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Pour une garantie à l’emploi vert

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Pour une garantie à l’emploi vert

Le chômage est une épreuve. Pour qui est privé d’emploi, sa prolongation constitue une expérience d’autant plus difficile que le travail utile à la société est inépuisable. Comment qualifier une société qui condamne des millions de gens à « l’inutilité » ? Comment accepter un phénomène de marginalisation sociale à grande échelle ? L’habitude du chômage nous fait parfois oublier à quel point il est une absurdité. Le chômage, au sens moderne du terme, est la privation d’un emploi salarié. Il naît avec l’essor du salariat et les premières crises du capitalisme industriel au XIXème siècle. Il se «massifie » au crépuscule des Trente Glorieuses, pour atteindre des taux oscillant entre 7 et 11 % de la population active française. Aucun gouvernement n’en est venu à bout.

Nous nous accommodons trop souvent du chômage de masse. Il ne serait, finalement, qu’une variable d’ajustement douloureuse en période de crise, le pendant négatif d’un modèle économique par ailleurs vertueux. En dépit de sa nécessité, l’assurance chômage contribue à entretenir cette apparence de normalité. Comme son nom l’indique, elle assure les personnes contre un nouveau risque créé par la société industrielle. Pourtant, le chômage de longue durée provoque la dissolution du lien social. En France, il est plus élevé que la moyenne des pays développés.

« Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » affirme le préambule de la Constitution de 1946. À ce titre, le droit à l’emploi fait partie du « bloc de constitutionnalité ». Sa valeur juridique est supérieure aux lois.Force est de constater qu’il est bafoué dans les faits. L’institut Rousseau et Hémisphère gauche proposent de donner corps à cette promesse constitutionnelle en créant un million d’emplois dans les métiers de la reconstruction écologique et dans ceux du lien social.

La garantie à l’emploi propose un emploi à ceux qui en sont durablement privés, tout en contribuant à l’effort de reconstruction écologique de notre pays. L’État impulse et finance cette proposition, tandis que les emplois sont identifiés localement en fonction des besoins de chaque territoire. Ces emplois peuvent être portés par des entreprises, des administrations ou des structures de l’économie sociale et solidaire. Un million d’emplois pourraient êtrecréés grâce à ce dispositif, pour un coût inférieur aux politiques de lutte contre le chômage existantes.

 

Sommaire

I/ Le chômage de masse est une absurdité économique et sociale dont le coût est exorbitant pour la société.

A/  Le chômage de longue durée est une absurdité, synonyme de perte de richesse pour la société et d’exclusion sociale

B/ Depuis 40 ans, les politiques de lutte contre le chômage présentent un bilan décevant et n’ont pas permis d’éradiquer le chômage de longue durée

II/ La garantie à l’emploi : un nouvel horizon de la lutte contre le chômage

A/ Le droit à l’emploi, qui a valeur constitutionnelle, doit être réaffirmé 

B/ La garantie à l’emploi émerge comme une politique volontariste de lutte contre le chômage

C/ La France connaît déjà plusieurs embryons de garantie à l’emploi

III/ La garantie à l’emploi devrait être ciblée sur les emplois nécessaires à la reconstruction écologique et au renforcement du lien social

A/ Identifier les besoins : la reconstruction écologique et les métiers du lien

B/ Partir des territoires : les emplois doivent être identifiés au niveau de chaque bassin de vie, par des comités locaux pour l’emploi solidaire

C/ Les comités locaux pour l’emploi solidaire pourront s’appuyer sur plusieurs dispositifs

IV/ Conclusion

 

I/ Le chômage de masse est une absurdité économique et sociale dont le coût est exorbitant pour la société.

A/ Le chômage de longue durée est une absurdité, synonyme de perte de richesse pour la société et d’exclusion sociale.

 

1. La France compte près de 4 millions de chômeurs.

La France compte 3,8 millions de personnes sans emploi[1]. À ces 3,8 millions de chômeurs, s’ajoutent 2,2 millions de personnes en situation d’emploi précaire : elles enchaînent des intérims, subissent des temps partiels.

Les contrecoups de la pandémie de Covid-19 pourraient encore accroître le chômage en 2021. Dans le contexte de la pandémie, les plans sociaux s’accumulent. Du mois de septembre 2020 au mois de décembre, 35 000 licenciements ont été annoncés[2]. Avant le secteur du commerce (6 057 suppressions de postes) et de l’hébergement-restauration (4 659 postes), c’est celui de l’industrie manufacturière où les destructions de postes sont les plus nombreuses (17 570). En cumul depuis le 1er mars 2020 et le 1er janvier 2021, 84 100 ruptures de contrats de travail ont été prononcées dans le cadre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), soit près de trois fois plus que sur la même période l’année précédente. Un million de personnes supplémentaires pourraient se retrouver au chômage d’ici à la fin du premier semestre 2021.

Depuis près de 40 ans, la France connaît un chômage massif qui oscille entre 8 et 10 % de la population active.

Taux de chômage, France, 1975-2019

1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019
Taux (%) 3.4 5.3 8.8 7.9 10.0 8.6 8.9 9.3 10.3 8.4

Source : Insee, enquêtes Emploi, séries longues sur le marché du travail.

 

Parmi eux, les chômeurs de longue durée, privés d’emploi depuis plus d’un an, représentent une part stable et élevée, autour de 40 % du nombre de chômeurs global (entre 3,5 et 4 % de la population active). Le chômage de longue durée a pris une ampleur préoccupante en France. Au quatrième semestre de 2020, il concerne 2,8 millions de personnes selon Pôle emploi[3] et 1,2 millions selon l’INSEE. Entre 2006 et 2015, le taux de chômage de longue durée est en progression de 3,9% alors que dans le même temps il a diminué de plus de 25 % en Allemagne. Dans les pays de l’OCDE, les chômeurs de longue durée représentent en moyenne 25,8 %[4] du total des chômeurs, soit 15 points de moins qu’en France.

 

2. Le chômage de longue durée est une exclusion sociale pour les personnes qui y sont confrontées et une perte de richesse pour la société.

 

Le chômage de longue durée est synonyme d’exclusion sociale pour les personnes qui y sont confrontées et de perte de richesse pour la société. Le chômage n’est jamais lié à une pénurie de travail, qui existe en quantité inépuisable, mais à un manque d’emplois. Il occasionne un gaspillage de ressources humaines et financières. Son coût ne se résume pas aux allocations versées aux chômeurs. Au cours des années 1970, qui coïncident avec l’arrivée du chômage de masse dans les sociétés occidentales, la littérature économique empirique s’est intéressée aux coûts sociétaux et individuels entraînés par le non-emploi. Ils sont nombreux.

Le chômage entraîne des coûts macroéconomiques, d’abord, qui correspondent à la baisse de la consommation, à la perte en capital humain des salariés privés d’emploi et à la sous-utilisation du capital productif. Des coûts « psychosociaux », ensuite, qui découlent de la perte de lien social vécue par le chômeur ou d’une rupture conjugale dont le chômage accroît le risque. Ils entrainent une hausse des taux de mortalité, de suicide et des souffrances psychiques qui pèsent sur le financement du système de santé. Ces coûts ne sauraient néanmoins résumer la souffrance des personnes que le chômage entraîne dans une spirale négative et dont la stabilité de la vie familiale se trouve en péril. Enfin, le chômage fait peser des coûts sur les finances publiques, à travers les dépenses directes d’assurance chômage, les frais d’accompagnement et d’administration (Pôle emploi), les pertes indirectes de recettes publiques en matière de cotisations sociales et d’impôts et les dépenses sociales contre la pauvreté (RSA, AAH, APL[5]). On impute également au chômage des conséquences sociales avec des dépenses induites, dans les domaines du logement, de la santé, de la sécurité et de la protection de l’enfance.

L’ONG ATD Quart Monde a estimé[6], en 2015, les coûts du chômage « d’exclusion » à 36 milliards d’euros par an pour la puissance publique. Ce montant représente ce que la collectivité consacre aux personnes privées d’emploi sur une longue durée et qui s’en trouvent plongées dans la précarité. Elles étaient 2,1 millions en 2015, chômeurs des catégories A, B ou C n’ayant pas accès aux allocations chômage. Pour chaque poste de coût lié directement ou indirectement au chômage, ATD Quart Monde applique le pourcentage des personnes durablement privées d’emploi qui en bénéficient. Le coût total rapporté aux 2,1 millions de personnes du public cible équivaut à une dépense de 15 400 euros par personne et par an. ATD Quart Monde affirme que le chiffre de 36 milliards d’euros par an est sous-estimé car certains coûts du chômage complexes à évaluer ne sont pas pris en compte, comme la part des prestations familiales sous conditions de ressources qui bénéficieraient aux chômeurs (allocation rentrée scolaire, prestation d’accueil du jeune enfant…), ou des réductions tarifaires supportées par les collectivités locales (centre de loisirs, piscine, médiathèque, transports).

Coûts annuels du chômage d’exclusion

 

Montant (Mds d’euros)
Coûts directs   16,31
Dépenses ciblées pour l’emploi 6,79
Dépenses sociales  9,52
Coûts indirects  7,16
Manques à gagner en impôts et cotisations sociales  12,63
TOTAL 36,11

Source : ATD Quart Monde, 2015.

 

B/ Depuis 40 ans, les politiques de lutte contre le chômage présentent un bilan décevant et n’ont pas permis d’éradiquer le chômage de longue durée  

Depuis 40 ans, les politiques de lutte contre le chômage se classent en deux catégories. D’un côté, les politiquespassives visent à atténuer les effets du chômage : indemnisation et accompagnement des demandeurs d’emploi, ou diminution du nombre d’actifs, à travers, par exemple, l’encouragement des départs à la retraite anticipés. De l’autre, les politiques actives tentent de créer ou de sauver des emplois : réduction de temps de travail pour mieux le partager, relance de l’activité économique, assouplissement du droit du travail pour le rendre plus flexible, contrats aidés ou encore baisse du coût du travail par des exonérations de cotisations sociales ou des crédits d’impôts comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Le bilan de ces politiques est ambivalent. Elles n’ont, en tout cas, jamais permis d’éradiquer le chômage de longue durée. Depuis 1990, la stratégie française pour l’emploi s’est avant tout concentrée sur la réduction du coût du travail, avec, dès 1993, les  « allègements Fillon » sur les cotisations sociales pesant sur les bas salaires. Les allégements fiscaux et les exonérations de cotisations sociales, soit pour favoriser l’emploi, soit pour subventionner la demande privée de services sociaux non pourvue par l’État (les politiques de « services à la personne »), coûteraient chaque année 27 milliards d’euros aux finances publiques, selon une étude du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po[7], pour environ 43 320 emplois créés ou maintenus, soit un coût supérieur à 62 500 euros par emploi et par an. Les allègements de cotisations sociales ont un effet indéniablement positif sur l’emploi, mais il n’existe pas de consensus parmi les économistes pour évaluer l’ampleur de cet effet. Par ailleurs, leur coût est immédiat pour les finances publiques, mais leur effet sur l’emploi n’apparaît qu’à plus long terme, les comportements des entreprises étant lents à modifier[8]. En plus des allègements généraux, la France a particulièrement subventionné le secteur des services à la personne, comme le montre l’ouvrage Le retour des domestiques[9], de Clément Carbonnier et Nathalie Morel. En 2014, le coût de cette politique s’est élevé à 6,4 milliards d’euros, dont 70 % en réductions d’impôts et 30 % en réductions de cotisations sociales. Bien inférieur aux prévisions du plan Borloo de 2005 (500 000), le nombre d’emplois créés entre 2005 et 2010 fut inférieur à 200 000 selon la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail[10].

À partir de 1997, la réduction du temps de travail avec la mise en œuvre des 35 heures aurait permis de créer 350 000 emplois entre 1998 et 2002 – après quoi le dispositif a été détricoté -, loin des 2 millions d’emplois envisagés, selon le bilan dressé par la DARES et repris par l’INSEE, pour un coût évalué à 12,5 milliards d’euros par an pour les finances publiques.

Pour ce qui concerne le CICE, des travaux de recherche récemment publiés par France stratégie[11] montrent qu’il aurait permis de créer de 100 000 à 160 000 emplois entre 2013 et 2017, pour un coût de 28 milliards d’euros en tout, soit environ 280 000 euros par emploi. L’évaluation du CICE par le LIEPP en 2017 (laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques) avait montré que le dispositif, peu ciblé, s’était traduit par une hausse des salaires, notamment des salaires relativement élevés parmi ceux bénéficiant de l’allègement. Par comparaison, en 2016, 3,3 milliards d’euros de dépenses publiques servaient au financement d’un peu plus de 400 000 emplois, sous la forme de contrats aidés.

L’INSEE évalue l’ensemble des dépenses publiques en faveur des politiques du marché du travail (actives et passives), ciblées sur des populations particulières (demandeurs d’emploi et personnes en difficulté sur le marché du travail), à 66 milliards d’euros en 2017, soit 2,9 % du PIB[12]. Ces dépenses comprennent le financement du service public de l’emploi, celui des mesures  « actives » – la formation professionnelle des demandeurs d’emploi, les contrats aidés dans les secteurs marchand ou non marchand, les aides à l’emploi des travailleurs handicapés et les aides à la création d’entreprise par les chômeurs, – et des mesures passives – les allocations d’indemnisation du chômage, total ou partiel, ou de préretraite. Ces 66 milliards d’euros de dépenses ne comprennent pas le montant dédié aux allègements de cotisations sociales ou les crédits d’impôts type CICE. 

Dépenses pour les politiques publiques du marché du travail (millions d’euros)

               2000               2005              2010            2015              2016              2017
                    Services du marché du travail 2 681 4 286 6 194 5 749 5 657 5 808
                   Mesures actives 14 843 11 845 15 119 14 691 15 950 15 330
                   Formation professionnelle 5 639 5 455 6 740 6 166 7 246 7 162
                   Incitations à l’emploi 2 135 1 780 1 308 1 070 1 288 1 029
                   Emploi protégé 1 254 1 455 2 112 1 963 1 920 1 958
                   Création directe d’emploi 5 777 3 091 3 902 4 803 4 911 4 630
                  Aide à la création d’entreprises1 38 64 1 056 689 586 551
                  Soutiens 25 015 35 373 38 773 44 957 45 371 45 144
                 Soutien du revenu en cas de perte d’emploi 22 423 34 395 38 543 44 930 45 358 45 139
                 Préretraites 2 592 978 229 27 13 5
                  Total 42 540 51 504 60 086 65 397 66 979 66 282
                 Dépenses totales (en % du PIB) 2,9 2,9 3,0 3,0 3,0 2,9

Source : Dares (2020) 

II/ La garantie à l’emploi : un nouvel horizon de la lutte contre le chômage

A/ Le droit à l’emploi, qui a valeur constitutionnelle, doit être réaffirmé

1. Le droit à l’emploi dispose d’un potentiel juridique largement inexploité

« Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » – le droit à l’emploi est inscrit au préambule de la Constitution de 1946 et à ce titre, il fait partie du « bloc de constitutionnalité »[13] dont la valeur juridique est supérieure aux lois. Le  « droit au travail » est par ailleurs l’un des droits de l’homme proclamé par la Déclaration des Nations unies de 1948, dont l’article 23 dispose que « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ».

En France, le droit au travail traverse l’histoire politique moderne. Lors de la Révolution française, il est un thème important des débats de l’Assemblée constituante, qui préoccupe aussi bien les radicaux que les modérés. Le droit au travail est repris directement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’existence à ceux qui sont hors d’état de travailler ».

Un demi-siècle plus tard, le droit à l’emploi est une revendication sociale de la révolution de 1848 qui augure la naissance de la Deuxième République française, dans un contexte où le salariat industriel se développe et où, parallèlement, le chômage apparaît comme une nouvelle réalité économique et sociale. Dans un discours à l’Assemblée constituante[14], prononcé au cours d’un débat sur le droit au travail, le député Alexandre Ledru-Rollin lance une adresse qu’il conclut en ces termes :  « Je me résume : on a dit, le droit au travail, c’est le socialisme. Je réponds : non, le droit au travail, c’est la République appliquée ».

Aujourd’hui, force est de constater que le droit à l’emploi est largement déclamatoire. De fait, sa portée juridique est très limitée. La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne considère pas le droit à l’emploi comme un droit opposable, qui mettrait les pouvoirs publics face à l’obligation de proposer un emploi à tout chômeur. Il renvoie, tout au plus, à une obligation de  « moyen » : les pouvoirs publics doivent « poser les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi en vue de permettre l’exercice de ce droit au plus grand nombre d’intéressés »[15]. Les personnes qui ne trouvent pas de place sur le marché du travail ne se voient pas proposer un emploi, mais des prestations sociales, que certains jugent stigmatisantes et qui sont insuffisantes pour leur permettre de vivre dignement.

On pourrait imaginer que le droit à l’emploi soit concilié avec d’autres droits comme la liberté d’entreprendre, mais il n’en est rien. Le corpus législatif et constitutionnel comporte de nombreux droits de valeur juridique égale mais dont la portée peut être contradictoire : la liberté et la sécurité, le droit à la propriété et le droit au logement. Le droit ou le juge se charge de les concilier. En matière jurisprudentielle, la conciliation désigne l’interprétation par le pouvoir judiciaire de normes de forces égales pouvant être porteuses d’exigences différentes, en vue de les faire coexister. Prenons l’exemple du progrès technique, qui a entraîné la disparition d’une partie des emplois non qualifiés en Occident, faute d’avoir pu y substituer entièrement d’autres types d’activités. Qu’a fait la jurisprudence pour concilier, par exemple, la liberté d’innover et celle du droit à l’emploi ? Depuis l’invention de la machine à tisser – qui avait donné lieu à la contre-révolte des luddites, en Angleterre -, jusqu’à celle de la caisse automatique dans les supermarchés, nous n’avons jamais su réguler les retombées de l’innovation sur l’emploi, aujourd’hui exorbitantes. Récemment, une étude commandée par l’ONG Les Amis de la Terre et la député européenne Leïla Chaibi, réalisée par deux chercheurs, montrait qu’entre 2009 et 2018, le e-commerce a détruit 80 000 emplois de plus qu’il n’en a créé en France, comme en Allemagne, et 43 000 en Espagne. Pourtant, le droit à l’emploi n’est pas évoqué lorsqu’il s’agit de statuer sur l’implantation d’un entrepôt Amazon. Pourrait-on imaginer que le juge administratif, saisi d’un recours contre une décision administrative autorisant Amazon à implanter un entrepôt, exige des garanties en matière de préservation de l’emploi, ou demande à l’entreprise de compenser financièrement les pertes, sur le fondement du droit à l’emploi ? De même, que vaut le droit à l’emploi dans la négociation des accords de libre-échange, dont la somme a conduit à la destruction massive d’emplois en Occident ?

2. La reconnaissance du droit d’obtenir un emploi constitue le préalable à une mobilisation renouvelée des politiques de lutte contre le chômage

Le droit à l’emploi est davantage compris comme un droit à ne pas être licencié, plutôt que comme le droit à obtenir un emploi. Le salarié qui bénéficie d’un contrat à durée indéterminée est ainsi protégé d’un licenciement abusif[16]. Même en cas de difficultés économiques, une entreprise qui souhaite licencier des salariés doit s’acquitter d’un montant financier qui comprend les indemnités de licenciements, de formation, l’aide à la création d’une entreprise ou encore des congés de reclassement. En cas de suppressions de postes massives, l’entreprise doit aussi verser une somme dédiée à la revitalisation du territoire dont elle aura affaibli la santé économique. En revanche, une entreprise ne sera jamais pénalisée si elle ne crée pas d’emploi sur le territoire ou si elle en détruit indirectement.

Réaffirmer le droit d’obtenir un emploi est un préalable à une mobilisation renouvelée des responsables politiques et économiques pour ne plus accepter que des personnes s’en trouvent durablement privées.

B/ La garantie à l’emploi émerge comme une politique volontariste de lutte contre le chômage

1. Théorisée par des économistes, la garantie à l’emploi s’impose comme un horizon pertinent pour tendre vers le plein emploi face au chômage de longue durée.

Historiquement, l’un des principaux promoteurs de « la garantie à l’emploi » est l’économiste Hyman Minsky. Minsky a posé les fondements[17] d’une stratégie de lutte contre le chômage en cas de contraction de la demande globale : l’État comme « employeur en dernier ressort ». Le principe est que la puissance publique agit de manière volontariste pour fournir un emploi à tous ceux qui sont prêts à travailler au salaire minimum, et éventuellement au-delà en fonction des qualifications requises pour les emplois proposés. L’objectif pour la société est d’arriver à une meilleure utilisation des capacités productives existantes plutôt qu’à leur accroissement. La société doit prendre les chômeurs tels qu’ils sont, adapter ces nouveaux emplois à leurs compétences tout en orientant le travail disponible en fonction des besoins sociaux. Les emplois doivent se situer dans des secteurs intensifs en travail et générer des effets utiles perceptibles pour la collectivité.

Dans une économie aux gains de productivité stagnants et confrontée à une persistance du chômage de longue durée qui dégrade le potentiel de croissance à long terme[18], cette stratégie, différente du seul jeu des stabilisateurs automatiques, émerge comme une réponse à explorer. De fait, à défaut de politique active et massive en direction des personnes durablement privées d’emploi, la reprise de l’emploi pourrait être durablement ralentie ou très vite atteindre un plateau en raison de la démotivation ou de la baisse de l’employabilité de certains chômeurs dont les compétences deviennent progressivement obsolètes : c’est l’effet d’hystérèse. Dès lors, en termes macro-économiques, il est possible de concevoir la garantie à l’emploi comme une réponse contra-cyclique pour lutter contre le chômage de masse et de longue durée, dans une économie qui ne produit pas suffisamment d’emplois utiles à la société, comme le souligne le courant de la Modern Monetary Theory et des économistes comme Marc Lavoie[19] et Pavlina R. Tcherneva[20] (Levy Economics Institute of Bard College).

2. La garantie à l’emploi vise à offrir à tous la possibilité de travailler

Le coût élevé du chômage et des politiques de l’emploi conduit à s’interroger sur la possibilité de remplacer une partie de ces dépenses par le financement direct d’emplois qui répondent à des besoins territoriaux identifiés. Autrement dit, mettre en œuvre une politique qui se donne la garantie à l’emploi comme horizon.

La création d’une « garantie à l’emploi » émerge comme une politique active et volontariste de lutte contre le chômage, alternative à celles qui ont consisté à réduire le coût ou le temps de travail. Elle repose sur une mobilisation renouvelée de la société autour des principes suivants : personne n’est inemployable et chacun a le droit d’obtenir l’emploi ; ce n’est pas le travail qui manque, puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits ; ce n’est pas non plus l’argent qui manque puisque chaque année, le chômage entraîne de nombreuses dépenses et manques à gagner que la collectivité prend à sa charge.

La garantie à l’emploi propose, ainsi, à chaque personne au chômage et qui en fait la demande, une offre d’emploi, à temps choisi, payée au SMIC horaire. Ces emplois donnent les mêmes droits et devoirs qu’un CDI classique : congés payés, cotisation à la retraite, sécurité sociale, comptabilisation des revenus dans la base imposable, etc. L’objectif de la garantie à l’emploi est de fournir un emploi à toutes les personnes durablement exclues du marché du travail. La garantie à l’emploi croît en l’émancipation par le travail, mais n’impose rien. Elle revient à augmenter la liberté de ceux qui sont privés d’emploi contre leur gré, en évitant que ces personnes ne s’enlisent dans une trappe à chômage, et elle augmente leur chance de pouvoir ensuite rebondir vers un emploi mieux rémunéré. Indirectement, elle donne aussi plus de pouvoir aux travailleurs précaires qui pourront se prévaloir d’une alternative auprès de ceux qui voudraient les contraindre à accepter des emplois en CDD ou d’intérimaires. La garantie à l’emploi pourrait aussi contribuer à éradiquer la pauvreté au sens défini par l’INSEE.

La garantie à l’emploi pourra concerner les chômeurs privés d’emploi depuis plus d’un an, qui résident en France de manière durable. Une possibilité serait de calquer l’ouverture de ce nouveau droit sur l’éligibilité au RSA, qui est ouvert aux Français, aux ressortissants de l’espace économique européen sous réserve d’une durée de résidence de trois mois, et aux autres étrangers en situation régulière, sous réserve qu’ils soient titulaires d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans. Dans tous les cas, une durée minimale de résidence régulière en France devrait être prévue[21].

3. Comment est financée la garantie à l’emploi ?

La garantie à l’emploi est financée par la puissance publique, notamment à travers « l’activation » des dépenses liées au chômage, c’est-à-dire par la transformation des allocations et des aides sociales que perçoivent les chômeurs en salaires.

L’évaluation des coûts d’une garantie à l’emploi en France dépend du dispositif retenu in fine pour la mettre en œuvre. Les dépenses seront plus importantes s’il s’agit, comme dans le cadre de l’expérience Territoires zéro chômeurs de longue durée (cf. infra), de faire supporter aux acteurs publics la création d’emplois dans des secteurs non-concurrentiels, qui impliquent de financer des investissements nécessaires au lancement d’une activité : matériels mobilier et immobilier, formation, recrutement de personnel encadrant. Elles seront moindres si la garantie à l’emploi comporte une dimension de contrats aidés dans le secteur marchand.

On peut formuler une hypothèse de financement à partir du nombre de chômeurs de longue durée, c’est à dire privés d’emploi depuis plus d’un an, qui représentent 2,8 millions de personnes selon Pôle emploi[22]. Il faut ici calculer le coût du financement direct d’un emploi pour 2,8 millions de bénéficiaires payés au SMIC. Ce coût comprend le salaire versé, mais aussi des frais d’accompagnement et des frais liés à la création d’activité. Une hypothèse du coût de financement peut être établie à partir du seul coût du salaire versé. À l’aide d’une multiplication du salaire net mensuel, sachant que les cotisations sociales reviennent dans les caisses publiques, on arrive à : 1231 x 12 x 2,8 = 41,1 milliards d’euros par an.

Par comparaison, la réforme de la fiscalité du capital en 2017 (la flat tax) et la suppression partielle de l’impôt sur la fortune (ISF) coûtent environ dix milliards par an, et ne permettent, selon les projections du ministère de l’Économie et des Finances, de créer que 50 000 emplois sur le long terme. Une autre hypothèse de financement peut se fonder sur le coût d’un emploi dans le cadre de l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée, qui se situe environ à 20 000 euros par an. On arrive alors à 56 milliards d’euros.

Le budget d’une garantie à l’emploi sera en partie compensé par des transferts budgétaires provenant de l’assurance chômage, qui représente 40 milliards d’euros de budget annuel. Le salaire versé aux participants à la garantie à l’emploi étant pris en compte pour le calcul des aides sociales, des économies seront réalisées sur le budget du RSA, qui s’élevait à 11 milliards d’euros en 2018, et sur celui des autres prestations sociales versées sous conditions de ressources. La garantie à l’emploi pourrait aussi avoir des effets positifs sur la consommation des ménages, et donc sur les recettes de l’État (TVA, impôts directs et autres taxes indirectes). En outre, on pourrait imaginer que le coût de la garantie à l’emploi puisse être financé par le rétablissement de l’ISF, dont la suppression partielle, pour un manque à gagner de 3 milliards d’euros par an pour les finances publiques[23], n’apparaît pas avoir eu d’impact sur l’investissement productif mais aura contribué à l’enrichissement des 0,1 % les plus riches, à hauteur d’un quart de leur fortune[24]. Par ailleurs, une partie des fonds alloués aux politiques de baisses des cotisations employeur pourraient être réaffectée au financement de la garantie à l’emploi. Charbonnier, Palier et Zemmour estiment les montants réallouables à au moins 6 milliards d’euros, en se fondant sur des hypothèses conservatrices[25].

Enfin, une récente étude belge a estimé le coût public annuel net d’un dispositif très proche de TZCLD en soustrayant au coût moyen pondéré de la privation d’emploi (39 408€/an) le coût résiduel des dépenses de l’expérimentation hors chiffre d’affaires (entre 36 263€/an et 38 096€/an)[26]. Les conclusions de l’étude sont très encourageantes : « en fonction des scénarios de recrutement établis, l’étude conclut ainsi à un gain net moyen pour les finances publiques belges de 2 233€/an (variation des 4 scénarios entre +1 312€/an et +3 145€/an) ».

C/ La France connaît déjà plusieurs embryons de garantie à l’emploi

Il existe quelques exemples historiques proches de la garantie à l’emploi que nous envisageons. Le programme Civilian Conservation Corps de Franklin D. Roosevelt employa jusqu’à 3 millions d’Américains entre 1933 et 1942, et permit de construire 700 parcs nationaux, 40 000 ponts, 4000 cabanes et refuges pour les promeneurs, et de planter 3,5 milliards d’arbres. En Inde, depuis 2005, la loi nationale de garantie de l’emploi rural propose chaque année au moins cent jours d’emploi sûr et rémunéré, à chaque foyer, dont les membres adultes se portent volontaires pour effectuer des travaux manuels. En Autriche, un projet piloté par un groupe de chercheurs d’Oxford en partenariat avec le ministère du Travail de basse Autriche teste une garantie universelle à l’emploi. Le dispositif propose à 150 chômeurs privés d’emploi depuis plus d’un an, résidant à Marienthal, un contrat de travail pour une durée de trois ans, voire plus, dans les secteurs suivants : jardinage, rénovation des maisons, garde d’enfants. En France, le pas vers une garantie à l’emploi n’a jamais été franchi mais de nombreux dispositifs s’en sont approchés : les contrats aidés, l’insertion par l’activité économique ou encore, plus récemment, l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée.

1. Les contrats aidés

Les contrats aidés arrivent en France en 1977 pour faire face à l’augmentation du chômage des jeunes engendrée par la crise économique. En 1978, le Pacte national pour l’emploi des jeunes conduit l’État à prendre en charge une partie des cotisations sociales pour l’embauche de jeunes de moins de 25 ans. Plusieurs dispositifs suivront : le contrat emploi solidarité créé par le gouvernement de Michel Rocard en 1990, les emplois jeunes en 1997 sous le gouvernement Jospin, puis les contrats d’accompagnement vers l’emploi et le contrat unique d’insertion (CUI). Le coût annuel d’un emploi aidé pour les finances publiques est estimé en 2012 par l’Inspection générale des finances à 12 853 euros, contre 280 000 euros pour un emploi créé par le CICE en 2016. En 2016, l’État finançait encore 400 000 contrats aidés. Ces contrats bénéficiaient pour un quart au secteur marchand (surtout des très petites entreprises du secteur tertiaire) et pour trois quarts au secteur non marchand (principalement des associations, mais aussi des établissements publics et des collectivités). En 2018, le nombre de contrats aidés est retombé à 200 000 après que le gouvernement a décidé de ramener les crédits qui leur sont attribués de 2,4 milliards d’euros à 1,4 milliard d’euros, soit une baisse de plus de 40 % par rapport à 2017. En novembre 2020, on ne comptait plus que 70 000 contrats aidés, essentiellement sous la nouvelle formule du parcours emploi compétences (PEC). Cette réduction massive et brutale des contrats aidés a mis en difficulté de nombreuses structures associatives, médico-sociales, éducatives ou même des collectivités territoriales.La diminution du nombre de bénéficiaires s’est également traduite par des destructions nettes d’emploi et une hausse du nombre de demandeurs d’emploi.

2. L’insertion par l’activité économique

L’insertion par l’activité économique (IAE) apparaît dans les années 1970. À travers elle, les pouvoirs publics aident au développement de structures dont l’objectif est d’employer des chômeurs de longue durée. Selon l’article L.5132-1 du code du travail,  « l’insertion par l’activité économique a pour objet de permettre à des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, de bénéficier de contrats de travail en vue de faciliter leur insertion professionnelle. (…) L’insertion par l’activité économique, notamment par la création d’activités économiques, contribue également au développement des territoires”.

Les structures de l’IAE relèvent de l’économie sociale et solidaire et sont de natures très diverses : les entreprises d’insertion, les ateliers chantiers d’insertion, les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, les associations intermédiaires ou encore les entreprises de travail temporaire d’insertion. Chaque structure signe une convention avec l’État et reçoit, pour chaque poste créé, une aide financière. Les dépenses publiques pour l’IAE tournent autour d’1 milliard d’euros par an. Certaines structures de l’IAE sont soutenues par de grands groupes. Depuis 2007, le groupe SEB conduit par exemple une politique de mécénat en faveur d’entreprises d’insertion qui développent des activités de recyclerie, d’aménagements paysagers ou encore d’entretien d’espaces verts.

L’IAE est mal connue du grand public et considérée comme à la marge de l’écosystème économique. Pourtant, fin 2018, la France comptait 3 803 structures de l’insertion par l’activité économique qui embauchaient 140 000 personnes. Parmi eux, près de la moitié (47 %) sont bénéficiaires des minimas sociaux et 38 % sont des chômeurs de très longue durée, dont la période d’inactivité est supérieure à deux ans. 55 % des parcours d’insertion aboutissent à une sortie positive vers l’emploi « de droit commun »[27].

3. À travers le dispositif Territoires zéro chômeurs de longue durée, la France a pensé un dispositif original bien que restreint de garantie à l’emploi

Depuis 2016, la France est le théâtre d’une expérience concrète de la garantie à l’emploi, à travers l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée, impulsée par ATD Quart Monde, en partenariat avec le Secours catholique, Emmaüs France, Le Pacte civique et la Fédération des acteurs de la solidarité. Territoires zéro chômeurs de longue durée repose sur trois principes fondateurs :

  • i) personne n’est inemployable ;
  • ii) ce n’est pas le travail qui manque, puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits ;
  • iii) ce n’est pas non plus l’argent qui manque puisque chaque année le chômage de longue durée entraîne de nombreuses dépenses et manques à gagner que la collectivité prend à sa charge.

Bien que restreint – 1000 chômeurs de longue durée ont été accompagnés dans 10 territoires – le projet a fait ses preuves. Il est moins coûteux que d’autres politiques de lutte contre le chômage : le coût est estimé entre 18 000 et 20 000 euros par emploi et par an ce qui, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF)[28], est inférieur au coût d’un emploi en Atelier et Chantier d’Insertion (ACI), et inférieur au coût d’autres politiques comme le CICE (plus de 200 000 euros par emploi) ou les exonérations de cotisations sociales. Le coût du dispositif doit par ailleurs être rapporté au coût de la privation d’emploi (cf. supra).

De plus, si l’impact de Territoire zéro chômeurs de longue durée n’est pas réductible à un indicateur financier, pour les personnes à qui il permet de retrouver une utilité sociale et une énergie vitale et pour les territoires qui bénéficient de services nouveaux, l’association Territoires zéro chômeur de longue durée estime les gains que le dispositif génère à 14 000 euros pour les finances publiques (prestations sociales évitées) et à un impact sur l’économie locale (consommation dans les commerces) dont le montant est au minimum de 10 000 euros par emploi créé. Sur les territoires qui n’ont presque plus de personnes privées d’emploi en attente d’embauche, le changement se traduit par une baisse du recours aux aides sociales et aux associations caritatives et une consommation accrue dans les commerces. Dans le département rural de la Nièvre, où le taux de chômage dépasse parfois 20 % de la population active, la commune de Prémery a bénéficié de l’expérimentation Territoires Zéro chômeurs de longue durée depuis 2016. Depuis 2002, Prémery est une commune frappée par la désindustrialisation, compte tenu de la fermeture de l’usine de charbon de bois Lambiotte. En trois ans, une centaine de personnes a été embauchée par l’entreprise à but d’emploi  « EBE 58 » et le nombre de chômeurs de longue durée inscrits à Pôle emploi a diminué de plus de 40 %, selon les chiffres de l’agence Pôle emploi du secteur.

La puissance et l’originalité de l’expérimentation ne reposent pas sur les montants engagés, pourtant importants, financés par l’État à travers un fonds d’expérimentation. La clé du dispositif est sa gouvernance, originale et anti-bureaucratique. Elle repose sur des comités locaux de l’emploi, qui associent l’ensemble des acteurs d’un territoire: les personnes privées durablement d’emploi, les collectivités locales, le service public de l’emploi, les citoyens, les associations, les élus et les entreprises. Les comités locaux ont deux missions. D’une part, ils identifient et rencontrent les personnes privées durablement d’emploi de leur territoire notamment sur la base des estimations fournies par Pôle emploi. D’autre part, ils identifient les activités supplémentaires qui pourraient être développées sur les territoires. L’objectif fixé par l’expérimentation est de supprimer la privation d’emploi sur un territoire. Cet objectif n’est rendu possible que si les emplois produits par les entreprises à but d’emploi (EBE) n’entrent pas en concurrence avec les emplois existants du secteur privé ou public.

Les comités locaux de l’emploi organisent, en lien avec les compétences des chômeurs, la création  « d’entreprises à but d’emploi » (EBE). Les EBE sont des structures de l’économie sociale et solidaire qui, peu importe leur forme juridique – association ou société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) – assurent l’embauche de personnes privées d’emploi en développant des activités utiles qui manquent au territoire. On observe que 43 % des activités développées sont liées à la transition écologique et représentent 25 % des équivalents temps plein créés. Ces activités sont multiples: rénovation de bâtiments, maraîchage, recycleries ou encore tourisme durable. Ces EBE génèrent du chiffre d’affaires – environ 3 000 euros par employés en 2018[29] – et doivent progressivement atteindre la viabilité économique, avec un résultat à l’équilibre. Pour démarrer et effectuer de premiers investissements, la Caisse des dépôts, via la Banque des territoires, leur attribue des prêts en quasi fonds-propres qui leur permettent de faire levier sur l’emprunt privé. Au 31 décembre, 2019, la majorité des EBE créées dans le cadre de l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue duréeétaient devenus des PME, excédant les 50 salariés. Trois territoires d’expérimentation sur dix avaient atteint “l’exhaustivité” : tous les chômeurs de longue durée volontaires avaient été embauchés en CDI ou étaient sur le point de l’être.

Territoire zéro chômeurs de longue durée a montré que la lutte contre le chômage n’était pas qu’une question budgétaire. Avec la mobilisation de tout un territoire, il est possible de proposer un emploi à toutes les personnes qui en sont privées durablement et qui le souhaitent. Une proposition de loi visant le prolongement et l’extension de l’expérimentation à au moins cinquante territoires supplémentaires a été adoptée à l’unanimité par le Parlement et promulguée le 14 décembre 2020.

III/ La garantie à l’emploi devrait être ciblée sur les emplois nécessaires à la reconstruction écologique et au renforcement du lien social

Chacun peut attendre des personnes avec qui il fait nation qu’elles lui reconnaissent une utilité et des talents, et lui accorde le droit de les faire valoir. Réaffirmer qu’il existe un droit à l’emploi ne nous conduit cependant qu’à la moitié du chemin. Un droit n’existe que lorsque l’on est en mesure de le faire respecter. Autrement dit, créer une garantie à l’emploi n’a de sens que si la société est capable de fournir du travail à ceux qui en font la demande. Le travail ne saurait manquer, mais il demande à être organisé et tourné vers un objectif. Ce dernier doit se penser dans un contexte de sortie du productivisme exigé par la finitude des ressources.

A/ Identifier les besoins : la reconstruction écologique et les métiers du lien

1. La reconstruction écologique 

Une première famille d’emplois à développer massivement dans les trente prochaines années concerne les activités qui permettent de nous placer collectivement sur une trajectoire de neutralité carbone à l’horizon 2050, c’est-à-dire de parvenir à la fois à diviser par six nos émissions de gaz à effet de serre territoriales (soit une baisse de l’ordre de -5 % par an), et doubler les capacités d’absorption de carbone du territoire. Cette transition radicale nécessitera une transformation inédite de notre environnement sociotechnique, de notre rapport à l’énergie, et de nos manières de nous déplacer, de produire, de nous loger et de nous nourrir. Considérant la sobriété énergétique requise pour parvenir à de tels niveaux de réduction des émissions, notre économie nécessitera un accroissement significatif de l’intensité en main d’œuvre de nos activités, ce qui entraînera une forte demande en emplois dits « verts », c’est-à-dire compatibles avec la transition écologique.

Parmi ces emplois verts, les « éco-activités », qui sont définies par le commissariat général au développement durable (CGDD) comme des activités qui produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources, ont cru à un rythme soutenu ces dernières années. Elles sont exercées pour l’essentiel par des entreprises marchandes, mais aussi par des administrations publiques. En 2017, les éco-activités mobilisent 465 450 emplois en équivalent temps plein (ETP)[30], soit 1,8 % de l’emploi total en France. Elles concernent l’agriculture biologique, la protection de la nature, des paysages et de la biodiversité, le recyclage des déchets et le traitement des eaux usées, la récupération des eaux, la recherche et développement ou encore l’ingénierie des énergies renouvelables.

Selon le commissariat général au développement durable, les emplois des éco-activités ont augmenté de 5,4 % entre 2016 et 2017, soit près de 24 000 emplois supplémentaires et un rythme de progression plus élevé que dans l’ensemble de l’économie (+ 1 %). La croissance des éco-activités est portée notamment par l’essor de l’agriculture biologique, ainsi que des énergies renouvelables et de la R&D environnementale. 78 % des emplois assimilés à une éco-activité relèvent des services, dans lesquels est classée l’agriculture biologique.

À titre indicatif, on peut lister un certain nombre d’emplois peu qualifiés ou pouvant découler d’une courte formation qui apparaissent indispensables à la prise en charge de la sécurité climatique, de l’exigence de résilience et de la souveraineté alimentaire.

 

 

Corps de métiers

 

Justification de l’augmentation de ces emplois

 

Sécurité climatique

 

 

Gardes forestiers, champêtres et côtiers

 

 

Entretien des forêts, parcs naturels et des espaces naturels, observation et préservation des écosystèmes, rattrapage des besoins de la profession

 

 

Habitat vert

 

Employés de la rénovation thermique du bâtiment Rénovation du bâti, conformité écologique et insertion de l’habitat dans une logique d’économie circulaire.
 

Fleuristes

 

 

Réduire le stress, développer la médecine végétale et favoriser la biodiversité dans les centres urbains. Changer les modes de consommation en faveur d’une esthétique végétale et un embellissement du cadre de vie

 

 

Industrie verte et transport

 

 

Transporteurs fluviaux

 

 

Développement des alternatives fluviales au transport routier de marchandises

 

Emplois dans l’éco-cimenterie et les nouveaux matériaux de construction

 

Le béton est responsable de 5 % des émissions de GES mondiales car fabriquer du ciment consomme beaucoup de chaleur, des alternatives pour la construction existent, que ce soit le béton bas carbone, la terre crue, les matériaux organiques, etc.
Ouvriers et ingénieurs de la filière algues marines Biocarburants, dépollution et absorption du CO2, bioplastiques, engrais, compléments alimentaire, chimie agroalimentaire, cosmétiques, etc
 

Souveraineté biologique et agricole

 

Employés des pépinières Les besoins en arbres de toutes sortes, adaptés au climats locaux et aux productions cibles, doivent être satisfaits à grande échelle par un maillage de pépinières liées au monde de la recherche
 

Ouvriers de la filière du liège

 

 Décarbonation des composants et des matériaux de la filière viticole
Agents agricoles

 

Fibres textiles, huiles, compléments alimentaires, biocarburants, bioplastiques, isolant thermique, protéines végétales, etc.
 

Viticulteurs de vins naturels et biologiques

 

Accompagner la montée en gamme de la filière viticole française
 

Apiculteurs

 

Soutien à une filière dévastée par l’agrochimie et la concurrence du faux miel, favorise la biodiversité végétale dans son ensemble et améliore les rendements agricoles des plantes à fleurs.
 

Aménagement écologique du territoire

 

Employés de réparation et d’optimisation de l’adduction d’eau 20 % de l’eau potable en France est perdue dans les fuites de canalisation, et jusqu’à 40 % dans certaines zones rurales. Il faut colmater voir remplacer les conduits usagés. C’est une priorité en termes d’adaptation au changement climatique, pour économiser la ressource en eau
 

Employés de mairie et des métropoles

 

 

Permettre aux collectivités de financer à moindre frais la végétalisation des grands centres villes urbains et le réaménagement écologique.
Employés d’entretien des logements sociaux Permettre aux collectivités d’assurer un meilleur entretien des logements sociaux.
Tourisme durable Faire de la préservation de l’environnement un atout pour l’attractivité touristique d’un territoire, développer des activités créatrices de richesse
 

Économie circulaire

 

 

Logisticiens de flux de matériaux recyclables pour les entreprises

 

Recycleurs d’objets de l’économie circulaire

 

 

Organiser la circularité des flux de matières recyclées et recyclables entre les entreprises. Développer une économie circulaire et les filières amont de l’industrie low tech

 

Ouvriers des chantiers de réhabilitation

 

 

Réhabiliter les logements insalubres

Réparateurs d’objets du quotidien Métiers de la réparation de proximité, pour les particuliers
Récupérateurs de métaux et matériaux stratégiques Récolte fine et trie des différents composants des déchets électroniques (récupération des terres rares et autres métaux stratégiques : la  « mine urbaine »)
Composteurs Récolte et tri des déchets organiques urbains pour alimenter/fertiliser des productions agricoles locales

 

2. Les métiers du lien

La pandémie de COVID-19 a également rappelé le caractère essentiel des activités du « lien », recouvrant le secteur médico-social, de l’aide à domicile pour les personnes âgées et/ou dépendantes, ou encore de la livraison et du nettoyage des espaces publics. Exercés par des  « premiers de corvées », trop souvent considérés à l’aune de leur coût supposé exorbitant pour la collectivité, ces emplois sont pourtant apparus comme les plus utiles au plus fort de la crise sanitaire. Dans les prochaines années, la prise en charge de la dépendance des personnes âgées nécessitera une augmentation des emplois d’aide à domicile. Une économie qui poursuit un objectif de  « pleine santé », pour reprendre le terme de l’économiste Eloi Laurent[31], doit revaloriser des emplois qui contribuent au lien social et au bien-être, « indicateurs » alternatifs au produit intérieur brut pour mesurer la viabilité de la société. Travailleurs sociaux, éducateurs, aides soignants, aides à domicile, animateurs : autant d’emplois dont la contribution à la cohésion de la société n’est pas assez reconnue et dont le nombre devrait être augmenté.

B/ Partir des territoires : les emplois doivent être identifiés au niveau de chaque bassin de vie, par des comités locaux pour l’emploi solidaire

1. Une définition nationale des emplois couverts par la garantie à l’emploi

La garantie à l’emploi pourrait être un programme géré par le ministère du Travail, en associant étroitement les collectivités locales ainsi que les organisations d’employeurs et des syndicats de salariés. Le financement de la garantie à l’emploi serait prévu par la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, qui assurerait la prévisibilité de l’engagement de l’État, facilitant ainsi l’engagement des collectivités locales et des employeurs dans le dispositif.

Au niveau national, l’État, les organisations patronales et les représentants de salariés pourront élaborer unetaxonomie générale des emplois couverts par le dispositif de garantie à l’emploi dans le cadre des comités de filières. Seuls ces emplois seraient éligibles au financement public proposé. Les emplois concernés sont, d’une part, les « emplois verts », c’est-à-dire ceux qui participent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et qui œuvrent à l’émergence et au maintien d’un modèle décarboné et respectueux de l’environnement. D’autre part, ce sont les emplois qui répondent à des besoins sociaux, par exemple dans le secteur du médico-social, au bénéfice des personnes âgées et/ou dépendantes, des enfants de moins de trois ans.

Cette première taxonomie des  « emplois verts » couverts par le dispositif pourra se baser sur les travaux de l’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte (Onemev)[32], rattaché au commissariat général au développement durable (CGDD). Ces travaux classent les métiers et emplois de l’économie verte en deux catégories. Tout d’abord, les éco-activités, qui « produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources », et qui « sont destinés à mesurer, prévenir, limiter ou corriger les dommages environnementaux causés à l’eau, l’air et le sol et les problèmes relatifs aux déchets, aux bruits et aux écosystèmes ». Ensuite, les activités périphériques, qui sont définies comme des « activités qui agissent en faveur d’une meilleure qualité environnementale sans que ce soit leur finalité première ». D’après l’Onemev, les éco-activités mobilisaient 539 000 emplois à temps plein en 2017 (soit 2,1 % de l’emploi total), et les activités périphériques 434 000. Selon cette taxonomie, il existait en 2017 en France près d’un million d’emplois de l’économie verte.

Dans le cadre de la garantie à l’emploi, il est important de ne pas réduire les emplois verts aux simples éco-activités. En effet, une fois la transition écologique effectuée, les emplois permettant de corriger les impacts négatifs et les dommages sur l’environnement (comme par exemple un emploi de dépollution de l’air ou de l’eau) n’ont plus lieu d’être. Il est donc nécessaire de considérer aussi les emplois dont la finalité n’est pas essentiellement environnementale, mais dont l’intégration de nouvelles briques de compétences permettent de les rendre compatibles avec la transition, comme celui d’un ouvrier travaillant sur un site industriel ayant décarboné ses chaînes de production.

2. Un identification locale des emplois à créer et un accompagnement des chômeurs par les comités locaux pour l’emploi solidaire

Une fois la classification des types d’emplois éligibles définie à l’échelle nationale, les bassins d’emplois identifient concrètement les besoins locaux à pourvoir. Sur le modèle de l’expérimentation TZCLD, la garantie à l’emploi repose sur la création de comités locaux pour l’emploi solidaire, dans chaque bassin de vie français. Ces comités regroupent un large panel d’acteurs du territoire : les personnes privées d’emploi, les collectivités, les associations, les élus, les acteurs économiques, Pôle emploi, les acteurs de l’insertion par l’activité économique ou encore les missions locales.

Ces comités deviendront des guichets uniques pour le placement des chômeurs de longue durée, avec deux missions distinctes : la première est celle d’identifier, à l’échelle du territoire, les activités utiles et éligibles à la garantie à l’emploi. La seconde consiste à assurer le placement des chômeurs. Par exemple, ils pourront établir la liste des emplois manquants en termes d’accueil de jeunes enfants ou d’aides aux personnes dépendantes et handicapées sur le territoires, ou encore les emplois nécessaires à la mise en œuvre des plans climat-air-énergie (PCAET) locaux, documents normatifs qui définissent l’ambition du territoire en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et d’augmentation des puits de carbone. Déterminer une quantité d’emplois verts à partir de ces plans n’est pas immédiat, mais invitera les territoires à décliner leurs objectifs climat de manière opérationnelle, et à élaborer une liste d’actions et de projets concrets pour y parvenir.

Proposition 1 : Créer des comités locaux pour l’emploi solidaire dans chaque bassin de vie.

C/ Les comités locaux pour l’emploi solidaire pourront s’appuyer sur plusieurs dispositifs

Pour être effective, la garantie à l’emploi devra potentiellement créer autant d’emplois que de personnes qui en sont privées. Il s’agit d’un défi colossal qui devra compter sur plusieurs leviers. Parmi eux : la généralisation progressive de Territoires zéro chômeurs de longue durée, l’insertion par l’activité économique et le financement d’emplois aidés « verts » et « sociaux » dans les secteurs marchand et non marchand.

1. Pérenniser progressivement l’expérimentation TZCLD

Territoires zéro chômeurs de longue durée est un embryon de garantie à l’emploi qui a fait ses preuves sur un nombre réduit de dix territoires. Le dispositif permet d’améliorer les conditions de vie des chômeurs bénéficiaires, qui découlent de leur recrutement en CDI, et les lance dans une nouvelle dynamique personnelle, à travers le sentiment d’adhésion et de participation à un collectif au projet ambitieux. Son coût par emploi, dont les évaluations oscillent entre 18 000 et 20 000 euros par an, est nettement inférieur au coût par emploi d’autres politiques actives de lutte contre le chômage comme, par exemple, les allègements de cotisations sociales ou les crédits d’impôts comme le CICE. De fait, seul un quart des entreprises ayant bénéficié de ces allégements de charge ont effectivement embauché, « les trois quarts restants se contentant de bénéficier de cette manne »[33] comme le remarquent Aurore Lalucq, Dany Lang et Pavlina Tcherneva.

L’extension de Territoires zéro chômeurs de longue durée à la France entière est souhaitable mais ne pourra pas être conduite dans l’immédiat. Sachant qu’au sens de Territoires zéro chômeurs de longue durée, un  « territoire », qu’il soit rural ou urbain, compte entre 5 000 et 10 000 habitants, la généralisation du dispositif signifierait donc, à périmètre égal, de l’étendre à 6 700 territoires supplémentaires. Elle suppose une mobilisation considérable des écosystèmes locaux (État, associations, collectivités, entreprises). Par ailleurs, les leçons tirées des premières années de l’expérimentation font ressortir de nombreuses pistes d’amélioration qu’il faudra prendre en compte. S’il est porteur, le modèle de l’entreprise à but d’emploi (EBE) devra être consolidé, avec notamment un meilleur effort de formation des employés et un renforcement de l’encadrement supérieur et intermédiaire, qui est essentiel pour garantir que l’intégration des chômeurs se fasse dans de bonnes conditions. Dans les villages de zones rurales, les EBE pourront se développer davantage dans le secteur de l’agriculture biologique en circuits courts, dont les besoins en main-d’œuvre seront immenses, et mettre en place des points de ventes directes des denrées alimentaires produites.

La loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » a étendu le dispositif à 50 nouveaux territoires, en plus des 10 déjà existants depuis 2016. La loi permet au gouvernement d’habiliter des territoires supplémentaires au-delà de ce plafond de 60 territoires, par décret en Conseil d’État. Un objectif pour la généralisation de Territoires zéro chômeurs de longue durée pourrait être de multiplier le nombre de territoires concernés par 5 tous les deux ans à partir des 50 territoires éligibles en 2021, ce qui permettrait de couvrir la France entière en un peu plus de six ans, soit à l’horizon 2027. En comptant qu’avec un déploiement sur 10 territoires, Territoires zéro chômeurs de longue durée a permis de créer 1000 emplois, la généralisation du dispositif à la France entière pourrait créer jusqu’à 670 000 emplois, pour un coût compris entre 13 et 17 milliards d’euros.

Proposition 2 : Pérenniser progressivement Territoires zéro chômeurs de longue durée à l’ensemble du territoire français en multipliant par cinq le nombre de territoires couverts tous les deux ans pour créer 650 000 emplois.

2. Démultiplier les structures d’insertion par l’activité économique

L’insertion par l’activité économique, qui a également fait ses preuves, pourrait être décuplée sous l’égide de la garantie à l’emploi. La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée par le président de la République en 2018 promet de faire passer les contrats relevant de l’insertion par l’activité économique de 140 000 à 240 000, d’ici 2022. Cet objectif pourrait être rehaussé en comptant sur la participation d’entreprises – et notamment des nouvelles entreprises à  « mission » – qui, comme l’entreprise Seb, engageraient des politiques de mécénat en faveur des structures de l’IAE.

Un objectif de 300 000 contrats relevant de l’insertion par l’activité économique pourrait être atteint à la fin de l’année 2022, et stabiliser autour de 350 000 sur la durée. Pour accompagner leur financement, il pourrait être décidé d’y reverser l’intégralité des fonds de « revitalisation » que sont tenues de verser les entreprises qui licencient. En effet, les entreprises qui, lorsqu’elles procèdent à un licenciement collectif affectant par son ampleur, l’équilibre du ou des bassins d’emploi dans lesquelles elles sont implantées, sont tenues de contribuer à sa revitalisation. Cette « obligation de revitalisation » équivaut à un montant compris entre 2 et 4 SMIC par emploi supprimé. Lors de la fermeture de son usine de Blanquefort (Gironde) en 2019, qui comptait plus de 850 salariés, l’entreprise Ford avait ainsi abondé un fonds de revitalisation de 24 millions d’euros. Dans le contexte de crise actuel, où malheureusement les plans de licenciement s’accumulent, les fonds de revitalisation versés par les entreprises et gérés par les préfets pourraient être beaucoup plus importants qu’à l’accoutumée.

Proposition 3 : Parvenir à 300 000 contrats relevant de l’insertion par l’activité économique à fin 2022, en leur allouant notamment le montant des indemnités versés par les entreprises qui licencient au titre de l’obligation de revitalisation du territoire, déjà prévue par la loi.

 

3. Financer des emplois aidés  « verts » et répondant aux besoins sociaux

En dehors des entreprises à but d’emploi de Territoire zéro chômeurs de longue durée et de l’insertion par l’activité économique, les comités locaux pour l’emploi solidaire pourront s’appuyer sur le financement d’emplois  « verts » ou dans les métiers du lien en entreprises, dans les associations ou des collectivités publiques.

4. Secteur marchand

Dans le secteur marchand, la garantie à l’emploi pourra permettre aux entreprises d’embaucher des chômeurs de longue durée, en bénéficiant d’une aide financée par l’État. Ce système pourra fonctionner sur le même modèle que les contrats uniques d’insertion (CUI-CIE), à ceci près qu’une discrimination est intégrée : ne pourront en bénéficier que les structures et les entreprises engagées dans la décarbonation de leurs activités. Les comités locaux pour l’emploi solidaire sélectionnent les entreprises éligibles, conformément au cadre national défini.

Il y avait encore plus de 73 000 contrats aidés dans le secteur marchand fin 2016, dont 40 000 CUI-CIE[34]. Fin 2018, il n’y avait plus que 3 000 CUI-CIE. Les études menées par la DARES montrent pourtant des résultats encourageants : six mois après la fin de l’aide d’État, 67 % des personnes ayant bénéficié d’un CUI-CIE avaient un emploi et deux ans et demi après la fin de l’aide, le bénéficiaire a une probabilité plus élevée de 31 points de pourcentage d’être en CDI que sans le dispositif de contrat aidé. La principale critique formulée à l’encontre des contrats aidés dans le secteur marchand est qu’ils ne correspondent pas en majorité à de véritables créations d’emploi : les entreprises embauchent en contrat aidé sur un emploi qu’elles auraient crée même en l’absence d’aide, celle-ci ne jouant le cas échéant que sur la sélection de la personne recrutée.

Toutefois, si ces nouveaux contrats sont réservés aux emplois verts, ils deviendront un levier d’accompagnement de la transformation écologique des activités économiques. Afin de limiter l’effet d’aubaine, les CUI-CIE ne sont pas accessibles aux entreprises ayant licencié pour motif économique dans les six mois précédant l’embauche ; ayant licencié un salarié en CDI sur le poste sur lequel est envisagée l’embauche en CUI-CIE ; n’étant pas à jour du versement de ses cotisations et contributions sociales. Les particuliers employeurs sont également exclus de ce dispositif. Le nombre de contrats uniques d’insertion  « verts » pourraient être portés à 50 000 dès 2022. Les entreprises qui en bénéficient devront s’engager à financer la formation de l’employé, afin d’augmenter son niveau de qualification en sortie de contrat.

Proposition 4 : Financer des emplois « verts » dans les entreprises engagées dans la décarbonation de leurs activités.

5. Secteur non marchand

Pour un certain nombre d’emplois envisagés (garde forestiers, agents d’entretien des espaces verts, emplois du lien, etc.), des emplois dans les services publics locaux pourront être créés. En 2016, avant les restrictions décidées sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, il y avait 300 000 contrats aidés dans le secteur non marchand, essentiellement des contrats uniques d’insertion – contrats d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) et des emplois d’avenir. Ce nombre a culminé à 500 000 au début des années 2000, au moment de la mise en œuvre des emplois jeunes.

Nombre de contrats aidés dans le secteur marchand et non marchand

                    Nombre de contrats aidés dans le secteur marchand et non marchand

 

Source: DARES, FIPECO

 

Proposition 5 : Créer 200 000 emplois  « verts » et emplois du lien auprès des collectivités publiques et des associations dès 2022.

 

Conclusion

La garantie à l’emploi vert est une politique publique d’avenir qui peut aider la France à combattre une de ses plaies structurelles, le chômage de longue durée, tout en établissant un cadre favorable à la reconstruction écologique. Hémisphère gauche et l’Institut Rousseau proposent de faire un premier pas vers cette garantie en créant un million d’emplois verts :

  • 650 000 emplois via la généralisation de l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée ;
  • 200 000 emplois verts supplémentaires dans le secteur public ;
  • 50 000 emplois verts supplémentaires dans le secteur privé ;
  • 100 000 emplois supplémentaires dans les structures d’insertion par l’activité économique.

Les bénéfices attendus de ce dispositif de garantie à l’emploi vert sont nombreux, sans pour autant régler tous les problèmes :

  1. La baisse durable du nombre de chômeurs de longue durée.
  2. Une amélioration de la productivité globale dans la mesure où le capital humain des personnes employables cesserait de se dégrader dans le temps. Cette dynamique aurait un effet positif sur la croissance potentielle.
  3. Le recul du poids du non emploi sur les finances publiques, ainsi qu’une amélioration des recettes des prélèvements obligatoires.
  4. Une cohésion accrue de la société en mettant fin à l’exclusion de millions de personnes.
  5. Un pouvoir de négociation accru des salariés, qui permettra de sortir de décennies de désinflation salariale.
  6. Un soutien d’un grand nombre de filières de la reconstruction écologique et une réduction tendancielle de l’intensité carbone moyenne de nos emplois.

Ces bénéfices devront s’apprécier après mise en œuvre du dispositif et une fois qu’une étude d’impact sera possible. Dans un contexte de récession liée à la pandémie mondiale liée à la Covid-19, il est en tout cas certain qu’il s’agira d’une politique contra-cyclique utile et adaptée aux enjeux de transformation écologique de notre système productif. Il est possible de déployer cette garantie à l’emploi vert rapidement, pour un coût modéré, et en tout cas inférieur aux politiques de lutte contre le chômage qui ont été menées ces dernières décennies. L’efficacité de ce dispositif sera d’autant plus forte qu’elle sera articulée à une politique d’investissements et de création de débouchés massifs dans la reconstruction écologique afin d’augmenter rapidement la création d’emplois verts et verdissants. La crise que nous vivons, malgré ses conséquences dramatiques, doit être une occasion pour repenser nos politiques publiques, et les mettre en cohérence avec les enjeux du siècle qui s’ouvre.

 

 

 

[1] Nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A au 4ème trimestre 2020, Pôle emploi-DARES.

[2] Source: Le Monde.

[3] Demandeurs d’emplois de longue durée des catégories A, B et C au 4ème trimestre 2020, Pôle emploi-Dares

[4] OCDE, 2020 – https://data.oecd.org/fr/unemp/taux-de-chomage-de-longue-duree.htm

[5] RSA: revenu de solidarité active ; AAH: allocation adulte handicapé ; APL: aide personnalisée au logement.

[6] ATD Quart Monde, Etude macroéconomique sur le coût de la privation durable d’emploi, 2015, https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2013/11/2015-04-02-Annexe-3-detaillee-Etude-macro-economique-sur-le-cout-de-la-privation-durable-demploi.pdf

[7] Clément Carbonnier, Bruno Palier, Chloé Touzet, Michaël Zemmour. Coût d’opportunité des politiques d’emploi en France : ce qu’on pourrait faire de mieux au même prix. Sciences Po LIEPP Policy Brief, 2015.

[8] Voir Véronique Rémy,  « Les politiques d’allégements de cotisations sociales employeurs? », DARES, 2006, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Remy.pdf

[9] Clément Carbonnier et Nathalie Morel, Le retour des domestiques, La République des idées, 2018.

[10] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2012-060.pdf

[11]https://www.strategie.gouv.fr/publications/evaluation-credit-dimpot-competitivite-lemploi-synthese-travaux-dapprofondissement

[12] Insee, Tableau de l’économie française, édition 2020.

[13] Ensemble des textes et des principes à valeur constitutionnelle que les lois doivent respecter; jurisprudence du Conseil constitutionnel, décision n° 71-44 DC.

[14] Alexandre Ledru-Rollin, Discours à l’Assemblée nationale constituante : 11 septembre 1848

[15] Conseil constitutionnel, Décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986.

[16] Il faut néanmoins rappeler que la protection contre le licenciement ne concerne malheureusement pas les employés précaires, embauchés en CDD ou en intérim.

[17] Comme le notent justement Cédric Durand et Dany Lang, dans la tribune du Monde : « Comment l’Etat peut-il combattre le chômage? L’Etat, employeur en dernier ressort »

[18] Hysteresis in Unemployment, Blanchard et Summers, 1986

[19] https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2009-1-page-55.htm#no1

[20] http://www.levyinstitute.org/pubs/wp_902.pdf

[21] Art. L. 262-4 et suivants du code de l’action sociale et des familles.

[22] Au quatrième semestre 2020.

[23]https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/04/l-impossible-evaluation-de-l-isf_5392462_823448.html

[24]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/09/suppression-de-l-isf-un-echec-politique_6055381_3232.html

[25] Clément Carbonnier, Bruno Palier, Chloé Touzet, Michaël Zemmour. Coût d’opportunité des politiques d’emploi en France : ce qu’on pourrait faire de mieux au même prix. Sciences Po LIEPP Policy Brief, 2015.

[26] https://dulbea.ulb.be/files/700a8eabc45255e629c82e228ef078c5.pdf

[27] Source : Dares Résultats, janvier 2019.

[28] https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_igf_igas.pdf

[29] Expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée –Bilan intermédiaire 2018, http://etcld.fr/wp-content/uploads/2018/11/181113_ETCLD_bilan_Interm%C3%A9diaire_email.pd

[30]https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-05/datalab-essentiel-178-eco-activites-2017-mai2019.pdf

[31] Eloi Laurent, Et si la santé guidait le monde ?, Les Liens qui Libèrent, 2020.

[32] Nouveau périmètre des activités de l’économie verte, Observatoire national des emplois et des métiers de l’économie verte, juillet 2020. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-07/document_travail_48_onemev_nouveau_perimetre_juillet2020_0.pdf

[33]https://www.lemonde.fr/emploi/article/2020/11/28/l-emploi-garanti-pourrait-participer-a-la-transition-ecologique-et-sociale-tout-en-resolvant-la-question-du-chomage-de-masse_6061466_1698637.html

[34] Source: DARES, 2018.

Publié le 7 février 2021

Pour une garantie à l’emploi vert

Auteurs

Hémisphère Gauche
Hémisphère gauche est le laboratoire d'idée qui veut reconstruire le camp progressiste sur le triptyque écologie, socialisme et République.

Institut Rousseau
Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine.

Chloé Ridel
Chloé Ridel est haut fonctionnaire et militante associative, présidente de l’association Mieux Voter. Elle est l'auteur de D'une guerre à l’autre - L'Europe face à son destin. Diplômée de Sciences Po et de l’ENA, elle a été directrice adjointe de l’Institut Rousseau de 2020 à 2023. Elle est chargée des questions européennes au sein du conseil scientifique de l’institut.

Alexandre Ouizille
Alexandre Ouizille est le président et fondateur du  laboratoire d'idée Hémisphère gauche. Il est maître de conférence en économie à Sciences Po et élu local en Hauts-de-France. Il est porte-parole de la campagne Un emploi vert pour tous !.

Le chômage est une épreuve. Pour qui est privé d’emploi, sa prolongation constitue une expérience d’autant plus difficile que le travail utile à la société est inépuisable. Comment qualifier une société qui condamne des millions de gens à « l’inutilité » ? Comment accepter un phénomène de marginalisation sociale à grande échelle ? L’habitude du chômage nous fait parfois oublier à quel point il est une absurdité. Le chômage, au sens moderne du terme, est la privation d’un emploi salarié. Il naît avec l’essor du salariat et les premières crises du capitalisme industriel au XIXème siècle. Il se «massifie » au crépuscule des Trente Glorieuses, pour atteindre des taux oscillant entre 7 et 11 % de la population active française. Aucun gouvernement n’en est venu à bout.

Nous nous accommodons trop souvent du chômage de masse. Il ne serait, finalement, qu’une variable d’ajustement douloureuse en période de crise, le pendant négatif d’un modèle économique par ailleurs vertueux. En dépit de sa nécessité, l’assurance chômage contribue à entretenir cette apparence de normalité. Comme son nom l’indique, elle assure les personnes contre un nouveau risque créé par la société industrielle. Pourtant, le chômage de longue durée provoque la dissolution du lien social. En France, il est plus élevé que la moyenne des pays développés.

« Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » affirme le préambule de la Constitution de 1946. À ce titre, le droit à l’emploi fait partie du « bloc de constitutionnalité ». Sa valeur juridique est supérieure aux lois.Force est de constater qu’il est bafoué dans les faits. L’institut Rousseau et Hémisphère gauche proposent de donner corps à cette promesse constitutionnelle en créant un million d’emplois dans les métiers de la reconstruction écologique et dans ceux du lien social.

La garantie à l’emploi propose un emploi à ceux qui en sont durablement privés, tout en contribuant à l’effort de reconstruction écologique de notre pays. L’État impulse et finance cette proposition, tandis que les emplois sont identifiés localement en fonction des besoins de chaque territoire. Ces emplois peuvent être portés par des entreprises, des administrations ou des structures de l’économie sociale et solidaire. Un million d’emplois pourraient êtrecréés grâce à ce dispositif, pour un coût inférieur aux politiques de lutte contre le chômage existantes.

 

Sommaire

I/ Le chômage de masse est une absurdité économique et sociale dont le coût est exorbitant pour la société.

A/  Le chômage de longue durée est une absurdité, synonyme de perte de richesse pour la société et d’exclusion sociale

B/ Depuis 40 ans, les politiques de lutte contre le chômage présentent un bilan décevant et n’ont pas permis d’éradiquer le chômage de longue durée

II/ La garantie à l’emploi : un nouvel horizon de la lutte contre le chômage

A/ Le droit à l’emploi, qui a valeur constitutionnelle, doit être réaffirmé 

B/ La garantie à l’emploi émerge comme une politique volontariste de lutte contre le chômage

C/ La France connaît déjà plusieurs embryons de garantie à l’emploi

III/ La garantie à l’emploi devrait être ciblée sur les emplois nécessaires à la reconstruction écologique et au renforcement du lien social

A/ Identifier les besoins : la reconstruction écologique et les métiers du lien

B/ Partir des territoires : les emplois doivent être identifiés au niveau de chaque bassin de vie, par des comités locaux pour l’emploi solidaire

C/ Les comités locaux pour l’emploi solidaire pourront s’appuyer sur plusieurs dispositifs

IV/ Conclusion

 

I/ Le chômage de masse est une absurdité économique et sociale dont le coût est exorbitant pour la société.

A/ Le chômage de longue durée est une absurdité, synonyme de perte de richesse pour la société et d’exclusion sociale.

 

1. La France compte près de 4 millions de chômeurs.

La France compte 3,8 millions de personnes sans emploi[1]. À ces 3,8 millions de chômeurs, s’ajoutent 2,2 millions de personnes en situation d’emploi précaire : elles enchaînent des intérims, subissent des temps partiels.

Les contrecoups de la pandémie de Covid-19 pourraient encore accroître le chômage en 2021. Dans le contexte de la pandémie, les plans sociaux s’accumulent. Du mois de septembre 2020 au mois de décembre, 35 000 licenciements ont été annoncés[2]. Avant le secteur du commerce (6 057 suppressions de postes) et de l’hébergement-restauration (4 659 postes), c’est celui de l’industrie manufacturière où les destructions de postes sont les plus nombreuses (17 570). En cumul depuis le 1er mars 2020 et le 1er janvier 2021, 84 100 ruptures de contrats de travail ont été prononcées dans le cadre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), soit près de trois fois plus que sur la même période l’année précédente. Un million de personnes supplémentaires pourraient se retrouver au chômage d’ici à la fin du premier semestre 2021.

Depuis près de 40 ans, la France connaît un chômage massif qui oscille entre 8 et 10 % de la population active.

Taux de chômage, France, 1975-2019

1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2019
Taux (%) 3.4 5.3 8.8 7.9 10.0 8.6 8.9 9.3 10.3 8.4

Source : Insee, enquêtes Emploi, séries longues sur le marché du travail.

 

Parmi eux, les chômeurs de longue durée, privés d’emploi depuis plus d’un an, représentent une part stable et élevée, autour de 40 % du nombre de chômeurs global (entre 3,5 et 4 % de la population active). Le chômage de longue durée a pris une ampleur préoccupante en France. Au quatrième semestre de 2020, il concerne 2,8 millions de personnes selon Pôle emploi[3] et 1,2 millions selon l’INSEE. Entre 2006 et 2015, le taux de chômage de longue durée est en progression de 3,9% alors que dans le même temps il a diminué de plus de 25 % en Allemagne. Dans les pays de l’OCDE, les chômeurs de longue durée représentent en moyenne 25,8 %[4] du total des chômeurs, soit 15 points de moins qu’en France.

 

2. Le chômage de longue durée est une exclusion sociale pour les personnes qui y sont confrontées et une perte de richesse pour la société.

 

Le chômage de longue durée est synonyme d’exclusion sociale pour les personnes qui y sont confrontées et de perte de richesse pour la société. Le chômage n’est jamais lié à une pénurie de travail, qui existe en quantité inépuisable, mais à un manque d’emplois. Il occasionne un gaspillage de ressources humaines et financières. Son coût ne se résume pas aux allocations versées aux chômeurs. Au cours des années 1970, qui coïncident avec l’arrivée du chômage de masse dans les sociétés occidentales, la littérature économique empirique s’est intéressée aux coûts sociétaux et individuels entraînés par le non-emploi. Ils sont nombreux.

Le chômage entraîne des coûts macroéconomiques, d’abord, qui correspondent à la baisse de la consommation, à la perte en capital humain des salariés privés d’emploi et à la sous-utilisation du capital productif. Des coûts « psychosociaux », ensuite, qui découlent de la perte de lien social vécue par le chômeur ou d’une rupture conjugale dont le chômage accroît le risque. Ils entrainent une hausse des taux de mortalité, de suicide et des souffrances psychiques qui pèsent sur le financement du système de santé. Ces coûts ne sauraient néanmoins résumer la souffrance des personnes que le chômage entraîne dans une spirale négative et dont la stabilité de la vie familiale se trouve en péril. Enfin, le chômage fait peser des coûts sur les finances publiques, à travers les dépenses directes d’assurance chômage, les frais d’accompagnement et d’administration (Pôle emploi), les pertes indirectes de recettes publiques en matière de cotisations sociales et d’impôts et les dépenses sociales contre la pauvreté (RSA, AAH, APL[5]). On impute également au chômage des conséquences sociales avec des dépenses induites, dans les domaines du logement, de la santé, de la sécurité et de la protection de l’enfance.

L’ONG ATD Quart Monde a estimé[6], en 2015, les coûts du chômage « d’exclusion » à 36 milliards d’euros par an pour la puissance publique. Ce montant représente ce que la collectivité consacre aux personnes privées d’emploi sur une longue durée et qui s’en trouvent plongées dans la précarité. Elles étaient 2,1 millions en 2015, chômeurs des catégories A, B ou C n’ayant pas accès aux allocations chômage. Pour chaque poste de coût lié directement ou indirectement au chômage, ATD Quart Monde applique le pourcentage des personnes durablement privées d’emploi qui en bénéficient. Le coût total rapporté aux 2,1 millions de personnes du public cible équivaut à une dépense de 15 400 euros par personne et par an. ATD Quart Monde affirme que le chiffre de 36 milliards d’euros par an est sous-estimé car certains coûts du chômage complexes à évaluer ne sont pas pris en compte, comme la part des prestations familiales sous conditions de ressources qui bénéficieraient aux chômeurs (allocation rentrée scolaire, prestation d’accueil du jeune enfant…), ou des réductions tarifaires supportées par les collectivités locales (centre de loisirs, piscine, médiathèque, transports).

Coûts annuels du chômage d’exclusion

 

Montant (Mds d’euros)
Coûts directs   16,31
Dépenses ciblées pour l’emploi 6,79
Dépenses sociales  9,52
Coûts indirects  7,16
Manques à gagner en impôts et cotisations sociales  12,63
TOTAL 36,11

Source : ATD Quart Monde, 2015.

 

B/ Depuis 40 ans, les politiques de lutte contre le chômage présentent un bilan décevant et n’ont pas permis d’éradiquer le chômage de longue durée  

Depuis 40 ans, les politiques de lutte contre le chômage se classent en deux catégories. D’un côté, les politiquespassives visent à atténuer les effets du chômage : indemnisation et accompagnement des demandeurs d’emploi, ou diminution du nombre d’actifs, à travers, par exemple, l’encouragement des départs à la retraite anticipés. De l’autre, les politiques actives tentent de créer ou de sauver des emplois : réduction de temps de travail pour mieux le partager, relance de l’activité économique, assouplissement du droit du travail pour le rendre plus flexible, contrats aidés ou encore baisse du coût du travail par des exonérations de cotisations sociales ou des crédits d’impôts comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Le bilan de ces politiques est ambivalent. Elles n’ont, en tout cas, jamais permis d’éradiquer le chômage de longue durée. Depuis 1990, la stratégie française pour l’emploi s’est avant tout concentrée sur la réduction du coût du travail, avec, dès 1993, les  « allègements Fillon » sur les cotisations sociales pesant sur les bas salaires. Les allégements fiscaux et les exonérations de cotisations sociales, soit pour favoriser l’emploi, soit pour subventionner la demande privée de services sociaux non pourvue par l’État (les politiques de « services à la personne »), coûteraient chaque année 27 milliards d’euros aux finances publiques, selon une étude du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po[7], pour environ 43 320 emplois créés ou maintenus, soit un coût supérieur à 62 500 euros par emploi et par an. Les allègements de cotisations sociales ont un effet indéniablement positif sur l’emploi, mais il n’existe pas de consensus parmi les économistes pour évaluer l’ampleur de cet effet. Par ailleurs, leur coût est immédiat pour les finances publiques, mais leur effet sur l’emploi n’apparaît qu’à plus long terme, les comportements des entreprises étant lents à modifier[8]. En plus des allègements généraux, la France a particulièrement subventionné le secteur des services à la personne, comme le montre l’ouvrage Le retour des domestiques[9], de Clément Carbonnier et Nathalie Morel. En 2014, le coût de cette politique s’est élevé à 6,4 milliards d’euros, dont 70 % en réductions d’impôts et 30 % en réductions de cotisations sociales. Bien inférieur aux prévisions du plan Borloo de 2005 (500 000), le nombre d’emplois créés entre 2005 et 2010 fut inférieur à 200 000 selon la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail[10].

À partir de 1997, la réduction du temps de travail avec la mise en œuvre des 35 heures aurait permis de créer 350 000 emplois entre 1998 et 2002 – après quoi le dispositif a été détricoté -, loin des 2 millions d’emplois envisagés, selon le bilan dressé par la DARES et repris par l’INSEE, pour un coût évalué à 12,5 milliards d’euros par an pour les finances publiques.

Pour ce qui concerne le CICE, des travaux de recherche récemment publiés par France stratégie[11] montrent qu’il aurait permis de créer de 100 000 à 160 000 emplois entre 2013 et 2017, pour un coût de 28 milliards d’euros en tout, soit environ 280 000 euros par emploi. L’évaluation du CICE par le LIEPP en 2017 (laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques) avait montré que le dispositif, peu ciblé, s’était traduit par une hausse des salaires, notamment des salaires relativement élevés parmi ceux bénéficiant de l’allègement. Par comparaison, en 2016, 3,3 milliards d’euros de dépenses publiques servaient au financement d’un peu plus de 400 000 emplois, sous la forme de contrats aidés.

L’INSEE évalue l’ensemble des dépenses publiques en faveur des politiques du marché du travail (actives et passives), ciblées sur des populations particulières (demandeurs d’emploi et personnes en difficulté sur le marché du travail), à 66 milliards d’euros en 2017, soit 2,9 % du PIB[12]. Ces dépenses comprennent le financement du service public de l’emploi, celui des mesures  « actives » – la formation professionnelle des demandeurs d’emploi, les contrats aidés dans les secteurs marchand ou non marchand, les aides à l’emploi des travailleurs handicapés et les aides à la création d’entreprise par les chômeurs, – et des mesures passives – les allocations d’indemnisation du chômage, total ou partiel, ou de préretraite. Ces 66 milliards d’euros de dépenses ne comprennent pas le montant dédié aux allègements de cotisations sociales ou les crédits d’impôts type CICE. 

Dépenses pour les politiques publiques du marché du travail (millions d’euros)

               2000               2005              2010            2015              2016              2017
                    Services du marché du travail 2 681 4 286 6 194 5 749 5 657 5 808
                   Mesures actives 14 843 11 845 15 119 14 691 15 950 15 330
                   Formation professionnelle 5 639 5 455 6 740 6 166 7 246 7 162
                   Incitations à l’emploi 2 135 1 780 1 308 1 070 1 288 1 029
                   Emploi protégé 1 254 1 455 2 112 1 963 1 920 1 958
                   Création directe d’emploi 5 777 3 091 3 902 4 803 4 911 4 630
                  Aide à la création d’entreprises1 38 64 1 056 689 586 551
                  Soutiens 25 015 35 373 38 773 44 957 45 371 45 144
                 Soutien du revenu en cas de perte d’emploi 22 423 34 395 38 543 44 930 45 358 45 139
                 Préretraites 2 592 978 229 27 13 5
                  Total 42 540 51 504 60 086 65 397 66 979 66 282
                 Dépenses totales (en % du PIB) 2,9 2,9 3,0 3,0 3,0 2,9

Source : Dares (2020) 

II/ La garantie à l’emploi : un nouvel horizon de la lutte contre le chômage

A/ Le droit à l’emploi, qui a valeur constitutionnelle, doit être réaffirmé

1. Le droit à l’emploi dispose d’un potentiel juridique largement inexploité

« Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » – le droit à l’emploi est inscrit au préambule de la Constitution de 1946 et à ce titre, il fait partie du « bloc de constitutionnalité »[13] dont la valeur juridique est supérieure aux lois. Le  « droit au travail » est par ailleurs l’un des droits de l’homme proclamé par la Déclaration des Nations unies de 1948, dont l’article 23 dispose que « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ».

En France, le droit au travail traverse l’histoire politique moderne. Lors de la Révolution française, il est un thème important des débats de l’Assemblée constituante, qui préoccupe aussi bien les radicaux que les modérés. Le droit au travail est repris directement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’existence à ceux qui sont hors d’état de travailler ».

Un demi-siècle plus tard, le droit à l’emploi est une revendication sociale de la révolution de 1848 qui augure la naissance de la Deuxième République française, dans un contexte où le salariat industriel se développe et où, parallèlement, le chômage apparaît comme une nouvelle réalité économique et sociale. Dans un discours à l’Assemblée constituante[14], prononcé au cours d’un débat sur le droit au travail, le député Alexandre Ledru-Rollin lance une adresse qu’il conclut en ces termes :  « Je me résume : on a dit, le droit au travail, c’est le socialisme. Je réponds : non, le droit au travail, c’est la République appliquée ».

Aujourd’hui, force est de constater que le droit à l’emploi est largement déclamatoire. De fait, sa portée juridique est très limitée. La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne considère pas le droit à l’emploi comme un droit opposable, qui mettrait les pouvoirs publics face à l’obligation de proposer un emploi à tout chômeur. Il renvoie, tout au plus, à une obligation de  « moyen » : les pouvoirs publics doivent « poser les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi en vue de permettre l’exercice de ce droit au plus grand nombre d’intéressés »[15]. Les personnes qui ne trouvent pas de place sur le marché du travail ne se voient pas proposer un emploi, mais des prestations sociales, que certains jugent stigmatisantes et qui sont insuffisantes pour leur permettre de vivre dignement.

On pourrait imaginer que le droit à l’emploi soit concilié avec d’autres droits comme la liberté d’entreprendre, mais il n’en est rien. Le corpus législatif et constitutionnel comporte de nombreux droits de valeur juridique égale mais dont la portée peut être contradictoire : la liberté et la sécurité, le droit à la propriété et le droit au logement. Le droit ou le juge se charge de les concilier. En matière jurisprudentielle, la conciliation désigne l’interprétation par le pouvoir judiciaire de normes de forces égales pouvant être porteuses d’exigences différentes, en vue de les faire coexister. Prenons l’exemple du progrès technique, qui a entraîné la disparition d’une partie des emplois non qualifiés en Occident, faute d’avoir pu y substituer entièrement d’autres types d’activités. Qu’a fait la jurisprudence pour concilier, par exemple, la liberté d’innover et celle du droit à l’emploi ? Depuis l’invention de la machine à tisser – qui avait donné lieu à la contre-révolte des luddites, en Angleterre -, jusqu’à celle de la caisse automatique dans les supermarchés, nous n’avons jamais su réguler les retombées de l’innovation sur l’emploi, aujourd’hui exorbitantes. Récemment, une étude commandée par l’ONG Les Amis de la Terre et la député européenne Leïla Chaibi, réalisée par deux chercheurs, montrait qu’entre 2009 et 2018, le e-commerce a détruit 80 000 emplois de plus qu’il n’en a créé en France, comme en Allemagne, et 43 000 en Espagne. Pourtant, le droit à l’emploi n’est pas évoqué lorsqu’il s’agit de statuer sur l’implantation d’un entrepôt Amazon. Pourrait-on imaginer que le juge administratif, saisi d’un recours contre une décision administrative autorisant Amazon à implanter un entrepôt, exige des garanties en matière de préservation de l’emploi, ou demande à l’entreprise de compenser financièrement les pertes, sur le fondement du droit à l’emploi ? De même, que vaut le droit à l’emploi dans la négociation des accords de libre-échange, dont la somme a conduit à la destruction massive d’emplois en Occident ?

2. La reconnaissance du droit d’obtenir un emploi constitue le préalable à une mobilisation renouvelée des politiques de lutte contre le chômage

Le droit à l’emploi est davantage compris comme un droit à ne pas être licencié, plutôt que comme le droit à obtenir un emploi. Le salarié qui bénéficie d’un contrat à durée indéterminée est ainsi protégé d’un licenciement abusif[16]. Même en cas de difficultés économiques, une entreprise qui souhaite licencier des salariés doit s’acquitter d’un montant financier qui comprend les indemnités de licenciements, de formation, l’aide à la création d’une entreprise ou encore des congés de reclassement. En cas de suppressions de postes massives, l’entreprise doit aussi verser une somme dédiée à la revitalisation du territoire dont elle aura affaibli la santé économique. En revanche, une entreprise ne sera jamais pénalisée si elle ne crée pas d’emploi sur le territoire ou si elle en détruit indirectement.

Réaffirmer le droit d’obtenir un emploi est un préalable à une mobilisation renouvelée des responsables politiques et économiques pour ne plus accepter que des personnes s’en trouvent durablement privées.

B/ La garantie à l’emploi émerge comme une politique volontariste de lutte contre le chômage

1. Théorisée par des économistes, la garantie à l’emploi s’impose comme un horizon pertinent pour tendre vers le plein emploi face au chômage de longue durée.

Historiquement, l’un des principaux promoteurs de « la garantie à l’emploi » est l’économiste Hyman Minsky. Minsky a posé les fondements[17] d’une stratégie de lutte contre le chômage en cas de contraction de la demande globale : l’État comme « employeur en dernier ressort ». Le principe est que la puissance publique agit de manière volontariste pour fournir un emploi à tous ceux qui sont prêts à travailler au salaire minimum, et éventuellement au-delà en fonction des qualifications requises pour les emplois proposés. L’objectif pour la société est d’arriver à une meilleure utilisation des capacités productives existantes plutôt qu’à leur accroissement. La société doit prendre les chômeurs tels qu’ils sont, adapter ces nouveaux emplois à leurs compétences tout en orientant le travail disponible en fonction des besoins sociaux. Les emplois doivent se situer dans des secteurs intensifs en travail et générer des effets utiles perceptibles pour la collectivité.

Dans une économie aux gains de productivité stagnants et confrontée à une persistance du chômage de longue durée qui dégrade le potentiel de croissance à long terme[18], cette stratégie, différente du seul jeu des stabilisateurs automatiques, émerge comme une réponse à explorer. De fait, à défaut de politique active et massive en direction des personnes durablement privées d’emploi, la reprise de l’emploi pourrait être durablement ralentie ou très vite atteindre un plateau en raison de la démotivation ou de la baisse de l’employabilité de certains chômeurs dont les compétences deviennent progressivement obsolètes : c’est l’effet d’hystérèse. Dès lors, en termes macro-économiques, il est possible de concevoir la garantie à l’emploi comme une réponse contra-cyclique pour lutter contre le chômage de masse et de longue durée, dans une économie qui ne produit pas suffisamment d’emplois utiles à la société, comme le souligne le courant de la Modern Monetary Theory et des économistes comme Marc Lavoie[19] et Pavlina R. Tcherneva[20] (Levy Economics Institute of Bard College).

2. La garantie à l’emploi vise à offrir à tous la possibilité de travailler

Le coût élevé du chômage et des politiques de l’emploi conduit à s’interroger sur la possibilité de remplacer une partie de ces dépenses par le financement direct d’emplois qui répondent à des besoins territoriaux identifiés. Autrement dit, mettre en œuvre une politique qui se donne la garantie à l’emploi comme horizon.

La création d’une « garantie à l’emploi » émerge comme une politique active et volontariste de lutte contre le chômage, alternative à celles qui ont consisté à réduire le coût ou le temps de travail. Elle repose sur une mobilisation renouvelée de la société autour des principes suivants : personne n’est inemployable et chacun a le droit d’obtenir l’emploi ; ce n’est pas le travail qui manque, puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits ; ce n’est pas non plus l’argent qui manque puisque chaque année, le chômage entraîne de nombreuses dépenses et manques à gagner que la collectivité prend à sa charge.

La garantie à l’emploi propose, ainsi, à chaque personne au chômage et qui en fait la demande, une offre d’emploi, à temps choisi, payée au SMIC horaire. Ces emplois donnent les mêmes droits et devoirs qu’un CDI classique : congés payés, cotisation à la retraite, sécurité sociale, comptabilisation des revenus dans la base imposable, etc. L’objectif de la garantie à l’emploi est de fournir un emploi à toutes les personnes durablement exclues du marché du travail. La garantie à l’emploi croît en l’émancipation par le travail, mais n’impose rien. Elle revient à augmenter la liberté de ceux qui sont privés d’emploi contre leur gré, en évitant que ces personnes ne s’enlisent dans une trappe à chômage, et elle augmente leur chance de pouvoir ensuite rebondir vers un emploi mieux rémunéré. Indirectement, elle donne aussi plus de pouvoir aux travailleurs précaires qui pourront se prévaloir d’une alternative auprès de ceux qui voudraient les contraindre à accepter des emplois en CDD ou d’intérimaires. La garantie à l’emploi pourrait aussi contribuer à éradiquer la pauvreté au sens défini par l’INSEE.

La garantie à l’emploi pourra concerner les chômeurs privés d’emploi depuis plus d’un an, qui résident en France de manière durable. Une possibilité serait de calquer l’ouverture de ce nouveau droit sur l’éligibilité au RSA, qui est ouvert aux Français, aux ressortissants de l’espace économique européen sous réserve d’une durée de résidence de trois mois, et aux autres étrangers en situation régulière, sous réserve qu’ils soient titulaires d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans. Dans tous les cas, une durée minimale de résidence régulière en France devrait être prévue[21].

3. Comment est financée la garantie à l’emploi ?

La garantie à l’emploi est financée par la puissance publique, notamment à travers « l’activation » des dépenses liées au chômage, c’est-à-dire par la transformation des allocations et des aides sociales que perçoivent les chômeurs en salaires.

L’évaluation des coûts d’une garantie à l’emploi en France dépend du dispositif retenu in fine pour la mettre en œuvre. Les dépenses seront plus importantes s’il s’agit, comme dans le cadre de l’expérience Territoires zéro chômeurs de longue durée (cf. infra), de faire supporter aux acteurs publics la création d’emplois dans des secteurs non-concurrentiels, qui impliquent de financer des investissements nécessaires au lancement d’une activité : matériels mobilier et immobilier, formation, recrutement de personnel encadrant. Elles seront moindres si la garantie à l’emploi comporte une dimension de contrats aidés dans le secteur marchand.

On peut formuler une hypothèse de financement à partir du nombre de chômeurs de longue durée, c’est à dire privés d’emploi depuis plus d’un an, qui représentent 2,8 millions de personnes selon Pôle emploi[22]. Il faut ici calculer le coût du financement direct d’un emploi pour 2,8 millions de bénéficiaires payés au SMIC. Ce coût comprend le salaire versé, mais aussi des frais d’accompagnement et des frais liés à la création d’activité. Une hypothèse du coût de financement peut être établie à partir du seul coût du salaire versé. À l’aide d’une multiplication du salaire net mensuel, sachant que les cotisations sociales reviennent dans les caisses publiques, on arrive à : 1231 x 12 x 2,8 = 41,1 milliards d’euros par an.

Par comparaison, la réforme de la fiscalité du capital en 2017 (la flat tax) et la suppression partielle de l’impôt sur la fortune (ISF) coûtent environ dix milliards par an, et ne permettent, selon les projections du ministère de l’Économie et des Finances, de créer que 50 000 emplois sur le long terme. Une autre hypothèse de financement peut se fonder sur le coût d’un emploi dans le cadre de l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée, qui se situe environ à 20 000 euros par an. On arrive alors à 56 milliards d’euros.

Le budget d’une garantie à l’emploi sera en partie compensé par des transferts budgétaires provenant de l’assurance chômage, qui représente 40 milliards d’euros de budget annuel. Le salaire versé aux participants à la garantie à l’emploi étant pris en compte pour le calcul des aides sociales, des économies seront réalisées sur le budget du RSA, qui s’élevait à 11 milliards d’euros en 2018, et sur celui des autres prestations sociales versées sous conditions de ressources. La garantie à l’emploi pourrait aussi avoir des effets positifs sur la consommation des ménages, et donc sur les recettes de l’État (TVA, impôts directs et autres taxes indirectes). En outre, on pourrait imaginer que le coût de la garantie à l’emploi puisse être financé par le rétablissement de l’ISF, dont la suppression partielle, pour un manque à gagner de 3 milliards d’euros par an pour les finances publiques[23], n’apparaît pas avoir eu d’impact sur l’investissement productif mais aura contribué à l’enrichissement des 0,1 % les plus riches, à hauteur d’un quart de leur fortune[24]. Par ailleurs, une partie des fonds alloués aux politiques de baisses des cotisations employeur pourraient être réaffectée au financement de la garantie à l’emploi. Charbonnier, Palier et Zemmour estiment les montants réallouables à au moins 6 milliards d’euros, en se fondant sur des hypothèses conservatrices[25].

Enfin, une récente étude belge a estimé le coût public annuel net d’un dispositif très proche de TZCLD en soustrayant au coût moyen pondéré de la privation d’emploi (39 408€/an) le coût résiduel des dépenses de l’expérimentation hors chiffre d’affaires (entre 36 263€/an et 38 096€/an)[26]. Les conclusions de l’étude sont très encourageantes : « en fonction des scénarios de recrutement établis, l’étude conclut ainsi à un gain net moyen pour les finances publiques belges de 2 233€/an (variation des 4 scénarios entre +1 312€/an et +3 145€/an) ».

C/ La France connaît déjà plusieurs embryons de garantie à l’emploi

Il existe quelques exemples historiques proches de la garantie à l’emploi que nous envisageons. Le programme Civilian Conservation Corps de Franklin D. Roosevelt employa jusqu’à 3 millions d’Américains entre 1933 et 1942, et permit de construire 700 parcs nationaux, 40 000 ponts, 4000 cabanes et refuges pour les promeneurs, et de planter 3,5 milliards d’arbres. En Inde, depuis 2005, la loi nationale de garantie de l’emploi rural propose chaque année au moins cent jours d’emploi sûr et rémunéré, à chaque foyer, dont les membres adultes se portent volontaires pour effectuer des travaux manuels. En Autriche, un projet piloté par un groupe de chercheurs d’Oxford en partenariat avec le ministère du Travail de basse Autriche teste une garantie universelle à l’emploi. Le dispositif propose à 150 chômeurs privés d’emploi depuis plus d’un an, résidant à Marienthal, un contrat de travail pour une durée de trois ans, voire plus, dans les secteurs suivants : jardinage, rénovation des maisons, garde d’enfants. En France, le pas vers une garantie à l’emploi n’a jamais été franchi mais de nombreux dispositifs s’en sont approchés : les contrats aidés, l’insertion par l’activité économique ou encore, plus récemment, l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée.

1. Les contrats aidés

Les contrats aidés arrivent en France en 1977 pour faire face à l’augmentation du chômage des jeunes engendrée par la crise économique. En 1978, le Pacte national pour l’emploi des jeunes conduit l’État à prendre en charge une partie des cotisations sociales pour l’embauche de jeunes de moins de 25 ans. Plusieurs dispositifs suivront : le contrat emploi solidarité créé par le gouvernement de Michel Rocard en 1990, les emplois jeunes en 1997 sous le gouvernement Jospin, puis les contrats d’accompagnement vers l’emploi et le contrat unique d’insertion (CUI). Le coût annuel d’un emploi aidé pour les finances publiques est estimé en 2012 par l’Inspection générale des finances à 12 853 euros, contre 280 000 euros pour un emploi créé par le CICE en 2016. En 2016, l’État finançait encore 400 000 contrats aidés. Ces contrats bénéficiaient pour un quart au secteur marchand (surtout des très petites entreprises du secteur tertiaire) et pour trois quarts au secteur non marchand (principalement des associations, mais aussi des établissements publics et des collectivités). En 2018, le nombre de contrats aidés est retombé à 200 000 après que le gouvernement a décidé de ramener les crédits qui leur sont attribués de 2,4 milliards d’euros à 1,4 milliard d’euros, soit une baisse de plus de 40 % par rapport à 2017. En novembre 2020, on ne comptait plus que 70 000 contrats aidés, essentiellement sous la nouvelle formule du parcours emploi compétences (PEC). Cette réduction massive et brutale des contrats aidés a mis en difficulté de nombreuses structures associatives, médico-sociales, éducatives ou même des collectivités territoriales.La diminution du nombre de bénéficiaires s’est également traduite par des destructions nettes d’emploi et une hausse du nombre de demandeurs d’emploi.

2. L’insertion par l’activité économique

L’insertion par l’activité économique (IAE) apparaît dans les années 1970. À travers elle, les pouvoirs publics aident au développement de structures dont l’objectif est d’employer des chômeurs de longue durée. Selon l’article L.5132-1 du code du travail,  « l’insertion par l’activité économique a pour objet de permettre à des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, de bénéficier de contrats de travail en vue de faciliter leur insertion professionnelle. (…) L’insertion par l’activité économique, notamment par la création d’activités économiques, contribue également au développement des territoires”.

Les structures de l’IAE relèvent de l’économie sociale et solidaire et sont de natures très diverses : les entreprises d’insertion, les ateliers chantiers d’insertion, les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, les associations intermédiaires ou encore les entreprises de travail temporaire d’insertion. Chaque structure signe une convention avec l’État et reçoit, pour chaque poste créé, une aide financière. Les dépenses publiques pour l’IAE tournent autour d’1 milliard d’euros par an. Certaines structures de l’IAE sont soutenues par de grands groupes. Depuis 2007, le groupe SEB conduit par exemple une politique de mécénat en faveur d’entreprises d’insertion qui développent des activités de recyclerie, d’aménagements paysagers ou encore d’entretien d’espaces verts.

L’IAE est mal connue du grand public et considérée comme à la marge de l’écosystème économique. Pourtant, fin 2018, la France comptait 3 803 structures de l’insertion par l’activité économique qui embauchaient 140 000 personnes. Parmi eux, près de la moitié (47 %) sont bénéficiaires des minimas sociaux et 38 % sont des chômeurs de très longue durée, dont la période d’inactivité est supérieure à deux ans. 55 % des parcours d’insertion aboutissent à une sortie positive vers l’emploi « de droit commun »[27].

3. À travers le dispositif Territoires zéro chômeurs de longue durée, la France a pensé un dispositif original bien que restreint de garantie à l’emploi

Depuis 2016, la France est le théâtre d’une expérience concrète de la garantie à l’emploi, à travers l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée, impulsée par ATD Quart Monde, en partenariat avec le Secours catholique, Emmaüs France, Le Pacte civique et la Fédération des acteurs de la solidarité. Territoires zéro chômeurs de longue durée repose sur trois principes fondateurs :

  • i) personne n’est inemployable ;
  • ii) ce n’est pas le travail qui manque, puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits ;
  • iii) ce n’est pas non plus l’argent qui manque puisque chaque année le chômage de longue durée entraîne de nombreuses dépenses et manques à gagner que la collectivité prend à sa charge.

Bien que restreint – 1000 chômeurs de longue durée ont été accompagnés dans 10 territoires – le projet a fait ses preuves. Il est moins coûteux que d’autres politiques de lutte contre le chômage : le coût est estimé entre 18 000 et 20 000 euros par emploi et par an ce qui, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF)[28], est inférieur au coût d’un emploi en Atelier et Chantier d’Insertion (ACI), et inférieur au coût d’autres politiques comme le CICE (plus de 200 000 euros par emploi) ou les exonérations de cotisations sociales. Le coût du dispositif doit par ailleurs être rapporté au coût de la privation d’emploi (cf. supra).

De plus, si l’impact de Territoire zéro chômeurs de longue durée n’est pas réductible à un indicateur financier, pour les personnes à qui il permet de retrouver une utilité sociale et une énergie vitale et pour les territoires qui bénéficient de services nouveaux, l’association Territoires zéro chômeur de longue durée estime les gains que le dispositif génère à 14 000 euros pour les finances publiques (prestations sociales évitées) et à un impact sur l’économie locale (consommation dans les commerces) dont le montant est au minimum de 10 000 euros par emploi créé. Sur les territoires qui n’ont presque plus de personnes privées d’emploi en attente d’embauche, le changement se traduit par une baisse du recours aux aides sociales et aux associations caritatives et une consommation accrue dans les commerces. Dans le département rural de la Nièvre, où le taux de chômage dépasse parfois 20 % de la population active, la commune de Prémery a bénéficié de l’expérimentation Territoires Zéro chômeurs de longue durée depuis 2016. Depuis 2002, Prémery est une commune frappée par la désindustrialisation, compte tenu de la fermeture de l’usine de charbon de bois Lambiotte. En trois ans, une centaine de personnes a été embauchée par l’entreprise à but d’emploi  « EBE 58 » et le nombre de chômeurs de longue durée inscrits à Pôle emploi a diminué de plus de 40 %, selon les chiffres de l’agence Pôle emploi du secteur.

La puissance et l’originalité de l’expérimentation ne reposent pas sur les montants engagés, pourtant importants, financés par l’État à travers un fonds d’expérimentation. La clé du dispositif est sa gouvernance, originale et anti-bureaucratique. Elle repose sur des comités locaux de l’emploi, qui associent l’ensemble des acteurs d’un territoire: les personnes privées durablement d’emploi, les collectivités locales, le service public de l’emploi, les citoyens, les associations, les élus et les entreprises. Les comités locaux ont deux missions. D’une part, ils identifient et rencontrent les personnes privées durablement d’emploi de leur territoire notamment sur la base des estimations fournies par Pôle emploi. D’autre part, ils identifient les activités supplémentaires qui pourraient être développées sur les territoires. L’objectif fixé par l’expérimentation est de supprimer la privation d’emploi sur un territoire. Cet objectif n’est rendu possible que si les emplois produits par les entreprises à but d’emploi (EBE) n’entrent pas en concurrence avec les emplois existants du secteur privé ou public.

Les comités locaux de l’emploi organisent, en lien avec les compétences des chômeurs, la création  « d’entreprises à but d’emploi » (EBE). Les EBE sont des structures de l’économie sociale et solidaire qui, peu importe leur forme juridique – association ou société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) – assurent l’embauche de personnes privées d’emploi en développant des activités utiles qui manquent au territoire. On observe que 43 % des activités développées sont liées à la transition écologique et représentent 25 % des équivalents temps plein créés. Ces activités sont multiples: rénovation de bâtiments, maraîchage, recycleries ou encore tourisme durable. Ces EBE génèrent du chiffre d’affaires – environ 3 000 euros par employés en 2018[29] – et doivent progressivement atteindre la viabilité économique, avec un résultat à l’équilibre. Pour démarrer et effectuer de premiers investissements, la Caisse des dépôts, via la Banque des territoires, leur attribue des prêts en quasi fonds-propres qui leur permettent de faire levier sur l’emprunt privé. Au 31 décembre, 2019, la majorité des EBE créées dans le cadre de l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue duréeétaient devenus des PME, excédant les 50 salariés. Trois territoires d’expérimentation sur dix avaient atteint “l’exhaustivité” : tous les chômeurs de longue durée volontaires avaient été embauchés en CDI ou étaient sur le point de l’être.

Territoire zéro chômeurs de longue durée a montré que la lutte contre le chômage n’était pas qu’une question budgétaire. Avec la mobilisation de tout un territoire, il est possible de proposer un emploi à toutes les personnes qui en sont privées durablement et qui le souhaitent. Une proposition de loi visant le prolongement et l’extension de l’expérimentation à au moins cinquante territoires supplémentaires a été adoptée à l’unanimité par le Parlement et promulguée le 14 décembre 2020.

III/ La garantie à l’emploi devrait être ciblée sur les emplois nécessaires à la reconstruction écologique et au renforcement du lien social

Chacun peut attendre des personnes avec qui il fait nation qu’elles lui reconnaissent une utilité et des talents, et lui accorde le droit de les faire valoir. Réaffirmer qu’il existe un droit à l’emploi ne nous conduit cependant qu’à la moitié du chemin. Un droit n’existe que lorsque l’on est en mesure de le faire respecter. Autrement dit, créer une garantie à l’emploi n’a de sens que si la société est capable de fournir du travail à ceux qui en font la demande. Le travail ne saurait manquer, mais il demande à être organisé et tourné vers un objectif. Ce dernier doit se penser dans un contexte de sortie du productivisme exigé par la finitude des ressources.

A/ Identifier les besoins : la reconstruction écologique et les métiers du lien

1. La reconstruction écologique 

Une première famille d’emplois à développer massivement dans les trente prochaines années concerne les activités qui permettent de nous placer collectivement sur une trajectoire de neutralité carbone à l’horizon 2050, c’est-à-dire de parvenir à la fois à diviser par six nos émissions de gaz à effet de serre territoriales (soit une baisse de l’ordre de -5 % par an), et doubler les capacités d’absorption de carbone du territoire. Cette transition radicale nécessitera une transformation inédite de notre environnement sociotechnique, de notre rapport à l’énergie, et de nos manières de nous déplacer, de produire, de nous loger et de nous nourrir. Considérant la sobriété énergétique requise pour parvenir à de tels niveaux de réduction des émissions, notre économie nécessitera un accroissement significatif de l’intensité en main d’œuvre de nos activités, ce qui entraînera une forte demande en emplois dits « verts », c’est-à-dire compatibles avec la transition écologique.

Parmi ces emplois verts, les « éco-activités », qui sont définies par le commissariat général au développement durable (CGDD) comme des activités qui produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources, ont cru à un rythme soutenu ces dernières années. Elles sont exercées pour l’essentiel par des entreprises marchandes, mais aussi par des administrations publiques. En 2017, les éco-activités mobilisent 465 450 emplois en équivalent temps plein (ETP)[30], soit 1,8 % de l’emploi total en France. Elles concernent l’agriculture biologique, la protection de la nature, des paysages et de la biodiversité, le recyclage des déchets et le traitement des eaux usées, la récupération des eaux, la recherche et développement ou encore l’ingénierie des énergies renouvelables.

Selon le commissariat général au développement durable, les emplois des éco-activités ont augmenté de 5,4 % entre 2016 et 2017, soit près de 24 000 emplois supplémentaires et un rythme de progression plus élevé que dans l’ensemble de l’économie (+ 1 %). La croissance des éco-activités est portée notamment par l’essor de l’agriculture biologique, ainsi que des énergies renouvelables et de la R&D environnementale. 78 % des emplois assimilés à une éco-activité relèvent des services, dans lesquels est classée l’agriculture biologique.

À titre indicatif, on peut lister un certain nombre d’emplois peu qualifiés ou pouvant découler d’une courte formation qui apparaissent indispensables à la prise en charge de la sécurité climatique, de l’exigence de résilience et de la souveraineté alimentaire.

 

 

Corps de métiers

 

Justification de l’augmentation de ces emplois

 

Sécurité climatique

 

 

Gardes forestiers, champêtres et côtiers

 

 

Entretien des forêts, parcs naturels et des espaces naturels, observation et préservation des écosystèmes, rattrapage des besoins de la profession

 

 

Habitat vert

 

Employés de la rénovation thermique du bâtiment Rénovation du bâti, conformité écologique et insertion de l’habitat dans une logique d’économie circulaire.
 

Fleuristes

 

 

Réduire le stress, développer la médecine végétale et favoriser la biodiversité dans les centres urbains. Changer les modes de consommation en faveur d’une esthétique végétale et un embellissement du cadre de vie

 

 

Industrie verte et transport

 

 

Transporteurs fluviaux

 

 

Développement des alternatives fluviales au transport routier de marchandises

 

Emplois dans l’éco-cimenterie et les nouveaux matériaux de construction

 

Le béton est responsable de 5 % des émissions de GES mondiales car fabriquer du ciment consomme beaucoup de chaleur, des alternatives pour la construction existent, que ce soit le béton bas carbone, la terre crue, les matériaux organiques, etc.
Ouvriers et ingénieurs de la filière algues marines Biocarburants, dépollution et absorption du CO2, bioplastiques, engrais, compléments alimentaire, chimie agroalimentaire, cosmétiques, etc
 

Souveraineté biologique et agricole

 

Employés des pépinières Les besoins en arbres de toutes sortes, adaptés au climats locaux et aux productions cibles, doivent être satisfaits à grande échelle par un maillage de pépinières liées au monde de la recherche
 

Ouvriers de la filière du liège

 

 Décarbonation des composants et des matériaux de la filière viticole
Agents agricoles

 

Fibres textiles, huiles, compléments alimentaires, biocarburants, bioplastiques, isolant thermique, protéines végétales, etc.
 

Viticulteurs de vins naturels et biologiques

 

Accompagner la montée en gamme de la filière viticole française
 

Apiculteurs

 

Soutien à une filière dévastée par l’agrochimie et la concurrence du faux miel, favorise la biodiversité végétale dans son ensemble et améliore les rendements agricoles des plantes à fleurs.
 

Aménagement écologique du territoire

 

Employés de réparation et d’optimisation de l’adduction d’eau 20 % de l’eau potable en France est perdue dans les fuites de canalisation, et jusqu’à 40 % dans certaines zones rurales. Il faut colmater voir remplacer les conduits usagés. C’est une priorité en termes d’adaptation au changement climatique, pour économiser la ressource en eau
 

Employés de mairie et des métropoles

 

 

Permettre aux collectivités de financer à moindre frais la végétalisation des grands centres villes urbains et le réaménagement écologique.
Employés d’entretien des logements sociaux Permettre aux collectivités d’assurer un meilleur entretien des logements sociaux.
Tourisme durable Faire de la préservation de l’environnement un atout pour l’attractivité touristique d’un territoire, développer des activités créatrices de richesse
 

Économie circulaire

 

 

Logisticiens de flux de matériaux recyclables pour les entreprises

 

Recycleurs d’objets de l’économie circulaire

 

 

Organiser la circularité des flux de matières recyclées et recyclables entre les entreprises. Développer une économie circulaire et les filières amont de l’industrie low tech

 

Ouvriers des chantiers de réhabilitation

 

 

Réhabiliter les logements insalubres

Réparateurs d’objets du quotidien Métiers de la réparation de proximité, pour les particuliers
Récupérateurs de métaux et matériaux stratégiques Récolte fine et trie des différents composants des déchets électroniques (récupération des terres rares et autres métaux stratégiques : la  « mine urbaine »)
Composteurs Récolte et tri des déchets organiques urbains pour alimenter/fertiliser des productions agricoles locales

 

2. Les métiers du lien

La pandémie de COVID-19 a également rappelé le caractère essentiel des activités du « lien », recouvrant le secteur médico-social, de l’aide à domicile pour les personnes âgées et/ou dépendantes, ou encore de la livraison et du nettoyage des espaces publics. Exercés par des  « premiers de corvées », trop souvent considérés à l’aune de leur coût supposé exorbitant pour la collectivité, ces emplois sont pourtant apparus comme les plus utiles au plus fort de la crise sanitaire. Dans les prochaines années, la prise en charge de la dépendance des personnes âgées nécessitera une augmentation des emplois d’aide à domicile. Une économie qui poursuit un objectif de  « pleine santé », pour reprendre le terme de l’économiste Eloi Laurent[31], doit revaloriser des emplois qui contribuent au lien social et au bien-être, « indicateurs » alternatifs au produit intérieur brut pour mesurer la viabilité de la société. Travailleurs sociaux, éducateurs, aides soignants, aides à domicile, animateurs : autant d’emplois dont la contribution à la cohésion de la société n’est pas assez reconnue et dont le nombre devrait être augmenté.

B/ Partir des territoires : les emplois doivent être identifiés au niveau de chaque bassin de vie, par des comités locaux pour l’emploi solidaire

1. Une définition nationale des emplois couverts par la garantie à l’emploi

La garantie à l’emploi pourrait être un programme géré par le ministère du Travail, en associant étroitement les collectivités locales ainsi que les organisations d’employeurs et des syndicats de salariés. Le financement de la garantie à l’emploi serait prévu par la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, qui assurerait la prévisibilité de l’engagement de l’État, facilitant ainsi l’engagement des collectivités locales et des employeurs dans le dispositif.

Au niveau national, l’État, les organisations patronales et les représentants de salariés pourront élaborer unetaxonomie générale des emplois couverts par le dispositif de garantie à l’emploi dans le cadre des comités de filières. Seuls ces emplois seraient éligibles au financement public proposé. Les emplois concernés sont, d’une part, les « emplois verts », c’est-à-dire ceux qui participent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et qui œuvrent à l’émergence et au maintien d’un modèle décarboné et respectueux de l’environnement. D’autre part, ce sont les emplois qui répondent à des besoins sociaux, par exemple dans le secteur du médico-social, au bénéfice des personnes âgées et/ou dépendantes, des enfants de moins de trois ans.

Cette première taxonomie des  « emplois verts » couverts par le dispositif pourra se baser sur les travaux de l’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte (Onemev)[32], rattaché au commissariat général au développement durable (CGDD). Ces travaux classent les métiers et emplois de l’économie verte en deux catégories. Tout d’abord, les éco-activités, qui « produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources », et qui « sont destinés à mesurer, prévenir, limiter ou corriger les dommages environnementaux causés à l’eau, l’air et le sol et les problèmes relatifs aux déchets, aux bruits et aux écosystèmes ». Ensuite, les activités périphériques, qui sont définies comme des « activités qui agissent en faveur d’une meilleure qualité environnementale sans que ce soit leur finalité première ». D’après l’Onemev, les éco-activités mobilisaient 539 000 emplois à temps plein en 2017 (soit 2,1 % de l’emploi total), et les activités périphériques 434 000. Selon cette taxonomie, il existait en 2017 en France près d’un million d’emplois de l’économie verte.

Dans le cadre de la garantie à l’emploi, il est important de ne pas réduire les emplois verts aux simples éco-activités. En effet, une fois la transition écologique effectuée, les emplois permettant de corriger les impacts négatifs et les dommages sur l’environnement (comme par exemple un emploi de dépollution de l’air ou de l’eau) n’ont plus lieu d’être. Il est donc nécessaire de considérer aussi les emplois dont la finalité n’est pas essentiellement environnementale, mais dont l’intégration de nouvelles briques de compétences permettent de les rendre compatibles avec la transition, comme celui d’un ouvrier travaillant sur un site industriel ayant décarboné ses chaînes de production.

2. Un identification locale des emplois à créer et un accompagnement des chômeurs par les comités locaux pour l’emploi solidaire

Une fois la classification des types d’emplois éligibles définie à l’échelle nationale, les bassins d’emplois identifient concrètement les besoins locaux à pourvoir. Sur le modèle de l’expérimentation TZCLD, la garantie à l’emploi repose sur la création de comités locaux pour l’emploi solidaire, dans chaque bassin de vie français. Ces comités regroupent un large panel d’acteurs du territoire : les personnes privées d’emploi, les collectivités, les associations, les élus, les acteurs économiques, Pôle emploi, les acteurs de l’insertion par l’activité économique ou encore les missions locales.

Ces comités deviendront des guichets uniques pour le placement des chômeurs de longue durée, avec deux missions distinctes : la première est celle d’identifier, à l’échelle du territoire, les activités utiles et éligibles à la garantie à l’emploi. La seconde consiste à assurer le placement des chômeurs. Par exemple, ils pourront établir la liste des emplois manquants en termes d’accueil de jeunes enfants ou d’aides aux personnes dépendantes et handicapées sur le territoires, ou encore les emplois nécessaires à la mise en œuvre des plans climat-air-énergie (PCAET) locaux, documents normatifs qui définissent l’ambition du territoire en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et d’augmentation des puits de carbone. Déterminer une quantité d’emplois verts à partir de ces plans n’est pas immédiat, mais invitera les territoires à décliner leurs objectifs climat de manière opérationnelle, et à élaborer une liste d’actions et de projets concrets pour y parvenir.

Proposition 1 : Créer des comités locaux pour l’emploi solidaire dans chaque bassin de vie.

C/ Les comités locaux pour l’emploi solidaire pourront s’appuyer sur plusieurs dispositifs

Pour être effective, la garantie à l’emploi devra potentiellement créer autant d’emplois que de personnes qui en sont privées. Il s’agit d’un défi colossal qui devra compter sur plusieurs leviers. Parmi eux : la généralisation progressive de Territoires zéro chômeurs de longue durée, l’insertion par l’activité économique et le financement d’emplois aidés « verts » et « sociaux » dans les secteurs marchand et non marchand.

1. Pérenniser progressivement l’expérimentation TZCLD

Territoires zéro chômeurs de longue durée est un embryon de garantie à l’emploi qui a fait ses preuves sur un nombre réduit de dix territoires. Le dispositif permet d’améliorer les conditions de vie des chômeurs bénéficiaires, qui découlent de leur recrutement en CDI, et les lance dans une nouvelle dynamique personnelle, à travers le sentiment d’adhésion et de participation à un collectif au projet ambitieux. Son coût par emploi, dont les évaluations oscillent entre 18 000 et 20 000 euros par an, est nettement inférieur au coût par emploi d’autres politiques actives de lutte contre le chômage comme, par exemple, les allègements de cotisations sociales ou les crédits d’impôts comme le CICE. De fait, seul un quart des entreprises ayant bénéficié de ces allégements de charge ont effectivement embauché, « les trois quarts restants se contentant de bénéficier de cette manne »[33] comme le remarquent Aurore Lalucq, Dany Lang et Pavlina Tcherneva.

L’extension de Territoires zéro chômeurs de longue durée à la France entière est souhaitable mais ne pourra pas être conduite dans l’immédiat. Sachant qu’au sens de Territoires zéro chômeurs de longue durée, un  « territoire », qu’il soit rural ou urbain, compte entre 5 000 et 10 000 habitants, la généralisation du dispositif signifierait donc, à périmètre égal, de l’étendre à 6 700 territoires supplémentaires. Elle suppose une mobilisation considérable des écosystèmes locaux (État, associations, collectivités, entreprises). Par ailleurs, les leçons tirées des premières années de l’expérimentation font ressortir de nombreuses pistes d’amélioration qu’il faudra prendre en compte. S’il est porteur, le modèle de l’entreprise à but d’emploi (EBE) devra être consolidé, avec notamment un meilleur effort de formation des employés et un renforcement de l’encadrement supérieur et intermédiaire, qui est essentiel pour garantir que l’intégration des chômeurs se fasse dans de bonnes conditions. Dans les villages de zones rurales, les EBE pourront se développer davantage dans le secteur de l’agriculture biologique en circuits courts, dont les besoins en main-d’œuvre seront immenses, et mettre en place des points de ventes directes des denrées alimentaires produites.

La loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » a étendu le dispositif à 50 nouveaux territoires, en plus des 10 déjà existants depuis 2016. La loi permet au gouvernement d’habiliter des territoires supplémentaires au-delà de ce plafond de 60 territoires, par décret en Conseil d’État. Un objectif pour la généralisation de Territoires zéro chômeurs de longue durée pourrait être de multiplier le nombre de territoires concernés par 5 tous les deux ans à partir des 50 territoires éligibles en 2021, ce qui permettrait de couvrir la France entière en un peu plus de six ans, soit à l’horizon 2027. En comptant qu’avec un déploiement sur 10 territoires, Territoires zéro chômeurs de longue durée a permis de créer 1000 emplois, la généralisation du dispositif à la France entière pourrait créer jusqu’à 670 000 emplois, pour un coût compris entre 13 et 17 milliards d’euros.

Proposition 2 : Pérenniser progressivement Territoires zéro chômeurs de longue durée à l’ensemble du territoire français en multipliant par cinq le nombre de territoires couverts tous les deux ans pour créer 650 000 emplois.

2. Démultiplier les structures d’insertion par l’activité économique

L’insertion par l’activité économique, qui a également fait ses preuves, pourrait être décuplée sous l’égide de la garantie à l’emploi. La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée par le président de la République en 2018 promet de faire passer les contrats relevant de l’insertion par l’activité économique de 140 000 à 240 000, d’ici 2022. Cet objectif pourrait être rehaussé en comptant sur la participation d’entreprises – et notamment des nouvelles entreprises à  « mission » – qui, comme l’entreprise Seb, engageraient des politiques de mécénat en faveur des structures de l’IAE.

Un objectif de 300 000 contrats relevant de l’insertion par l’activité économique pourrait être atteint à la fin de l’année 2022, et stabiliser autour de 350 000 sur la durée. Pour accompagner leur financement, il pourrait être décidé d’y reverser l’intégralité des fonds de « revitalisation » que sont tenues de verser les entreprises qui licencient. En effet, les entreprises qui, lorsqu’elles procèdent à un licenciement collectif affectant par son ampleur, l’équilibre du ou des bassins d’emploi dans lesquelles elles sont implantées, sont tenues de contribuer à sa revitalisation. Cette « obligation de revitalisation » équivaut à un montant compris entre 2 et 4 SMIC par emploi supprimé. Lors de la fermeture de son usine de Blanquefort (Gironde) en 2019, qui comptait plus de 850 salariés, l’entreprise Ford avait ainsi abondé un fonds de revitalisation de 24 millions d’euros. Dans le contexte de crise actuel, où malheureusement les plans de licenciement s’accumulent, les fonds de revitalisation versés par les entreprises et gérés par les préfets pourraient être beaucoup plus importants qu’à l’accoutumée.

Proposition 3 : Parvenir à 300 000 contrats relevant de l’insertion par l’activité économique à fin 2022, en leur allouant notamment le montant des indemnités versés par les entreprises qui licencient au titre de l’obligation de revitalisation du territoire, déjà prévue par la loi.

 

3. Financer des emplois aidés  « verts » et répondant aux besoins sociaux

En dehors des entreprises à but d’emploi de Territoire zéro chômeurs de longue durée et de l’insertion par l’activité économique, les comités locaux pour l’emploi solidaire pourront s’appuyer sur le financement d’emplois  « verts » ou dans les métiers du lien en entreprises, dans les associations ou des collectivités publiques.

4. Secteur marchand

Dans le secteur marchand, la garantie à l’emploi pourra permettre aux entreprises d’embaucher des chômeurs de longue durée, en bénéficiant d’une aide financée par l’État. Ce système pourra fonctionner sur le même modèle que les contrats uniques d’insertion (CUI-CIE), à ceci près qu’une discrimination est intégrée : ne pourront en bénéficier que les structures et les entreprises engagées dans la décarbonation de leurs activités. Les comités locaux pour l’emploi solidaire sélectionnent les entreprises éligibles, conformément au cadre national défini.

Il y avait encore plus de 73 000 contrats aidés dans le secteur marchand fin 2016, dont 40 000 CUI-CIE[34]. Fin 2018, il n’y avait plus que 3 000 CUI-CIE. Les études menées par la DARES montrent pourtant des résultats encourageants : six mois après la fin de l’aide d’État, 67 % des personnes ayant bénéficié d’un CUI-CIE avaient un emploi et deux ans et demi après la fin de l’aide, le bénéficiaire a une probabilité plus élevée de 31 points de pourcentage d’être en CDI que sans le dispositif de contrat aidé. La principale critique formulée à l’encontre des contrats aidés dans le secteur marchand est qu’ils ne correspondent pas en majorité à de véritables créations d’emploi : les entreprises embauchent en contrat aidé sur un emploi qu’elles auraient crée même en l’absence d’aide, celle-ci ne jouant le cas échéant que sur la sélection de la personne recrutée.

Toutefois, si ces nouveaux contrats sont réservés aux emplois verts, ils deviendront un levier d’accompagnement de la transformation écologique des activités économiques. Afin de limiter l’effet d’aubaine, les CUI-CIE ne sont pas accessibles aux entreprises ayant licencié pour motif économique dans les six mois précédant l’embauche ; ayant licencié un salarié en CDI sur le poste sur lequel est envisagée l’embauche en CUI-CIE ; n’étant pas à jour du versement de ses cotisations et contributions sociales. Les particuliers employeurs sont également exclus de ce dispositif. Le nombre de contrats uniques d’insertion  « verts » pourraient être portés à 50 000 dès 2022. Les entreprises qui en bénéficient devront s’engager à financer la formation de l’employé, afin d’augmenter son niveau de qualification en sortie de contrat.

Proposition 4 : Financer des emplois « verts » dans les entreprises engagées dans la décarbonation de leurs activités.

5. Secteur non marchand

Pour un certain nombre d’emplois envisagés (garde forestiers, agents d’entretien des espaces verts, emplois du lien, etc.), des emplois dans les services publics locaux pourront être créés. En 2016, avant les restrictions décidées sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, il y avait 300 000 contrats aidés dans le secteur non marchand, essentiellement des contrats uniques d’insertion – contrats d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) et des emplois d’avenir. Ce nombre a culminé à 500 000 au début des années 2000, au moment de la mise en œuvre des emplois jeunes.

Nombre de contrats aidés dans le secteur marchand et non marchand

                    Nombre de contrats aidés dans le secteur marchand et non marchand

 

Source: DARES, FIPECO

 

Proposition 5 : Créer 200 000 emplois  « verts » et emplois du lien auprès des collectivités publiques et des associations dès 2022.

 

Conclusion

La garantie à l’emploi vert est une politique publique d’avenir qui peut aider la France à combattre une de ses plaies structurelles, le chômage de longue durée, tout en établissant un cadre favorable à la reconstruction écologique. Hémisphère gauche et l’Institut Rousseau proposent de faire un premier pas vers cette garantie en créant un million d’emplois verts :

  • 650 000 emplois via la généralisation de l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée ;
  • 200 000 emplois verts supplémentaires dans le secteur public ;
  • 50 000 emplois verts supplémentaires dans le secteur privé ;
  • 100 000 emplois supplémentaires dans les structures d’insertion par l’activité économique.

Les bénéfices attendus de ce dispositif de garantie à l’emploi vert sont nombreux, sans pour autant régler tous les problèmes :

  1. La baisse durable du nombre de chômeurs de longue durée.
  2. Une amélioration de la productivité globale dans la mesure où le capital humain des personnes employables cesserait de se dégrader dans le temps. Cette dynamique aurait un effet positif sur la croissance potentielle.
  3. Le recul du poids du non emploi sur les finances publiques, ainsi qu’une amélioration des recettes des prélèvements obligatoires.
  4. Une cohésion accrue de la société en mettant fin à l’exclusion de millions de personnes.
  5. Un pouvoir de négociation accru des salariés, qui permettra de sortir de décennies de désinflation salariale.
  6. Un soutien d’un grand nombre de filières de la reconstruction écologique et une réduction tendancielle de l’intensité carbone moyenne de nos emplois.

Ces bénéfices devront s’apprécier après mise en œuvre du dispositif et une fois qu’une étude d’impact sera possible. Dans un contexte de récession liée à la pandémie mondiale liée à la Covid-19, il est en tout cas certain qu’il s’agira d’une politique contra-cyclique utile et adaptée aux enjeux de transformation écologique de notre système productif. Il est possible de déployer cette garantie à l’emploi vert rapidement, pour un coût modéré, et en tout cas inférieur aux politiques de lutte contre le chômage qui ont été menées ces dernières décennies. L’efficacité de ce dispositif sera d’autant plus forte qu’elle sera articulée à une politique d’investissements et de création de débouchés massifs dans la reconstruction écologique afin d’augmenter rapidement la création d’emplois verts et verdissants. La crise que nous vivons, malgré ses conséquences dramatiques, doit être une occasion pour repenser nos politiques publiques, et les mettre en cohérence avec les enjeux du siècle qui s’ouvre.

 

 

 

[1] Nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A au 4ème trimestre 2020, Pôle emploi-DARES.

[2] Source: Le Monde.

[3] Demandeurs d’emplois de longue durée des catégories A, B et C au 4ème trimestre 2020, Pôle emploi-Dares

[4] OCDE, 2020 – https://data.oecd.org/fr/unemp/taux-de-chomage-de-longue-duree.htm

[5] RSA: revenu de solidarité active ; AAH: allocation adulte handicapé ; APL: aide personnalisée au logement.

[6] ATD Quart Monde, Etude macroéconomique sur le coût de la privation durable d’emploi, 2015, https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2013/11/2015-04-02-Annexe-3-detaillee-Etude-macro-economique-sur-le-cout-de-la-privation-durable-demploi.pdf

[7] Clément Carbonnier, Bruno Palier, Chloé Touzet, Michaël Zemmour. Coût d’opportunité des politiques d’emploi en France : ce qu’on pourrait faire de mieux au même prix. Sciences Po LIEPP Policy Brief, 2015.

[8] Voir Véronique Rémy,  « Les politiques d’allégements de cotisations sociales employeurs? », DARES, 2006, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Remy.pdf

[9] Clément Carbonnier et Nathalie Morel, Le retour des domestiques, La République des idées, 2018.

[10] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2012-060.pdf

[11]https://www.strategie.gouv.fr/publications/evaluation-credit-dimpot-competitivite-lemploi-synthese-travaux-dapprofondissement

[12] Insee, Tableau de l’économie française, édition 2020.

[13] Ensemble des textes et des principes à valeur constitutionnelle que les lois doivent respecter; jurisprudence du Conseil constitutionnel, décision n° 71-44 DC.

[14] Alexandre Ledru-Rollin, Discours à l’Assemblée nationale constituante : 11 septembre 1848

[15] Conseil constitutionnel, Décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986.

[16] Il faut néanmoins rappeler que la protection contre le licenciement ne concerne malheureusement pas les employés précaires, embauchés en CDD ou en intérim.

[17] Comme le notent justement Cédric Durand et Dany Lang, dans la tribune du Monde : « Comment l’Etat peut-il combattre le chômage? L’Etat, employeur en dernier ressort »

[18] Hysteresis in Unemployment, Blanchard et Summers, 1986

[19] https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2009-1-page-55.htm#no1

[20] http://www.levyinstitute.org/pubs/wp_902.pdf

[21] Art. L. 262-4 et suivants du code de l’action sociale et des familles.

[22] Au quatrième semestre 2020.

[23]https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/04/l-impossible-evaluation-de-l-isf_5392462_823448.html

[24]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/09/suppression-de-l-isf-un-echec-politique_6055381_3232.html

[25] Clément Carbonnier, Bruno Palier, Chloé Touzet, Michaël Zemmour. Coût d’opportunité des politiques d’emploi en France : ce qu’on pourrait faire de mieux au même prix. Sciences Po LIEPP Policy Brief, 2015.

[26] https://dulbea.ulb.be/files/700a8eabc45255e629c82e228ef078c5.pdf

[27] Source : Dares Résultats, janvier 2019.

[28] https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_igf_igas.pdf

[29] Expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée –Bilan intermédiaire 2018, http://etcld.fr/wp-content/uploads/2018/11/181113_ETCLD_bilan_Interm%C3%A9diaire_email.pd

[30]https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-05/datalab-essentiel-178-eco-activites-2017-mai2019.pdf

[31] Eloi Laurent, Et si la santé guidait le monde ?, Les Liens qui Libèrent, 2020.

[32] Nouveau périmètre des activités de l’économie verte, Observatoire national des emplois et des métiers de l’économie verte, juillet 2020. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-07/document_travail_48_onemev_nouveau_perimetre_juillet2020_0.pdf

[33]https://www.lemonde.fr/emploi/article/2020/11/28/l-emploi-garanti-pourrait-participer-a-la-transition-ecologique-et-sociale-tout-en-resolvant-la-question-du-chomage-de-masse_6061466_1698637.html

[34] Source: DARES, 2018.

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