontre qu’une hausse de 10 % de la consommation des produits dits « ultra-transformés » entraîne une hausse de 10 % du risque de cancer, une hausse de 12 % du risque de maladies cardio-vasculaire ou encore une hausse de 13 % des maladies coronariennes. D’autres études suggèrent une corrélation entre la consommation de produits ultra transformés et le risque de contracter des maladies mentales[25]. Si l’on ajoute à ce constat que les études pédagogiques convergent pour démontrer que la qualité de l’alimentation a un effet direct sur les capacités d’apprentissage à l’école[26], on comprend que les inégalités alimentaires sont aussi reproductrices des inégalités.

L’activité professionnelle, le genre et le niveau de diplôme signent de fortes inégalités, cette fois dans les régimes alimentaires. Dans les milieux les plus diplômés, la meilleure connaissance des enjeux de santé prémunit davantage contre une mauvaise alimentation. C’est particulièrement visible à travers la transmission de certaines habitudes alimentaires[27], en particulier la préférence pour certains goûts comme le suggère Roland Barthes dans son plaidoyer « Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine »[28]. Il en va ainsi de la valorisation des produits amers, plutôt que sucrés, secs plutôt que gras, végétaux plutôt que carnés. De fait, la prévalence de l’obésité est six fois plus élevée chez les enfants d’ouvrier que chez les enfants de cadre. Les femmes sont également plus exposées à la précarité alimentaire (18 %) avec une forte représentation au sein des familles monoparentales dont elles sont le plus souvent parent dirigeant (82 % des familles monoparentales)[29].

En lien direct, les inégalités territoriales sont enfin un facteur déterminant de l’alimentation. Les territoires les plus fragiles socio-économiquement sont par exemple ceux où la prévalence de l’obésité est la plus élevée : plus de 20 % dans les Hauts-de-France, de 30 % dans les Antilles[30]… L’accès à des produits sains et bon marché y est un enjeu central, de même que dans les zones rurales où il faut parcourir en moyenne plus de 12 km pour tomber sur un commerce, contre 2 km en région parisienne. De manière plus générale, près de 40 % des Français considèrent que les commerces de bouche ne sont pas assez nombreux[31]. Il existe donc clairement des espaces où l’alimentation saine et durable est beaucoup moins accessible. Certaines recherches ont pu qualifier de « désert alimentaire » ce type d’espace[32], démontrant sur le cas de Montpellier que les espaces périurbains sont aussi concernés. Il s’agit tout de fois d’un concept surtout développé pour étudier certains territoires des États-Unis et sa déclinaison française mériterait d’être approfondie et nuancée.

Ces conséquences n’affectent pas seulement la population française, mais aussi tout l’écosystème dans lequel elle évolue, au premier rang desquels les agriculteurs.

3. Un système agricole à bout de souffle

La souffrance du monde agricole et sa longue dérive, des crises sociales à répétition jusqu’aux suicides d’agriculteurs, font la une des journaux depuis de nombreuses années sans que les pouvoirs publics n’aient réussi à mettre en œuvre de solutions structurantes.

Le premier paramètre qui explique cette situation est celui des revenus. Une grande partie des agriculteurs ne parvient plus à vivre de leur travail. En 2017, avant impôts et avec subventions, 50 % des moyennes et grandes exploitations dégagent moins de 1700 € bruts mensuels par travailleur, 25 % se dégagent moins de 650 euros bruts mensuels, et les 25 % restants sont les mieux lotis avec un revenu brut mensuel de plus de 3100 euros[33]. La même année, le revenu moyen d’un français était de 2692 € bruts mensuels[34]. Autre fait marquant, l’Insee pointe que parmi les ménages avec au moins un exploitant agricole, 18 % vivent sous le seuil de pauvreté, soit un taux supérieur à la moyenne nationale qui est de 14 %[35]. De telles disparités créent évidemment des tensions entre consommateurs et producteurs : les premiers aspirant à une accessibilité plus grande d’une alimentation de qualité, qui pèsera le moins possible sur leurs budgets, alors que les producteurs, eux, font face à la pression d’un marché mondial d’industries agroalimentaires très concurrentiel et sont sous la coupe de distributeurs aux marges toujours plus grandes les exhortant à produire toujours plus[36].

L’autre sujet central dans la crise agricole est le partage inéquitable de la valeur que représentent les prix alimentaires. À partir des années 1970, la surproduction agricole a conduit à la chute des prix, qui ont été divisés par deux entre 1970 et 2000[37]. Cette pression augmente à la fin des années 1980, à l’ouverture des frontières sans droits de douane dans l’Union européenne. C’est bien ce contexte d’une pression du commerce international, alimentée par une logique ultra-productiviste, qui pousse les exploitations agricoles à se concentrer, et ce depuis les années 1960. En 2020, 25 % des exploitations mobilisent 61 % du total de la main-d’œuvre agricole, contre 49 % en 1970. Cette dynamique de concentration a conduit à l’émergence de grandes firmes de production[38], au détriment des petites fermes familiales. Face à des prix de vente aux distributeurs tirés vers le bas, et un endettement croissant en lien avec des politiques publiques techno-solutionnistes reposant sur des aides publiques tournées vers la mécanisation agricole, la situation financière des agriculteurs est difficile, parfois intenable. L’endettement des exploitations agricoles atteint ainsi en moyenne 204 330 euros selon l’Agreste[39].

Cette mécanisation a considérablement réduit le besoin en main d’œuvre agricole et inévitablement conduit à une diminution significative du nombre d’emplois dans le secteur, qui n’est cependant pas complètement compensée par l’utilisation des machines. Par conséquent, la population des agriculteurs s’effondre. Alors qu’on comptait encore 1,6 millions d’agriculteurs exploitants représentant 7,1 % de l’emploi total en France en 1982, ils ne sont plus que 400 000 représentant 1,5 % de l’emploi total en 2019[40]. La population agricole est aussi vieillissante (55 % d’entre eux va partir à la retraite d’ici 2030)[41]. Une situation qui ne laisse que peu de perspectives pour la réalisation d’une transformation réussie du monde agricole. C’est dans ce contexte que s’inscrit le nombre dramatique d’agriculteurs mettant fin à leur jour avec un excès de suicides de 20 % en 2010 par rapport à la population générale[42].

Face à l’impératif écologique, le secteur agricole et l’ensemble de la chaîne de valeur du système alimentaire doivent par ailleurs se réformer. L’agriculture représente 20 % des émissions directes de gaz à effet de serre françaises en 2020, principalement liées à la production de méthane des ruminants en digestion (40 % des émissions de GES du secteur agricole), et à la fertilisation des sols à partir d’engrais azotés (30 % des émissions de GES du secteur agricole[43]).  Alors que 6 des 9 limites planétaires sont officiellement dépassées d’après le Stockholm Resilience Center, positionnant au cœur de nos enjeux l’habitabilité de la Terre[44] il est grand temps de sortir des pratiques agricoles intensives, carbonées et destructrices de la biodiversité, suscitant des risques de santé publique pour l’ensemble de nos concitoyens et en particulier les producteurs.

Ces impacts négatifs du système alimentaire actuel français représentent des coûts pour la puissance publique, chiffrés à au moins 19 milliards d’euros en 2021[45] : 3,4 milliards pour les impacts sociaux (notamment la compensation de la faiblesse des rémunérations du système agricole), 3,4 milliards également pour les impacts environnementaux et 12,3 milliards d’impacts financiers pour la santé de nos concitoyens comme évoqué précédemment. Ces 19 milliards ne prennent pas en compte tous les dommages écologiques et sociaux. Les données sont par exemple inexistantes pour les dommages liés à l’exposition aux intrants chimiques (tels que les pesticides présents dans l’alimentation et l’eau). Face à ce triple défi économique, social et écologique, il est urgent de repenser le modèle agricole pour soutenir l’émergence d’une agriculture plus durable et contributrice d’une alimentation plus accessible. Dans ce contexte, l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation apparaît alors comme un levier pour relocaliser la chaîne de valeur alimentaire, réduire la dépendance à l’agro-industrie et garantir des revenus dignes aux agriculteurs leur permettant de produire mieux pour vendre mieux. Cette relation directe entre producteurs et consommateurs existe cependant dans les réseaux de distribution en circuits courts, type AMAP[46], qui s’articulent autour de relations d’interconnaissance et de confiance, au détriment parfois de l’optimisation du rapport qualité-prix[47], là où la sécurité sociale de l’alimentation se concentre sur l’accessibilité financière d’une alimentation saine et de qualité. Les circuits courts et la recherche d’une autre relation avec les producteurs par les consommateurs sont plébiscités par les consommateurs[48].

En mettant la production et l’accès à une alimentation saine et de qualité au centre de notre organisation collective, la sécurité sociale de l’alimentation offre une perspective de réponse structurelle. Cette proposition peut s’appuyer sur un élan populaire nouveau de réappropriation de l’alimentation saine et durable par nos concitoyens.

4. Cuisine maison, AMAP et « food porn », un renouveau populaire de l’intérêt pour l’alimentation saine

En cohérence avec la dégradation du système alimentaire, ces dernières décennies avaient été marquées en France par l’irruption massive de nouveaux modes d’alimentation rapides et peu diététiques[49], faisant la part belle au sucre et aux produits de faible qualité. On pense à l’alimentation de type fastfood selon les standards américains. C’est aussi le cas de modes alimentaires postérieures, telles que les kebabs puis les tacos[50], et enfin la street food. En opposition, de nouveaux mouvements ont montré un regain d’intérêt pour une alimentation saine, locale et durable, comme le pionnier Slow Food au début des années 1990 et la Confédération paysanne qui se fait connaître par la figure de José Bové et son action contre le chantier du restaurant Mcdonald’s de Millau en 1999.

La tendance majeure de ces dernières années est bien que les Français renouent avec l’ambition du bien-manger, en se réintéressant à la cuisine maison et à la gastronomie. La France a d’ailleurs une tradition gastronomique dont les Français sont fiers et reconnue comme « patrimoine culturel immatériel de l’humanité » par l’UNESCO depuis 2010.

S’ils avaient plus de temps, faire la cuisine vient en tête des désirs des Français[51],[52]. Cet intérêt rejoint celui du repas comme un moment de convivialité. La France est aussi le pays du monde où l’on passe le plus de temps à table : en moyenne 2 h 13 par jour, contre 1 h 33 pour les pays de l’OCDE.

Les Français tentent également de s’approprier les techniques des chefs étoilés, soit ce qui se fait de meilleur en matière d’alimentation saine et qualitative sur le plan gustatif. Preuve en est avec les audiences importantes des émissions télé culinaires, telles que Top Chef ! porté par le meilleur ouvrier de France Philippe Etchebest ou Le meilleur pâtissier porté par le chef pâtissier Cyril Lignac, qui après respectivement 14 saisons et 12 saisons continuent de rassembler à chaque épisode plus de deux millions de spectateurs soit plus de 10 % de part d’audience. Comme un symbole, la revisite gastronomique des mets issus de la street food y occupe une place majeure.

Pour réaliser cette cuisine maison, les Français s’appuient de plus en plus sur les circuits courts et les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP). La première AMAP a été lancée en 2001 à Aubagne à la suite d’un débat sur la « malbouffe » organisé par ATTAC et la Confédération paysanne. Depuis, les AMAP sont un succès populaire. Difficile à recenser dans l’ensemble, le mouvement inter-régional des AMAP les estimait à environ 2100 dans toute la France en 2018, notamment en Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes[53].

Impossible d’aborder le désir de bien manger des Français sans évoquer aussi le phénomène mondial du food porn. Il consiste à photographier et publier sur les réseaux sociaux ses propres réalisations de cuisine maison ou le plat que l’on mange au restaurant. Le hashtag #food atteint ainsi le 24e rang des hashtags les plus utilisés sur Instagram avec 492 millions d’occurrences. L’entreprise Just Eat s’est intéressée à ce phénomène et a pu mesurer que c’est désormais 39 % des Français qui prennent en photo régulièrement leurs plats[54].

Ces éléments décrivent une dynamique positive bien que inégale au sein de la population. C’est bien ce désir populaire de bien-manger qui est l’origine de nombreuses initiatives citoyennes et locales pour organiser d’autres modes de production et de consommation de l’alimentation.

B. La sécurité sociale de l’alimentation, une idée qui fait son chemin partout en France

Partout en France, des collectifs citoyens expérimentent des systèmes locaux inspirés de la sécurité sociale alimentaire. Ces expérimentations, soutenues par les collectivités territoriales, témoignent d’une volonté nouvelle des citoyens de reprise en main de notre système alimentaire face au renforcement de la précarité alimentaire et à l’urgence écologique. Si chacune de ces initiatives est singulière et se déploie sur des échelles différentes, ces expérimentations obéissent néanmoins à des principes communs sur lesquels se fonde le régime de sécurité sociale alimentaire.

1.    Une dynamique nouvelle d’expérimentations de sécurité sociale alimentaire à l’échelle locale

a. L’expérimentation d’un droit à une alimentation durable dans la Drôme

Né de la rencontre entre une élue déléguée à l’alimentation à Dieulefit et un maraîcher installé sur la commune, un projet de sécurité sociale alimentaire est expérimenté depuis 2020 par un collectif de producteurs locaux à Dieulefit dans la Drôme. Réunis autour de l’ancien lavoir de Dieulefit, ce collectif a été l’un des premiers à mettre en place un système visant à favoriser l’accès à une alimentation de qualité pour les personnes en situation de précarité, tout en soutenant les producteurs locaux et les circuits courts.

Ce projet qui vise à mettre en œuvre un « droit à une alimentation durable » se singularise par son système de prix différenciés. Trois prix sont en effet proposés aux consommateurs – un prix correspond au coût réel, un prix solidaire (+30 %) et un prix accessible (-30 %) – qui choisissent librement en conscience l’une des grilles tarifaires en fonction de leurs revenus.

L’objectif de ce système de vente reposant sur un modèle solidaire est ainsi de garantir l’accessibilité à une alimentation saine aux personnes plus précaires. Aujourd’hui à l’équilibre, le « marché du Lavoir » n’a pas vocation à réaliser des marges mais simplement à rémunérer chaque producteur au « prix de revient » couvrant son coût de production et son salaire. L’argent restant est mutualisé dans une caisse qui doit permettre de pérenniser le marché et couvrir d’éventuels déficits.

 

b. L’expérimentation d’un système de sécurité sociale alimentaire en Gironde

En Gironde, le collectif Acclimat’action – qui réunit des acteurs engagés dans les quartiers populaires pour faciliter l’accès de tous à une alimentation de qualité comme VRAC – porte un projet de sécurité sociale alimentaire. Soutenue par la Ville de Bordeaux et le Centre Communal d’Action Sociale, cette expérimentation se déploie jusqu’au printemps 2025 sur 4 territoires de la Gironde – Bordeaux nord, La Benauge Bègles, Pays foyen et Sud Gironde (Captieux) – et concerne environ 400 personnes.

Concrètement, les participants versent une cotisation en fonction de leurs moyens à une caisse locale alimentaire et perçoivent en contrepartie une somme récurrente en monnaie alimentaire (MonA) sur leur compte de sécurité sociale de l’alimentation qu’ils peuvent ensuite utiliser librement dans les commerces conventionnés.

Le choix du conventionnement des commerces résulte d’une délibération collective : chaque mois, les collectifs  territoriaux – composés de citoyens volontaires, d’associations et d’acteurs institutionnels – se réunissent pour décider de l’éligibilité des commerces volontaires au projet de sécurité sociale alimentaire. Ce choix s’effectue à l’aune de critères écologiques ayant trait à la localité des produits et à la durabilité des pratiques agricoles mais également à des critères sociaux comme la juste rémunération des producteurs ou les conditions de travail. Le commerce éligible doit remplir tous les critères pour que la prise en charge des produits soit de 100 %. C’est le cas en Gironde de quatre épiceries – Local’Attitude, La Carotte et le Lapin, VRAC Bordeaux et Supercoop.

 

c. L’expérimentation du système de sécurité sociale alimentaire à Lyon

À Lyon, le collectif « TerritoireS à vivre Grand Lyon » – qui réunit un large ensemble d’acteurs du territoire œuvrant pour favoriser l’accès à une alimentation de qualité telles que VRAC Lyon, GRAP, le Groupement des Epiceries Sociales et Solidaires Rhône Alpes ou le Réseau AMAP Aura – expérimente des caisses locales de l’alimentation en démarrant sur un premier quartier dans le 8e arrondissement de Lyon en 2024. La caisse alimentaire est alimentée par chaque habitant du quartier volontaire par le biais de cotisations en fonction de ses moyens ainsi que par un financement public du Grand Lyon. Chaque bénéficiaire reçoit un montant mensuel à utiliser dans les lieux conventionnés proposant de l’alimentation de qualité. Cette expérimentation bénéficie dans un premier temps à 500 foyers soit près de 1500 personnes.

Cette expérimentation de sécurité sociale alimentaire s’inscrit dans le cadre d’une politique volontariste en faveur de l’accessibilité alimentaire et de plusieurs années de démarches multi-acteurs de démocratie alimentaire à Lyon. Confrontée à une précarité alimentaire importante – une étude de 2018 révélait que 30 % des habitants de la métropole de Lyon avaient du mal à se nourrir correctement et 15 % déclarent ne pas manger à leur faim[55], la ville de Lyon s’est engagée à favoriser l’accessibilité alimentaire et la justice alimentaire en proposant des prix justes aux agriculteurs et en rendant accessible une alimentation de qualité pour tous.

La ville de Lyon a soutenu en particulier un projet de lutte contre la précarité alimentaire chez les étudiants. Environ 250 étudiants ont ainsi reçu, durant un an, l’équivalent de 50 euros par mois dans une monnaie locale lyonnaise (« La Gonette ») et ont été suivis par une association (l’ARBAD) chargée d’organiser des visites à la ferme et des temps d’éducation alimentaire en partenariat avec la Chaire « Transition Alimentaire » de l’Université Lyon 2 et l’Institut de recherche Paul Bocuse. L’utilisation de la monnaie locale numérique « La Gonette » a permis de cibler les commerces alimentaires valorisant les produits locaux et bio. Utilisable par tous sur tout le territoire, cette monnaie n’est pas stigmatisante pour les bénéficiaires comme peut l’être le chèque alimentaire.

 

d. L’expérimentation des « ordonnances vertes » à Strasbourg

Dans un registre différent, la ville de Strasbourg a mis en place le dispositif des « ordonnances vertes » à destination des femmes enceintes afin de limiter leur exposition aux perturbateurs endocriniens pendant leur période de grossesse. Concrètement ce dispositif d’« ordonnance verte » permet aux femmes enceintes habitant Strasbourg de recevoir des paniers de légumes bio gratuits pour une durée de 2 à 7 mois et de bénéficier d’ateliers de conseils et prévention contre les perturbateurs endocriniens. Les légumes proviennent d’une ferme située à 20 km de Strasbourg et qui a été retenue dans le cadre d’un marché public.

Lancée par la ville de Strasbourg en novembre 2022, l’expérimentation de « l’ordonnance verte » bénéficie à environ 1500 femmes enceintes ou en parcours de procréation médicale assistée. Le coût de la prise en charge des paniers de légumes bio s’est élevé à 270 000 euros la première année, représentant plus de 16 000 paniers distribués. En plus de la participation financière directe de la ville de Strasbourg, le dispositif est cofinancé désormais par l’ARS et le régime local d’assurance maladie Alsace-Moselle.

L’évaluation de cette expérimentation se révèle particulièrement positive : 90 % des bénéficiaires déclarent vouloir manger bio à la fin du dispositif. Au-delà des femmes concernées par les « ordonnances vertes », ce dispositif offre un levier de sensibilisation et d’éducation alimentaire à l’ensemble du foyer. Au regard de ce bilan positif, la ville de Strasbourg a annoncé en septembre 2023 la pérennisation de ce dispositif.

Une proposition de loi[56] a récemment été déposée par la député écologiste Sandra Regol visant à généraliser le dispositif de l’ordonnance verte expérimenté à Strasbourg afin de réduire l’exposition des femmes enceintes aux perturbateurs endocriniens.

 

e. L’expérimentation du chèque alimentaire en Seine-Saint-Denis

Le département de Seine-Saint-Denis en partenariat avec l’ONG « Action contre la faim » a de son côté lancé un chèque contre la précarité alimentaire intitulé « Vital’im » d’un montant de 50 euros par mois et par personne. Allouée à 1350 personnes identifiées en situation de difficulté financière, cette aide prend la forme d’une carte alimentaire acceptée à Montreuil utilisable uniquement pour l’achat de produits alimentaires dans des circuits spécifiques, tels que les marchés locaux, les épiceries solidaires, ou certains commerçants partenaires qui vendent des produits frais, bio, ou issus de circuits courts.

Cette expérimentation doit être étendue à Clichy-sous-bois, Villetaneuse et Sevran partenaires de l’action. L’initiative bénéficie d’un soutien de l’État à hauteur de 1,5 million d’euros au titre du fonds « Mieux manger pour tous » auxquels le département a ajouté 800 000 euros. Cette expérimentation de la carte « Vital’im » s’inscrit plus largement dans une politique publique visant à redonner des bonnes pratiques en matière d’alimentation à travers des ateliers animés par des diététiciens.

2.    Des principes de fonctionnement communs qui dressent les contours d’une sécurité sociale de l’alimentation

Par-delà leur spécificités, l’ensemble des expérimentations locales obéissent à des principes de fonctionnement communs sur lesquels pourrait reposer demain un véritable régime de sécurité sociale alimentaire. Trois principes se dégagent : l’universalité d’accès, la solidarité de gestion et la démocratie alimentaire auxquels s’ajoute l’exigence d’éducation alimentaire.

a. Le principe de l’universalité d’accès

Les expérimentations locales de sécurité sociale alimentaire reposent d’abord sur une logique d’universalité en ce qu’elles sont ouvertes à toutes les personnes volontaires souhaitant accéder à une alimentation choisie et de qualité. Toute personne qui réside de manière stable et régulière sur le territoire où est expérimenté une caisse alimentaire a en principe le droit de bénéficier à la prise en charge d’un panier de denrées alimentaires issues de l’agroécologie. Dans les faits, les premières expérimentations sont ouvertes à un nombre limité de personnes – afin d’en faciliter la mise en œuvre et parce que les moyens sont encore limités – mais ont vocation à s’étendre à un public le plus large.

 

b. Le principe de la solidarité de gestion

Les expérimentations locales de caisses alimentaires s’inscrivent ensuite dans la philosophie de la sécurité sociale alimentaire en ce qu’elles se fondent sur un principe de solidarité de gestion. Quelle que soit leur échelle d’expérimentation, les caisses alimentaires locales sont abondées par les cotisations des citoyens volontaires dont l’effort de contribution peut varier en fonction du niveau de revenu. La caisse alimentaire a ensuite uniquement vocation à financer les producteurs qui sont conventionnés sur la base des prix fixés par les citoyens. Les éventuels bénéfices sont ensuite réinjectés dans la caisse.

 

c. Le principe de la démocratie alimentaire

Les expérimentations locales de sécurité sociale alimentaire reposent enfin sur un fonctionnement démocratique. Le choix de conventionner avec tel ou tel producteur fait en effet systématiquement l’objet d’une délibération collective. Les citoyens décident ainsi au niveau local quels types de produits ils souhaitent soutenir et à quelle condition. Plus largement, les projets de sécurité sociale alimentaire reposent souvent sur une logique de démocratie participative comme par exemple à Bordeaux où la conception du projet s’est appuyée sur une convention citoyenne composée de 40 citoyens tirés au sort issus des quatre territoires d’expérimentation qui ont, avec l’aide de chercheurs, définit les critères permettant de conventionner les lieux d’approvisionnement alimentaire et les produits pris en charge.

 

d. L’ambition d’une éducation alimentaire

Les expérimentations locales de sécurité sociale alimentaire portent enfin l’ambition de travailler sur les habitudes alimentaires en incluant des temps d’éducation alimentaires. C’est le cas par exemple du dispositif de l’ordonnance verte à Strasbourg qui prévoit des ateliers de prévention contre les perturbateurs endocriniens pour les femmes enceintes ou encore de l’expérimentation menée à Lyon auprès des étudiants qui vise à les aider à adopter une alimentation plus saine. Les politiques d’éducation alimentaire apparaissent ainsi complémentaires et indissociables des dispositifs d’aide alimentaire.

Cette revue – non exhaustive – d’initiatives locales de caisses alimentaires offre des perspectives permettant de faire des propositions progressives mais crédibles pour avancer vers une sécurité sociale alimentaire.

C. Propositions pour une politique publique du bien-manger et la mise en place d’une Sécurité sociale de l’alimentation

1. Les leçons du Conseil national de la Résistance pour créer la Sécurité sociale alimentaire

Créer une nouvelle branche de la Sécurité sociale est-il une mission impossible ? L’histoire de la Sécurité sociale elle-même montre la voie de la manière dont une branche alimentation pourrait demain voir le jour.

Dès les lois d’Allarde et Le Chapelier qui suppriment les corporations et libéralisent l’économie en 1791, la question d’un nouveau cadre pour la prise en charge des risques sociaux est posée. Progressivement, tout au long du XIXe et en particulier dans le monde ouvrier, naissent des petites sociétés de secours mutuel isolées les unes des autres. Parallèlement, l’État crée ses premières prestations sociales et mécanismes d’indemnisation à des stades embryonnaires et pour des situations très spécifiques, notamment pour les plus indigents[57]. Surtout, il crée les conditions pour faciliter le développement des sociétés de secours mutuel avec la loi Humann de 1835 puis par la Charte de la mutualité[58]. Au XXe siècle, face à l’industrialisation de l’économie française, un secteur privé, coopératif et parapublic d’assurances sociales se développe fortement, prenant la forme de caisses de compensation privées, de caisses professionnelles de solidarité, de compagnies locales d’assurance etc. Les salariés et les assurés se font les acteurs de premier plan de ces mécanismes, prenant part à leur fonctionnement et s’y formant. L’État pour sa part s’engage encore timidement sur ce terrain, se limitant à créer des droits à l’assurance[59] et à créer des minimums de revenus sur des sujets variés (vieillesse[60], maladies professionnelles[61], régime spécial des agriculteurs[62]) qui restent souvent bien éloignés des besoins réels. Ce foisonnement d’initiatives publiques, citoyennes et privées, bien que peu coordonné par la puissance publique au plan national, se renforce clairement dans l’entre-deux-guerres. Il crée en quelques années de solides réseaux, des compétences et des moyens de protection plus importants. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, un décret-loi de novembre 1938 crée les premières prestations familiales modernes, complètement détachées du salaire.

La proposition de Sécurité sociale du Conseil national de la Résistance (CNR), notamment mise en œuvre par le ministre Ambroise Croizat, se concrétise essentiellement sur l’intuition d’unifier ces entreprises disparates et de leur trouver un mécanisme de financement commun afin de les rendre accessible à tous et plus qualitatives, en lien avec les organisations syndicales.

C’est par ce même chemin, progressif et de prise en main par les assurés eux-mêmes, que pourra s’entreprendre la création de la Sécurité sociale de l’alimentation. D’où la nécessité pour la puissance publique de commencer par encourager le foisonnement d’initiatives alimentaires locales et associatives afin de faire émerger depuis les territoires des réseaux, des filières et des savoir-faire. Pour les appuyer, l’État a déjà commencé à légiférer pour créer des seuils et des contraintes en matière d’alimentation durable et locale, par exemple dans la restauration collective[63] mais il doit aller plus loin. C’est seulement une fois ce maillage humain enraciné, consolidé par la bienveillance de l’État et les collectivités locales, par des normes contraignantes pour les producteurs et les consommateurs, qu’il sera possible de l’unifier, l’harmoniser et lui donner des financements communs au sein d’une toute nouvelle branche de la Sécurité sociale.

2.    Engager une politique d’éducation alimentaire pour gagner la bataille culturelle du bien-manger

En amont de la création d’une sécurité sociale de l’alimentation, la priorité de la puissance publique doit se situer sur le champ de la prévention et de la formation à l’alimentation. À court comme à long terme, cet effort est indispensable pour des raisons de santé publique et pour inscrire le recours à la sécurité sociale de l’alimentation comme une évidence.

L’enjeu est simplement d’aider les Français à mieux connaître ce qu’ils mangent, comment les aliments qu’ils mangent sont cultivés, comment les animaux qu’ils mangent sont traités, d’où ils viennent, si les produits sont transformés ou non, lesquels sont bons pour la santé, qu’est-ce qu’est une vitamine, qu’est-ce qu’un lipide, comment sont cultivés les légumes, comment vivent les animaux dans les élevages… La méconnaissance de la réponse à ces questions explique à elle seule des pratiques alimentaires néfastes et évitables.

En s’intéressant aux informations dont disposent les Français, on constate l’ampleur de la tâche à mener. Ainsi, 20 % des Français ne pensent pas que le sucre a un effet négatif sur la santé[64]. La surconsommation de produits transformés et préparés parmi les jeunes générations détruit lentement mais sûrement les connaissances les plus basiques de l’alimentation. Dans une étude commandée par le ministère de l’Économie et des Finances en 2024, 18 % des 15-24 ans n’ont pas réussi à distinguer un concombre et une courgette[65].

Car permettre à nos concitoyens de mieux connaître le contenu de leur assiette suffit souvent à leur faire adopter un comportement plus vertueux. 45 % des Français qui consomment moins de viande le font suite à une prise de conscience des enjeux écologiques autour de l’élevage[66]. Notamment initiée par l’association britannique PETA[67] via la diffusion de vidéos de maltraitances d’un abattage d’oies du Périgord en 2012, la popularisation de scandales du gavage industriel d’oies a largement contribué à baisser les consommations de foie gras. Ainsi la part de Français refusant de consommer du foie gras pour des raisons éthiques est passé de 20 % à 40 % entre 2009 et 2021[68]. Dans le même temps, la consommation par an et par habitant de foie gras a baissé d’un tiers.[69] Une dynamique de prise de conscience puissante avec des effets concrets qu’on retrouve ailleurs dans le monde, puisqu’en 2015 la Californie est devenue le premier État à interdire la vente de foie gras au nom du bien-être animal.

a. Un enseignement de “culture alimentaire” sur le temps scolaire et à la cantine

C’est dès le plus jeune âge que doit être engagée cette formation par un enseignement spécifique de « culture alimentaire » qui pourrait être hebdomadaire sur le temps scolaire et dans les cantines scolaires quotidiennement en développant la dimension pédagogique des repas. Ces temps permettraient d’aider les jeunes générations à mieux identifier à partir de quand un repas est trop sucré ou trop salé. Ce pourrait aussi être des lieux de mise en avant de la nécessaire diversification des régimes alimentaires, on pense ici par exemple à l’enjeu de la démocratisation de la consommation de sources de protéines alternatives (légumineuses, soja, voire insectes) en substitut à une consommation excessive de viande. Renouer le lien « du champ à l’assiette » pour une alimentation consciente, notamment par des ateliers de cuisine dans les écoles avec des agriculteurs, pourrait recréer de la nuance dans la perception des assiettes des enfants, et de leurs parents.

b. Mieux réguler la publicité sur les produits alimentaires néfastes

Hors de l’école, la puissance publique pourrait également s’engager dans cette bataille culturelle pour le bien-manger en réglementant davantage la publicité sur les produits alimentaires négatifs pour la santé. Dans le prolongement de réflexions engagés par la Convention Citoyenne pour le Climat[70] ou le Pacte pour le pouvoir de vivre[71], il serait très efficace à court comme à long terme d’interdire intégralement les publicités ciblant les mineurs de moins de 16 ans pour promouvoir des produits trop sucrés, trop salés, trop gras ou ultra-transformés.

 

3.    Instaurer un fonds national d’expérimentation pour soutenir les initiatives locales de sécurité sociale alimentaires

Alors qu’une trentaine d’expérimentations locales existent aujourd’hui en France, ces initiatives nouvelles ne demandent qu’à être soutenues plus largement par les pouvoirs publics pour s’adresser à un public plus large et être pérennisées. Dans les faits, la plupart des expérimentations de sécurité sociale alimentaire sont déjà soutenues par les collectivités territoriales comme c’est le cas à Lyon, à Bordeaux ou à Montpellier. Un financement dédié de l’Etat, au titre de la lutte contre la précarité alimentaire et du soutien à la transition du secteur agricole, serait néanmoins utile pour pérenniser et amplifier les initiatives existantes comme pour en faire émerger de nouvelles.

À cet égard, la Première ministre d’alors, Elisabeth Borne, avait initié, dans le cadre du Projet de loi de finance pour 2023, la création d’un fonds de 60 millions d’euros pour financer l’aide alimentaire. Intitulé « mieux manger pour tous », ce plan qui affichait initialement une ambition écologique, n’avait néanmoins pas été orienté vers l’agriculture durable.

Dans ce cadre – à l’instar de l’expérimentation « Territoire Zéro Chômeur de longue durée » initiée par un collectif d’associations de lutte contre la précarité[72] puis soutenu par l’instauration d’un Fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée – un fonds national d’expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation pourrait demain être créé pour apporter un soutien financier aux expérimentations locales, existantes ou nouvelles, de sécurité sociale alimentaire.

Une proposition de loi d’expérimentation, inspirée de la loi d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée du 29 février 2016, a été déposée récemment en ce sens par le député écologiste Charles Fournier. Ce texte novateur propose la création d’un fonds national d’expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation qui serait financé par l’État et qui aurait vocation à abonder les caisses locales alimentaires. Le financement de ce fonds national d’expérimentation s’effectuerait dans le cadre d’appels à projets et sur la base d’un cahier des charges qui définirait un cadre commun reposant notamment sur une logique de démocratie alimentaire. Des critères en particulier seraient édictés au niveau national pour sélectionner les structures pouvant être conventionnées avec les caisses locales de l’alimentation. Au niveau local, des parlements alimentaires – composés de citoyens tirés au sort, d’associations et de collectivités locales – seraient institués pour déterminer notamment les publics cibles et les produits conventionnés auxquels les bénéficiaires peuvent avoir accès dans le cadre de l’expérimentation.

 

a. Une sécurité sociale de l’alimentation à l’échelle nationale : un horizon politique nouveau

La perspective d’une véritable sécurité sociale de l’alimentation, parce qu’elle constitue une réponse systémique aux défis écologiques et sociaux auxquels notre société est confrontée, offre un horizon politique nouveau.

 

b. La sécurité sociale de l’alimentation : une réponse système à des défis multiples

Le projet de sécurité sociale de l’alimentation repose sur une idée simple consistant à intégrer l’alimentation dans le régime général de la sécurité sociale. La création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale vise non seulement à répondre de manière pérenne à la précarité alimentaire mais s’inscrit dans une ambition plus large visant à accélérer la transformation de notre système alimentaire et faire de l’alimentation un « commun ».

Le projet de sécurité sociale alimentaire vise en premier lieu à lutter contre la précarité alimentaire. Alors que 4,8 millions de personnes ont eu recours à l’aide alimentaire en 2023 faute d’alternatives, l’aide alimentaire ne peut constituer une réponse satisfaisante et durable à la précarité alimentaire. D’abord car une personne sur deux en situation de précarité alimentaire n’y a pas recours. Ensuite car les associations d’aide alimentaire n’ont pas les moyens suffisants pour assurer pleinement leur mission. La création d’une sécurité sociale de l’alimentation vise de ce fait à garantir à tous l’accès à une alimentation choisie et de qualité sans devoir se reposer sur l’aide alimentaire.

Le projet de sécurité sociale alimentaire vise ensuite à promouvoir des pratiques agricoles plus durables. En conventionnant des producteurs sur la base de critères écologiques plutôt que de s’en remettre à la logique de marché, la sécurité sociale de l’alimentation porte l’ambition de soutenir une agriculture sans pesticides, plus respectueuse de l’environnement comme de la santé publique et de transformer les filières agricoles.

La sécurité sociale de l’alimentation s’inscrit enfin dans la recherche d’une souveraineté alimentaire et de re-territorialisation des filières en rapprochant autant que possible les lieux de production des lieux de consommation. Par là-même, elle assure également la préservation de cultures gastronomiques locales. Parce qu’elle s’appuie sur la démocratie alimentaire, le projet de la sécurité sociale de l’alimentation vise plus largement à redonner aux citoyens le pouvoir de choisir collectivement leur alimentation. L’alimentation est ainsi considérée comme un « commun » dont la gestion est l’affaire de tous.

 

c. Le fonctionnement d’une sécurité sociale de l’alimentation

La sécurité sociale de l’alimentation se matérialise par l’allocation à chaque citoyen d’un budget mensuel lui permettant d’accéder à des denrées alimentaires issues de l’agroécologie ou de l’agriculture biologique. Concrètement, chaque citoyen dispose d’une carte alimentaire leur permettant, à l’instar de la carte vitale pour la prise en charge de médicaments ou de la prestation de soins par l’assurance maladie, d’accéder à un panier de produits alimentaires dans un établissement conventionné. Cette carte alimentaire est créditée chaque mois d’une somme financée par une caisse nationale alimentaire reposant en partie sur des cotisations sociales. Chaque citoyen dispose d’une carte alimentaire dès l’âge de 16 ans, la somme étant versée auparavant à part égale sur la carte de ses parents.

Plusieurs degrés de conventionnement peuvent coexister, comme cela est le cas en matière de remboursement des frais de santé, offrant ainsi des niveaux de prises en charge différents en fonction du respect de critères écologiques (localité des produits, durabilité des pratiques agricoles) et sociaux (juste rémunération des agriculteurs) définis à l’échelle nationale. Les critères de conventionnement seraient définis dans le cadre d’une démocratie alimentaire regroupant des associations de consommateurs, des ONG engagées pour la protection de l’environnement, des organisations professionnelles agricoles, des fédérations d’entreprises de distributions ainsi que les pouvoirs publics.

 

d. Financer la sécurité sociale de l’alimentation en faisant contribuer les acteurs de la malbouffe

La sécurité sociale de l’alimentation a déjà fait l’objet de plusieurs modélisations économiques. L’une d’entre elles émerge comme consensuelle au sein d’organisations du secteur. Il s’agit du socle commun du collectif Pour la sécurité sociale de l’alimentation[73]. Ce modèle repose notamment sur une cotisation sociale à « taux unique sur la production réelle de valeur ajoutée », une carte vitale de l’alimentation donnant accès à 150 euros par mois et par personne sur des produits fléchés et un conventionnement reposant sur des caisses primaires locales reliées à une instance nationale. Ce modèle qui reste théorique n’est pas sans limite, comme le pointe certains acteurs de l’aide alimentaire[74] notamment en raison de la difficulté d’intégrer les publics qui en ont le plus besoin, du coût important, de l’impensé de la complémentarité avec les acteurs de l’aide alimentaire.

Le financement pose le plus de questions. Un premier modèle qui a été exploré est estimé à un coût de 120 milliards d’euros par an par le collectif Pour une sécurité sociale de l’alimentation, pour un système reposant sur l’universalité pour un montant de 150 euros par mois et par personne, enfants compris[75]. Cela représente environ le montant de la moitié de la branche maladie et 8 % de la valeur ajoutée produite en France. Un autre modèle, notamment creusés par un groupe de travail dirigé par une parlementaire[76], avance le chiffre de 171 milliards par an pour un système lui aussi universel reposant sur un coût de 7 euros par jour et par personne. Ce même groupe de travail a réfléchi sur une autre estimation ciblant les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) avec une prise en charge de 3,5 euros par jour et par personne pour un montant de 786 millions d’euros par an. Au regard, de ces éléments une montée en charge progressive par un élargissement par étape du public ou du taux de couverture peut être une solution intermédiaire intéressante.

La démarche des cotisations patronales et sociales paraît la plus pertinente à terme, bien qu’une hausse des cotisations ne puisse être que très progressive au regard du contexte budgétaire de la France jusqu’en 2029. Par ailleurs, en face du coût de la sécurité sociale alimentaire, il faut également mettre les dépenses publiques actuelles liées aux faillites du système alimentaire actuel. Elles ont été estimées à au moins 19 milliards d’euros[77] pour ce qui concerne les corrections des dysfonctionnements du système alimentaire (santé majoritairement, mais aussi dépollution de l’eau et de l’air, gestion des déchets issus du système agricole). On peut y ajouter les nombreuses aides de l’État aux acteurs du secteur prenant la forme d’exonérations fiscales et patronales qui représentent à elles seules 21,22 milliards d’euros[78] et qui mériteraient peut-être d’être examinées une nouvelle fois, à l’aune des objectifs de la sécurité sociale de l’alimentation.

Dans l’attente de marges de manœuvre, d’autres leviers de financement peuvent être mobilisés, allant dans le sens d’une justice fiscale de l’alimentation. Trois types d’acteurs allant contre l’alimentation durable et qui profitent du phénomène de la « malbouffe » pourraient être ciblés :

  • Des taxes sur les entreprises vendant des produits sucrés et ultra transformés. D’une part, l’augmentation de la « Taxe Soda » de 2012 finançant le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pourrait être mise en place conformément à une proposition sénatoriale de 2023 portant sur le PLFSS 2024.[79] D’autre part, la création d’une « Taxe Sucreries » identique à la « Taxe Soda » visant les friandises et les bonbons, et d’une « Taxe sur les produits ultra-transformés »[80] visant les produits alimentaires ultra-transformés, permettraient de financer la sécurité sociale alimentaire tout en incitant producteurs et consommateurs à adapter leurs comportements.
  • Une taxe sur les bénéfices des grands groupes de fast food. Le secteur de la restauration rapide représente désormais un chiffre d’affaires global de 113 milliards d’euros annuels[81]. Au regard des effets dévastateurs du secteur pour la santé et le système alimentaire, il paraît juste que les grandes entreprises du secteur contribuent à financer la sécurité sociale de l’alimentation.
  • Une taxe sur les plateformes de livraison à domicile. Si les études ne démontrent pas de manière automatique une corrélation entre la « malbouffe » et les plateformes de livraisons à domicile, la « malbouffe » passe de fait largement par ce canal. Le chiffre d’affaires du secteur de la livraison aurait triplé depuis de 2018, passant de 3,3 milliards d’euros à environ 10 milliards d’euros[82].

Ces propositions ne sont pas sans limite au regard des contentieux de plusieurs de ses acteurs avec l’administration fiscale française, mais contre lesquels le ministère de l’Économie a obtenu quelques victoires récentes[83].

 

Conclusion : Le droit à bien manger, une nouvelle conquête sociale et écologique

Parce que l’alimentation n’est pas un bien de consommation parmi d’autres, parce qu’elle est essentielle à la fois pour nourrir l’humanité et ménager la planète, il nous faut organiser sa transformation en un véritable bien commun. La socialisation d’un accès à l’alimentation de qualité à travers la sécurité sociale de l’alimentation y répond. Elle répond aussi à l’objectif d’établir un « droit à bien manger », qui consiste à agir face à la conscience que des inégalités alimentaires insupportables existent et qu’elles contribuent massivement à accroître structurellement les inégalités et le dérèglement climatique. Rendre effectif le droit à bien manger, c’est donc une nouvelle conquête écologique et sociale originale mais majeure. La mise en œuvre de ce droit à bien manger en France ne pourra s’effectuer qu’en mutualisant les forces des acteurs privés et publics autour d’une transformation de notre système alimentaire. État, collectivités, financeurs, agro-industries, associations de l’aide alimentaire, mutualistes, tous devront co-construire nos assiettes de demain.

Au-delà de la sécurité sociale de l’alimentation elle-même, d’autres questions se posent pour garantir le droit à bien manger. En particulier, la remise à plat des traités internationaux de libre-échange paraît une nécessité, à l’aune de créer les conditions de produire une alimentation saine et durable en France, en Europe et dans le monde. Car l’agriculture et l’alimentation ne sont pas des marchandises comme les autres. Peut-être que la mise en place de sécurités sociales de l’alimentation contribuera à avancer autrement sur ce sujet, incitant à une réorientation du système productif alimentaire vers une logique de réponse à la demande et non plus vers une logique d’offre créatrice de besoins alimentaires non-essentiels et néfastes.

Dans sa Physiologie du goût de 1826, Jean Anthelme Brillat-Savarin, député du tiers état représentant le Bugey lors des États Généraux et considéré comme un des fondateurs de la gastronomie contemporaine affirmait : « La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent. » Dans le contexte des défis sanitaires, sociaux et climatiques qui se présentent à l’humanité, cette pensée prend un sens nouveau. Celui d’un impératif, d’une prise de conscience, qui doivent tous nous habiter, au cœur même de notre quotidien. L’avancée vers une sécurité sociale de l’alimentation et vers un droit au « bien manger » pourra sans aucun doute y contribuer.

 

[1]“Aide alimentaire, une file d’attente interminable pour les étudiants à Paris”, Brut https://www.brut.media/fr/videos/france/societe/aide-alimentaire-une-file-d-attente-interminable-d-etudiants-a-paris

[2] Rapport d’activités 2023 des Banques Alimentaires

[3] « La France qui a faim », Bénédicte Bonzi, Editions du Seuil, 2023. Prix littéraire des droits de l’Homme 2023.

[4] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[5] Observatoire Alimentation et familles, Ipsos, 2022

[6] T. Tran Huy, « Chèque alimentaire : retour sur l’abandon de la promesse d’Emmanuel Macron », Public Sénat, janvier 2024

[7] voir à ce propos, R. Barthes, “Le bifteck et les frites” dans Mythologies, Seuil, 1957

[8] T. Pech, “La bataille du bifteck”, La Grande Conversation, février 2022

[9] S. Billot, A. Trefleu, A. Trouvé, Inflation alimentaire : une crise causée par les multinationales, Institut La Boétie, 2023

[10] INSEE, “Conjoncture française : En 2022, face à la hausse des prix, les ménages ont changé leurs habitudes de consommation”, mars 2023

[11] “Agriculture : les limites d’un système déséquilibré”, Ipsos, janvier 2023

[12] Une seule Santé / One Health, INRAE, juillet 2020

[13] Les Français et l’Alimentation, Ipsos, 2021

[14] “Changement climatique 2022 : atténuation du changement climatique”, rapport du Groupe de travail III du GIEC, avril 2022

[15] Membres du Collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation : Ingénieurs sans frontières-AgriSTA, Réseau Salariat, Réseau CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), Confédération paysanne, Collectif Démocratie Alimentaire, L’ardeur, L’UFAL (Union des familles laïques), Mutuale, L’Atelier Paysan, Les Ami·e·s de la Confédération paysanne, VRAC (Vers un réseau d’achat en commun), Les Greniers d’Abondance, Collectif les pieds dans le plat, GRAP (Groupement régional alimentaire de proximité). D’autres organisations contribuent aux travaux et aux réflexions : MIRAMAP (Mouvement interrégional des AMAP), Secours catholique-Caritas France.

[16] M. Bléhaut, M. Gressier “En forte hausse, la précarité alimentaire s’ajoute à d’autres fragilités”, CREDOC, 2023

[17] Banques Alimentaires, Etude “Profils” : « Qui sont les personnes accueillies à l’aide alimentaire ? », Février 2023.

[18] Baromètre de la générosité 2023, France Générosités, 2024

[19] Professeur M. Laville, “Mieux prévenir et prendre en charge l’obésité en France”, 2023, rapport commandé par le ministère de la Santé

[20] Dr Philippe FROGUEL, « Les gènes de l’obésité et leur contribution à la balance énergétique », Bull. Acad. Natle Méd., 2015, 199, nos 8-9, 1269-1279, séance du 17 novembre 2015

[21] Note Trésor-Éco n° 179 – “Obésité : quelles conséquences pour l’économie et comment les limiter ?”, 2016

[22] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[23] Rapport INCA 3 : Evolution des habitudes et modes de consommation, de nouveaux enjeux en matière de sécurité sanitaire et de nutrition, ANSES, 2017

[24]Ultra-processed food intake and risk of cardiovascular disease: prospective cohort study”, NutriNet-Santé, 2019

[25]Ultra-Processed Food Consumption and Mental Health: A Systematic Review and Meta-Analysis of Observational Studies, Nutrients, 2022

[26] E. A. Haapala, Diet quality and academic achievement, European Journal of Nutrition, 2016

[27]R. Barthes, “Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine”, Annales, 1961

[28] ibid

[29] M. Bléhaut, M. Gressiere, “En forte hausse, la précarité alimentaire s’ajoute à d’autres fragilités”, 2023

[30] “Prevalence of Overweight and Obesity in France: The 2020 Obepi-Roche Study by the “Ligue Contre l’Obésité”, Journal of Clinical Medecine, 2023

[31] “Les Français et les commerces près de chez eux. Berceau d’inégalités entre les privilégiés des métropoles et les délaissés de la France périphérique”, Opinion Way, 2018

[32] Projet Foodscapes, “Connaître les paysages alimentaires des habitants : une recherche dans le Grand Montpellier”, 2020

[33] Les Greniers d’Abondance, « Qui veille au grain ? Sécurité alimentaire : une affaire d’état », Octobre 2022

[34] INSEE, Revenu salarial, 2017

[35] La France Agricole, 1er mars 2024

[36]  S. Billot, A. Trefleu, A. Trouvé, Inflation alimentaire : une crise causée par les multinationales, Institut La Boétie, 2023

[37] Agreste (Comptes de l’agriculture) et Insee (enquêtes Prodcom et prix à la consommation), retraitement Basic.

[38] Agreste, Recensement agricole

[39]Agreste, Résultats économiques de l’agriculture,  2021

[40]O. Chardon, Y. Jauneau, J. Vidalenc, “Les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d’hommes” Olivier Chardon, Yves Jauneau, Joëlle Vidalenc, INSEE, 2020

[41] ibid

[42] H. Cabanel, F. Férat, Rapport d’information “Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse”, Sénat, 2021

[43] The Shift Project, Juin 2024

[44] Limites planétaires, Commissariat général au développement durable

[45] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[46] AMAP : Association pour le maintien d’une agriculture paysanne

[47] Chiffoleau Y., Akermann G., Paturel D., Noël J., Des circuits courts à la sécurité sociale de l’alimentation : économies concrètes et récit politique pour la solidarité alimentaire, Revue Lien social et Politiques, Numéro 90, 2023, p. 310–329

[48] Économie sociale et solidaire : la filière des circuits courts alimentaires, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations économiques (PIPAME), 2017

[49] J. Attali, Histoires de l’Alimentation, Fayard, 2019

[50] J. Fourquet, J-L, Cassely, La France sous nos yeux, Seuil, 2021

[51] F. Ruffin, Le Temps d’apprendre à vivre : la bataille des retraites, Les liens qui libèrent, 2022

[52] P. Montjotin, C. Adrianssens, L’Ère du temps libéré, Les Editions du Faubourg, 2024

[53]Rapport d’enquête partielle autour de données quantitatives 2018 sur les AMAP et les paysan·ne·s en AMAP septembre 2019 – MIRAMAP

[54] Datalicious by Just Eat, « Les dîners, c’était mieux avant ? », Ifop, 2019

[55] Accompagner les agriculteurs vers une stratégie alimentaire plus durable, inclusive et résiliente, Dossier de presse de la Politique agricole et alimentaire de la Métropole de Lyon, 30 août 2021

[56] Proposition de loi n°258 du 17 septembre 2024 instaurant une ordonnance verte

[57] P. Grelley, « La protection sociale avant la « Sécu » », Informations sociales,‎ 2015

[58] Issue de la loi du 1er avril 1898 relative aux sociétés de secours mutuel

[59] Loi du 5 avril 1928

[60] Loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910

[61] Loi du 25 octobre 1919

[62] Loi du 30 avril 1930

[63] Voir les lois EGALIM I,II,III, votées en 2018, 2021 et 2023

[64] “La consommation de sucre en France en 2021”, YouGov, 2021

[65] Etude Harris Interactive mentionné dans “Le gouvernement s’inquiète des jeunes qui confondent concombre et courgette”, Les Echos, mars 2024

[66] Réseau Action Climat, “Nouveau baromètre sur la consommation de viande des Français et leurs attentes vis-à-vis des pouvoirs publics”, Harris Interactive, 2023

[67] PETA : Pour une Ethique dans le Traitement des Animaux

[68] T. Gaudiot, “Foie gras : de l’industrialisation au déclin ?”, Statista, 2021

[69] ibid

[70] Voir les propositions de la catégorie C2 de la Convention

[71] Voir la proposition 51 du Pacte

[72] En particulier ATD Quart Monde, Emmaüs France, le Secours Catholique, la Fondation des acteurs de la solidarité (FAS)

[73] A propos de la Sécurité Sociale de l’Alimentation, collectif Pour une sécurité sociale de l’alimentation

[74] L. Cantuel, Faut-il en finir avec l’aide alimentaire ?, Fondation Jean Jaurès 2024

[75] https://securite-sociale-alimentation.org/la-ssa/les-trois-piliers-du-mecanisme-de-ssa/

[76] Entretien avec S. Le Feur et E. Morel par la Mission Agrobiosciences, 2023, https://www.agrobiosciences.org/alimentation-117/article/securite-sociale-de-l-alimentation-le-sujet-qui-me-tient-a-coeur-c-est-celui-de-la-transition

[77] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[78] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[79] G. Jacquot, “Budget de la Sécu : le Sénat alourdit la taxation sur les produits les plus sucrés”, Public Sénat, 2023

[80] ibid, proposition déjà formulée par le Sénat en 2023 pour le PLFSS 2024

[81] Etude Consommation Alimentaire Hors Domicile 2022, Gira Conseil, 2023

[82] V. Fourreau, “Les principaux acteurs de la livraison à domicile”, Statista, 2023

[83] “La Direction générale des Finances publiques salue le règlement du litige relatif à l’imposition de Mc Donald’s en France”, Communiqué de presse, 2022

Publié le 14 octobre 2024

Vers une sécurité sociale de l’alimentation

Auteurs

Charles Adrianssens
Diplômé de Sciences Po Paris et co-fondateur du média Une idée pour espérer.

Paul Montjotin
Diplômé de Sciences Po, Paul est enseignant en questions sociales et travaille dans le secteur de la formation et l’emploi.

Marie Hégly
Diplômée en Économie, Marie est experte des questions environnementales et sociales. Elle enseigne l’innovation sociale et la géopolitique de l’environnement.

Introduction : L’alimentation, au cœur des préoccupations des Français

Filmées par le média Brut pendant la pandémie de Covid-19, les images de l’interminable file d’attente d’étudiants lors d’une distribution alimentaire organisée par l’association Linkee dans le XIIIe arrondissement de Paris avaient marqué la réémergence de l’alimentation comme une urgence nationale[1]. La crise sanitaire passée, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a continué de progresser sur fond d’inflation des prix alimentaires pour atteindre un niveau record de 2,4 millions de bénéficiaires d’après le réseau des banques alimentaires[2]. Pour elles, l’aide alimentaire est souvent un moyen de pouvoir tout simplement manger à leur faim, alors que « le système alimentaire, de la production jusqu’à la consommation, dysfonctionne totalement, ne répondant à aucune promesse »[3]. Elle est aussi perçue par 86 % des bénéficiaires comme indispensable pour manger de manière saine et équilibrée. Plus largement, les études convergent pour dire que ce sont près de 8 millions de personnes qui vivent dans la précarité alimentaire en France, soit plus d’un français sur dix[4]. Plus largement encore, 55 % des Français considèrent aujourd’hui qu’il est trop cher de manger équilibré[5].

L’accessibilité de l’alimentation étant une source de tensions, le sujet a trouvé une place nouvelle dans le débat public. Dès 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat a retenu parmi ses propositions celle du « chèque alimentaire », prenant la forme d’une aide mensuelle aux plus modestes fléchée sur l’achat d’aliments durables et issus de l’agriculture biologique. C’est une forme embryonnaire de sécurité sociale alimentaire à grande échelle. Le président de la République a repris à son compte cette proposition lors des élections présidentielles de 2022, avant de l’abandonner en 2023[6]. L’élection présidentielle de 2022 a aussi été largement marquée par l’enjeu de l’alimentation puisque le positionnement des candidats sur la consommation de produits carnés a cristallisé de manière inattendue la campagne. Malheureusement réduit médiatiquement à une caricaturale opposition entre France du « bifteck »[7] et France du « quinoa »[8], ce débat présentait au contraire des enjeux majeurs et sérieux, dont nous tentons de démontrer ici qu’ils peuvent trouver des réponses rassembleuses, écologiques et solidaires. Puis, l’inflation historique des prix des produits alimentaires en 2022 et 2023, notamment du fait de la hausse des coûts de l’énergie, de la guerre en Ukraine et de l’action à contre-emploi de certains grands groupes du secteur[9], a replacé l’alimentation au second rang des postes de dépense du budget des foyers français[10]. L’alimentation est revenue au premier plan de manière spectaculaire début 2024 avec la colère des agriculteurs, exprimant leurs difficultés à vivre de leur travail. Les violences alimentaires touchent bien les deux extrémités de la chaîne de valeur : de la fourche à la fourchette. Les Français s’y sont montrés particulièrement sensibles et se sont rangés avec une rare unanimité du côté des agriculteurs, 90 % d’entre eux affirmant soutenir leur action[11].

C’est que « bien manger » a de nombreuses significations pour les Français. Même si la place de l’alimentation dans nos vies est propre à chacune de nos cultures, sa place centrale pour notre santé est bien définie par le concept « One Health[12] », développé par l’ONU au début des années 2000, qui promeut une approche intégrée et systémique de la santé publique, animale et environnementale à toutes les échelles. Le contenu de nos assiettes a ainsi des effets directs sur la santé publique mondiale et sur la santé de la planète.

« Bien manger » est d’abord pour chacun d’entre nous une priorité pour le bien-être individuel. La corrélation entre l’alimentation et la santé est de mieux en mieux identifiée par la population, y compris par celle qui n’a pas les possibilités de manger équilibré. C’est d’ailleurs ce que démontre le succès de l’application française Yuka, permettant de scanner le code barre d’un produit alimentaire pour connaître les effets sur la santé et qui revendique plus de 16 millions d’utilisateurs en France. « Bien manger », c’est aussi une ambition pour les autres. Créer les conditions pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail s’est affirmé comme un enjeu populaire, ce qu’on retrouve par exemple avec le succès des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). Pour les autres aussi, car partager un repas en famille et entre amis est perçu comme une activité de partage et de lien social importante[13]. C’est également un moment de plaisir, de découverte et de maintien des traditions. « Bien manger », c’est enfin une urgence pour la planète. Le GIEC estime que le système alimentaire au sens large est directement et indirectement responsable de 21 % à 37 % des gaz à effet de serre (l’élevage étant une des principales causes)[14].

Mais par où commencer pour répondre à toutes ces questions à la fois et permettre à chacun d’entre nous de bien manger ? Les défis à relever sont vitaux et enchevêtrés. Ils concernent très directement notre santé, le lien social, la lutte contre la précarité et l’habitabilité de notre planète. Seule une proposition réformiste radicale, solutionnant les difficultés en les envisageant à leurs racines, permettra de réellement faire face aux multiples défis auxquels nous sommes confrontés.

C’est pourquoi, la réflexion au menu de cette note s’inscrit dans la perspective d’un changement en profondeur de notre système alimentaire. La sécurité sociale alimentaire consiste à socialiser le bien commun qu’est l’alimentation à travers la création d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale. Elle constitue donc un changement majeur pour toute l’organisation de la société. Cette proposition a déjà fait l’objet de modélisations économiques. Elle émerge dans le débat public mais elle est parfois réduite à une carte vitale alimentaire ou à son coût élevé. Nous contribuons au débat en développant ici un chemin progressif pour avancer vers une sécurité sociale alimentaire. Cela passe d’abord par un investissement public en faveur de l’éducation alimentaire, afin de reconstruire une « culture alimentaire » donnant davantage d’outils à la population pour savoir bien se nourrir. Nous portons aussi le développement d’un fonds d’expérimentation pour les initiatives locales, une réflexion sur la gouvernance et les modalités de conventionnement ainsi que l’exploration de pistes de financements. En particulier, les nombreuses initiatives locales et citoyennes que nous présentons offrent des pistes de réflexion et démontrent un engouement populaire qui peut servir de levier. Elles démontrent aussi que la sécurité sociale de l’alimentation ne constitue pas un dispositif accessoire mais emporte avec elle une métamorphose des systèmes productifs et des usages liés à l’alimentation.

Le présent travail de l’Institut Rousseau s’inscrit de manière distincte mais à la suite de réflexions déjà menées sur le sujet par l’Institut en lien avec le Collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation[15], qui cherche à faire entendre depuis plusieurs années la nécessité d’une refondation profonde de notre rapport à l’alimentation.

A. L’urgence d’une rupture avec le système alimentaire actuel

1.Les limites de l’aide alimentaire face à l’ampleur de la précarité alimentaire

Le dimanche 3 septembre 2023, les Restos du Cœur lançaient un appel à l’aide historique. Face à une hausse de 35 % de repas servis en plus en un an, conjuguée à la hausse du prix des denrées alimentaires et de l’énergie, l’association fondée par Coluche en 1985 était en incapacité de répondre à l’ampleur des besoins des Français en situation de précarité alimentaire. Pour la première fois dans leur histoire, les Restaurants du Cœur ont annoncé devoir refuser du monde à partir du mois de novembre 2023. L’afflux record de dons privés et publics qui en a suivi a permis à l’association de se remettre à flot.

Cet épisode symbolise la progression spectaculaire de la précarité alimentaire en France, avec 16 % de la population française qui déclare ne pas manger à sa faim contre 9 % en 2016[16]. Les banques alimentaires ont de leur côté constaté un triplement du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire entre 2011 et 2022, passant d’environ 800 000 à 2,4 millions de personnes.

Le fait marquant de l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire est la diversification du public. Comme le note l’étude Profils 2023 de la Banque alimentaire[17], jusque-là assez peu présente, la population active a fait une entrée massive dans l’aide alimentaire, représentant 17 % des bénéficiaires. Il s’agit essentiellement de travailleurs pauvres, dont 60 % ont un emploi à temps partiel. On voit ici clairement exprimées les limites du système alimentaire : gagner sa vie en travaillant ne permet plus de se nourrir, à sa faim et/ou de manière équilibrée. Il en est de même avec les retraités, qui représentent également 17 % du public et qui étaient jusqu’à récemment plutôt absents des soupes populaires. Les pensions des retraités les plus pauvres, pour lesquelles ils ont travaillé de nombreuses années, ne leur permettent pas de se nourrir décemment.

Malgré les aides publiques et privées exceptionnelles ces derniers mois, l’aide alimentaire traditionnelle paraît donc à bout de souffle. La baisse du pouvoir d’achat a d’ailleurs limité les « petits dons » aux associations de l’aide alimentaire, en baisse en 2024 selon France Générosités[18]. Il en résulte finalement un « effet ciseau » entre la hausse spectaculaire de la demande, la hausse des prix alimentaires et une stagnation des moyens. Combien de temps ce système en déséquilibre pourra-t-il tenir ?

2. Des inégalités dans nos assiettes

Si l’enrayement de la faim est le premier enjeu qui vient en tête lorsqu’on s’interroge sur l’alimentation, s’arrêter là signifierait passer à côté de défis majeurs auxquels est confrontée la société française. Car parallèlement au retour inquiétant de la faim en France, d’autres formes d’insécurités alimentaires prospèrent et se cumulent entre elles, soulevant des problèmes de santé publique.

Phénomène de société, l’obésité a par exemple progressé de 8,5 % à 17 % entre 1997 et 2023[19]. Si rien n’est fait, elle pourrait toucher entre 25 et 29 % de la population d’ici 2030, avec des répercussions génétiques conséquences sur les générations futures[20]. Cela a un coût très concret pour la collectivité puisqu’une analyse de la Direction générale du Trésor de 2016[21] évaluait le coût social de la surcharge pondérale à 20,4 milliards d’euros, dont 9,5 milliards d’euros pour la seule dépense de santé. De même, le nombre de diabétiques a progressé de 160 % en France par rapport au début du siècle[22].

La société française n’est pas affectée de manière égale par ces problématiques. Carences alimentaires résultant d’un manque de nutriments vitaux, « malbouffe », surconsommation de sucre, obésité, difficultés d’accès à une offre commerciale variée, hausse inégale des prix… Plusieurs types d’inégalités alimentaires peuvent être identifiées.

Les inégalités alimentaires liées aux inégalités de revenus sont les plus évidentes. Plus le revenu est faible, plus l’alimentation occupe une part importante du budget. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) démontre que cela en fait une variable d’ajustement prioritaire, au détriment de la quantité et de la qualité des produits ingérés. Dans une étude de 2017[23], elle indique que les catégories modestes consomment des produits en apparence similaire mais en fait de plus mauvaise qualité.

Ainsi, aux produits frais, les ménages les plus modestes préfèrent des produits transformés bon marché, auxquels l’industrie agroalimentaire ajoute du sucre, des émulsifiants, des colorants, des édulcorants, des exhausteurs de goût afin de les rendre désirables et addictifs malgré leur moins bonne qualité. Les conséquences sur la santé sont directes. Ils ont d’abord une plus faible qualité nutritionnelle. Ils génèrent aussi des maladies. Une étude Nutri-Net Santé de 2019[24] démontre qu’une hausse de 10 % de la consommation des produits dits « ultra-transformés » entraîne une hausse de 10 % du risque de cancer, une hausse de 12 % du risque de maladies cardio-vasculaire ou encore une hausse de 13 % des maladies coronariennes. D’autres études suggèrent une corrélation entre la consommation de produits ultra transformés et le risque de contracter des maladies mentales[25]. Si l’on ajoute à ce constat que les études pédagogiques convergent pour démontrer que la qualité de l’alimentation a un effet direct sur les capacités d’apprentissage à l’école[26], on comprend que les inégalités alimentaires sont aussi reproductrices des inégalités.

L’activité professionnelle, le genre et le niveau de diplôme signent de fortes inégalités, cette fois dans les régimes alimentaires. Dans les milieux les plus diplômés, la meilleure connaissance des enjeux de santé prémunit davantage contre une mauvaise alimentation. C’est particulièrement visible à travers la transmission de certaines habitudes alimentaires[27], en particulier la préférence pour certains goûts comme le suggère Roland Barthes dans son plaidoyer « Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine »[28]. Il en va ainsi de la valorisation des produits amers, plutôt que sucrés, secs plutôt que gras, végétaux plutôt que carnés. De fait, la prévalence de l’obésité est six fois plus élevée chez les enfants d’ouvrier que chez les enfants de cadre. Les femmes sont également plus exposées à la précarité alimentaire (18 %) avec une forte représentation au sein des familles monoparentales dont elles sont le plus souvent parent dirigeant (82 % des familles monoparentales)[29].

En lien direct, les inégalités territoriales sont enfin un facteur déterminant de l’alimentation. Les territoires les plus fragiles socio-économiquement sont par exemple ceux où la prévalence de l’obésité est la plus élevée : plus de 20 % dans les Hauts-de-France, de 30 % dans les Antilles[30]… L’accès à des produits sains et bon marché y est un enjeu central, de même que dans les zones rurales où il faut parcourir en moyenne plus de 12 km pour tomber sur un commerce, contre 2 km en région parisienne. De manière plus générale, près de 40 % des Français considèrent que les commerces de bouche ne sont pas assez nombreux[31]. Il existe donc clairement des espaces où l’alimentation saine et durable est beaucoup moins accessible. Certaines recherches ont pu qualifier de « désert alimentaire » ce type d’espace[32], démontrant sur le cas de Montpellier que les espaces périurbains sont aussi concernés. Il s’agit tout de fois d’un concept surtout développé pour étudier certains territoires des États-Unis et sa déclinaison française mériterait d’être approfondie et nuancée.

Ces conséquences n’affectent pas seulement la population française, mais aussi tout l’écosystème dans lequel elle évolue, au premier rang desquels les agriculteurs.

3. Un système agricole à bout de souffle

La souffrance du monde agricole et sa longue dérive, des crises sociales à répétition jusqu’aux suicides d’agriculteurs, font la une des journaux depuis de nombreuses années sans que les pouvoirs publics n’aient réussi à mettre en œuvre de solutions structurantes.

Le premier paramètre qui explique cette situation est celui des revenus. Une grande partie des agriculteurs ne parvient plus à vivre de leur travail. En 2017, avant impôts et avec subventions, 50 % des moyennes et grandes exploitations dégagent moins de 1700 € bruts mensuels par travailleur, 25 % se dégagent moins de 650 euros bruts mensuels, et les 25 % restants sont les mieux lotis avec un revenu brut mensuel de plus de 3100 euros[33]. La même année, le revenu moyen d’un français était de 2692 € bruts mensuels[34]. Autre fait marquant, l’Insee pointe que parmi les ménages avec au moins un exploitant agricole, 18 % vivent sous le seuil de pauvreté, soit un taux supérieur à la moyenne nationale qui est de 14 %[35]. De telles disparités créent évidemment des tensions entre consommateurs et producteurs : les premiers aspirant à une accessibilité plus grande d’une alimentation de qualité, qui pèsera le moins possible sur leurs budgets, alors que les producteurs, eux, font face à la pression d’un marché mondial d’industries agroalimentaires très concurrentiel et sont sous la coupe de distributeurs aux marges toujours plus grandes les exhortant à produire toujours plus[36].

L’autre sujet central dans la crise agricole est le partage inéquitable de la valeur que représentent les prix alimentaires. À partir des années 1970, la surproduction agricole a conduit à la chute des prix, qui ont été divisés par deux entre 1970 et 2000[37]. Cette pression augmente à la fin des années 1980, à l’ouverture des frontières sans droits de douane dans l’Union européenne. C’est bien ce contexte d’une pression du commerce international, alimentée par une logique ultra-productiviste, qui pousse les exploitations agricoles à se concentrer, et ce depuis les années 1960. En 2020, 25 % des exploitations mobilisent 61 % du total de la main-d’œuvre agricole, contre 49 % en 1970. Cette dynamique de concentration a conduit à l’émergence de grandes firmes de production[38], au détriment des petites fermes familiales. Face à des prix de vente aux distributeurs tirés vers le bas, et un endettement croissant en lien avec des politiques publiques techno-solutionnistes reposant sur des aides publiques tournées vers la mécanisation agricole, la situation financière des agriculteurs est difficile, parfois intenable. L’endettement des exploitations agricoles atteint ainsi en moyenne 204 330 euros selon l’Agreste[39].

Cette mécanisation a considérablement réduit le besoin en main d’œuvre agricole et inévitablement conduit à une diminution significative du nombre d’emplois dans le secteur, qui n’est cependant pas complètement compensée par l’utilisation des machines. Par conséquent, la population des agriculteurs s’effondre. Alors qu’on comptait encore 1,6 millions d’agriculteurs exploitants représentant 7,1 % de l’emploi total en France en 1982, ils ne sont plus que 400 000 représentant 1,5 % de l’emploi total en 2019[40]. La population agricole est aussi vieillissante (55 % d’entre eux va partir à la retraite d’ici 2030)[41]. Une situation qui ne laisse que peu de perspectives pour la réalisation d’une transformation réussie du monde agricole. C’est dans ce contexte que s’inscrit le nombre dramatique d’agriculteurs mettant fin à leur jour avec un excès de suicides de 20 % en 2010 par rapport à la population générale[42].

Face à l’impératif écologique, le secteur agricole et l’ensemble de la chaîne de valeur du système alimentaire doivent par ailleurs se réformer. L’agriculture représente 20 % des émissions directes de gaz à effet de serre françaises en 2020, principalement liées à la production de méthane des ruminants en digestion (40 % des émissions de GES du secteur agricole), et à la fertilisation des sols à partir d’engrais azotés (30 % des émissions de GES du secteur agricole[43]).  Alors que 6 des 9 limites planétaires sont officiellement dépassées d’après le Stockholm Resilience Center, positionnant au cœur de nos enjeux l’habitabilité de la Terre[44] il est grand temps de sortir des pratiques agricoles intensives, carbonées et destructrices de la biodiversité, suscitant des risques de santé publique pour l’ensemble de nos concitoyens et en particulier les producteurs.

Ces impacts négatifs du système alimentaire actuel français représentent des coûts pour la puissance publique, chiffrés à au moins 19 milliards d’euros en 2021[45] : 3,4 milliards pour les impacts sociaux (notamment la compensation de la faiblesse des rémunérations du système agricole), 3,4 milliards également pour les impacts environnementaux et 12,3 milliards d’impacts financiers pour la santé de nos concitoyens comme évoqué précédemment. Ces 19 milliards ne prennent pas en compte tous les dommages écologiques et sociaux. Les données sont par exemple inexistantes pour les dommages liés à l’exposition aux intrants chimiques (tels que les pesticides présents dans l’alimentation et l’eau). Face à ce triple défi économique, social et écologique, il est urgent de repenser le modèle agricole pour soutenir l’émergence d’une agriculture plus durable et contributrice d’une alimentation plus accessible. Dans ce contexte, l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation apparaît alors comme un levier pour relocaliser la chaîne de valeur alimentaire, réduire la dépendance à l’agro-industrie et garantir des revenus dignes aux agriculteurs leur permettant de produire mieux pour vendre mieux. Cette relation directe entre producteurs et consommateurs existe cependant dans les réseaux de distribution en circuits courts, type AMAP[46], qui s’articulent autour de relations d’interconnaissance et de confiance, au détriment parfois de l’optimisation du rapport qualité-prix[47], là où la sécurité sociale de l’alimentation se concentre sur l’accessibilité financière d’une alimentation saine et de qualité. Les circuits courts et la recherche d’une autre relation avec les producteurs par les consommateurs sont plébiscités par les consommateurs[48].

En mettant la production et l’accès à une alimentation saine et de qualité au centre de notre organisation collective, la sécurité sociale de l’alimentation offre une perspective de réponse structurelle. Cette proposition peut s’appuyer sur un élan populaire nouveau de réappropriation de l’alimentation saine et durable par nos concitoyens.

4. Cuisine maison, AMAP et « food porn », un renouveau populaire de l’intérêt pour l’alimentation saine

En cohérence avec la dégradation du système alimentaire, ces dernières décennies avaient été marquées en France par l’irruption massive de nouveaux modes d’alimentation rapides et peu diététiques[49], faisant la part belle au sucre et aux produits de faible qualité. On pense à l’alimentation de type fastfood selon les standards américains. C’est aussi le cas de modes alimentaires postérieures, telles que les kebabs puis les tacos[50], et enfin la street food. En opposition, de nouveaux mouvements ont montré un regain d’intérêt pour une alimentation saine, locale et durable, comme le pionnier Slow Food au début des années 1990 et la Confédération paysanne qui se fait connaître par la figure de José Bové et son action contre le chantier du restaurant Mcdonald’s de Millau en 1999.

La tendance majeure de ces dernières années est bien que les Français renouent avec l’ambition du bien-manger, en se réintéressant à la cuisine maison et à la gastronomie. La France a d’ailleurs une tradition gastronomique dont les Français sont fiers et reconnue comme « patrimoine culturel immatériel de l’humanité » par l’UNESCO depuis 2010.

S’ils avaient plus de temps, faire la cuisine vient en tête des désirs des Français[51],[52]. Cet intérêt rejoint celui du repas comme un moment de convivialité. La France est aussi le pays du monde où l’on passe le plus de temps à table : en moyenne 2 h 13 par jour, contre 1 h 33 pour les pays de l’OCDE.

Les Français tentent également de s’approprier les techniques des chefs étoilés, soit ce qui se fait de meilleur en matière d’alimentation saine et qualitative sur le plan gustatif. Preuve en est avec les audiences importantes des émissions télé culinaires, telles que Top Chef ! porté par le meilleur ouvrier de France Philippe Etchebest ou Le meilleur pâtissier porté par le chef pâtissier Cyril Lignac, qui après respectivement 14 saisons et 12 saisons continuent de rassembler à chaque épisode plus de deux millions de spectateurs soit plus de 10 % de part d’audience. Comme un symbole, la revisite gastronomique des mets issus de la street food y occupe une place majeure.

Pour réaliser cette cuisine maison, les Français s’appuient de plus en plus sur les circuits courts et les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP). La première AMAP a été lancée en 2001 à Aubagne à la suite d’un débat sur la « malbouffe » organisé par ATTAC et la Confédération paysanne. Depuis, les AMAP sont un succès populaire. Difficile à recenser dans l’ensemble, le mouvement inter-régional des AMAP les estimait à environ 2100 dans toute la France en 2018, notamment en Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes[53].

Impossible d’aborder le désir de bien manger des Français sans évoquer aussi le phénomène mondial du food porn. Il consiste à photographier et publier sur les réseaux sociaux ses propres réalisations de cuisine maison ou le plat que l’on mange au restaurant. Le hashtag #food atteint ainsi le 24e rang des hashtags les plus utilisés sur Instagram avec 492 millions d’occurrences. L’entreprise Just Eat s’est intéressée à ce phénomène et a pu mesurer que c’est désormais 39 % des Français qui prennent en photo régulièrement leurs plats[54].

Ces éléments décrivent une dynamique positive bien que inégale au sein de la population. C’est bien ce désir populaire de bien-manger qui est l’origine de nombreuses initiatives citoyennes et locales pour organiser d’autres modes de production et de consommation de l’alimentation.

B. La sécurité sociale de l’alimentation, une idée qui fait son chemin partout en France

Partout en France, des collectifs citoyens expérimentent des systèmes locaux inspirés de la sécurité sociale alimentaire. Ces expérimentations, soutenues par les collectivités territoriales, témoignent d’une volonté nouvelle des citoyens de reprise en main de notre système alimentaire face au renforcement de la précarité alimentaire et à l’urgence écologique. Si chacune de ces initiatives est singulière et se déploie sur des échelles différentes, ces expérimentations obéissent néanmoins à des principes communs sur lesquels se fonde le régime de sécurité sociale alimentaire.

1.    Une dynamique nouvelle d’expérimentations de sécurité sociale alimentaire à l’échelle locale

a. L’expérimentation d’un droit à une alimentation durable dans la Drôme

Né de la rencontre entre une élue déléguée à l’alimentation à Dieulefit et un maraîcher installé sur la commune, un projet de sécurité sociale alimentaire est expérimenté depuis 2020 par un collectif de producteurs locaux à Dieulefit dans la Drôme. Réunis autour de l’ancien lavoir de Dieulefit, ce collectif a été l’un des premiers à mettre en place un système visant à favoriser l’accès à une alimentation de qualité pour les personnes en situation de précarité, tout en soutenant les producteurs locaux et les circuits courts.

Ce projet qui vise à mettre en œuvre un « droit à une alimentation durable » se singularise par son système de prix différenciés. Trois prix sont en effet proposés aux consommateurs – un prix correspond au coût réel, un prix solidaire (+30 %) et un prix accessible (-30 %) – qui choisissent librement en conscience l’une des grilles tarifaires en fonction de leurs revenus.

L’objectif de ce système de vente reposant sur un modèle solidaire est ainsi de garantir l’accessibilité à une alimentation saine aux personnes plus précaires. Aujourd’hui à l’équilibre, le « marché du Lavoir » n’a pas vocation à réaliser des marges mais simplement à rémunérer chaque producteur au « prix de revient » couvrant son coût de production et son salaire. L’argent restant est mutualisé dans une caisse qui doit permettre de pérenniser le marché et couvrir d’éventuels déficits.

 

b. L’expérimentation d’un système de sécurité sociale alimentaire en Gironde

En Gironde, le collectif Acclimat’action – qui réunit des acteurs engagés dans les quartiers populaires pour faciliter l’accès de tous à une alimentation de qualité comme VRAC – porte un projet de sécurité sociale alimentaire. Soutenue par la Ville de Bordeaux et le Centre Communal d’Action Sociale, cette expérimentation se déploie jusqu’au printemps 2025 sur 4 territoires de la Gironde – Bordeaux nord, La Benauge Bègles, Pays foyen et Sud Gironde (Captieux) – et concerne environ 400 personnes.

Concrètement, les participants versent une cotisation en fonction de leurs moyens à une caisse locale alimentaire et perçoivent en contrepartie une somme récurrente en monnaie alimentaire (MonA) sur leur compte de sécurité sociale de l’alimentation qu’ils peuvent ensuite utiliser librement dans les commerces conventionnés.

Le choix du conventionnement des commerces résulte d’une délibération collective : chaque mois, les collectifs  territoriaux – composés de citoyens volontaires, d’associations et d’acteurs institutionnels – se réunissent pour décider de l’éligibilité des commerces volontaires au projet de sécurité sociale alimentaire. Ce choix s’effectue à l’aune de critères écologiques ayant trait à la localité des produits et à la durabilité des pratiques agricoles mais également à des critères sociaux comme la juste rémunération des producteurs ou les conditions de travail. Le commerce éligible doit remplir tous les critères pour que la prise en charge des produits soit de 100 %. C’est le cas en Gironde de quatre épiceries – Local’Attitude, La Carotte et le Lapin, VRAC Bordeaux et Supercoop.

 

c. L’expérimentation du système de sécurité sociale alimentaire à Lyon

À Lyon, le collectif « TerritoireS à vivre Grand Lyon » – qui réunit un large ensemble d’acteurs du territoire œuvrant pour favoriser l’accès à une alimentation de qualité telles que VRAC Lyon, GRAP, le Groupement des Epiceries Sociales et Solidaires Rhône Alpes ou le Réseau AMAP Aura – expérimente des caisses locales de l’alimentation en démarrant sur un premier quartier dans le 8e arrondissement de Lyon en 2024. La caisse alimentaire est alimentée par chaque habitant du quartier volontaire par le biais de cotisations en fonction de ses moyens ainsi que par un financement public du Grand Lyon. Chaque bénéficiaire reçoit un montant mensuel à utiliser dans les lieux conventionnés proposant de l’alimentation de qualité. Cette expérimentation bénéficie dans un premier temps à 500 foyers soit près de 1500 personnes.

Cette expérimentation de sécurité sociale alimentaire s’inscrit dans le cadre d’une politique volontariste en faveur de l’accessibilité alimentaire et de plusieurs années de démarches multi-acteurs de démocratie alimentaire à Lyon. Confrontée à une précarité alimentaire importante – une étude de 2018 révélait que 30 % des habitants de la métropole de Lyon avaient du mal à se nourrir correctement et 15 % déclarent ne pas manger à leur faim[55], la ville de Lyon s’est engagée à favoriser l’accessibilité alimentaire et la justice alimentaire en proposant des prix justes aux agriculteurs et en rendant accessible une alimentation de qualité pour tous.

La ville de Lyon a soutenu en particulier un projet de lutte contre la précarité alimentaire chez les étudiants. Environ 250 étudiants ont ainsi reçu, durant un an, l’équivalent de 50 euros par mois dans une monnaie locale lyonnaise (« La Gonette ») et ont été suivis par une association (l’ARBAD) chargée d’organiser des visites à la ferme et des temps d’éducation alimentaire en partenariat avec la Chaire « Transition Alimentaire » de l’Université Lyon 2 et l’Institut de recherche Paul Bocuse. L’utilisation de la monnaie locale numérique « La Gonette » a permis de cibler les commerces alimentaires valorisant les produits locaux et bio. Utilisable par tous sur tout le territoire, cette monnaie n’est pas stigmatisante pour les bénéficiaires comme peut l’être le chèque alimentaire.

 

d. L’expérimentation des « ordonnances vertes » à Strasbourg

Dans un registre différent, la ville de Strasbourg a mis en place le dispositif des « ordonnances vertes » à destination des femmes enceintes afin de limiter leur exposition aux perturbateurs endocriniens pendant leur période de grossesse. Concrètement ce dispositif d’« ordonnance verte » permet aux femmes enceintes habitant Strasbourg de recevoir des paniers de légumes bio gratuits pour une durée de 2 à 7 mois et de bénéficier d’ateliers de conseils et prévention contre les perturbateurs endocriniens. Les légumes proviennent d’une ferme située à 20 km de Strasbourg et qui a été retenue dans le cadre d’un marché public.

Lancée par la ville de Strasbourg en novembre 2022, l’expérimentation de « l’ordonnance verte » bénéficie à environ 1500 femmes enceintes ou en parcours de procréation médicale assistée. Le coût de la prise en charge des paniers de légumes bio s’est élevé à 270 000 euros la première année, représentant plus de 16 000 paniers distribués. En plus de la participation financière directe de la ville de Strasbourg, le dispositif est cofinancé désormais par l’ARS et le régime local d’assurance maladie Alsace-Moselle.

L’évaluation de cette expérimentation se révèle particulièrement positive : 90 % des bénéficiaires déclarent vouloir manger bio à la fin du dispositif. Au-delà des femmes concernées par les « ordonnances vertes », ce dispositif offre un levier de sensibilisation et d’éducation alimentaire à l’ensemble du foyer. Au regard de ce bilan positif, la ville de Strasbourg a annoncé en septembre 2023 la pérennisation de ce dispositif.

Une proposition de loi[56] a récemment été déposée par la député écologiste Sandra Regol visant à généraliser le dispositif de l’ordonnance verte expérimenté à Strasbourg afin de réduire l’exposition des femmes enceintes aux perturbateurs endocriniens.

 

e. L’expérimentation du chèque alimentaire en Seine-Saint-Denis

Le département de Seine-Saint-Denis en partenariat avec l’ONG « Action contre la faim » a de son côté lancé un chèque contre la précarité alimentaire intitulé « Vital’im » d’un montant de 50 euros par mois et par personne. Allouée à 1350 personnes identifiées en situation de difficulté financière, cette aide prend la forme d’une carte alimentaire acceptée à Montreuil utilisable uniquement pour l’achat de produits alimentaires dans des circuits spécifiques, tels que les marchés locaux, les épiceries solidaires, ou certains commerçants partenaires qui vendent des produits frais, bio, ou issus de circuits courts.

Cette expérimentation doit être étendue à Clichy-sous-bois, Villetaneuse et Sevran partenaires de l’action. L’initiative bénéficie d’un soutien de l’État à hauteur de 1,5 million d’euros au titre du fonds « Mieux manger pour tous » auxquels le département a ajouté 800 000 euros. Cette expérimentation de la carte « Vital’im » s’inscrit plus largement dans une politique publique visant à redonner des bonnes pratiques en matière d’alimentation à travers des ateliers animés par des diététiciens.

2.    Des principes de fonctionnement communs qui dressent les contours d’une sécurité sociale de l’alimentation

Par-delà leur spécificités, l’ensemble des expérimentations locales obéissent à des principes de fonctionnement communs sur lesquels pourrait reposer demain un véritable régime de sécurité sociale alimentaire. Trois principes se dégagent : l’universalité d’accès, la solidarité de gestion et la démocratie alimentaire auxquels s’ajoute l’exigence d’éducation alimentaire.

a. Le principe de l’universalité d’accès

Les expérimentations locales de sécurité sociale alimentaire reposent d’abord sur une logique d’universalité en ce qu’elles sont ouvertes à toutes les personnes volontaires souhaitant accéder à une alimentation choisie et de qualité. Toute personne qui réside de manière stable et régulière sur le territoire où est expérimenté une caisse alimentaire a en principe le droit de bénéficier à la prise en charge d’un panier de denrées alimentaires issues de l’agroécologie. Dans les faits, les premières expérimentations sont ouvertes à un nombre limité de personnes – afin d’en faciliter la mise en œuvre et parce que les moyens sont encore limités – mais ont vocation à s’étendre à un public le plus large.

 

b. Le principe de la solidarité de gestion

Les expérimentations locales de caisses alimentaires s’inscrivent ensuite dans la philosophie de la sécurité sociale alimentaire en ce qu’elles se fondent sur un principe de solidarité de gestion. Quelle que soit leur échelle d’expérimentation, les caisses alimentaires locales sont abondées par les cotisations des citoyens volontaires dont l’effort de contribution peut varier en fonction du niveau de revenu. La caisse alimentaire a ensuite uniquement vocation à financer les producteurs qui sont conventionnés sur la base des prix fixés par les citoyens. Les éventuels bénéfices sont ensuite réinjectés dans la caisse.

 

c. Le principe de la démocratie alimentaire

Les expérimentations locales de sécurité sociale alimentaire reposent enfin sur un fonctionnement démocratique. Le choix de conventionner avec tel ou tel producteur fait en effet systématiquement l’objet d’une délibération collective. Les citoyens décident ainsi au niveau local quels types de produits ils souhaitent soutenir et à quelle condition. Plus largement, les projets de sécurité sociale alimentaire reposent souvent sur une logique de démocratie participative comme par exemple à Bordeaux où la conception du projet s’est appuyée sur une convention citoyenne composée de 40 citoyens tirés au sort issus des quatre territoires d’expérimentation qui ont, avec l’aide de chercheurs, définit les critères permettant de conventionner les lieux d’approvisionnement alimentaire et les produits pris en charge.

 

d. L’ambition d’une éducation alimentaire

Les expérimentations locales de sécurité sociale alimentaire portent enfin l’ambition de travailler sur les habitudes alimentaires en incluant des temps d’éducation alimentaires. C’est le cas par exemple du dispositif de l’ordonnance verte à Strasbourg qui prévoit des ateliers de prévention contre les perturbateurs endocriniens pour les femmes enceintes ou encore de l’expérimentation menée à Lyon auprès des étudiants qui vise à les aider à adopter une alimentation plus saine. Les politiques d’éducation alimentaire apparaissent ainsi complémentaires et indissociables des dispositifs d’aide alimentaire.

Cette revue – non exhaustive – d’initiatives locales de caisses alimentaires offre des perspectives permettant de faire des propositions progressives mais crédibles pour avancer vers une sécurité sociale alimentaire.

C. Propositions pour une politique publique du bien-manger et la mise en place d’une Sécurité sociale de l’alimentation

1. Les leçons du Conseil national de la Résistance pour créer la Sécurité sociale alimentaire

Créer une nouvelle branche de la Sécurité sociale est-il une mission impossible ? L’histoire de la Sécurité sociale elle-même montre la voie de la manière dont une branche alimentation pourrait demain voir le jour.

Dès les lois d’Allarde et Le Chapelier qui suppriment les corporations et libéralisent l’économie en 1791, la question d’un nouveau cadre pour la prise en charge des risques sociaux est posée. Progressivement, tout au long du XIXe et en particulier dans le monde ouvrier, naissent des petites sociétés de secours mutuel isolées les unes des autres. Parallèlement, l’État crée ses premières prestations sociales et mécanismes d’indemnisation à des stades embryonnaires et pour des situations très spécifiques, notamment pour les plus indigents[57]. Surtout, il crée les conditions pour faciliter le développement des sociétés de secours mutuel avec la loi Humann de 1835 puis par la Charte de la mutualité[58]. Au XXe siècle, face à l’industrialisation de l’économie française, un secteur privé, coopératif et parapublic d’assurances sociales se développe fortement, prenant la forme de caisses de compensation privées, de caisses professionnelles de solidarité, de compagnies locales d’assurance etc. Les salariés et les assurés se font les acteurs de premier plan de ces mécanismes, prenant part à leur fonctionnement et s’y formant. L’État pour sa part s’engage encore timidement sur ce terrain, se limitant à créer des droits à l’assurance[59] et à créer des minimums de revenus sur des sujets variés (vieillesse[60], maladies professionnelles[61], régime spécial des agriculteurs[62]) qui restent souvent bien éloignés des besoins réels. Ce foisonnement d’initiatives publiques, citoyennes et privées, bien que peu coordonné par la puissance publique au plan national, se renforce clairement dans l’entre-deux-guerres. Il crée en quelques années de solides réseaux, des compétences et des moyens de protection plus importants. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, un décret-loi de novembre 1938 crée les premières prestations familiales modernes, complètement détachées du salaire.

La proposition de Sécurité sociale du Conseil national de la Résistance (CNR), notamment mise en œuvre par le ministre Ambroise Croizat, se concrétise essentiellement sur l’intuition d’unifier ces entreprises disparates et de leur trouver un mécanisme de financement commun afin de les rendre accessible à tous et plus qualitatives, en lien avec les organisations syndicales.

C’est par ce même chemin, progressif et de prise en main par les assurés eux-mêmes, que pourra s’entreprendre la création de la Sécurité sociale de l’alimentation. D’où la nécessité pour la puissance publique de commencer par encourager le foisonnement d’initiatives alimentaires locales et associatives afin de faire émerger depuis les territoires des réseaux, des filières et des savoir-faire. Pour les appuyer, l’État a déjà commencé à légiférer pour créer des seuils et des contraintes en matière d’alimentation durable et locale, par exemple dans la restauration collective[63] mais il doit aller plus loin. C’est seulement une fois ce maillage humain enraciné, consolidé par la bienveillance de l’État et les collectivités locales, par des normes contraignantes pour les producteurs et les consommateurs, qu’il sera possible de l’unifier, l’harmoniser et lui donner des financements communs au sein d’une toute nouvelle branche de la Sécurité sociale.

2.    Engager une politique d’éducation alimentaire pour gagner la bataille culturelle du bien-manger

En amont de la création d’une sécurité sociale de l’alimentation, la priorité de la puissance publique doit se situer sur le champ de la prévention et de la formation à l’alimentation. À court comme à long terme, cet effort est indispensable pour des raisons de santé publique et pour inscrire le recours à la sécurité sociale de l’alimentation comme une évidence.

L’enjeu est simplement d’aider les Français à mieux connaître ce qu’ils mangent, comment les aliments qu’ils mangent sont cultivés, comment les animaux qu’ils mangent sont traités, d’où ils viennent, si les produits sont transformés ou non, lesquels sont bons pour la santé, qu’est-ce qu’est une vitamine, qu’est-ce qu’un lipide, comment sont cultivés les légumes, comment vivent les animaux dans les élevages… La méconnaissance de la réponse à ces questions explique à elle seule des pratiques alimentaires néfastes et évitables.

En s’intéressant aux informations dont disposent les Français, on constate l’ampleur de la tâche à mener. Ainsi, 20 % des Français ne pensent pas que le sucre a un effet négatif sur la santé[64]. La surconsommation de produits transformés et préparés parmi les jeunes générations détruit lentement mais sûrement les connaissances les plus basiques de l’alimentation. Dans une étude commandée par le ministère de l’Économie et des Finances en 2024, 18 % des 15-24 ans n’ont pas réussi à distinguer un concombre et une courgette[65].

Car permettre à nos concitoyens de mieux connaître le contenu de leur assiette suffit souvent à leur faire adopter un comportement plus vertueux. 45 % des Français qui consomment moins de viande le font suite à une prise de conscience des enjeux écologiques autour de l’élevage[66]. Notamment initiée par l’association britannique PETA[67] via la diffusion de vidéos de maltraitances d’un abattage d’oies du Périgord en 2012, la popularisation de scandales du gavage industriel d’oies a largement contribué à baisser les consommations de foie gras. Ainsi la part de Français refusant de consommer du foie gras pour des raisons éthiques est passé de 20 % à 40 % entre 2009 et 2021[68]. Dans le même temps, la consommation par an et par habitant de foie gras a baissé d’un tiers.[69] Une dynamique de prise de conscience puissante avec des effets concrets qu’on retrouve ailleurs dans le monde, puisqu’en 2015 la Californie est devenue le premier État à interdire la vente de foie gras au nom du bien-être animal.

a. Un enseignement de “culture alimentaire” sur le temps scolaire et à la cantine

C’est dès le plus jeune âge que doit être engagée cette formation par un enseignement spécifique de « culture alimentaire » qui pourrait être hebdomadaire sur le temps scolaire et dans les cantines scolaires quotidiennement en développant la dimension pédagogique des repas. Ces temps permettraient d’aider les jeunes générations à mieux identifier à partir de quand un repas est trop sucré ou trop salé. Ce pourrait aussi être des lieux de mise en avant de la nécessaire diversification des régimes alimentaires, on pense ici par exemple à l’enjeu de la démocratisation de la consommation de sources de protéines alternatives (légumineuses, soja, voire insectes) en substitut à une consommation excessive de viande. Renouer le lien « du champ à l’assiette » pour une alimentation consciente, notamment par des ateliers de cuisine dans les écoles avec des agriculteurs, pourrait recréer de la nuance dans la perception des assiettes des enfants, et de leurs parents.

b. Mieux réguler la publicité sur les produits alimentaires néfastes

Hors de l’école, la puissance publique pourrait également s’engager dans cette bataille culturelle pour le bien-manger en réglementant davantage la publicité sur les produits alimentaires négatifs pour la santé. Dans le prolongement de réflexions engagés par la Convention Citoyenne pour le Climat[70] ou le Pacte pour le pouvoir de vivre[71], il serait très efficace à court comme à long terme d’interdire intégralement les publicités ciblant les mineurs de moins de 16 ans pour promouvoir des produits trop sucrés, trop salés, trop gras ou ultra-transformés.

 

3.    Instaurer un fonds national d’expérimentation pour soutenir les initiatives locales de sécurité sociale alimentaires

Alors qu’une trentaine d’expérimentations locales existent aujourd’hui en France, ces initiatives nouvelles ne demandent qu’à être soutenues plus largement par les pouvoirs publics pour s’adresser à un public plus large et être pérennisées. Dans les faits, la plupart des expérimentations de sécurité sociale alimentaire sont déjà soutenues par les collectivités territoriales comme c’est le cas à Lyon, à Bordeaux ou à Montpellier. Un financement dédié de l’Etat, au titre de la lutte contre la précarité alimentaire et du soutien à la transition du secteur agricole, serait néanmoins utile pour pérenniser et amplifier les initiatives existantes comme pour en faire émerger de nouvelles.

À cet égard, la Première ministre d’alors, Elisabeth Borne, avait initié, dans le cadre du Projet de loi de finance pour 2023, la création d’un fonds de 60 millions d’euros pour financer l’aide alimentaire. Intitulé « mieux manger pour tous », ce plan qui affichait initialement une ambition écologique, n’avait néanmoins pas été orienté vers l’agriculture durable.

Dans ce cadre – à l’instar de l’expérimentation « Territoire Zéro Chômeur de longue durée » initiée par un collectif d’associations de lutte contre la précarité[72] puis soutenu par l’instauration d’un Fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée – un fonds national d’expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation pourrait demain être créé pour apporter un soutien financier aux expérimentations locales, existantes ou nouvelles, de sécurité sociale alimentaire.

Une proposition de loi d’expérimentation, inspirée de la loi d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée du 29 février 2016, a été déposée récemment en ce sens par le député écologiste Charles Fournier. Ce texte novateur propose la création d’un fonds national d’expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation qui serait financé par l’État et qui aurait vocation à abonder les caisses locales alimentaires. Le financement de ce fonds national d’expérimentation s’effectuerait dans le cadre d’appels à projets et sur la base d’un cahier des charges qui définirait un cadre commun reposant notamment sur une logique de démocratie alimentaire. Des critères en particulier seraient édictés au niveau national pour sélectionner les structures pouvant être conventionnées avec les caisses locales de l’alimentation. Au niveau local, des parlements alimentaires – composés de citoyens tirés au sort, d’associations et de collectivités locales – seraient institués pour déterminer notamment les publics cibles et les produits conventionnés auxquels les bénéficiaires peuvent avoir accès dans le cadre de l’expérimentation.

 

a. Une sécurité sociale de l’alimentation à l’échelle nationale : un horizon politique nouveau

La perspective d’une véritable sécurité sociale de l’alimentation, parce qu’elle constitue une réponse systémique aux défis écologiques et sociaux auxquels notre société est confrontée, offre un horizon politique nouveau.

 

b. La sécurité sociale de l’alimentation : une réponse système à des défis multiples

Le projet de sécurité sociale de l’alimentation repose sur une idée simple consistant à intégrer l’alimentation dans le régime général de la sécurité sociale. La création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale vise non seulement à répondre de manière pérenne à la précarité alimentaire mais s’inscrit dans une ambition plus large visant à accélérer la transformation de notre système alimentaire et faire de l’alimentation un « commun ».

Le projet de sécurité sociale alimentaire vise en premier lieu à lutter contre la précarité alimentaire. Alors que 4,8 millions de personnes ont eu recours à l’aide alimentaire en 2023 faute d’alternatives, l’aide alimentaire ne peut constituer une réponse satisfaisante et durable à la précarité alimentaire. D’abord car une personne sur deux en situation de précarité alimentaire n’y a pas recours. Ensuite car les associations d’aide alimentaire n’ont pas les moyens suffisants pour assurer pleinement leur mission. La création d’une sécurité sociale de l’alimentation vise de ce fait à garantir à tous l’accès à une alimentation choisie et de qualité sans devoir se reposer sur l’aide alimentaire.

Le projet de sécurité sociale alimentaire vise ensuite à promouvoir des pratiques agricoles plus durables. En conventionnant des producteurs sur la base de critères écologiques plutôt que de s’en remettre à la logique de marché, la sécurité sociale de l’alimentation porte l’ambition de soutenir une agriculture sans pesticides, plus respectueuse de l’environnement comme de la santé publique et de transformer les filières agricoles.

La sécurité sociale de l’alimentation s’inscrit enfin dans la recherche d’une souveraineté alimentaire et de re-territorialisation des filières en rapprochant autant que possible les lieux de production des lieux de consommation. Par là-même, elle assure également la préservation de cultures gastronomiques locales. Parce qu’elle s’appuie sur la démocratie alimentaire, le projet de la sécurité sociale de l’alimentation vise plus largement à redonner aux citoyens le pouvoir de choisir collectivement leur alimentation. L’alimentation est ainsi considérée comme un « commun » dont la gestion est l’affaire de tous.

 

c. Le fonctionnement d’une sécurité sociale de l’alimentation

La sécurité sociale de l’alimentation se matérialise par l’allocation à chaque citoyen d’un budget mensuel lui permettant d’accéder à des denrées alimentaires issues de l’agroécologie ou de l’agriculture biologique. Concrètement, chaque citoyen dispose d’une carte alimentaire leur permettant, à l’instar de la carte vitale pour la prise en charge de médicaments ou de la prestation de soins par l’assurance maladie, d’accéder à un panier de produits alimentaires dans un établissement conventionné. Cette carte alimentaire est créditée chaque mois d’une somme financée par une caisse nationale alimentaire reposant en partie sur des cotisations sociales. Chaque citoyen dispose d’une carte alimentaire dès l’âge de 16 ans, la somme étant versée auparavant à part égale sur la carte de ses parents.

Plusieurs degrés de conventionnement peuvent coexister, comme cela est le cas en matière de remboursement des frais de santé, offrant ainsi des niveaux de prises en charge différents en fonction du respect de critères écologiques (localité des produits, durabilité des pratiques agricoles) et sociaux (juste rémunération des agriculteurs) définis à l’échelle nationale. Les critères de conventionnement seraient définis dans le cadre d’une démocratie alimentaire regroupant des associations de consommateurs, des ONG engagées pour la protection de l’environnement, des organisations professionnelles agricoles, des fédérations d’entreprises de distributions ainsi que les pouvoirs publics.

 

d. Financer la sécurité sociale de l’alimentation en faisant contribuer les acteurs de la malbouffe

La sécurité sociale de l’alimentation a déjà fait l’objet de plusieurs modélisations économiques. L’une d’entre elles émerge comme consensuelle au sein d’organisations du secteur. Il s’agit du socle commun du collectif Pour la sécurité sociale de l’alimentation[73]. Ce modèle repose notamment sur une cotisation sociale à « taux unique sur la production réelle de valeur ajoutée », une carte vitale de l’alimentation donnant accès à 150 euros par mois et par personne sur des produits fléchés et un conventionnement reposant sur des caisses primaires locales reliées à une instance nationale. Ce modèle qui reste théorique n’est pas sans limite, comme le pointe certains acteurs de l’aide alimentaire[74] notamment en raison de la difficulté d’intégrer les publics qui en ont le plus besoin, du coût important, de l’impensé de la complémentarité avec les acteurs de l’aide alimentaire.

Le financement pose le plus de questions. Un premier modèle qui a été exploré est estimé à un coût de 120 milliards d’euros par an par le collectif Pour une sécurité sociale de l’alimentation, pour un système reposant sur l’universalité pour un montant de 150 euros par mois et par personne, enfants compris[75]. Cela représente environ le montant de la moitié de la branche maladie et 8 % de la valeur ajoutée produite en France. Un autre modèle, notamment creusés par un groupe de travail dirigé par une parlementaire[76], avance le chiffre de 171 milliards par an pour un système lui aussi universel reposant sur un coût de 7 euros par jour et par personne. Ce même groupe de travail a réfléchi sur une autre estimation ciblant les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) avec une prise en charge de 3,5 euros par jour et par personne pour un montant de 786 millions d’euros par an. Au regard, de ces éléments une montée en charge progressive par un élargissement par étape du public ou du taux de couverture peut être une solution intermédiaire intéressante.

La démarche des cotisations patronales et sociales paraît la plus pertinente à terme, bien qu’une hausse des cotisations ne puisse être que très progressive au regard du contexte budgétaire de la France jusqu’en 2029. Par ailleurs, en face du coût de la sécurité sociale alimentaire, il faut également mettre les dépenses publiques actuelles liées aux faillites du système alimentaire actuel. Elles ont été estimées à au moins 19 milliards d’euros[77] pour ce qui concerne les corrections des dysfonctionnements du système alimentaire (santé majoritairement, mais aussi dépollution de l’eau et de l’air, gestion des déchets issus du système agricole). On peut y ajouter les nombreuses aides de l’État aux acteurs du secteur prenant la forme d’exonérations fiscales et patronales qui représentent à elles seules 21,22 milliards d’euros[78] et qui mériteraient peut-être d’être examinées une nouvelle fois, à l’aune des objectifs de la sécurité sociale de l’alimentation.

Dans l’attente de marges de manœuvre, d’autres leviers de financement peuvent être mobilisés, allant dans le sens d’une justice fiscale de l’alimentation. Trois types d’acteurs allant contre l’alimentation durable et qui profitent du phénomène de la « malbouffe » pourraient être ciblés :

  • Des taxes sur les entreprises vendant des produits sucrés et ultra transformés. D’une part, l’augmentation de la « Taxe Soda » de 2012 finançant le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pourrait être mise en place conformément à une proposition sénatoriale de 2023 portant sur le PLFSS 2024.[79] D’autre part, la création d’une « Taxe Sucreries » identique à la « Taxe Soda » visant les friandises et les bonbons, et d’une « Taxe sur les produits ultra-transformés »[80] visant les produits alimentaires ultra-transformés, permettraient de financer la sécurité sociale alimentaire tout en incitant producteurs et consommateurs à adapter leurs comportements.
  • Une taxe sur les bénéfices des grands groupes de fast food. Le secteur de la restauration rapide représente désormais un chiffre d’affaires global de 113 milliards d’euros annuels[81]. Au regard des effets dévastateurs du secteur pour la santé et le système alimentaire, il paraît juste que les grandes entreprises du secteur contribuent à financer la sécurité sociale de l’alimentation.
  • Une taxe sur les plateformes de livraison à domicile. Si les études ne démontrent pas de manière automatique une corrélation entre la « malbouffe » et les plateformes de livraisons à domicile, la « malbouffe » passe de fait largement par ce canal. Le chiffre d’affaires du secteur de la livraison aurait triplé depuis de 2018, passant de 3,3 milliards d’euros à environ 10 milliards d’euros[82].

Ces propositions ne sont pas sans limite au regard des contentieux de plusieurs de ses acteurs avec l’administration fiscale française, mais contre lesquels le ministère de l’Économie a obtenu quelques victoires récentes[83].

 

Conclusion : Le droit à bien manger, une nouvelle conquête sociale et écologique

Parce que l’alimentation n’est pas un bien de consommation parmi d’autres, parce qu’elle est essentielle à la fois pour nourrir l’humanité et ménager la planète, il nous faut organiser sa transformation en un véritable bien commun. La socialisation d’un accès à l’alimentation de qualité à travers la sécurité sociale de l’alimentation y répond. Elle répond aussi à l’objectif d’établir un « droit à bien manger », qui consiste à agir face à la conscience que des inégalités alimentaires insupportables existent et qu’elles contribuent massivement à accroître structurellement les inégalités et le dérèglement climatique. Rendre effectif le droit à bien manger, c’est donc une nouvelle conquête écologique et sociale originale mais majeure. La mise en œuvre de ce droit à bien manger en France ne pourra s’effectuer qu’en mutualisant les forces des acteurs privés et publics autour d’une transformation de notre système alimentaire. État, collectivités, financeurs, agro-industries, associations de l’aide alimentaire, mutualistes, tous devront co-construire nos assiettes de demain.

Au-delà de la sécurité sociale de l’alimentation elle-même, d’autres questions se posent pour garantir le droit à bien manger. En particulier, la remise à plat des traités internationaux de libre-échange paraît une nécessité, à l’aune de créer les conditions de produire une alimentation saine et durable en France, en Europe et dans le monde. Car l’agriculture et l’alimentation ne sont pas des marchandises comme les autres. Peut-être que la mise en place de sécurités sociales de l’alimentation contribuera à avancer autrement sur ce sujet, incitant à une réorientation du système productif alimentaire vers une logique de réponse à la demande et non plus vers une logique d’offre créatrice de besoins alimentaires non-essentiels et néfastes.

Dans sa Physiologie du goût de 1826, Jean Anthelme Brillat-Savarin, député du tiers état représentant le Bugey lors des États Généraux et considéré comme un des fondateurs de la gastronomie contemporaine affirmait : « La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent. » Dans le contexte des défis sanitaires, sociaux et climatiques qui se présentent à l’humanité, cette pensée prend un sens nouveau. Celui d’un impératif, d’une prise de conscience, qui doivent tous nous habiter, au cœur même de notre quotidien. L’avancée vers une sécurité sociale de l’alimentation et vers un droit au « bien manger » pourra sans aucun doute y contribuer.

 

[1]“Aide alimentaire, une file d’attente interminable pour les étudiants à Paris”, Brut https://www.brut.media/fr/videos/france/societe/aide-alimentaire-une-file-d-attente-interminable-d-etudiants-a-paris

[2] Rapport d’activités 2023 des Banques Alimentaires

[3] « La France qui a faim », Bénédicte Bonzi, Editions du Seuil, 2023. Prix littéraire des droits de l’Homme 2023.

[4] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[5] Observatoire Alimentation et familles, Ipsos, 2022

[6] T. Tran Huy, « Chèque alimentaire : retour sur l’abandon de la promesse d’Emmanuel Macron », Public Sénat, janvier 2024

[7] voir à ce propos, R. Barthes, “Le bifteck et les frites” dans Mythologies, Seuil, 1957

[8] T. Pech, “La bataille du bifteck”, La Grande Conversation, février 2022

[9] S. Billot, A. Trefleu, A. Trouvé, Inflation alimentaire : une crise causée par les multinationales, Institut La Boétie, 2023

[10] INSEE, “Conjoncture française : En 2022, face à la hausse des prix, les ménages ont changé leurs habitudes de consommation”, mars 2023

[11] “Agriculture : les limites d’un système déséquilibré”, Ipsos, janvier 2023

[12] Une seule Santé / One Health, INRAE, juillet 2020

[13] Les Français et l’Alimentation, Ipsos, 2021

[14] “Changement climatique 2022 : atténuation du changement climatique”, rapport du Groupe de travail III du GIEC, avril 2022

[15] Membres du Collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation : Ingénieurs sans frontières-AgriSTA, Réseau Salariat, Réseau CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), Confédération paysanne, Collectif Démocratie Alimentaire, L’ardeur, L’UFAL (Union des familles laïques), Mutuale, L’Atelier Paysan, Les Ami·e·s de la Confédération paysanne, VRAC (Vers un réseau d’achat en commun), Les Greniers d’Abondance, Collectif les pieds dans le plat, GRAP (Groupement régional alimentaire de proximité). D’autres organisations contribuent aux travaux et aux réflexions : MIRAMAP (Mouvement interrégional des AMAP), Secours catholique-Caritas France.

[16] M. Bléhaut, M. Gressier “En forte hausse, la précarité alimentaire s’ajoute à d’autres fragilités”, CREDOC, 2023

[17] Banques Alimentaires, Etude “Profils” : « Qui sont les personnes accueillies à l’aide alimentaire ? », Février 2023.

[18] Baromètre de la générosité 2023, France Générosités, 2024

[19] Professeur M. Laville, “Mieux prévenir et prendre en charge l’obésité en France”, 2023, rapport commandé par le ministère de la Santé

[20] Dr Philippe FROGUEL, « Les gènes de l’obésité et leur contribution à la balance énergétique », Bull. Acad. Natle Méd., 2015, 199, nos 8-9, 1269-1279, séance du 17 novembre 2015

[21] Note Trésor-Éco n° 179 – “Obésité : quelles conséquences pour l’économie et comment les limiter ?”, 2016

[22] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[23] Rapport INCA 3 : Evolution des habitudes et modes de consommation, de nouveaux enjeux en matière de sécurité sanitaire et de nutrition, ANSES, 2017

[24]Ultra-processed food intake and risk of cardiovascular disease: prospective cohort study”, NutriNet-Santé, 2019

[25]Ultra-Processed Food Consumption and Mental Health: A Systematic Review and Meta-Analysis of Observational Studies, Nutrients, 2022

[26] E. A. Haapala, Diet quality and academic achievement, European Journal of Nutrition, 2016

[27]R. Barthes, “Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine”, Annales, 1961

[28] ibid

[29] M. Bléhaut, M. Gressiere, “En forte hausse, la précarité alimentaire s’ajoute à d’autres fragilités”, 2023

[30] “Prevalence of Overweight and Obesity in France: The 2020 Obepi-Roche Study by the “Ligue Contre l’Obésité”, Journal of Clinical Medecine, 2023

[31] “Les Français et les commerces près de chez eux. Berceau d’inégalités entre les privilégiés des métropoles et les délaissés de la France périphérique”, Opinion Way, 2018

[32] Projet Foodscapes, “Connaître les paysages alimentaires des habitants : une recherche dans le Grand Montpellier”, 2020

[33] Les Greniers d’Abondance, « Qui veille au grain ? Sécurité alimentaire : une affaire d’état », Octobre 2022

[34] INSEE, Revenu salarial, 2017

[35] La France Agricole, 1er mars 2024

[36]  S. Billot, A. Trefleu, A. Trouvé, Inflation alimentaire : une crise causée par les multinationales, Institut La Boétie, 2023

[37] Agreste (Comptes de l’agriculture) et Insee (enquêtes Prodcom et prix à la consommation), retraitement Basic.

[38] Agreste, Recensement agricole

[39]Agreste, Résultats économiques de l’agriculture,  2021

[40]O. Chardon, Y. Jauneau, J. Vidalenc, “Les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d’hommes” Olivier Chardon, Yves Jauneau, Joëlle Vidalenc, INSEE, 2020

[41] ibid

[42] H. Cabanel, F. Férat, Rapport d’information “Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse”, Sénat, 2021

[43] The Shift Project, Juin 2024

[44] Limites planétaires, Commissariat général au développement durable

[45] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[46] AMAP : Association pour le maintien d’une agriculture paysanne

[47] Chiffoleau Y., Akermann G., Paturel D., Noël J., Des circuits courts à la sécurité sociale de l’alimentation : économies concrètes et récit politique pour la solidarité alimentaire, Revue Lien social et Politiques, Numéro 90, 2023, p. 310–329

[48] Économie sociale et solidaire : la filière des circuits courts alimentaires, Pôle interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations économiques (PIPAME), 2017

[49] J. Attali, Histoires de l’Alimentation, Fayard, 2019

[50] J. Fourquet, J-L, Cassely, La France sous nos yeux, Seuil, 2021

[51] F. Ruffin, Le Temps d’apprendre à vivre : la bataille des retraites, Les liens qui libèrent, 2022

[52] P. Montjotin, C. Adrianssens, L’Ère du temps libéré, Les Editions du Faubourg, 2024

[53]Rapport d’enquête partielle autour de données quantitatives 2018 sur les AMAP et les paysan·ne·s en AMAP septembre 2019 – MIRAMAP

[54] Datalicious by Just Eat, « Les dîners, c’était mieux avant ? », Ifop, 2019

[55] Accompagner les agriculteurs vers une stratégie alimentaire plus durable, inclusive et résiliente, Dossier de presse de la Politique agricole et alimentaire de la Métropole de Lyon, 30 août 2021

[56] Proposition de loi n°258 du 17 septembre 2024 instaurant une ordonnance verte

[57] P. Grelley, « La protection sociale avant la « Sécu » », Informations sociales,‎ 2015

[58] Issue de la loi du 1er avril 1898 relative aux sociétés de secours mutuel

[59] Loi du 5 avril 1928

[60] Loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910

[61] Loi du 25 octobre 1919

[62] Loi du 30 avril 1930

[63] Voir les lois EGALIM I,II,III, votées en 2018, 2021 et 2023

[64] “La consommation de sucre en France en 2021”, YouGov, 2021

[65] Etude Harris Interactive mentionné dans “Le gouvernement s’inquiète des jeunes qui confondent concombre et courgette”, Les Echos, mars 2024

[66] Réseau Action Climat, “Nouveau baromètre sur la consommation de viande des Français et leurs attentes vis-à-vis des pouvoirs publics”, Harris Interactive, 2023

[67] PETA : Pour une Ethique dans le Traitement des Animaux

[68] T. Gaudiot, “Foie gras : de l’industrialisation au déclin ?”, Statista, 2021

[69] ibid

[70] Voir les propositions de la catégorie C2 de la Convention

[71] Voir la proposition 51 du Pacte

[72] En particulier ATD Quart Monde, Emmaüs France, le Secours Catholique, la Fondation des acteurs de la solidarité (FAS)

[73] A propos de la Sécurité Sociale de l’Alimentation, collectif Pour une sécurité sociale de l’alimentation

[74] L. Cantuel, Faut-il en finir avec l’aide alimentaire ?, Fondation Jean Jaurès 2024

[75] https://securite-sociale-alimentation.org/la-ssa/les-trois-piliers-du-mecanisme-de-ssa/

[76] Entretien avec S. Le Feur et E. Morel par la Mission Agrobiosciences, 2023, https://www.agrobiosciences.org/alimentation-117/article/securite-sociale-de-l-alimentation-le-sujet-qui-me-tient-a-coeur-c-est-celui-de-la-transition

[77] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[78] Rapport “L’injuste prix de notre alimentation” par le Secours Catholique – Caritas France, le Réseau Civam, Solidarité Paysans et la Fédération française des diabétiques, 2024

[79] G. Jacquot, “Budget de la Sécu : le Sénat alourdit la taxation sur les produits les plus sucrés”, Public Sénat, 2023

[80] ibid, proposition déjà formulée par le Sénat en 2023 pour le PLFSS 2024

[81] Etude Consommation Alimentaire Hors Domicile 2022, Gira Conseil, 2023

[82] V. Fourreau, “Les principaux acteurs de la livraison à domicile”, Statista, 2023

[83] “La Direction générale des Finances publiques salue le règlement du litige relatif à l’imposition de Mc Donald’s en France”, Communiqué de presse, 2022

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