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Retraites : une réforme radicalement solidaire et écologique est possible

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Retraites : une réforme radicalement solidaire et écologique est possible

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Retraites : une réforme radicalement solidaire et écologique est possible

Le Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, entend conduire une nouvelle réforme des retraites au plus vite et sans idée de compromis, ce dernier considérant qu’il dispose d’un mandat implicite des Français pour le faire au travers de sa réélection. Selon le Président de la République, la pérennité de notre système de retraites par répartition serait en jeu. Le 6 février 2023, le débat sur le projet de réforme des retraites du gouvernement démarre à l’Assemblée nationale sur fond de forte mobilisation syndicale. La veille de l’ouverture des débats, la Première ministre a annoncé quelques concessions. La principale d’entre elles porte sur l’extension du dispositif applicable aux carrières longues. Une mesure relative à l’index senior (publication par des entreprises du nombre de salariés de plus de 55 ans – et en aucun cas obligation d’embauche -) serait maintenant assortie d’une sanction financière, mais pour défaut de publication de l’index. Le reste ne serait pas négociable. Pourtant, une autre réforme des retraites, radicalement solidaire et écologique, est possible. C’est dans de cette ambition que s’inscrivent cette note et les différentes propositions que celle-ci formule. Après une courte présentation des chiffres clés en matière de retraite nécessaires pour disposer d’une vue d’ensemble, la première partie sera consacrée à une analyse critique des réformes paramétriques qui se sont succédé de 1993 à 2013, de leurs sous-jacents politiques et de leurs impacts en particulier sur l’évolution du taux de remplacement des pensions (rapport entre la pension de retraite calculée au moment de la liquidation des droits et le dernier revenu d’activité perçu). Sous l’effet conjugué des différentes réformes paramétriques menées depuis le début des années 1990, il connaît une baisse continue. Il a perdu 10 points sur la période pour s’établir à 74% aujourd’hui. Pour la génération née en 2000, il serait de 53% ! Nous verrons aussi que les mesures d’allongement de la durée de cotisation et de recul de l’âge légal de départ à la retraite sont relativement inefficaces sur le taux d’emploi des seniors et plus particulièrement des personnes peu qualifiées souvent réduites à l’inactivité et à devoir dépendre des minima sociaux. La seconde partie s’intéressera au projet de réforme en cours et à ses conséquences. À l’appui des principales conclusions du dernier rapport du Comité d’orientation des retraites de septembre 2022, il sera démontré que, contrairement aux discours tenus par les promoteurs de la réforme en cours, la soutenabilité financière à long terme de notre système de retraite n’est pas remise en cause et que le risque de faillite n’est pas avéré. Nous verrons que cette réforme s’inscrit dans la logique des précédentes réformes, propose les mêmes mesures éculées et inégalitaires, remet en cause le principe même d’un système de retraite par répartition et vise en réalité le développement d’un système par capitalisation, fondé quant à lui sur l’épargne retraite, régi par les règles du marché et imposé par l’Union européenne. Elle entraînerait à terme une rupture de notre modèle de retraite par répartition. Dans une dernière séquence, plusieurs pistes de recommandations seront proposées. Elles s’inscrivent dans un cadre repensé en termes d’emploi des seniors et de droits à la retraite. Un « revenu d’engagement senior » offrirait une possibilité de seconde vie professionnelle aux seniors en contrepartie d’un projet à forte utilité sociale notamment dans les domaines de la reconstruction écologique et du « care » (aide à la personne et aux besoins élémentaires du quotidien). Il serait une réponse non marchande à la problématique de l’emploi des seniors. Une autre proposition est fondée sur la reconnaissance d’un droit à la retraite attaché à la personne et non plus à la carrière professionnelle. Enfin, des mesures de financement de notre système sont étudiées, non pour garantir la pérennité de notre système qui n’est pas en cause, mais pour des objectifs de justice sociale et en particulier pour mettre fin à cette baisse continue du taux de remplacement. Un dispositif fondé sur une cotisation retraite appliquée non plus sur la seule masse salariale mais sur l’intégralité de la valeur ajoutée est envisagé. Il assurerait une meilleure répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et du travail. Un prélèvement exceptionnel sur le montant des dividendes versés est proposé. Il viendrait abonder un fonds spécifique retraite.

I- Une succession de réformes porteuses de plus d’inégalités

Il est d’abord essentiel de rappeler les principales données chiffrées en matière de dépenses et de financement de notre système de retraite ainsi que les principales données « d’environnement » comme le taux d’emploi des seniors, les espérances de vie. Nous présenterons ensuite une rétrospective des réformes paramétriques engagées depuis les années 1980, décennie pivot marquant un véritable tournant en matière de dépenses sociales. Nous mettrons enfin en lumière les principales conséquences de ces réformes en particulier sur le montant des dépenses de retraite et sur l’évolution du taux de remplacement. 1.1 Les dépenses de retraites représentent 14 % du PIB avec un poids des régimes à prestations définies encore prédominant La part dans le PIB français des dépenses de protection sociale a sensiblement augmenté au cours des 60 dernières années. Elle était de 15% en 1960 pour atteindre en 2019 un peu plus de 30% du PIB. Cette proportion est relativement stable depuis les années 2010. Si les années 2020 et 2021 rendent compte d’une augmentation sensible de ces dépenses qui atteignent 33% du PIB, c’est en raison de dépenses exceptionnelles engagées dans le cadre de la crise du COVID. Les comptes de l’année 2020 enregistrent en particulier une charge exceptionnelle de 46 milliards, dont 27 au titre des seules mesures de chômage partiel. Ceux de 2021 sont encore impactés par les dépenses engagées au titre de la vaccination et des campagnes de dépistage. Les deux principaux « risques » couverts par ces dépenses de protection sociale sont, sans surprise, la vieillesse et la maladie à hauteur respectivement de 14% et de 11,3% de ce même PIB[1]. La France compte plus de 16 millions de retraités auxquels 330 milliards d’euros de pensions par an sont versés, ce chiffre incluant les retraites de base et les complémentaires. La pension moyenne est de l’ordre de 1500 euros brut avec encore un différentiel de l’ordre de 40% entre les femmes et les hommes[2]. Un tiers des retraités reçoit une pension inférieure ou égale à 1000 euros. L’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) est de 916 euros pour une personne seule. Le niveau de vie moyen des retraités reste légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population, mais, contrairement à une idée reçue, inférieur à celui des actifs. L’âge moyen de départ à la retraite est de 62,9 ans en France[3]. Notre système de retraite par répartition intègre deux modèles. Les pensions de base répondent à la logique de prestations définies alors que les complémentaires servies aux salariés du privé par l’Agirc/Arcco à celle de cotisations définies, fondées sur le principe de points acquis. Dans le premier cas, la pension est proportionnelle à un salaire de référence. Dans le second cas, la pension dépend du nombre de points acquis et surtout de la valeur effective du « point » qui n’est connue qu’au moment de la liquidation des droits. S’il existe encore de nombreux régimes de retraite dits spéciaux, une quinzaine environ, objets de nombreuses critiques, il faut pourtant savoir que leur poids dans les dépenses de retraite est peu significatif, notamment celui des régimes rattachés à des entreprises et des établissements publics ou dits professionnels (un peu plus de 5%[4]). Le financement des dépenses est principalement assuré par les cotisations versées par les employeurs et les salariés à hauteur de 64,5 % (cotisations sociales), de 12,4% par le fond de solidarité vieillesse (FSV) au titre de l’équilibre de certains régimes, de 11,4% par l’impôt (CSG) et les taxes affectées et le reste par différents transferts et produits divers. L’espérance de vie à la naissance est de 79,3 ans pour les hommes et de 85,2 ans pour les femmes[5] en 2022. À l’âge de 60 ans, elle est de 23 ans pour les hommes et de 27,5 ans pour les femmes[6]. Des disparités régionales existent. Elles invitent à une lecture territoriale de la contestation de la réforme sur laquelle les syndicats, CFDT en tête, insistent largement. Et en effet, la réforme aura des effets différents en fonction des territoires, de leurs caractéristiques économiques et démographiques. De fait, les disparités d’espérance de vie d’un département à l’autre apportent un éclairage sur la géographie des manifestations et le sentiment d’injustice. Dans la région des Hauts de France, l’espérance de vie d’un homme à la naissance en 2021 selon l’INSEE[7] est de 76,2 ans dans l’Aisne contre 82,1 ans dans les Hauts-de-Seine contre 78,2 ans en Seine-Saint-Denis ou dans le Territoire de Belfort. La différence est encore plus grande outre-mer, puisque l’espérance de vie est inférieure à 73 ans en Guadeloupe, en Guyane ou à Mayotte. Au global, c’est un véritable « manque à vivre » pour des pans entiers du territoire français avec de très fortes disparités qui produit des mobilisations parfois massives rapportées à l’échelle de ces territoires, comme cela a pu être remarqué par la presse régionale picarde à Péronne (7 600 hab.) ou Amiens.[8] 1.2 Une succession de réformes globalement inefficaces du point de vue du taux d’emploi des seniors avec comme conséquence une baisse continue du taux de remplacement des pensions Dans un contexte de croissance économique quasi continue, les différentes politiques conduites jusque dans les années 1980 ont visé l’extension de la couverture sociale. Au cas d’espèce de la retraite, l’objectif au départ était de lutter contre la pauvreté de la population des retraités en augmentation continue du fait de l’allongement sensible de l’espérance de vie sur la période. À ce titre, le minimum vieillesse a été créé en 1956. Dans un second temps, l’ambition était « d’améliorer et de compléter » les systèmes de retraite, d’assurer aux retraités un revenu de remplacement déterminé à partir d’un salaire de référence proche de leur dernier revenu et de leur garantir ainsi le maintien de leur niveau de vie. L’écart de revenus entre les actifs et les retraités s’est progressivement réduit[9]. À la fin des années 80, marquées par le tournant néolibéral, la priorité change au profit de la « gestion » de la crise financière et la réduction des déficits sociaux. Comme le rappelle le chercheur Bruno Palier dans Réformer les retraites, paru en 2021, « le marché intérieur et la monnaie unique ont joué un rôle important dans le cadrage des réformes des systèmes de retraite. Ils en ont imposé le calendrier et les orientations générales : contenir voire réduire l’augmentation des dépenses publiques de retraite et non plus augmenter les cotisations ». « L’idée était aussi de rassurer les marchés financiers et les agences de notation ». Depuis la décennie 1990, la France est engagée dans un processus quasi continu de réformes paramétriques dont les impacts sur le niveau des pensions servies sont très largement sous-estimés, voire méconnus par le grand public. La multiplication des réformes imposée aux Français constitue d’ailleurs un sujet en tant que tel quand on sait combien le système de « retraite organise vraiment notre vie de salariés et agit sur les comportements ». C’est une ligne d’arrivée qui ne cesse de reculer ou pour reprendre l’expression de Michaël Zemmour « un horizon qui bouge sans arrêt ». L’objectif n’est pas de présenter dans le détail le contenu des différentes réformes qui se sont succédé, mais d’en faire ressortir la logique d’ensemble et leur ambition commune : la baisse du taux de remplacement des pensions servies par le système de répartition et le développement de la capitalisation. La réforme Balladur de 1993[10] est particulièrement significative à ce titre. Elle allonge la durée de cotisation pour le secteur privé de 10 trimestres pour la porter à 40 annuités, retient comme base du calcul du salaire dit de référence 25 années contre les 10 meilleures auparavant et enfin indexe la revalorisation des pensions sur la base du taux d’inflation, plus faible, et non plus du taux d’augmentation des salaires. La réforme de Fillon de 2003[11] aligne la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé, pour la porter ensuite à 41 annuités et revoit le système de surcote/décote applicable. Sont aussi créés de nouveaux produits d’épargne retraite comme le Plan d’épargne retraite collective (PERCO) ou individuel, le plan d’épargne retraite populaire (PERP). La réforme de 2010[12], conduite sous la présidence de Nicolas Sarkozy, prévoit deux « mesures d’âge » à savoir le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans et celui permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein de 65 ans à 67 ans. Enfin, la réforme des retraites de 2013-2014 portée par Marisol Touraine fixe la durée de cotisation à 43 annuités[13]. Sous l’effet conjugué de ces différentes réformes, le taux moyen de remplacement des pensions est passé de 84% à 74%. Les prévisions montrent que, pour la génération 2000, le taux de remplacement diminuerait fortement pour s’établir dans une fourchette comprise entre 53% et 63%[14]. Seules les personnes disposant d’une épargne pourront investir dans l’immobilier ou dans des fonds de pension pour compenser la baisse des pensions. En poussant les particuliers à faire des placements financiers pour leurs retraites, la réforme accroît les inégalités de revenu, puisque ce type de placement suppose une capacité d’épargne importante en volume et dans la durée. On notera également les effets délétères de ces fonds pour le climat. Comme l’a démontré récemment l’ONG Reclaim Change, « les gérants de l’épargne retraite et salariale investissent à rebours des injonctions climatiques de long terme », car leur rémunération repose très souvent sur des financements de projets très consommateurs d’énergie fossile. Plusieurs études d’impact méritent d’être mentionnées. Leurs résultats nous éclairent sur les conséquences réelles des différentes réformes paramétriques opérées depuis les années 90, en particulier des mesures d’allongement de la durée de cotisations et/ou du recul de l’âge légal de la retraite. La première, reprise dans une note d’analyse de France Stratégie de décembre 2021, évalue l’écart entre la progression « spontanée » des dépenses, celle qui aurait été observée en l’absence de toute réforme paramétrique, et le montant de ces mêmes dépenses tel que constaté sur la période allant de 2011 à 2019. Le « freinage » des dépenses est estimé à 47 milliards d’euros au titre de la dernière année de la période étudiée soit à fin 2019, chiffre d’autant plus considérable au regard de l’évolution démographique sur la période considérée[15]. Une autre [16]réalisée en 2011 visait à mesurer les impacts de l’allongement de la durée de cotisation sur la date effective de départ à la retraite. Si elle constate un effet de report de plusieurs mois chez les personnes en emploi, elle conclut en revanche à un effet « marginal » chez les personnes au chômage ou en inactivité. Enfin une étude portant cette fois sur les effets du recul de l’âge légal de départ à la retraite fait état, en proportion de la baisse du nombre de retraités, d’une moindre augmentation de « l’emploi aux âges concernés », que « des personnes au chômage, en invalidité, en congés maladie ou inactivité »[17]. En d’autres termes, le report de l’âge légal se traduit par plus de personnes au chômage, en invalidité ou en inactivité qu’en emploi. Une étude de l’OCDE montre que les politiques centrées sur l’amélioration de la qualification, de la santé et de l’éducation ont des effets bien supérieurs sur le taux d’emploi des seniors que les différentes réformes des systèmes de retraite et en particulier celles portant sur le report de l’âge légal de départ. Ces dernières auraient « un effet dix fois plus faible [18]». 1.3 La réforme systémique de 2019 : « chronique d’une mort annoncée » de notre système de retraite par répartition interrompue en raison de la COVID Une présentation de la réforme systémique souhaitée par le président Macron en 2019 est intéressante dans la mesure où elle est emblématique des objectifs politiques poursuivis par les différentes réformes dites de « structure » et de leurs fondements. Ce nouveau régime de retraite, articulé autour d’une logique de « points » accumulés tout au long de la carrière, nous aurait fait basculer dans un système à cotisations définies, là où le régime de base est un régime à prestations définies (il est vrai que la complémentaire des salariés du privé est d’ores et déjà un régime complémentaire à cotisations définies). La flexibilité de ce type de régime, vantée par le Gouvernement n’hésitant pas à faire valoir le principe d’une retraite à la carte, pénalise en réalité les salariés au parcours professionnel très haché, constitué de petits boulots précaires et mal payés. L’objectif ultime était de passer à une logique de pension conçue comme un différé de cotisations passées et non plus comme un salaire garanti. Par ailleurs, il aurait pesé une forte incertitude sur le montant de la pension dépendant directement de la valeur du point au moment de la liquidation de la retraite. L’objectif de la réforme, sous couvert « d’un même droit à tous » (un euro cotisé donne le même droit à tous), était de remettre en cause le principe de solidarité, élément fondateur de notre système de retraite par répartition, pour le remplacer par celui d’une individualisation renforcée. Que peut-on conclure à ce stade ? Les réformes paramétriques réalisées par les différents gouvernements qui se sont succédé au cours des 30 dernières années s’inscrivent dans un cadre de référence néolibéral promu par les institutions internationales comme la Banque mondiale ou par la Commission européenne. La première défend l’idée d’une combinatoire entre un système de retraite par répartition et par capitalisation, la seconde les mesures d’allongement de la vie professionnelle compte tenu des pressions exercées par les dépenses de retraite sur les finances publiques[19]. La finalité de ces réformes, derrière l’argument de la sauvegarde des régimes, est double : d’une part, la réduction des dépenses de protection sociale et, d’autre part, le développement d’un régime par capitalisation et plus largement d’une retraite privée. Ce cadre reproduit au niveau de la retraite un modèle de priorités et d’arbitrage qui rend compte d’une certaine vision des rapports sociaux, qui impose, au nom de la rigueur financière et de l’effort collectif, des réformes porteuses de plus d’inégalités. Tel que l’explique à nouveau très clairement Bruno Palier « Si les avantages de la capitalisation sur la répartition ne sont pas toujours fermement établis du point de vue des retraités, ils sont clairs pour les acteurs financiers (gestionnaires d’actifs, assureurs, banques, fonds de placement) »[20]. Les 50 milliards d’euros d’économies réalisées sur les 10 dernières années, ce sont tous simplement 50 milliards de moins pour les retraites alors même que la retraite moyenne mensuelle est de moins de 1 500 euros nets par mois[21]. La baisse du taux de remplacement traduit bien cette évolution qui devrait se poursuivre dans les années futures, si l’on ne change rien, pour atteindre un niveau inacceptable pour la génération née en 2000. Les études auxquelles nous nous sommes référés montrent l’inefficacité de ces mesures d’allongement de la durée de cotisation et de recul de l’âge légal sur le taux d’emploi des seniors.

II – Un projet de réforme de nature politique et non technique dont l’objectif, est de « financer » les baisses des prélèvements sociaux

Nous allons dans un premier temps analyser les principales conclusions du dernier rapport de septembre 2022 du COR afin de constater que, contrairement au discours porté par le président et le Gouvernement pour justifier la réforme, la soutenabilité financière du système de répartition n’est pas remise en cause par le COR ni la maîtrise de la trajectoire des dépenses. Nous nous concentrerons ensuite sur la présentation et l’analyse critique des principales mesures du projet de réforme du gouvernement, des mesures : dites d’accompagnement ou « amortisseurs ». 2.1 Le rapport du COR confirme la maîtrise de la trajectoire des dépenses et la soutenabilité financière de notre système de retraite Jusqu’ici peu connu du grand public, le Comité d’Orientation des Retraites est aujourd’hui sous les feux de l’actualité, y compris son président Pierre Le Bras, objet d’une tentative de discréditions de la part du Gouvernement. Créé en 2000 sous le gouvernement Jospin, il regroupe des parlementaires, des représentants syndicaux et patronaux, des personnels qualifiés et des représentants des administrations, gouvernance qui lui assure une forme de neutralité. Il rend chaque année un rapport dont la qualité est reconnue. Le rapport du COR ne traite pas seulement de la problématique de soutenabilité et de pérennité du système de retraite, mais aborde d’autres sujets comme la progressive dégradation du pouvoir d’achat des retraités, la persistance des inégalités hommes/femmes et intergénérationnelles, le faible taux d’emploi des plus de 50 ans. Le rapport de septembre 2022 [22]présente plusieurs scénarios de projection des dépenses et du solde (déficit ou excédent). Plusieurs paramètres sont pris en considération comme le taux de croissance, le taux de productivité du travail espéré, le taux de chômage, les derniers chiffres des projections démographiques de l’INSEE et les données économiques issues du programme de stabilité publié par le gouvernement à l’été 2022. Que dit le rapport sur les dépenses liées aux régimes de retraite ? L’indicateur déterminant pour évaluer la soutenabilité financière du système de retraite est la part des dépenses de retraite dans le PIB. En 2021, année où le système est bénéficiaire, la part des dépenses de retraite dans le PIB était de 13,8 %. À la fin de la période 2022 à 2027, elles atteindraient 13,9 % du PIB. En 2032, la part des dépenses de retraite s’établirait dans une fourchette comprise entre 14,3 % et 14,7 % selon le taux de productivité retenu. En conclusion de son chapitre consacré aux dépenses, le COR écrit : « Au final, sur l’ensemble de la période de projection, la part des dépenses de retraite dans le PIB serait en baisse dans les scénarios à 1,3 % et à 1,6 % (de taux de productivité), resterait stable dans le scénario à 1 % et augmenterait dans le scénario 0,7 %. À l’horizon 2070, la part des dépenses de retraite varierait ainsi entre 12,1 % du PIB (scénario 1,6 %) et 14,7 % (scénario 0,7 %) contre 13,8 % en 2021 ». Comme on le voit très clairement, les dépenses de retraites ne dérapent pas. Elles sont, à terme, sous contrôle. Le COR est explicite sur la question de la bonne tenue des dépenses et les auteurs du rapport « ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ». Pierre-Louis Bras, Président du Conseil d’Orientation des Retraites, a ainsi rappelé, au cours d’une récente audition le 19 janvier par les commissions des affaires sociales et des finances de l’Assemblée nationale, que les dépenses de retraite « ne dérap(ai)ent pas », et que la raison des déficits durables révélés par les projections du COR était imputable à une évolution peu dynamique des ressources. Philippe Laffon, Secrétaire général adjoint auprès du Haut-Commissaire à la réforme des retraites, dans un document support, présenté à France Stratégie en octobre 2018, écrivait déjà que « les perspectives financières sont favorables à long terme[23] ». Abordons maintenant la question spécifique des ressources. Après avoir été bénéficiaire de près de 900 millions en 2021, le solde du système de retraite se dégraderait progressivement entre 2023 et 2027 et deviendrait déficitaire à hauteur de 0,4 point de PIB. Son évolution serait ensuite dépendante des taux de croissance, de productivité et de chômage retenus. À l’horizon 2070, le solde du système de retraite varierait ainsi selon les scénarios entre un déficit de 0,7 % et un excédent de 1,5 % du PIB. Si le système de retraites est déficitaire sur les 25 prochaines années, plusieurs scénarios font état d’un retour progressif à l’équilibre. On voit bien que le niveau du solde est très sensible au scénario économique retenu. Le rapport du COR exprime cette réalité de la façon suivante : « Le niveau du solde est lié à la dynamique des ressources différente selon les diverses conventions et non à la dynamique des dépenses qui est stabilisée ou orientée à la baisse en part du PIB sauf dans le scénario à 0,7 % ». C’est une autre façon de rappeler que la situation des dépenses ne se dégrade pas et que c’est au niveau des ressources que l’on doit agir. En conséquence et contrairement aux discours actuels, la soutenabilité financière à long terme de notre modèle de retraite par répartition n’est pas remise en cause. Cette assertion n’amène pourtant pas à écarter la problématique de son financement, non pour des raisons de durabilité du système, mais de justice sociale, les réformes paramétriques opérées au cours des 30 dernières années ayant eu toutes pour objectif de réduire sensiblement le taux de remplacement des pensions servies. L’idée est de reprendre les principales conclusions du rapport, y compris les éléments des différents scénarios étudiés par le COR bâtis à partir d’un certain nombre de variables comme le taux de chômage, le taux de croissance et le taux de productivité. 2.2 Un projet de réforme en continuité avec les principes néolibéraux des réformes passées   Le projet du gouvernement annoncé le 10 janvier 2023 prévoit à titre principal le recul de l’âge de la retraite à 64 ans d’ici 2030 avec une étape intermédiaire à 63 ans et 3 mois d’ici la fin du quinquennat et une notable accélération dans la mise en œuvre de l’allongement de la durée de cotisation, mesure votée sous la présidence de François Hollande. Pour obtenir une retraite à temps plein, il faudra, dès l’année 2027 et non plus 2035, avoir cotisé pendant 43 ans. Cette nouvelle durée de cotisation s’applique désormais à la génération née en 1965, âgée de 58 ans aujourd’hui, et non plus à celle née en 1973. Ce projet est assorti de quelques exceptions, sans véritable changement par rapport à ce qui existe aujourd’hui, pour tenir compte des carrières longues ou encore de la pénibilité de certains emplois. Sont aussi proposées quelques contreparties comme le relèvement de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) et une pension de retraite minimum à 85 % du SMIC pour les carrières à taux plein. Les débats sur la portée réelle de cette dernière mesure, dite de « progrès social », celle qui permettrait en cas de carrière complète à taux plein rémunérée au SMIC de bénéficier d’une retraite de 1200 euros brut, montrent a minima les difficultés pour les promoteurs du projet à quantifier le nombre de bénéficiaires potentiels. À défaut d’être en mesure de proposer une évaluation globale de l’impact de cette mesure, le gouvernement essaie de documenter ses avantages à grand renfort de « cas d’usage » (« Madame X veuve ou divorcée… » ou « Monsieur Y ayant commencé à travailler à l’âge de… »). Les conditions requises à savoir une carrière à taux plein et une rémunération au SMIC, au regard de la réalité du marché, rendent cette mesure complètement et indubitablement « hors sol ». La fin progressive des principaux régimes dits spéciaux a été annoncée. Un même principe dans la conduite des réformes : s’attaquer aux fondamentaux de notre système de solidarité et de répartition et accorder en contrepartie quelques concessions à la marge. Plutôt que d’envisager une convergence par le haut, et donc vers un meilleur taux de remplacement pour les retraités, il s’agit ici de niveler par le bas en s’alignant sur les conditions du régime général. Cette réforme se justifierait au regard de l’allongement de la durée de vie : « on vit plus vieux, il faut donc travailler plus longtemps ». Or l’état de santé des personnes est mécaniquement la première cause de demande de liquidation des droits à la retraite. L’espérance de vie moyenne en bonne santé en 2019 est de 63,7 ans pour les hommes et 64,6 ans pour les femmes en France[24], alors qu’elle est supérieure de 10 ans en Suède (73,8 ans pour les hommes et 72,7 ans pour les femmes). Allonger l’âge légal de la retraite au-delà de 62 ans conduira à un phénomène de vase communicant entre les dépenses de retraite et les dépenses maladie (moins de dépenses de retraites, mais plus de dépenses au titre de l’invalidité et des arrêts maladie), à une hausse du chômage, en particulier pour les seniors peu qualifiés, suivie par une période d’inactivité puis par un basculement dans le monde des minima sociaux et de la pauvreté. Au regard de l’espérance de vie, stable aujourd’hui, des écarts non négligeables existent selon la catégorie sociale d’appartenance. Le différentiel d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre est de 6 ans et de 13 ans entre le premier et le dernier décile ! Enfin, selon l’INSEE, l’espérance de vie en bonne santé serait pour les hommes et les femmes nés en 2020 respectivement de 64,4 ans et de 65,9 ans. Avec un âge légal de départ à la retraite de 64 ans, les hommes auraient alors 3 mois de retraite en bonne santé et les femmes un 1 an et 10 mois ! C’est sans doute cela le progrès social ! Cette réforme table sur l’allongement effectif de la durée en emploi des seniors. Or le taux d’emploi actuel des seniors en France est faible et inférieur assez significativement à la moyenne observée au sein de l’UE. Le taux d’emploi des personnes appartenant à la tranche d’âge des 60-64 ans est de 31 %[25]. L’augmentation du taux d’emploi des seniors constitue donc une forme de leurre ou un jeu de dupes pour reprendre l’expression d’Olivier Mérieux, un ancien directeur technique de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT)[26], dans la mesure où seules les personnes diplômées et qualifiées sont en mesure de travailler plus. La réforme aura pour effet un basculement dans la pauvreté (trappe à pauvreté) d’une partie de la population et/ou la consolidation de ce marché de l’emploi précaire et à bas coût. Comme le fait remarquer Olivier Mériaux, il aurait fallu, préalablement au recul de l’âge légal de la retraite, s’assurer du caractère tangible des résultats d’une politique d’amélioration de l’emploi des seniors. L’augmentation du taux d’emploi des seniors constatée au cours des dernières années n’a d’ailleurs que peu à voir avec des politiques dédiées à l’emploi des seniors, mais s’explique pour l’essentiel par l’impact volumétrique de l’arrivée sur le marché du travail d’une génération de femmes, aujourd’hui seniors. L’index senior proposé par le Gouvernement, mesure applicable aux entreprises de plus de 1000 salariés dès 2023, de 300 salariés à compter de 2024, voire 50 de salariés aux dernières nouvelles, oblige les entreprises concernées à publier un document indiquant leur taux de salariés seniors et ceux en fin de carrière. On peut penser qu’il n’aura que peu d’effets sur le taux d’emploi au regard de son caractère non contraignant. Dans une tribune du 2 février dernier, parue dans Le Monde, l’économiste Michaël Zemmour regrette le caractère « indigent » et « lapidaire » de l’étude d’impact réalisée par le gouvernement notamment en matière de mesure des effets de la réforme « sur la précarité des seniors en emploi » et ses « conséquences sociales sur les seniors qui ne sont ni en emploi ni en retraite ». Selon lui, nous disposons de suffisamment de « recul » pour conclure « qu’un décalage de l’âge se traduit principalement par un allongement de la période de précarité entre emploi et retraite ». Le rapport serait de l’ordre de 300 000 emplois de seniors de plus pour 200 000 seniors sans emploi ni retraite de plus ! Sans parler de la hausse des allocataires de minima sociaux estimée par la direction de la recherche, des études et de l’évaluation (Drees) à 100 000 personnes. Ces chiffres sont cohérents avec les résultats des études mentionnées au paragraphe précédent qui démontrent l’inefficacité des mesures d’allongement de la durée de cotisation et/ou du report de l’âge légal de départ à la retraite sur le taux d’emploi des seniors (hausse de 44 % des emplois pour 28 % de chômeurs en plus et 28 % de personnes en incapacité ou inactivité !). Enfin, l’allongement de la durée de cotisation et le recul de l’âge légal de départ à la retraite devraient peser négativement sur les activités du « care ». Une étude conduite par le ministère de la Jeunesse et des Sports quantifie le bénévolat à environ 1,4 million d’ETP (équivalent temps plein, soit l’équivalent à une activité exercée sur un temps plein), soit une activité de l’ordre de près de 20 milliards d’euros. Cette étude ne distingue pas les tranches d’âge. Toutefois, il n’est pas déraisonnable de considérer qu’une partie significative de ces heures de bénévolat soit assurée par de « jeunes retraités », c’est-à-dire ceux compris dans la fourchette des 62-67 ans. Cette réforme aurait donc un impact majeur sur la pérennité de cette activité bénévole. En conclusion de cette partie, la soutenabilité financière de notre système de retraite par répartition n’est donc pas remise en cause. La réforme proposée s’inscrit dans la droite ligne des précédentes réformes et poursuit ce travail de démantèlement de l’ensemble de notre système de protection sociale. Si cette loi était votée, elle aboutirait à une véritable rupture de notre modèle de retraite par répartition fondé sur la solidarité, dont les conséquences toucheraient principalement les plus défavorisés dans la mesure où seuls les ménages disposant des moyens d’épargner pourront dans ce système compenser la baisse prévisionnelle et effective de leurs retraites. Cette réforme, conduite au nom — dévoyé — de la justice sociale, aggraverait au contraire les inégalités sociales et ne serait pas plus efficace que les précédentes sur le taux d’emploi des seniors. Il est important de bien mettre en avant la « mécanique des fluides » induite par les différentes réformes portées par ce gouvernement. Cette nouvelle réforme, associée à celle de l’assurance chômage, aurait pour conséquence de maintenir en emploi les plus qualifiés et de faire basculer les autres dans le monde de la pauvreté et des minima sociaux, directement ou après un court passage en invalidité ou en congés maladie. Elle aurait pour principal effet d’encalminer les seniors sans emploi dans l’assistanat et la pauvreté.

III— Des recommandations pour un cadre de référence repensé en matière de financement des retraites, d’emploi des seniors et de droits à la retraite

Si le financement des retraites n’est pas un problème, l’amélioration de la retraite mérite de nouvelles propositions à nos yeux. Certaines viseront à agir en amont sur l’emploi des seniors. D’autres pistes s’inscriront dans un cadre repensé en matière de droits à la retraite et notamment celles fondées sur le transfert des droits, jusqu’à présent attachés à l’emploi, vers la personne[27]. 3.1 Des mesures financières incitatives en matière d’emploi des seniors et visant à un rééquilibrage de la répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et du travail Un collectif d’universitaires (le Clersé, centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques) a récemment évalué, en octobre dernier, le montant annuel des aides publiques versées aux entreprises à 157 milliards d’euros[28]. Si l’idée n’est pas de remettre en cause le principe d’un soutien aux entreprises, l’attribution de telles aides devrait être conditionnée au respect d’un cahier des charges définissant les engagements attendus en matière de lutte contre les emplois précaires et à bas coûts, mais aussi d’emploi des seniors. Sur ce dernier point, l’idée n’est pas de se contenter d’un « index senior » dont on comprend qu’il viendra alimenter une nouvelle rubrique du rapport social annuel, mais bien d’agir sur les politiques conduites par les entreprises dans ce domaine. Le respect de ce cahier des charges devrait donner lieu à des contrôles au même titre que les contrôles fiscaux et soumis à restitution des aides obtenues, le cas échéant. Ce cadre d’aides ainsi repensé pourrait s’accompagner d’un système de bonus-malus appliqué aux entreprises dont les pratiques observées en matière d’emplois précaires, souvent de très courtes durées, s’écarteraient de la norme commune. Un tel dispositif existe aujourd’hui, mais il ne concerne que les cotisations chômage et son périmètre est limité à quelques secteurs d’activité et aux seules entreprises dont le nombre de fins de contrats de travail (hors démissions) rapporté à l’effectif moyen, soit le « taux de séparation », est supérieur ou égal à 150 % ! Pour ces entreprises, un taux de cotisation additionnelle maximum de 1 % est alors appliqué. L’idée serait de concevoir un dispositif équivalent applicable à la retraite en le généralisant à l’ensemble des secteurs d’activité. Des aménagements seraient à prévoir pour les petites et moyennes entreprises. Ce système pourrait dans un premier temps s’appliquer aux seules entreprises de tailles intermédiaires (ETI) et grandes entreprises. Comme nous l’avons démontré, la soutenabilité financière de notre système de retraite est à ce jour assurée. Cette assertion n’amène pourtant pas à écarter la problématique de son financement, non pour des raisons de durabilité du système ou de risque de faillite, mais de justice sociale et pour mettre fin à cette baisse continue du taux de remplacement induite par les différentes réformes paramétriques opérées depuis le début des années 90. La structure de financement de notre système de retraite a profondément évolué. Si le financement est encore majoritairement assuré par les cotisations sociales versées par les employeurs et les salariés, ce qui n’est plus le cas pour les dépenses de santé, leur part a sensiblement diminué au cours des 20 dernières années. Elle est aujourd’hui en 2022 de 64,5 % contre 83 % en 2003[29]. Cette évolution rend bien compte de la tendance générale observée depuis les années 2000 en matière de prélèvements sociaux, dorénavant perçus comme une charge insupportable qui viendrait compromettre les chances des entreprises françaises dans la vaste compétition internationale. Dans l’objectif de réduire le coût du travail, une politique constante d’allègements et d’exonérations des cotisations sociales employeurs sur les bas salaires a été menée en privant ainsi les régimes de retraite d’autant de recettes nécessaires. Pourtant, les entreprises du CAC 40 affichent depuis plusieurs années des performances financières à la hausse. Si les versements de dividendes aux actionnaires peuvent répondre à des stratégies propres, ils constituent néanmoins un des indicateurs de mesure de la performance financière des entreprises. Près de 60 milliards de dividendes [30]ont été distribués aux actionnaires des entreprises du CAC40 au cours de l’année 2022, un record ! S’ajoutent à ce montant près de 24 milliards d’euros dépensés par les entreprises cotées en bourse pour maintenir la valorisation élevée des actions, condition d’une valeur patrimoniale augmentée pour les actionnaires. Selon la dernière étude annuelle de la société Allianz Global Investors, l’année 2023 devrait atteindre un nouveau record avec une distribution attendue de plus de 400 milliards de dividendes par les entreprises européennes[31]. Le principe d’un prélèvement exceptionnel sur le montant des dividendes versés comme source de recettes complémentaires des retraites est à étudier. Ce prélèvement s’appliquerait à compter d’un seuil à déterminer, selon un barème progressif comportant un taux plafonné à 30 %. Les sommes ainsi prélevées viendraient abonder un fonds spécifique de retraite. Sur la base d’un taux de prélèvement moyen de l’ordre de 15 %, cette mesure rapporterait un complément de recettes pour les différents régimes de retraite de l’ordre d’une dizaine de milliards. Ces recettes seraient réparties entre les différents régimes au prorata de leur nombre de cotisants et de bénéficiaires. Le dispositif intégrerait un mécanisme d’ajustement de l’assiette pour les entreprises investissant dans des projets à forte composante sociale ou environnementale. L’assiette de calcul de ce prélèvement serait réduite à due concurrence des investissements réalisés dans l’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles, associations, fondations, sociétés agréées ESUS dans des activités à forte utilité sociale ou environnementale telles qu’insertion dans l’emploi ou encore l’économie circulaire). Cette mesure incitative a vocation à promouvoir les démarches d’investissement responsable des grandes entreprises. Une réflexion plus structurante sur l’assiette des cotisations est à mener. Le choix de la masse salariale comme assiette est une forte incitation à la mise en œuvre de politiques de bas salaires exonérés de charges et d’externalisation de l’emploi[32]. De plus, continuera-t-elle à être une référence pertinente dans un contexte de transformation profonde du marché du travail induite par le développement de l’automatisation et de la numérisation [33]? L’objet de cette note n’est toutefois pas de traiter du futur du salariat, de sa fin ou de son évolution, mais bien de rechercher une meilleure répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et le travail. Dans ce contexte, un dispositif fondé sur une cotisation retraite appliquée non plus sur la seule masse salariale, mais sur l’intégralité de la valeur ajoutée peut être envisagé (32). 3.2 Le revenu d’engagement senior : une réponse non marchande fondée sur le pari de l’engagement des seniors pour des activités à forte utilité sociale La proposition d’un revenu d’engagement senior est née d’un double constat. Le constat d’abord du niveau structurellement faible du taux d’emploi des seniors en France, procédant en grande partie de situations d’inactivité subies. En effet, selon la Drees, en 2015 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans ne perçoivent ni revenu d’activité ni pension de retraite en France[34]. Le constat ensuite qu’un certain nombre de besoins, liés au lien social, à l’insertion professionnelle, au bien-être, dont l’utilité sociale pour la collectivité est avérée, sont insuffisamment pris en charge par le marché du travail dans notre société. Ces carences tiennent au fait que la valorisation économique de ces activités n’est pas à la hauteur de leur contribution réelle à la société. Les métiers du grand âge offrent à cet égard un exemple saisissant : 17,5 % des intervenants à domicile vivent sous le seuil de pauvreté (rapport El Khomri de 2019) alors même que les besoins liés au vieillissement de la population sont considérables (1,5 million de personnes en perte d’autonomie en 2025). L’activité exercée par des bénévoles, notamment dans le cadre associatif, dont une partie par de jeunes retraités, est, tel que nous l’avons rappelé ci-dessus, de l’ordre de 20 milliards d’euros. L’idée du revenu d’engagement senior nécessite de renouveler profondément le cadre de réflexion qui prévaut habituellement sur les questions d’emploi[35]. Appréhendé uniquement dans une conception « marchande », le temps du travail est opposé au temps d’inactivité et interdit de penser le développement d’une « sphère autonome » du travail qui échappe aux règles du marché[36]. Ce revenu d’engagement considère, la valeur d’utilité sociale, et non plus la seule valeur marchande du travail. Ce revenu d’engagement ne récompense pas de la carrière réalisée par les personnes seniors, mais tire sa légitimité de l’exercice par ces dernières d’une activité d’utilité sociale. Ce revenu d’engagement senior poursuit donc un double objectif. Garantir d’une part un revenu minimum, stable, pour les publics seniors en situation d’inactivité subie en contrepartie d’une activité régulière. Permettre d’autre part à toutes les personnes seniors volontaires de s’engager dans une nouvelle vie active en exerçant une activité reconnue d’utilité sociale et contribuer ainsi à mieux prendre en charge les besoins de la collectivité. Ce « revenu d’engagement senior » constituerait un outil de sécurisation des parcours professionnels des seniors. Il serait créateur de droits sociaux. Il permettrait notamment aux seniors de valider leurs semestres de cotisation retraite. Il ne s’agirait pas d’une simple allocation, mais bien d’un revenu dont le bénéfice serait conditionné à l’exercice d’une activité d’utilité sociale. En ce sens, le « revenu d’engagement senior » ne constituerait pas seulement une garantie de revenu pour les publics seniors en situation de précarité, mais également un droit à choisir l’exercice de son activité de fin de vie professionnelle. Un droit à une seconde vie professionnelle structurée autour d’un projet personnel engageant à forte utilité pour la société serait ainsi pleinement reconnu. Ce droit permettrait de capitaliser et de valoriser l’expérience et les savoir-faire acquis par les seniors au cours de leur vie professionnelle au profit de projets à forte utilité sociale. Cette proposition formule une réponse non marchande aux besoins sociaux prioritaires et considère d’abord l’utilité sociale des activités. Il fait le pari de l’engagement citoyen des publics seniors. Avec l’appui de ce revenu d’engagement, des seniors pourraient par exemple décider de consacrer du temps à l’aide à leurs parents en situation de dépendance ou encore à l’accompagnement socioprofessionnel de jeunes sortis du système éducatif, les « décrocheurs ». Comment se déclinerait concrètement cette proposition de revenu d’engagement senior ? Sur le marché du travail, les personnes ayant entre 55 et 62 ans sont considérées comme des seniors. Si nous posons comme principe qu’une personne entame ou aborde la dernière étape de sa carrière professionnelle à compter de 50 ans, les chances de retrouver un emploi se réduisent considérablement pour elles. En conséquence, nous proposons que ce dispositif soit ouvert aux personnes âgées de 55 ans et plus en situation d’inactivité. Nous souhaitons que le revenu d’engagement senior soit un droit universel en ce sens où il serait ouvert à tous les publics seniors sans condition de revenu. Ce revenu d’engagement prendrait la forme d’un contrat qui lierait la personne senior à la puissance publique. L’expérimentation et la gestion de ce dispositif seraient confiées à une entité dont la gouvernance serait assurée par différentes parties prenantes (État, collectivités territoriales, organismes sociaux, secteur associatif notamment). Véritable guichet unique pour les seniors souhaitant bénéficier du « revenu d’engagement senior », cette structure regrouperait des collectivités locales, le service public de l’emploi, des acteurs associatifs, des citoyens, voire des entreprises. Cette entité aurait la responsabilité d’instruire le projet, d’apprécier son contenu et de fixer la durée de la mission. Le processus d’instruction aurait pour objectif de veiller à ce que l’activité proposée réponde bien à un besoin réel identifié au niveau local et n’entre pas en concurrence avec des activités relevant de la sphère marchande. Dans cette perspective, nous pensons que seules les structures associatives et coopératives pourraient être éligibles à ce dispositif de contrat d’engagement senior. Cette restriction est aussi le moyen d’éviter de créer une trappe à bas salaire au profit de la sphère marchande. Une liste de secteurs prioritaires pourrait être établie. Nous pensons qu’elle devrait cibler en priorité les activités liées à la reconstruction écologique et au renforcement du lien social. Cette structure aurait vocation à proposer à la personne senior un accompagnement personnalisé voire à l’aider à définir son projet d’engagement. Elle exercerait aussi un suivi régulier pour s’assurer de la réalité du projet dans la durée et son contenu. Cet accompagnement socioprofessionnel comprendrait a minima un entretien annuel avec le bénéficiaire. L’entité gestionnaire pourrait le cas échéant proposer des temps de formation à condition qu’ils s’inscrivent dans la mission des seniors bénéficiaires. Le contrat d’engagement doit-il prévoir un nombre d’heures plancher ? Nous sommes favorables à un dispositif présentant une certaine souplesse en la matière. Plusieurs seuils pourraient être proposés, auxquels correspondrait un niveau de revenu. Ce « revenu d’engagement senior » constitue un revenu minimum socle qui pourrait être complété par d’autres revenus d’activités à temps partiel des publics seniors. Nous proposons de fixer le plafond de ce revenu d’engagement senior à hauteur du SMIC. Se pose alors la question légitime du coût de cette mesure et de son financement. La réponse est un élément majeur de sa faisabilité et de son acceptabilité. La tranche d’âge des 55-59 ans comprend selon l’INSEE près de 4,5 millions de personnes et celle des 60-62 ans environ la moitié. Selon la Dares il y aurait 56 % des seniors en emploi en 2021, dont 35,5 % pour les seniors de la tranche d’âge 60-64 ans. En retenant comme hypothèse que le dispositif s’adresse aux personnes qui ne sont pas en emploi, la population potentielle concernée par notre proposition s’élèverait à environ 3,5 millions de personnes. En prenant comme autre hypothèse, un taux de recours à ce dispositif d’environ 50 %, le nombre de bénéficiaires serait de l’ordre de 1,7 million de personnes. Sur la base d’un revenu d’engagement senior à 1353 euros net par mois, le coût annuel de cette mesure serait de 28 milliards d’euros duquel il faudrait défalquer le montant des dépenses dites passives évitées comme les allocations chômage par exemple ou d’autres aides obtenues comme le RSA de l’ordre de 600 euros par mois pour une personne seule. D’autres économies induites par les externalités positives de cette mesure sont aussi à prendre en considération, mais plus difficiles à valoriser. Parmi ces économies, citons la baisse des dépenses de santé consécutives à l’amélioration de la santé physique et psychique des personnes sorties de cette impasse professionnelle. Le coût net de cette mesure peut être estimé à une douzaine de milliards d’euros. Enfin se pose la question de l’éventuel effet de substitution avec des emplois jeunes exercés dans le cadre d’associations et de coopératives. Plusieurs éléments de cette mesure sont susceptibles de limiter ce risque. Cette mesure cible à ce stade des activités à forte utilité sociale assurées aujourd’hui par des bénévoles. Ensuite, la gouvernance de l’entité locale en charge de l’instruction et de la validation des projets à forte utilité sociale serait assurée par Pôle Emploi, le conseil général, des représentants d’entreprises locales, des associations d’insertion professionnelles. Elle disposerait ainsi d’une vue globale du marché de l’emploi. Il lui appartiendrait de veiller dans la pratique à cette absence de concurrence avec un futur emploi jeune. Enfin nous proposons une phase d’expérimentation à l’issue de laquelle une évaluation serait faite notamment dans cette perspective. 3.3 De nouvelles règles de gestion permettant de neutraliser les périodes d’inactivité subies dans le calcul des droits à la retraite et de sortir du « piège de la carrière » Une réforme du système de retraite ne peut être découplée d’une réflexion sur l’évolution du marché de l’emploi, les systèmes de retraite actuels ayant été pensés dans un contexte de « plein emploi » et de trajectoires professionnelles stables, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui avec le développement d’un marché intermédiaire de l’emploi précaire et à bas coût. Le principe d’un droit attaché à la personne et non plus à l’emploi, appliqué au domaine de la retraite, permet ainsi d’échapper à ce que nous pourrions appeler le « piège de la carrière » et en particulier de la carrière à taux plein, celui qui soumet le calcul de la pension aux aléas de la carrière, celui qui en réalité réplique au niveau de la pension les inégalités dans l’emploi. Il aurait pour conséquence de dissocier le calcul de la pension de la carrière effective du salarié et ainsi de réduire ou de neutraliser en partie l’impact des ruptures, interruptions et aléas subis par la personne au cours de sa vie professionnelle sur le montant de la pension perçue. Cette réflexion se fonde sur le postulat, à contrecourant des idées reçues et largement reprises dans les discours politiques, que l’immense majorité des salariés ne maîtrise pas leur parcours professionnel et que les périodes de chômage, les emplois précaires et à bas coûts que le durcissement des règles d’indemnisation ne permet pas de refuser, sont en réalité subis. Dans ce contexte, les conditions d’obtention d’une pension à taux plein sont rarement réunies en particulier pour les personnes peu qualifiées. Nous pensons qu’il est temps d’engager une réflexion de fond sur les évolutions à apporter au système de retraite actuel. Le cadre nous paraît devoir être repensé dans cette logique de droit attaché à la personne et non à l’emploi et donc à la carrière effectuée. En attendant et à court terme, pour les personnes durablement installées dans ce marché intermédiaire de l’emploi précaire à bas coût, des règles de gestion spécifiques devraient être définies en matière de reconstitution de carrières pour le calcul des droits à pension. Ces règles permettraient au moment de la demande de liquidation des droits à la retraite de neutraliser une partie des aléas de carrières subis. Cela reviendrait à reconstituer une sorte de carrière « fictive » pour le calcul de la pension. Les paramètres de cette réforme seront déterminés ultérieurement et notamment ceux relatifs à la qualification des périodes lacunaires à neutraliser, le plafond de trimestres additionnels acquis… 3.4 Une revalorisation du plafond de l’ASPA à 1400 euros et la suppression de la clause de récupération après décès  La mesure de la pauvreté s’effectue le plus souvent à partir de critères financiers qui permettent d’appréhender ce qu’il est d’usage d’appeler la pauvreté monétaire. L’Observatoire des inégalités fixe le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian. Sur cette base, il y aurait 5,3 millions de pauvres en France selon le rapport 2022 de ce même organisme. Ce dernier souligne que « la conséquence de la pauvreté c’est aussi l’exclusion par rapport à certaines normes de consommation ». Dans cette perspective d’autres critères ont été proposés, fondés sur le concept de la « pauvreté en condition de vie ». De son côté, l’observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPS) a développé une approche sensiblement différente visant à définir un budget minimum calculé à partir de la valeur des biens et services minimaux pour « participer effectivement à la vie sociale ». Ce budget a été évalué à 1 400 euros pour une personne seule. Le plafond de l’allocation de solidarité aux personnes âgées attribuée aux retraités de 65 ans aux revenus modestes s’établit en 2023 à 961 euros pour une personne seule à l’ASPA (ex-minimum vieillesse). Nous proposons une réévaluation de ce plafond pour le porter à 1 400 euros pour une personne. En outre, en l’état du droit, les montants versés peuvent être récupérés après le décès du bénéficiaire dans le cas d’une succession supérieure à 39 000 euros. Nous proposons d’abroger la disposition relative à la récupération d’une partie des sommes versées. (article L. 815-13 du code de la sécurité sociale.) Au terme de notre argumentaire, nous pouvons répondre à la problématique posée dans la note : les réformes passées et en cours poursuivent-elles un objectif de progrès social et de justice sociale ou relèvent-elles d’un travail de déconstruction et de démantèlement continu de notre système de retraite ? La chute constatée et à venir du taux de remplacement qui ne devrait plus s’établir qu’à 53 % pour la génération née en 2000[37], c’est-à-dire nos enfants ou nos petits-enfants, les « économies » réalisées sur le montant des retraites versées de près de 50 milliards en 2019, dernière année de référence de la période étudiée[38], l’inefficacité attestée des mesures d’allongement de la durée de cotisations et du recul de l’âge légal de départ à la retraite en matière d’emploi des seniors, « la mécanique des fluides » induite par les différentes réformes conjuguées à celle de l’assurance chômage, qui se traduit par le basculement des seniors peu qualifiés dans le monde de la pauvreté et des minima sociaux, apportent la démonstration que ces réformes n’ont que très peu à voir avec le progrès social et la justice sociale. Le risque de faillite du système, mis en avant par les promoteurs des réformes, est un leurre au sens littéral du terme. Ces réformes n’ont rien de technique, elles sont politiques ! Elles ne poursuivent qu’un seul objectif : la baisse des dépenses de protection sociale pour « financer » la baisse des prélèvements sociaux, celle des impôts de production, la suppression de l’ISF, la flat tax, les exonérations de cotisations sociales, la sauvegarde des niches fiscales… Elles s’inscrivent dans la droite ligne des recommandations de l’Union européenne en la matière. À l’instar des autres réformes de structure, elles reportent sur les individus le financement de leur couverture sociale, les complémentaires santé pour les dépenses maladie, la capitalisation ; les fonds de pension pour les retraites et, laissent aux plus démunis les minimas sociaux avec comme avenir l’assistanat. Elles conduisent finalement à la rupture de notre modèle de retraite par répartition. Nous pensons que la réforme de notre système de retraite ne peut être découplée de celle du marché du travail. Le système a été conçu dans une logique de plein emploi. Aujourd’hui, les trajectoires professionnelles rectilignes sont le privilège des personnes qualifiées et de quelques « happy few ». La notion de carrière complète a de moins en moins de sens. Le système de retraite en l’état reproduit les inégalités du marché du travail et notamment celui du travail précaire à bas coût en fort développement et qui concerne plus de 8 millions de personnes. La révision de notre modèle de retraite par répartition doit aussi être pensée dans une logique de meilleure redistribution des richesses. Nos propositions n’apportent pas une réponse d’ensemble, mais ébauchent quelques pistes à suivre. En synthèse, quatre recommandations à considérer comme autant éléments constitutifs d’un nouveau cadre de référence de notre système de retraite. Résumé des recommandations : Recommandation 1 : Des mesures financières incitatives en matière d’emploi des seniors visant à un rééquilibrage de la répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et du travail :
  • Aides publiques dont l’attribution est conditionnée au respect d’un cahier des charges définissant les engagements attendus en termes de lutte contre les emplois précaires et à bas coûts, mais aussi d’emploi des seniors.
  • Un dispositif de bonus-malus renforcé appliqué aux entreprises dont les pratiques observées en matière d’emplois précaires, souvent de très courtes durées, s’écarteraient de la norme commune.
  • Le principe d’un prélèvement exceptionnel sur le montant des dividendes versés comme source de recettes complémentaires des retraites est à étudier. Ce prélèvement s’appliquerait à compter d’un seuil à déterminer, selon un barème progressif comportant un taux plafonné à 30 %. Les sommes ainsi prélevées viendraient abonder un fonds spécifique de retraite. Les recettes seraient affectées aux différents régimes de retraite au prorata de leurs cotisants et bénéficiaires. Le dispositif prévoirait un mécanisme d’ajustement de l’assiette pour les entreprises investissant dans des projets à forte composante sociale ou environnementale. L’assiette serait réduite à due concurrence des investissements consacrés à des projets en lien avec la reconstruction écologique, l’emploi des seniors, l’intégration des jeunes dans l’emploi.
  • Des cotisations retraite calculées sur une assiette élargie à savoir la valeur ajoutée et non plus la seule masse salariale.
Recommandation 2 : Le revenu d’engagement senior : une réponse non marchande fondée sur le pari de l’engagement des seniors pour des activités à forte utilité sociale : ce dispositif serait ouvert aux personnes de 55 ans et plus en situation de précarité. Il donne le droit à une seconde vie professionnelle structurée autour d’un projet personnel engageant et à forte utilité pour la société. Le plafond de ce revenu serait fixé à la hauteur du SMIC net. Le coût net de la mesure peut être estimé à une douzaine de milliards d’euros. Recommandation 3 : De nouvelles règles de gestion permettant de neutraliser les périodes d’inactivité subies dans le calcul des droits à la retraite et de sortir du « piège de la carrière » Ces règles permettraient au moment de la demande de liquidation des droits à la retraite de neutraliser une partie des aléas de carrières subis. Cela reviendrait à reconstituer une sorte de carrière « fictive » pour le calcul de la pension. Ces règles s’appliqueraient pour les personnes durablement installées dans ce marché intermédiaire de l’emploi précaire à bas coût. Recommandation 4 : Une revalorisation du plafond de l’ASPA à 1 400 euros et la suppression de la clause de récupération après décès : ce montant correspond au montant estimé par l’ONPS de la valeur des biens et services minimaux pour « participer effectivement à la vie sociale ». [1] Pierre-Yves Cusset, Hippolyte d’Albis, Julien Navaux, Jacques Pelletant, Note d’analyse, France stratégie, n° 103, décembre 2021 [2] Aurélie Blondel, « Retraite : les femmes touchent toujours 40 % de moins que les hommes », Le Monde, Publié le 03 juin 2021 [3] Statistiques CNAV liquidation année 2021 [4] Nicolas Castel, Bernard Friot, retraites : généraliser le droit au salaire, 2022 (Page 24) [5] Chiffre 2022 INSEE [6] Chiffre 2022 INSEE [7] « Espérance de vie en 2021. Comparaisons régionales et départementales », Insee, 2022 [8] « Réforme des retraites: avec 22000 manifestants selon la CGT, «un summum historique atteint» à Amiens », Courrier Picard, 2023 [9] Bruno Palier, Réformer les retraites, Les Presses de SciencesPo, 2021 pages 16. [10] Loi n° 93-936 du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale. [11] Loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites [12] Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites [13] La loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 portant réforme des retraites [14] Bruno Palier, Réformer les retraites, Les presses de Sciences Po, année 2021 [15] Pierre-Yves Cusset, Hippolyte d’Albis, Julien Navaux, Jacques Pelletant, Note d’analyse N° 103 de décembre 2021 France stratégie [16] Antoine Bozio, « la réforme des retraites de 1993 : l’impact de l’augmentation de la durée d’assurance » Économie et Statistique, 2011 repris par Hippolyte d’Albis les seniors dans l’emploi, Les presses de SciencesPo, 2022, pages 82-83 [17] Simon Rabaté et Julie Rochut « Employment and Substitution Effect of Raising The Statutory Retirement Âge in France », Journal of Pension Economics and Finance, n° 19, 2020 repris de Hippolyte d’Albis, Les seniors et l’emploi, Les presses de SciencesPo, 2022, pages 83 [18] Christian Geppert, Yvan Guillemette, Hermes Morgavi, David Turner « Labour Supply of Older People In Advanced Economies : The Impact of Changes To Statutory Retirement Ages » OECD Economics Department Working Papers 1554, 2019 repris de Hippolyte d’Albis, , Les seniors et l’emploi, Les presses de SciencesPo, 2022, page 46. [19] Commission européenne, livre blanc sur les retraites, 2012 [20] Bruno Palier, Réformer les retraites, Les presses de SciencesPo, 2021, pages 60 [21] « Femmes et hommes, l’égalité en question », Édition 2022, Insee, Publié le 03/03/2022 [22] « Rapport annuel du COR septembre 2022 – Evolutions et perspectives des retraites en France », COR, Publié le 15 septembre 2022 [23] Philippe Laffon, « Vers un système universel de retraite », France Stratégie, Publié le 16 octobre 2018 [24] Source INSEE chiffre 2019 [25] Tableaux de l’économie française de l’INSEE édition 2020 [26] Olivier Mériaux, « Le jeu de dupes de l’âge doit cesser pour cette réforme des retraites », Le Monde, 25 janvier 2023 [27] Robert Castel, L’insécurité sociale, La république des idées, Seuil, 2003 [28] Aïmane Abdelsalam al., « Un capitalisme sous perfusion. Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises », IRES, octobre 2022 [29] « Comment le système de retraites est-il financé ? », Vie publique, Modifié le 28 novembre 2022 [30] « Les actionnaires du CAC 40 ont bénéficié de 80 milliards d’euros en dividendes et rachats d’actions en 2022, un record », La Tribune, 08 Jan 2023 [31] Isabelle Chaperon, « Versement de dividendes : un nouveau record en vue en 2023 », Le monde, 27 janvier 2023 [32] Nicolas Castel, Bernard Friot, Retraites : généraliser le droit au salaire, Les cahiers du salariat, 2022 [33] Daniel Susskind, Un monde sans travail, Flammarion 2023 [34] Aurélien D’Isanto, Jérôme Hananel, Yoann Musiedlak, « Un tiers des seniors sans emploi ni retraite vivent en dessous du seuil de pauvreté », Études et résultats, Drees, n° 1079, 2018 [35] Un travail a été mené sur le lien salaire/travail : https://lbapres.godf.org/pour-un-revenu-universel-inconditionnel/ [36] Philippe Van Parijs, Yannick Vanderborght, Le revenu de base inconditionnel une proposition radicale, La découverte [37] Bruno Palier, Réformer les retraites, Les presses de SciencesPo, 2021 [38] Pierre-Yves Cusset, Hippolyte d’Albis, Julien Navaux, Jacques Pelletant, Note d’analyse, France stratégie, n° 103, décembre 2021.

Publié le 16 février 2023

Retraites : une réforme radicalement solidaire et écologique est possible

Auteurs

Philippe Moutenet
Ancien associé d'un cabinet d'audit et de conseil. Philippe Moutenet dirige les études autour des affaires sociales à l'institut.

Charles Adrianssens
Diplômé de Sciences Po Paris et co-fondateur du média Une idée pour espérer.

Jean-Yves Neveu
Entrepreneur

Paul Montjotin
Diplômé de Sciences Po, Paul est enseignant en questions sociales et travaille dans le secteur de la formation et l’emploi.

Le Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, entend conduire une nouvelle réforme des retraites au plus vite et sans idée de compromis, ce dernier considérant qu’il dispose d’un mandat implicite des Français pour le faire au travers de sa réélection. Selon le Président de la République, la pérennité de notre système de retraites par répartition serait en jeu.
Le 6 février 2023, le débat sur le projet de réforme des retraites du gouvernement démarre à l’Assemblée nationale sur fond de forte mobilisation syndicale. La veille de l’ouverture des débats, la Première ministre a annoncé quelques concessions. La principale d’entre elles porte sur l’extension du dispositif applicable aux carrières longues. Une mesure relative à l’index senior (publication par des entreprises du nombre de salariés de plus de 55 ans – et en aucun cas obligation d’embauche -) serait maintenant assortie d’une sanction financière, mais pour défaut de publication de l’index. Le reste ne serait pas négociable. Pourtant, une autre réforme des retraites, radicalement solidaire et écologique, est possible. C’est dans de cette ambition que s’inscrivent cette note et les différentes propositions que celle-ci formule.
Après une courte présentation des chiffres clés en matière de retraite nécessaires pour disposer d’une vue d’ensemble, la première partie sera consacrée à une analyse critique des réformes paramétriques qui se sont succédé de 1993 à 2013, de leurs sous-jacents politiques et de leurs impacts en particulier sur l’évolution du taux de remplacement des pensions (rapport entre la pension de retraite calculée au moment de la liquidation des droits et le dernier revenu d’activité perçu). Sous l’effet conjugué des différentes réformes paramétriques menées depuis le début des années 1990, il connaît une baisse continue. Il a perdu 10 points sur la période pour s’établir à 74% aujourd’hui. Pour la génération née en 2000, il serait de 53% ! Nous verrons aussi que les mesures d’allongement de la durée de cotisation et de recul de l’âge légal de départ à la retraite sont relativement inefficaces sur le taux d’emploi des seniors et plus particulièrement des personnes peu qualifiées souvent réduites à l’inactivité et à devoir dépendre des minima sociaux.
La seconde partie s’intéressera au projet de réforme en cours et à ses conséquences. À l’appui des principales conclusions du dernier rapport du Comité d’orientation des retraites de septembre 2022, il sera démontré que, contrairement aux discours tenus par les promoteurs de la réforme en cours, la soutenabilité financière à long terme de notre système de retraite n’est pas remise en cause et que le risque de faillite n’est pas avéré. Nous verrons que cette réforme s’inscrit dans la logique des précédentes réformes, propose les mêmes mesures éculées et inégalitaires, remet en cause le principe même d’un système de retraite par répartition et vise en réalité le développement d’un système par capitalisation, fondé quant à lui sur l’épargne retraite, régi par les règles du marché et imposé par l’Union européenne. Elle entraînerait à terme une rupture de notre modèle de retraite par répartition.
Dans une dernière séquence, plusieurs pistes de recommandations seront proposées. Elles s’inscrivent dans un cadre repensé en termes d’emploi des seniors et de droits à la retraite. Un « revenu d’engagement senior » offrirait une possibilité de seconde vie professionnelle aux seniors en contrepartie d’un projet à forte utilité sociale notamment dans les domaines de la reconstruction écologique et du « care » (aide à la personne et aux besoins élémentaires du quotidien). Il serait une réponse non marchande à la problématique de l’emploi des seniors. Une autre proposition est fondée sur la reconnaissance d’un droit à la retraite attaché à la personne et non plus à la carrière professionnelle.
Enfin, des mesures de financement de notre système sont étudiées, non pour garantir la pérennité de notre système qui n’est pas en cause, mais pour des objectifs de justice sociale et en particulier pour mettre fin à cette baisse continue du taux de remplacement. Un dispositif fondé sur une cotisation retraite appliquée non plus sur la seule masse salariale mais sur l’intégralité de la valeur ajoutée est envisagé. Il assurerait une meilleure répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et du travail. Un prélèvement exceptionnel sur le montant des dividendes versés est proposé. Il viendrait abonder un fonds spécifique retraite.

I- Une succession de réformes porteuses de plus d’inégalités

Il est d’abord essentiel de rappeler les principales données chiffrées en matière de dépenses et de financement de notre système de retraite ainsi que les principales données « d’environnement » comme le taux d’emploi des seniors, les espérances de vie. Nous présenterons ensuite une rétrospective des réformes paramétriques engagées depuis les années 1980, décennie pivot marquant un véritable tournant en matière de dépenses sociales. Nous mettrons enfin en lumière les principales conséquences de ces réformes en particulier sur le montant des dépenses de retraite et sur l’évolution du taux de remplacement.
1.1 Les dépenses de retraites représentent 14 % du PIB avec un poids des régimes à prestations définies encore prédominant
La part dans le PIB français des dépenses de protection sociale a sensiblement augmenté au cours des 60 dernières années. Elle était de 15% en 1960 pour atteindre en 2019 un peu plus de 30% du PIB. Cette proportion est relativement stable depuis les années 2010. Si les années 2020 et 2021 rendent compte d’une augmentation sensible de ces dépenses qui atteignent 33% du PIB, c’est en raison de dépenses exceptionnelles engagées dans le cadre de la crise du COVID. Les comptes de l’année 2020 enregistrent en particulier une charge exceptionnelle de 46 milliards, dont 27 au titre des seules mesures de chômage partiel. Ceux de 2021 sont encore impactés par les dépenses engagées au titre de la vaccination et des campagnes de dépistage.
Les deux principaux « risques » couverts par ces dépenses de protection sociale sont, sans surprise, la vieillesse et la maladie à hauteur respectivement de 14% et de 11,3% de ce même PIB[1]. La France compte plus de 16 millions de retraités auxquels 330 milliards d’euros de pensions par an sont versés, ce chiffre incluant les retraites de base et les complémentaires. La pension moyenne est de l’ordre de 1500 euros brut avec encore un différentiel de l’ordre de 40% entre les femmes et les hommes[2]. Un tiers des retraités reçoit une pension inférieure ou égale à 1000 euros. L’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) est de 916 euros pour une personne seule. Le niveau de vie moyen des retraités reste légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population, mais, contrairement à une idée reçue, inférieur à celui des actifs. L’âge moyen de départ à la retraite est de 62,9 ans en France[3].
Notre système de retraite par répartition intègre deux modèles. Les pensions de base répondent à la logique de prestations définies alors que les complémentaires servies aux salariés du privé par l’Agirc/Arcco à celle de cotisations définies, fondées sur le principe de points acquis. Dans le premier cas, la pension est proportionnelle à un salaire de référence. Dans le second cas, la pension dépend du nombre de points acquis et surtout de la valeur effective du « point » qui n’est connue qu’au moment de la liquidation des droits. S’il existe encore de nombreux régimes de retraite dits spéciaux, une quinzaine environ, objets de nombreuses critiques, il faut pourtant savoir que leur poids dans les dépenses de retraite est peu significatif, notamment celui des régimes rattachés à des entreprises et des établissements publics ou dits professionnels (un peu plus de 5%[4]).
Le financement des dépenses est principalement assuré par les cotisations versées par les employeurs et les salariés à hauteur de 64,5 % (cotisations sociales), de 12,4% par le fond de solidarité vieillesse (FSV) au titre de l’équilibre de certains régimes, de 11,4% par l’impôt (CSG) et les taxes affectées et le reste par différents transferts et produits divers.
L’espérance de vie à la naissance est de 79,3 ans pour les hommes et de 85,2 ans pour les femmes[5] en 2022. À l’âge de 60 ans, elle est de 23 ans pour les hommes et de 27,5 ans pour les femmes[6]. Des disparités régionales existent. Elles invitent à une lecture territoriale de la contestation de la réforme sur laquelle les syndicats, CFDT en tête, insistent largement. Et en effet, la réforme aura des effets différents en fonction des territoires, de leurs caractéristiques économiques et démographiques. De fait, les disparités d’espérance de vie d’un département à l’autre apportent un éclairage sur la géographie des manifestations et le sentiment d’injustice. Dans la région des Hauts de France, l’espérance de vie d’un homme à la naissance en 2021 selon l’INSEE[7] est de 76,2 ans dans l’Aisne contre 82,1 ans dans les Hauts-de-Seine contre 78,2 ans en Seine-Saint-Denis ou dans le Territoire de Belfort. La différence est encore plus grande outre-mer, puisque l’espérance de vie est inférieure à 73 ans en Guadeloupe, en Guyane ou à Mayotte. Au global, c’est un véritable « manque à vivre » pour des pans entiers du territoire français avec de très fortes disparités qui produit des mobilisations parfois massives rapportées à l’échelle de ces territoires, comme cela a pu être remarqué par la presse régionale picarde à Péronne (7 600 hab.) ou Amiens.[8]
1.2 Une succession de réformes globalement inefficaces du point de vue du taux d’emploi des seniors avec comme conséquence une baisse continue du taux de remplacement des pensions
Dans un contexte de croissance économique quasi continue, les différentes politiques conduites jusque dans les années 1980 ont visé l’extension de la couverture sociale. Au cas d’espèce de la retraite, l’objectif au départ était de lutter contre la pauvreté de la population des retraités en augmentation continue du fait de l’allongement sensible de l’espérance de vie sur la période. À ce titre, le minimum vieillesse a été créé en 1956. Dans un second temps, l’ambition était « d’améliorer et de compléter » les systèmes de retraite, d’assurer aux retraités un revenu de remplacement déterminé à partir d’un salaire de référence proche de leur dernier revenu et de leur garantir ainsi le maintien de leur niveau de vie. L’écart de revenus entre les actifs et les retraités s’est progressivement réduit[9].
À la fin des années 80, marquées par le tournant néolibéral, la priorité change au profit de la « gestion » de la crise financière et la réduction des déficits sociaux. Comme le rappelle le chercheur Bruno Palier dans Réformer les retraites, paru en 2021, « le marché intérieur et la monnaie unique ont joué un rôle important dans le cadrage des réformes des systèmes de retraite. Ils en ont imposé le calendrier et les orientations générales : contenir voire réduire l’augmentation des dépenses publiques de retraite et non plus augmenter les cotisations ». « L’idée était aussi de rassurer les marchés financiers et les agences de notation ». Depuis la décennie 1990, la France est engagée dans un processus quasi continu de réformes paramétriques dont les impacts sur le niveau des pensions servies sont très largement sous-estimés, voire méconnus par le grand public. La multiplication des réformes imposée aux Français constitue d’ailleurs un sujet en tant que tel quand on sait combien le système de « retraite organise vraiment notre vie de salariés et agit sur les comportements ». C’est une ligne d’arrivée qui ne cesse de reculer ou pour reprendre l’expression de Michaël Zemmour « un horizon qui bouge sans arrêt ».
L’objectif n’est pas de présenter dans le détail le contenu des différentes réformes qui se sont succédé, mais d’en faire ressortir la logique d’ensemble et leur ambition commune : la baisse du taux de remplacement des pensions servies par le système de répartition et le développement de la capitalisation. La réforme Balladur de 1993[10] est particulièrement significative à ce titre. Elle allonge la durée de cotisation pour le secteur privé de 10 trimestres pour la porter à 40 annuités, retient comme base du calcul du salaire dit de référence 25 années contre les 10 meilleures auparavant et enfin indexe la revalorisation des pensions sur la base du taux d’inflation, plus faible, et non plus du taux d’augmentation des salaires.
La réforme de Fillon de 2003[11] aligne la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé, pour la porter ensuite à 41 annuités et revoit le système de surcote/décote applicable. Sont aussi créés de nouveaux produits d’épargne retraite comme le Plan d’épargne retraite collective (PERCO) ou individuel, le plan d’épargne retraite populaire (PERP).
La réforme de 2010[12], conduite sous la présidence de Nicolas Sarkozy, prévoit deux « mesures d’âge » à savoir le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans et celui permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein de 65 ans à 67 ans. Enfin, la réforme des retraites de 2013-2014 portée par Marisol Touraine fixe la durée de cotisation à 43 annuités[13].
Sous l’effet conjugué de ces différentes réformes, le taux moyen de remplacement des pensions est passé de 84% à 74%. Les prévisions montrent que, pour la génération 2000, le taux de remplacement diminuerait fortement pour s’établir dans une fourchette comprise entre 53% et 63%[14]. Seules les personnes disposant d’une épargne pourront investir dans l’immobilier ou dans des fonds de pension pour compenser la baisse des pensions. En poussant les particuliers à faire des placements financiers pour leurs retraites, la réforme accroît les inégalités de revenu, puisque ce type de placement suppose une capacité d’épargne importante en volume et dans la durée. On notera également les effets délétères de ces fonds pour le climat. Comme l’a démontré récemment l’ONG Reclaim Change, « les gérants de l’épargne retraite et salariale investissent à rebours des injonctions climatiques de long terme », car leur rémunération repose très souvent sur des financements de projets très consommateurs d’énergie fossile.
Plusieurs études d’impact méritent d’être mentionnées. Leurs résultats nous éclairent sur les conséquences réelles des différentes réformes paramétriques opérées depuis les années 90, en particulier des mesures d’allongement de la durée de cotisations et/ou du recul de l’âge légal de la retraite.
La première, reprise dans une note d’analyse de France Stratégie de décembre 2021, évalue l’écart entre la progression « spontanée » des dépenses, celle qui aurait été observée en l’absence de toute réforme paramétrique, et le montant de ces mêmes dépenses tel que constaté sur la période allant de 2011 à 2019. Le « freinage » des dépenses est estimé à 47 milliards d’euros au titre de la dernière année de la période étudiée soit à fin 2019, chiffre d’autant plus considérable au regard de l’évolution démographique sur la période considérée[15].
Une autre [16]réalisée en 2011 visait à mesurer les impacts de l’allongement de la durée de cotisation sur la date effective de départ à la retraite. Si elle constate un effet de report de plusieurs mois chez les personnes en emploi, elle conclut en revanche à un effet « marginal » chez les personnes au chômage ou en inactivité.
Enfin une étude portant cette fois sur les effets du recul de l’âge légal de départ à la retraite fait état, en proportion de la baisse du nombre de retraités, d’une moindre augmentation de « l’emploi aux âges concernés », que « des personnes au chômage, en invalidité, en congés maladie ou inactivité »[17]. En d’autres termes, le report de l’âge légal se traduit par plus de personnes au chômage, en invalidité ou en inactivité qu’en emploi.
Une étude de l’OCDE montre que les politiques centrées sur l’amélioration de la qualification, de la santé et de l’éducation ont des effets bien supérieurs sur le taux d’emploi des seniors que les différentes réformes des systèmes de retraite et en particulier celles portant sur le report de l’âge légal de départ. Ces dernières auraient « un effet dix fois plus faible [18]».
1.3 La réforme systémique de 2019 : « chronique d’une mort annoncée » de notre système de retraite par répartition interrompue en raison de la COVID
Une présentation de la réforme systémique souhaitée par le président Macron en 2019 est intéressante dans la mesure où elle est emblématique des objectifs politiques poursuivis par les différentes réformes dites de « structure » et de leurs fondements. Ce nouveau régime de retraite, articulé autour d’une logique de « points » accumulés tout au long de la carrière, nous aurait fait basculer dans un système à cotisations définies, là où le régime de base est un régime à prestations définies (il est vrai que la complémentaire des salariés du privé est d’ores et déjà un régime complémentaire à cotisations définies). La flexibilité de ce type de régime, vantée par le Gouvernement n’hésitant pas à faire valoir le principe d’une retraite à la carte, pénalise en réalité les salariés au parcours professionnel très haché, constitué de petits boulots précaires et mal payés. L’objectif ultime était de passer à une logique de pension conçue comme un différé de cotisations passées et non plus comme un salaire garanti. Par ailleurs, il aurait pesé une forte incertitude sur le montant de la pension dépendant directement de la valeur du point au moment de la liquidation de la retraite. L’objectif de la réforme, sous couvert « d’un même droit à tous » (un euro cotisé donne le même droit à tous), était de remettre en cause le principe de solidarité, élément fondateur de notre système de retraite par répartition, pour le remplacer par celui d’une individualisation renforcée.
Que peut-on conclure à ce stade ? Les réformes paramétriques réalisées par les différents gouvernements qui se sont succédé au cours des 30 dernières années s’inscrivent dans un cadre de référence néolibéral promu par les institutions internationales comme la Banque mondiale ou par la Commission européenne. La première défend l’idée d’une combinatoire entre un système de retraite par répartition et par capitalisation, la seconde les mesures d’allongement de la vie professionnelle compte tenu des pressions exercées par les dépenses de retraite sur les finances publiques[19].
La finalité de ces réformes, derrière l’argument de la sauvegarde des régimes, est double : d’une part, la réduction des dépenses de protection sociale et, d’autre part, le développement d’un régime par capitalisation et plus largement d’une retraite privée. Ce cadre reproduit au niveau de la retraite un modèle de priorités et d’arbitrage qui rend compte d’une certaine vision des rapports sociaux, qui impose, au nom de la rigueur financière et de l’effort collectif, des réformes porteuses de plus d’inégalités. Tel que l’explique à nouveau très clairement Bruno Palier « Si les avantages de la capitalisation sur la répartition ne sont pas toujours fermement établis du point de vue des retraités, ils sont clairs pour les acteurs financiers (gestionnaires d’actifs, assureurs, banques, fonds de placement) »[20]. Les 50 milliards d’euros d’économies réalisées sur les 10 dernières années, ce sont tous simplement 50 milliards de moins pour les retraites alors même que la retraite moyenne mensuelle est de moins de 1 500 euros nets par mois[21]. La baisse du taux de remplacement traduit bien cette évolution qui devrait se poursuivre dans les années futures, si l’on ne change rien, pour atteindre un niveau inacceptable pour la génération née en 2000. Les études auxquelles nous nous sommes référés montrent l’inefficacité de ces mesures d’allongement de la durée de cotisation et de recul de l’âge légal sur le taux d’emploi des seniors.

II – Un projet de réforme de nature politique et non technique dont l’objectif, est de « financer » les baisses des prélèvements sociaux

Nous allons dans un premier temps analyser les principales conclusions du dernier rapport de septembre 2022 du COR afin de constater que, contrairement au discours porté par le président et le Gouvernement pour justifier la réforme, la soutenabilité financière du système de répartition n’est pas remise en cause par le COR ni la maîtrise de la trajectoire des dépenses. Nous nous concentrerons ensuite sur la présentation et l’analyse critique des principales mesures du projet de réforme du gouvernement, des mesures : dites d’accompagnement ou « amortisseurs ».
2.1 Le rapport du COR confirme la maîtrise de la trajectoire des dépenses et la soutenabilité financière de notre système de retraite
Jusqu’ici peu connu du grand public, le Comité d’Orientation des Retraites est aujourd’hui sous les feux de l’actualité, y compris son président Pierre Le Bras, objet d’une tentative de discréditions de la part du Gouvernement. Créé en 2000 sous le gouvernement Jospin, il regroupe des parlementaires, des représentants syndicaux et patronaux, des personnels qualifiés et des représentants des administrations, gouvernance qui lui assure une forme de neutralité. Il rend chaque année un rapport dont la qualité est reconnue.
Le rapport du COR ne traite pas seulement de la problématique de soutenabilité et de pérennité du système de retraite, mais aborde d’autres sujets comme la progressive dégradation du pouvoir d’achat des retraités, la persistance des inégalités hommes/femmes et intergénérationnelles, le faible taux d’emploi des plus de 50 ans.
Le rapport de septembre 2022 [22]présente plusieurs scénarios de projection des dépenses et du solde (déficit ou excédent). Plusieurs paramètres sont pris en considération comme le taux de croissance, le taux de productivité du travail espéré, le taux de chômage, les derniers chiffres des projections démographiques de l’INSEE et les données économiques issues du programme de stabilité publié par le gouvernement à l’été 2022.
Que dit le rapport sur les dépenses liées aux régimes de retraite ? L’indicateur déterminant pour évaluer la soutenabilité financière du système de retraite est la part des dépenses de retraite dans le PIB. En 2021, année où le système est bénéficiaire, la part des dépenses de retraite dans le PIB était de 13,8 %. À la fin de la période 2022 à 2027, elles atteindraient 13,9 % du PIB. En 2032, la part des dépenses de retraite s’établirait dans une fourchette comprise entre 14,3 % et 14,7 % selon le taux de productivité retenu.
En conclusion de son chapitre consacré aux dépenses, le COR écrit : « Au final, sur l’ensemble de la période de projection, la part des dépenses de retraite dans le PIB serait en baisse dans les scénarios à 1,3 % et à 1,6 % (de taux de productivité), resterait stable dans le scénario à 1 % et augmenterait dans le scénario 0,7 %. À l’horizon 2070, la part des dépenses de retraite varierait ainsi entre 12,1 % du PIB (scénario 1,6 %) et 14,7 % (scénario 0,7 %) contre 13,8 % en 2021 ». Comme on le voit très clairement, les dépenses de retraites ne dérapent pas. Elles sont, à terme, sous contrôle.
Le COR est explicite sur la question de la bonne tenue des dépenses et les auteurs du rapport « ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ». Pierre-Louis Bras, Président du Conseil d’Orientation des Retraites, a ainsi rappelé, au cours d’une récente audition le 19 janvier par les commissions des affaires sociales et des finances de l’Assemblée nationale, que les dépenses de retraite « ne dérap(ai)ent pas », et que la raison des déficits durables révélés par les projections du COR était imputable à une évolution peu dynamique des ressources.
Philippe Laffon, Secrétaire général adjoint auprès du Haut-Commissaire à la réforme des retraites, dans un document support, présenté à France Stratégie en octobre 2018, écrivait déjà que « les perspectives financières sont favorables à long terme[23] ».
Abordons maintenant la question spécifique des ressources. Après avoir été bénéficiaire de près de 900 millions en 2021, le solde du système de retraite se dégraderait progressivement entre 2023 et 2027 et deviendrait déficitaire à hauteur de 0,4 point de PIB. Son évolution serait ensuite dépendante des taux de croissance, de productivité et de chômage retenus. À l’horizon 2070, le solde du système de retraite varierait ainsi selon les scénarios entre un déficit de 0,7 % et un excédent de 1,5 % du PIB. Si le système de retraites est déficitaire sur les 25 prochaines années, plusieurs scénarios font état d’un retour progressif à l’équilibre.
On voit bien que le niveau du solde est très sensible au scénario économique retenu. Le rapport du COR exprime cette réalité de la façon suivante : « Le niveau du solde est lié à la dynamique des ressources différente selon les diverses conventions et non à la dynamique des dépenses qui est stabilisée ou orientée à la baisse en part du PIB sauf dans le scénario à 0,7 % ». C’est une autre façon de rappeler que la situation des dépenses ne se dégrade pas et que c’est au niveau des ressources que l’on doit agir.
En conséquence et contrairement aux discours actuels, la soutenabilité financière à long terme de notre modèle de retraite par répartition n’est pas remise en cause. Cette assertion n’amène pourtant pas à écarter la problématique de son financement, non pour des raisons de durabilité du système, mais de justice sociale, les réformes paramétriques opérées au cours des 30 dernières années ayant eu toutes pour objectif de réduire sensiblement le taux de remplacement des pensions servies. L’idée est de reprendre les principales conclusions du rapport, y compris les éléments des différents scénarios étudiés par le COR bâtis à partir d’un certain nombre de variables comme le taux de chômage, le taux de croissance et le taux de productivité.
2.2 Un projet de réforme en continuité avec les principes néolibéraux des réformes passées  
Le projet du gouvernement annoncé le 10 janvier 2023 prévoit à titre principal le recul de l’âge de la retraite à 64 ans d’ici 2030 avec une étape intermédiaire à 63 ans et 3 mois d’ici la fin du quinquennat et une notable accélération dans la mise en œuvre de l’allongement de la durée de cotisation, mesure votée sous la présidence de François Hollande. Pour obtenir une retraite à temps plein, il faudra, dès l’année 2027 et non plus 2035, avoir cotisé pendant 43 ans. Cette nouvelle durée de cotisation s’applique désormais à la génération née en 1965, âgée de 58 ans aujourd’hui, et non plus à celle née en 1973. Ce projet est assorti de quelques exceptions, sans véritable changement par rapport à ce qui existe aujourd’hui, pour tenir compte des carrières longues ou encore de la pénibilité de certains emplois. Sont aussi proposées quelques contreparties comme le relèvement de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) et une pension de retraite minimum à 85 % du SMIC pour les carrières à taux plein. Les débats sur la portée réelle de cette dernière mesure, dite de « progrès social », celle qui permettrait en cas de carrière complète à taux plein rémunérée au SMIC de bénéficier d’une retraite de 1200 euros brut, montrent a minima les difficultés pour les promoteurs du projet à quantifier le nombre de bénéficiaires potentiels. À défaut d’être en mesure de proposer une évaluation globale de l’impact de cette mesure, le gouvernement essaie de documenter ses avantages à grand renfort de « cas d’usage » (« Madame X veuve ou divorcée… » ou « Monsieur Y ayant commencé à travailler à l’âge de… »). Les conditions requises à savoir une carrière à taux plein et une rémunération au SMIC, au regard de la réalité du marché, rendent cette mesure complètement et indubitablement « hors sol ».
La fin progressive des principaux régimes dits spéciaux a été annoncée. Un même principe dans la conduite des réformes : s’attaquer aux fondamentaux de notre système de solidarité et de répartition et accorder en contrepartie quelques concessions à la marge. Plutôt que d’envisager une convergence par le haut, et donc vers un meilleur taux de remplacement pour les retraités, il s’agit ici de niveler par le bas en s’alignant sur les conditions du régime général.
Cette réforme se justifierait au regard de l’allongement de la durée de vie : « on vit plus vieux, il faut donc travailler plus longtemps ». Or l’état de santé des personnes est mécaniquement la première cause de demande de liquidation des droits à la retraite. L’espérance de vie moyenne en bonne santé en 2019 est de 63,7 ans pour les hommes et 64,6 ans pour les femmes en France[24], alors qu’elle est supérieure de 10 ans en Suède (73,8 ans pour les hommes et 72,7 ans pour les femmes). Allonger l’âge légal de la retraite au-delà de 62 ans conduira à un phénomène de vase communicant entre les dépenses de retraite et les dépenses maladie (moins de dépenses de retraites, mais plus de dépenses au titre de l’invalidité et des arrêts maladie), à une hausse du chômage, en particulier pour les seniors peu qualifiés, suivie par une période d’inactivité puis par un basculement dans le monde des minima sociaux et de la pauvreté. Au regard de l’espérance de vie, stable aujourd’hui, des écarts non négligeables existent selon la catégorie sociale d’appartenance. Le différentiel d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre est de 6 ans et de 13 ans entre le premier et le dernier décile ! Enfin, selon l’INSEE, l’espérance de vie en bonne santé serait pour les hommes et les femmes nés en 2020 respectivement de 64,4 ans et de 65,9 ans. Avec un âge légal de départ à la retraite de 64 ans, les hommes auraient alors 3 mois de retraite en bonne santé et les femmes un 1 an et 10 mois ! C’est sans doute cela le progrès social !
Cette réforme table sur l’allongement effectif de la durée en emploi des seniors. Or le taux d’emploi actuel des seniors en France est faible et inférieur assez significativement à la moyenne observée au sein de l’UE. Le taux d’emploi des personnes appartenant à la tranche d’âge des 60-64 ans est de 31 %[25]. L’augmentation du taux d’emploi des seniors constitue donc une forme de leurre ou un jeu de dupes pour reprendre l’expression d’Olivier Mérieux, un ancien directeur technique de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT)[26], dans la mesure où seules les personnes diplômées et qualifiées sont en mesure de travailler plus. La réforme aura pour effet un basculement dans la pauvreté (trappe à pauvreté) d’une partie de la population et/ou la consolidation de ce marché de l’emploi précaire et à bas coût. Comme le fait remarquer Olivier Mériaux, il aurait fallu, préalablement au recul de l’âge légal de la retraite, s’assurer du caractère tangible des résultats d’une politique d’amélioration de l’emploi des seniors. L’augmentation du taux d’emploi des seniors constatée au cours des dernières années n’a d’ailleurs que peu à voir avec des politiques dédiées à l’emploi des seniors, mais s’explique pour l’essentiel par l’impact volumétrique de l’arrivée sur le marché du travail d’une génération de femmes, aujourd’hui seniors.
L’index senior proposé par le Gouvernement, mesure applicable aux entreprises de plus de 1000 salariés dès 2023, de 300 salariés à compter de 2024, voire 50 de salariés aux dernières nouvelles, oblige les entreprises concernées à publier un document indiquant leur taux de salariés seniors et ceux en fin de carrière. On peut penser qu’il n’aura que peu d’effets sur le taux d’emploi au regard de son caractère non contraignant. Dans une tribune du 2 février dernier, parue dans Le Monde, l’économiste Michaël Zemmour regrette le caractère « indigent » et « lapidaire » de l’étude d’impact réalisée par le gouvernement notamment en matière de mesure des effets de la réforme « sur la précarité des seniors en emploi » et ses « conséquences sociales sur les seniors qui ne sont ni en emploi ni en retraite ». Selon lui, nous disposons de suffisamment de « recul » pour conclure « qu’un décalage de l’âge se traduit principalement par un allongement de la période de précarité entre emploi et retraite ». Le rapport serait de l’ordre de 300 000 emplois de seniors de plus pour 200 000 seniors sans emploi ni retraite de plus ! Sans parler de la hausse des allocataires de minima sociaux estimée par la direction de la recherche, des études et de l’évaluation (Drees) à 100 000 personnes. Ces chiffres sont cohérents avec les résultats des études mentionnées au paragraphe précédent qui démontrent l’inefficacité des mesures d’allongement de la durée de cotisation et/ou du report de l’âge légal de départ à la retraite sur le taux d’emploi des seniors (hausse de 44 % des emplois pour 28 % de chômeurs en plus et 28 % de personnes en incapacité ou inactivité !).
Enfin, l’allongement de la durée de cotisation et le recul de l’âge légal de départ à la retraite devraient peser négativement sur les activités du « care ». Une étude conduite par le ministère de la Jeunesse et des Sports quantifie le bénévolat à environ 1,4 million d’ETP (équivalent temps plein, soit l’équivalent à une activité exercée sur un temps plein), soit une activité de l’ordre de près de 20 milliards d’euros. Cette étude ne distingue pas les tranches d’âge. Toutefois, il n’est pas déraisonnable de considérer qu’une partie significative de ces heures de bénévolat soit assurée par de « jeunes retraités », c’est-à-dire ceux compris dans la fourchette des 62-67 ans. Cette réforme aurait donc un impact majeur sur la pérennité de cette activité bénévole.
En conclusion de cette partie, la soutenabilité financière de notre système de retraite par répartition n’est donc pas remise en cause. La réforme proposée s’inscrit dans la droite ligne des précédentes réformes et poursuit ce travail de démantèlement de l’ensemble de notre système de protection sociale. Si cette loi était votée, elle aboutirait à une véritable rupture de notre modèle de retraite par répartition fondé sur la solidarité, dont les conséquences toucheraient principalement les plus défavorisés dans la mesure où seuls les ménages disposant des moyens d’épargner pourront dans ce système compenser la baisse prévisionnelle et effective de leurs retraites. Cette réforme, conduite au nom — dévoyé — de la justice sociale, aggraverait au contraire les inégalités sociales et ne serait pas plus efficace que les précédentes sur le taux d’emploi des seniors. Il est important de bien mettre en avant la « mécanique des fluides » induite par les différentes réformes portées par ce gouvernement. Cette nouvelle réforme, associée à celle de l’assurance chômage, aurait pour conséquence de maintenir en emploi les plus qualifiés et de faire basculer les autres dans le monde de la pauvreté et des minima sociaux, directement ou après un court passage en invalidité ou en congés maladie. Elle aurait pour principal effet d’encalminer les seniors sans emploi dans l’assistanat et la pauvreté.

III— Des recommandations pour un cadre de référence repensé en matière de financement des retraites, d’emploi des seniors et de droits à la retraite

Si le financement des retraites n’est pas un problème, l’amélioration de la retraite mérite de nouvelles propositions à nos yeux. Certaines viseront à agir en amont sur l’emploi des seniors. D’autres pistes s’inscriront dans un cadre repensé en matière de droits à la retraite et notamment celles fondées sur le transfert des droits, jusqu’à présent attachés à l’emploi, vers la personne[27].
3.1 Des mesures financières incitatives en matière d’emploi des seniors et visant à un rééquilibrage de la répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et du travail
Un collectif d’universitaires (le Clersé, centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques) a récemment évalué, en octobre dernier, le montant annuel des aides publiques versées aux entreprises à 157 milliards d’euros[28]. Si l’idée n’est pas de remettre en cause le principe d’un soutien aux entreprises, l’attribution de telles aides devrait être conditionnée au respect d’un cahier des charges définissant les engagements attendus en matière de lutte contre les emplois précaires et à bas coûts, mais aussi d’emploi des seniors. Sur ce dernier point, l’idée n’est pas de se contenter d’un « index senior » dont on comprend qu’il viendra alimenter une nouvelle rubrique du rapport social annuel, mais bien d’agir sur les politiques conduites par les entreprises dans ce domaine. Le respect de ce cahier des charges devrait donner lieu à des contrôles au même titre que les contrôles fiscaux et soumis à restitution des aides obtenues, le cas échéant.
Ce cadre d’aides ainsi repensé pourrait s’accompagner d’un système de bonus-malus appliqué aux entreprises dont les pratiques observées en matière d’emplois précaires, souvent de très courtes durées, s’écarteraient de la norme commune. Un tel dispositif existe aujourd’hui, mais il ne concerne que les cotisations chômage et son périmètre est limité à quelques secteurs d’activité et aux seules entreprises dont le nombre de fins de contrats de travail (hors démissions) rapporté à l’effectif moyen, soit le « taux de séparation », est supérieur ou égal à 150 % ! Pour ces entreprises, un taux de cotisation additionnelle maximum de 1 % est alors appliqué. L’idée serait de concevoir un dispositif équivalent applicable à la retraite en le généralisant à l’ensemble des secteurs d’activité. Des aménagements seraient à prévoir pour les petites et moyennes entreprises. Ce système pourrait dans un premier temps s’appliquer aux seules entreprises de tailles intermédiaires (ETI) et grandes entreprises.
Comme nous l’avons démontré, la soutenabilité financière de notre système de retraite est à ce jour assurée. Cette assertion n’amène pourtant pas à écarter la problématique de son financement, non pour des raisons de durabilité du système ou de risque de faillite, mais de justice sociale et pour mettre fin à cette baisse continue du taux de remplacement induite par les différentes réformes paramétriques opérées depuis le début des années 90. La structure de financement de notre système de retraite a profondément évolué. Si le financement est encore majoritairement assuré par les cotisations sociales versées par les employeurs et les salariés, ce qui n’est plus le cas pour les dépenses de santé, leur part a sensiblement diminué au cours des 20 dernières années. Elle est aujourd’hui en 2022 de 64,5 % contre 83 % en 2003[29]. Cette évolution rend bien compte de la tendance générale observée depuis les années 2000 en matière de prélèvements sociaux, dorénavant perçus comme une charge insupportable qui viendrait compromettre les chances des entreprises françaises dans la vaste compétition internationale. Dans l’objectif de réduire le coût du travail, une politique constante d’allègements et d’exonérations des cotisations sociales employeurs sur les bas salaires a été menée en privant ainsi les régimes de retraite d’autant de recettes nécessaires.
Pourtant, les entreprises du CAC 40 affichent depuis plusieurs années des performances financières à la hausse. Si les versements de dividendes aux actionnaires peuvent répondre à des stratégies propres, ils constituent néanmoins un des indicateurs de mesure de la performance financière des entreprises. Près de 60 milliards de dividendes [30]ont été distribués aux actionnaires des entreprises du CAC40 au cours de l’année 2022, un record ! S’ajoutent à ce montant près de 24 milliards d’euros dépensés par les entreprises cotées en bourse pour maintenir la valorisation élevée des actions, condition d’une valeur patrimoniale augmentée pour les actionnaires. Selon la dernière étude annuelle de la société Allianz Global Investors, l’année 2023 devrait atteindre un nouveau record avec une distribution attendue de plus de 400 milliards de dividendes par les entreprises européennes[31].
Le principe d’un prélèvement exceptionnel sur le montant des dividendes versés comme source de recettes complémentaires des retraites est à étudier. Ce prélèvement s’appliquerait à compter d’un seuil à déterminer, selon un barème progressif comportant un taux plafonné à 30 %. Les sommes ainsi prélevées viendraient abonder un fonds spécifique de retraite. Sur la base d’un taux de prélèvement moyen de l’ordre de 15 %, cette mesure rapporterait un complément de recettes pour les différents régimes de retraite de l’ordre d’une dizaine de milliards. Ces recettes seraient réparties entre les différents régimes au prorata de leur nombre de cotisants et de bénéficiaires. Le dispositif intégrerait un mécanisme d’ajustement de l’assiette pour les entreprises investissant dans des projets à forte composante sociale ou environnementale. L’assiette de calcul de ce prélèvement serait réduite à due concurrence des investissements réalisés dans l’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles, associations, fondations, sociétés agréées ESUS dans des activités à forte utilité sociale ou environnementale telles qu’insertion dans l’emploi ou encore l’économie circulaire). Cette mesure incitative a vocation à promouvoir les démarches d’investissement responsable des grandes entreprises.
Une réflexion plus structurante sur l’assiette des cotisations est à mener. Le choix de la masse salariale comme assiette est une forte incitation à la mise en œuvre de politiques de bas salaires exonérés de charges et d’externalisation de l’emploi[32].
De plus, continuera-t-elle à être une référence pertinente dans un contexte de transformation profonde du marché du travail induite par le développement de l’automatisation et de la numérisation [33]? L’objet de cette note n’est toutefois pas de traiter du futur du salariat, de sa fin ou de son évolution, mais bien de rechercher une meilleure répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et le travail. Dans ce contexte, un dispositif fondé sur une cotisation retraite appliquée non plus sur la seule masse salariale, mais sur l’intégralité de la valeur ajoutée peut être envisagé (32).
3.2 Le revenu d’engagement senior : une réponse non marchande fondée sur le pari de l’engagement des seniors pour des activités à forte utilité sociale
La proposition d’un revenu d’engagement senior est née d’un double constat. Le constat d’abord du niveau structurellement faible du taux d’emploi des seniors en France, procédant en grande partie de situations d’inactivité subies. En effet, selon la Drees, en 2015 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans ne perçoivent ni revenu d’activité ni pension de retraite en France[34].
Le constat ensuite qu’un certain nombre de besoins, liés au lien social, à l’insertion professionnelle, au bien-être, dont l’utilité sociale pour la collectivité est avérée, sont insuffisamment pris en charge par le marché du travail dans notre société. Ces carences tiennent au fait que la valorisation économique de ces activités n’est pas à la hauteur de leur contribution réelle à la société. Les métiers du grand âge offrent à cet égard un exemple saisissant : 17,5 % des intervenants à domicile vivent sous le seuil de pauvreté (rapport El Khomri de 2019) alors même que les besoins liés au vieillissement de la population sont considérables (1,5 million de personnes en perte d’autonomie en 2025). L’activité exercée par des bénévoles, notamment dans le cadre associatif, dont une partie par de jeunes retraités, est, tel que nous l’avons rappelé ci-dessus, de l’ordre de 20 milliards d’euros.
L’idée du revenu d’engagement senior nécessite de renouveler profondément le cadre de réflexion qui prévaut habituellement sur les questions d’emploi[35]. Appréhendé uniquement dans une conception « marchande », le temps du travail est opposé au temps d’inactivité et interdit de penser le développement d’une « sphère autonome » du travail qui échappe aux règles du marché[36]. Ce revenu d’engagement considère, la valeur d’utilité sociale, et non plus la seule valeur marchande du travail. Ce revenu d’engagement ne récompense pas de la carrière réalisée par les personnes seniors, mais tire sa légitimité de l’exercice par ces dernières d’une activité d’utilité sociale.
Ce revenu d’engagement senior poursuit donc un double objectif. Garantir d’une part un revenu minimum, stable, pour les publics seniors en situation d’inactivité subie en contrepartie d’une activité régulière. Permettre d’autre part à toutes les personnes seniors volontaires de s’engager dans une nouvelle vie active en exerçant une activité reconnue d’utilité sociale et contribuer ainsi à mieux prendre en charge les besoins de la collectivité.
Ce « revenu d’engagement senior » constituerait un outil de sécurisation des parcours professionnels des seniors. Il serait créateur de droits sociaux. Il permettrait notamment aux seniors de valider leurs semestres de cotisation retraite.
Il ne s’agirait pas d’une simple allocation, mais bien d’un revenu dont le bénéfice serait conditionné à l’exercice d’une activité d’utilité sociale. En ce sens, le « revenu d’engagement senior » ne constituerait pas seulement une garantie de revenu pour les publics seniors en situation de précarité, mais également un droit à choisir l’exercice de son activité de fin de vie professionnelle. Un droit à une seconde vie professionnelle structurée autour d’un projet personnel engageant à forte utilité pour la société serait ainsi pleinement reconnu. Ce droit permettrait de capitaliser et de valoriser l’expérience et les savoir-faire acquis par les seniors au cours de leur vie professionnelle au profit de projets à forte utilité sociale.
Cette proposition formule une réponse non marchande aux besoins sociaux prioritaires et considère d’abord l’utilité sociale des activités. Il fait le pari de l’engagement citoyen des publics seniors. Avec l’appui de ce revenu d’engagement, des seniors pourraient par exemple décider de consacrer du temps à l’aide à leurs parents en situation de dépendance ou encore à l’accompagnement socioprofessionnel de jeunes sortis du système éducatif, les « décrocheurs ».
Comment se déclinerait concrètement cette proposition de revenu d’engagement senior ? Sur le marché du travail, les personnes ayant entre 55 et 62 ans sont considérées comme des seniors. Si nous posons comme principe qu’une personne entame ou aborde la dernière étape de sa carrière professionnelle à compter de 50 ans, les chances de retrouver un emploi se réduisent considérablement pour elles. En conséquence, nous proposons que ce dispositif soit ouvert aux personnes âgées de 55 ans et plus en situation d’inactivité.
Nous souhaitons que le revenu d’engagement senior soit un droit universel en ce sens où il serait ouvert à tous les publics seniors sans condition de revenu. Ce revenu d’engagement prendrait la forme d’un contrat qui lierait la personne senior à la puissance publique.
L’expérimentation et la gestion de ce dispositif seraient confiées à une entité dont la gouvernance serait assurée par différentes parties prenantes (État, collectivités territoriales, organismes sociaux, secteur associatif notamment). Véritable guichet unique pour les seniors souhaitant bénéficier du « revenu d’engagement senior », cette structure regrouperait des collectivités locales, le service public de l’emploi, des acteurs associatifs, des citoyens, voire des entreprises. Cette entité aurait la responsabilité d’instruire le projet, d’apprécier son contenu et de fixer la durée de la mission. Le processus d’instruction aurait pour objectif de veiller à ce que l’activité proposée réponde bien à un besoin réel identifié au niveau local et n’entre pas en concurrence avec des activités relevant de la sphère marchande.
Dans cette perspective, nous pensons que seules les structures associatives et coopératives pourraient être éligibles à ce dispositif de contrat d’engagement senior. Cette restriction est aussi le moyen d’éviter de créer une trappe à bas salaire au profit de la sphère marchande. Une liste de secteurs prioritaires pourrait être établie. Nous pensons qu’elle devrait cibler en priorité les activités liées à la reconstruction écologique et au renforcement du lien social.
Cette structure aurait vocation à proposer à la personne senior un accompagnement personnalisé voire à l’aider à définir son projet d’engagement. Elle exercerait aussi un suivi régulier pour s’assurer de la réalité du projet dans la durée et son contenu. Cet accompagnement socioprofessionnel comprendrait a minima un entretien annuel avec le bénéficiaire. L’entité gestionnaire pourrait le cas échéant proposer des temps de formation à condition qu’ils s’inscrivent dans la mission des seniors bénéficiaires.
Le contrat d’engagement doit-il prévoir un nombre d’heures plancher ? Nous sommes favorables à un dispositif présentant une certaine souplesse en la matière. Plusieurs seuils pourraient être proposés, auxquels correspondrait un niveau de revenu. Ce « revenu d’engagement senior » constitue un revenu minimum socle qui pourrait être complété par d’autres revenus d’activités à temps partiel des publics seniors. Nous proposons de fixer le plafond de ce revenu d’engagement senior à hauteur du SMIC.
Se pose alors la question légitime du coût de cette mesure et de son financement. La réponse est un élément majeur de sa faisabilité et de son acceptabilité. La tranche d’âge des 55-59 ans comprend selon l’INSEE près de 4,5 millions de personnes et celle des 60-62 ans environ la moitié. Selon la Dares il y aurait 56 % des seniors en emploi en 2021, dont 35,5 % pour les seniors de la tranche d’âge 60-64 ans. En retenant comme hypothèse que le dispositif s’adresse aux personnes qui ne sont pas en emploi, la population potentielle concernée par notre proposition s’élèverait à environ 3,5 millions de personnes. En prenant comme autre hypothèse, un taux de recours à ce dispositif d’environ 50 %, le nombre de bénéficiaires serait de l’ordre de 1,7 million de personnes. Sur la base d’un revenu d’engagement senior à 1353 euros net par mois, le coût annuel de cette mesure serait de 28 milliards d’euros duquel il faudrait défalquer le montant des dépenses dites passives évitées comme les allocations chômage par exemple ou d’autres aides obtenues comme le RSA de l’ordre de 600 euros par mois pour une personne seule. D’autres économies induites par les externalités positives de cette mesure sont aussi à prendre en considération, mais plus difficiles à valoriser. Parmi ces économies, citons la baisse des dépenses de santé consécutives à l’amélioration de la santé physique et psychique des personnes sorties de cette impasse professionnelle. Le coût net de cette mesure peut être estimé à une douzaine de milliards d’euros.
Enfin se pose la question de l’éventuel effet de substitution avec des emplois jeunes exercés dans le cadre d’associations et de coopératives. Plusieurs éléments de cette mesure sont susceptibles de limiter ce risque. Cette mesure cible à ce stade des activités à forte utilité sociale assurées aujourd’hui par des bénévoles. Ensuite, la gouvernance de l’entité locale en charge de l’instruction et de la validation des projets à forte utilité sociale serait assurée par Pôle Emploi, le conseil général, des représentants d’entreprises locales, des associations d’insertion professionnelles. Elle disposerait ainsi d’une vue globale du marché de l’emploi. Il lui appartiendrait de veiller dans la pratique à cette absence de concurrence avec un futur emploi jeune. Enfin nous proposons une phase d’expérimentation à l’issue de laquelle une évaluation serait faite notamment dans cette perspective.
3.3 De nouvelles règles de gestion permettant de neutraliser les périodes d’inactivité subies dans le calcul des droits à la retraite et de sortir du « piège de la carrière »
Une réforme du système de retraite ne peut être découplée d’une réflexion sur l’évolution du marché de l’emploi, les systèmes de retraite actuels ayant été pensés dans un contexte de « plein emploi » et de trajectoires professionnelles stables, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui avec le développement d’un marché intermédiaire de l’emploi précaire et à bas coût. Le principe d’un droit attaché à la personne et non plus à l’emploi, appliqué au domaine de la retraite, permet ainsi d’échapper à ce que nous pourrions appeler le « piège de la carrière » et en particulier de la carrière à taux plein, celui qui soumet le calcul de la pension aux aléas de la carrière, celui qui en réalité réplique au niveau de la pension les inégalités dans l’emploi. Il aurait pour conséquence de dissocier le calcul de la pension de la carrière effective du salarié et ainsi de réduire ou de neutraliser en partie l’impact des ruptures, interruptions et aléas subis par la personne au cours de sa vie professionnelle sur le montant de la pension perçue. Cette réflexion se fonde sur le postulat, à contrecourant des idées reçues et largement reprises dans les discours politiques, que l’immense majorité des salariés ne maîtrise pas leur parcours professionnel et que les périodes de chômage, les emplois précaires et à bas coûts que le durcissement des règles d’indemnisation ne permet pas de refuser, sont en réalité subis. Dans ce contexte, les conditions d’obtention d’une pension à taux plein sont rarement réunies en particulier pour les personnes peu qualifiées.
Nous pensons qu’il est temps d’engager une réflexion de fond sur les évolutions à apporter au système de retraite actuel. Le cadre nous paraît devoir être repensé dans cette logique de droit attaché à la personne et non à l’emploi et donc à la carrière effectuée.
En attendant et à court terme, pour les personnes durablement installées dans ce marché intermédiaire de l’emploi précaire à bas coût, des règles de gestion spécifiques devraient être définies en matière de reconstitution de carrières pour le calcul des droits à pension. Ces règles permettraient au moment de la demande de liquidation des droits à la retraite de neutraliser une partie des aléas de carrières subis. Cela reviendrait à reconstituer une sorte de carrière « fictive » pour le calcul de la pension. Les paramètres de cette réforme seront déterminés ultérieurement et notamment ceux relatifs à la qualification des périodes lacunaires à neutraliser, le plafond de trimestres additionnels acquis…
3.4 Une revalorisation du plafond de l’ASPA à 1400 euros et la suppression de la clause de récupération après décès 
La mesure de la pauvreté s’effectue le plus souvent à partir de critères financiers qui permettent d’appréhender ce qu’il est d’usage d’appeler la pauvreté monétaire. L’Observatoire des inégalités fixe le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian. Sur cette base, il y aurait 5,3 millions de pauvres en France selon le rapport 2022 de ce même organisme. Ce dernier souligne que « la conséquence de la pauvreté c’est aussi l’exclusion par rapport à certaines normes de consommation ». Dans cette perspective d’autres critères ont été proposés, fondés sur le concept de la « pauvreté en condition de vie ». De son côté, l’observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPS) a développé une approche sensiblement différente visant à définir un budget minimum calculé à partir de la valeur des biens et services minimaux pour « participer effectivement à la vie sociale ». Ce budget a été évalué à 1 400 euros pour une personne seule. Le plafond de l’allocation de solidarité aux personnes âgées attribuée aux retraités de 65 ans aux revenus modestes s’établit en 2023 à 961 euros pour une personne seule à l’ASPA (ex-minimum vieillesse). Nous proposons une réévaluation de ce plafond pour le porter à 1 400 euros pour une personne. En outre, en l’état du droit, les montants versés peuvent être récupérés après le décès du bénéficiaire dans le cas d’une succession supérieure à 39 000 euros. Nous proposons d’abroger la disposition relative à la récupération d’une partie des sommes versées. (article L. 815-13 du code de la sécurité sociale.)
Au terme de notre argumentaire, nous pouvons répondre à la problématique posée dans la note : les réformes passées et en cours poursuivent-elles un objectif de progrès social et de justice sociale ou relèvent-elles d’un travail de déconstruction et de démantèlement continu de notre système de retraite ?
La chute constatée et à venir du taux de remplacement qui ne devrait plus s’établir qu’à 53 % pour la génération née en 2000[37], c’est-à-dire nos enfants ou nos petits-enfants, les « économies » réalisées sur le montant des retraites versées de près de 50 milliards en 2019, dernière année de référence de la période étudiée[38], l’inefficacité attestée des mesures d’allongement de la durée de cotisations et du recul de l’âge légal de départ à la retraite en matière d’emploi des seniors, « la mécanique des fluides » induite par les différentes réformes conjuguées à celle de l’assurance chômage, qui se traduit par le basculement des seniors peu qualifiés dans le monde de la pauvreté et des minima sociaux, apportent la démonstration que ces réformes n’ont que très peu à voir avec le progrès social et la justice sociale. Le risque de faillite du système, mis en avant par les promoteurs des réformes, est un leurre au sens littéral du terme.
Ces réformes n’ont rien de technique, elles sont politiques ! Elles ne poursuivent qu’un seul objectif : la baisse des dépenses de protection sociale pour « financer » la baisse des prélèvements sociaux, celle des impôts de production, la suppression de l’ISF, la flat tax, les exonérations de cotisations sociales, la sauvegarde des niches fiscales… Elles s’inscrivent dans la droite ligne des recommandations de l’Union européenne en la matière. À l’instar des autres réformes de structure, elles reportent sur les individus le financement de leur couverture sociale, les complémentaires santé pour les dépenses maladie, la capitalisation ; les fonds de pension pour les retraites et, laissent aux plus démunis les minimas sociaux avec comme avenir l’assistanat. Elles conduisent finalement à la rupture de notre modèle de retraite par répartition.
Nous pensons que la réforme de notre système de retraite ne peut être découplée de celle du marché du travail. Le système a été conçu dans une logique de plein emploi. Aujourd’hui, les trajectoires professionnelles rectilignes sont le privilège des personnes qualifiées et de quelques « happy few ». La notion de carrière complète a de moins en moins de sens. Le système de retraite en l’état reproduit les inégalités du marché du travail et notamment celui du travail précaire à bas coût en fort développement et qui concerne plus de 8 millions de personnes. La révision de notre modèle de retraite par répartition doit aussi être pensée dans une logique de meilleure redistribution des richesses.
Nos propositions n’apportent pas une réponse d’ensemble, mais ébauchent quelques pistes à suivre. En synthèse, quatre recommandations à considérer comme autant éléments constitutifs d’un nouveau cadre de référence de notre système de retraite.
Résumé des recommandations :
Recommandation 1 : Des mesures financières incitatives en matière d’emploi des seniors visant à un rééquilibrage de la répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et du travail :

  • Aides publiques dont l’attribution est conditionnée au respect d’un cahier des charges définissant les engagements attendus en termes de lutte contre les emplois précaires et à bas coûts, mais aussi d’emploi des seniors.
  • Un dispositif de bonus-malus renforcé appliqué aux entreprises dont les pratiques observées en matière d’emplois précaires, souvent de très courtes durées, s’écarteraient de la norme commune.
  • Le principe d’un prélèvement exceptionnel sur le montant des dividendes versés comme source de recettes complémentaires des retraites est à étudier. Ce prélèvement s’appliquerait à compter d’un seuil à déterminer, selon un barème progressif comportant un taux plafonné à 30 %. Les sommes ainsi prélevées viendraient abonder un fonds spécifique de retraite. Les recettes seraient affectées aux différents régimes de retraite au prorata de leurs cotisants et bénéficiaires. Le dispositif prévoirait un mécanisme d’ajustement de l’assiette pour les entreprises investissant dans des projets à forte composante sociale ou environnementale. L’assiette serait réduite à due concurrence des investissements consacrés à des projets en lien avec la reconstruction écologique, l’emploi des seniors, l’intégration des jeunes dans l’emploi.
  • Des cotisations retraite calculées sur une assiette élargie à savoir la valeur ajoutée et non plus la seule masse salariale.

Recommandation 2 : Le revenu d’engagement senior : une réponse non marchande fondée sur le pari de l’engagement des seniors pour des activités à forte utilité sociale : ce dispositif serait ouvert aux personnes de 55 ans et plus en situation de précarité. Il donne le droit à une seconde vie professionnelle structurée autour d’un projet personnel engageant et à forte utilité pour la société. Le plafond de ce revenu serait fixé à la hauteur du SMIC net. Le coût net de la mesure peut être estimé à une douzaine de milliards d’euros.
Recommandation 3 : De nouvelles règles de gestion permettant de neutraliser les périodes d’inactivité subies dans le calcul des droits à la retraite et de sortir du « piège de la carrière » Ces règles permettraient au moment de la demande de liquidation des droits à la retraite de neutraliser une partie des aléas de carrières subis. Cela reviendrait à reconstituer une sorte de carrière « fictive » pour le calcul de la pension. Ces règles s’appliqueraient pour les personnes durablement installées dans ce marché intermédiaire de l’emploi précaire à bas coût.
Recommandation 4 : Une revalorisation du plafond de l’ASPA à 1 400 euros et la suppression de la clause de récupération après décès : ce montant correspond au montant estimé par l’ONPS de la valeur des biens et services minimaux pour « participer effectivement à la vie sociale ».
[1] Pierre-Yves Cusset, Hippolyte d’Albis, Julien Navaux, Jacques Pelletant, Note d’analyse, France stratégie, n° 103, décembre 2021
[2] Aurélie Blondel, « Retraite : les femmes touchent toujours 40 % de moins que les hommes », Le Monde, Publié le 03 juin 2021
[3] Statistiques CNAV liquidation année 2021
[4] Nicolas Castel, Bernard Friot, retraites : généraliser le droit au salaire, 2022 (Page 24)
[5] Chiffre 2022 INSEE
[6] Chiffre 2022 INSEE
[7] « Espérance de vie en 2021. Comparaisons régionales et départementales », Insee, 2022
[8] « Réforme des retraites: avec 22000 manifestants selon la CGT, «un summum historique atteint» à Amiens », Courrier Picard, 2023
[9] Bruno Palier, Réformer les retraites, Les Presses de SciencesPo, 2021 pages 16.
[10] Loi n° 93-936 du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale.
[11] Loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites
[12] Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites
[13] La loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 portant réforme des retraites
[14] Bruno Palier, Réformer les retraites, Les presses de Sciences Po, année 2021
[15] Pierre-Yves Cusset, Hippolyte d’Albis, Julien Navaux, Jacques Pelletant, Note d’analyse N° 103 de décembre 2021 France stratégie
[16] Antoine Bozio, « la réforme des retraites de 1993 : l’impact de l’augmentation de la durée d’assurance » Économie et Statistique, 2011 repris par Hippolyte d’Albis les seniors dans l’emploi, Les presses de SciencesPo, 2022, pages 82-83
[17] Simon Rabaté et Julie Rochut « Employment and Substitution Effect of Raising The Statutory Retirement Âge in France », Journal of Pension Economics and Finance, n° 19, 2020 repris de Hippolyte d’Albis, Les seniors et l’emploi, Les presses de SciencesPo, 2022, pages 83
[18] Christian Geppert, Yvan Guillemette, Hermes Morgavi, David Turner « Labour Supply of Older People In Advanced Economies : The Impact of Changes To Statutory Retirement Ages » OECD Economics Department Working Papers 1554, 2019 repris de Hippolyte d’Albis, , Les seniors et l’emploi, Les presses de SciencesPo, 2022, page 46.
[19] Commission européenne, livre blanc sur les retraites, 2012
[20] Bruno Palier, Réformer les retraites, Les presses de SciencesPo, 2021, pages 60
[21] « Femmes et hommes, l’égalité en question », Édition 2022, Insee, Publié le 03/03/2022
[22] « Rapport annuel du COR septembre 2022 – Evolutions et perspectives des retraites en France », COR, Publié le 15 septembre 2022
[23] Philippe Laffon, « Vers un système universel de retraite », France Stratégie, Publié le 16 octobre 2018
[24] Source INSEE chiffre 2019
[25] Tableaux de l’économie française de l’INSEE édition 2020
[26] Olivier Mériaux, « Le jeu de dupes de l’âge doit cesser pour cette réforme des retraites », Le Monde, 25 janvier 2023
[27] Robert Castel, L’insécurité sociale, La république des idées, Seuil, 2003
[28] Aïmane Abdelsalam al., « Un capitalisme sous perfusion. Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises », IRES, octobre 2022
[29] « Comment le système de retraites est-il financé ? », Vie publique, Modifié le 28 novembre 2022
[30] « Les actionnaires du CAC 40 ont bénéficié de 80 milliards d’euros en dividendes et rachats d’actions en 2022, un record », La Tribune, 08 Jan 2023
[31] Isabelle Chaperon, « Versement de dividendes : un nouveau record en vue en 2023 », Le monde, 27 janvier 2023
[32] Nicolas Castel, Bernard Friot, Retraites : généraliser le droit au salaire, Les cahiers du salariat, 2022
[33] Daniel Susskind, Un monde sans travail, Flammarion 2023
[34] Aurélien D’Isanto, Jérôme Hananel, Yoann Musiedlak, « Un tiers des seniors sans emploi ni retraite vivent en dessous du seuil de pauvreté », Études et résultats, Drees, n° 1079, 2018
[35] Un travail a été mené sur le lien salaire/travail : https://lbapres.godf.org/pour-un-revenu-universel-inconditionnel/
[36] Philippe Van Parijs, Yannick Vanderborght, Le revenu de base inconditionnel une proposition radicale, La découverte
[37] Bruno Palier, Réformer les retraites, Les presses de SciencesPo, 2021
[38] Pierre-Yves Cusset, Hippolyte d’Albis, Julien Navaux, Jacques Pelletant, Note d’analyse, France stratégie, n° 103, décembre 2021.

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