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Le coronavirus, des enseignements à tirer pour sortir d’une démocratie déjà confinée

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      Le coronavirus, des enseignements à tirer pour sortir d’une démocratie déjà confinée

      L’apport de cette note tient au constat d’une démocratie[1] déjà confinée, appréhendée par les gouvernants dans sa dimension purement majoritaire et formaliste. L’épisode révélateur de l’organisation du premier tour des élections municipales à l’aune d’une crise sanitaire permet d’attester de la déconnexion des sphères politique et sociale. Il y a urgence à repenser un nouveau paradigme démocratique pour « l’après », à prévoir une ère de démocratie délibérative large à multiples niveaux, associant les citoyens et la société civile dans une logique englobante.

       

      I – Constater : une démocratie « en crise » déjà confinée

       

      « En même temps », ce leitmotiv présidentiel confus se révèle lourd de sens dans cette crise pandémique. Le maintien des élections municipales au sein de cette crise sanitaire en atteste aisément. Le premier tour des élections municipales en date du 15 mars n’a pas été reporté, pourtant, la veille du scrutin, le Premier ministre annonçait la fermeture de l’ensemble des lieux non essentiels à la vie de la nation. Les médecins en appellent au report face à un gouvernement aux propos antinomiques : « restez chez vous mais en même temps, allez voter ». Cet épisode, a priori anecdotique, constitue le parfait corollaire de la perception démocratique actuelle, une conception étroite et « confinée », purement formaliste. Quoi de plus révélateur d’une autonomisation exacerbée du champ politique conduisant à une isolation vis-à-vis de la sphère sociale ? Une réelle tension se joue alors car le citoyen se voit contraint de choisir entre acte politique et acte social : son devoir de voter d’un côté, son devoir de se protéger ainsi que ses pairs de l’autre.

      Sans grand étonnement, les élections municipales ont fait l’objet d’une abstention record s’élevant à plus de 55,25% contre 36,5% en 2014. Logiquement, ces maires ayant acquis leur élection de droit au premier tour par une majorité absolue des voix, la conserveront, tel en dispose la loi du 23 mars 2020 relative à l’État d’urgence sanitaire[2]. Il faut dire que le Conseil constitutionnel, juge du scrutin, fait d’ordinaire fi de ces considérations : l’abstention versus vote est un choix, celui de ne pas aller voter et ne peut emporter de conséquences sur le scrutin lui-même[3]. Or, et c’est tout le problème, ces circonstances exceptionnelles d’espèce entourant le vote ne font pas l’objet d’un choix citoyen consenti mais contraint : ne pas voter pour se protéger – soi, ses proches, les autres. La sincérité du scrutin peut dès lors être altérée dans cette « démocratie pandémique », l’égalité des citoyens devant le suffrage remise en cause. Une pétition en ligne, intitulée « Je n’ai pas pu choisir mon maire à cause du coronavirus », a déjà pu recueillir presque 13 000 signataires. Quoi qu’on en dise, la légitimité démocratique de ces « élus-covid » dès le premier tour est branlante, sans parler de ceux « post-covid », convoqués pour un second tour, éligibles par une déconnexion de plusieurs mois entre le premier et le second tour de scrutin, rendant « celui-ci » ou pourrait-on dire (après plusieurs mois) « ceux-là », insincères.

      Concrètement, c’est notre attachement à la démocratie que le coronavirus pointe : une démocratie majoritaire, où seule importe la capacité de gouverner, où seul le vote compte et prime, qu’importent les circonstances pandémiques ; malgré l’absence de visibilité du débat public obnubilé par la crise sanitaire et l’impossibilité vitale pour certains de se rendre aux urnes. La démocratie se conçoit uniquement comme un instrument de légitimation purement formel des gouvernants, l’essentiel étant la nomination d’exécutifs locaux à n’importe quel prix, faisant fi du reste. Cette conception hyper représentative et déconnectée du social n’échappe pas aux yeux des citoyens. La gestion de la crise en général, de même que l’avant ou l’après, relève du « clair-obscur ». Les derniers sondages du CEVIPOF[4] sont édifiants : 57% des français ont la vision d’une démocratie qui ne fonctionne pas bien contre 30% en Allemagne ou 26% au Royaume Uni. Surtout, 77% des français ont le sentiment que les gouvernants ne tiennent pas compte de leurs opinions contre 46% en Allemagne et 49% au Royaume-Uni. La gestion bonapartiste de la crise conduit à repenser la conception de la représentation à la française, qu’il s’agisse de l’inclusion du citoyen dans la gestion de crise, mais surtout de ses suites. Gardons-le à l’esprit, l’organisation des municipales, certes, constitue un dysfonctionnement démocratique important, mais cela ne fait que révéler un constat pré-établi : une démocratie strictement « majoritaire », coupée de ses citoyens. Paradoxalement, le discours du Premier ministre Édouard Philippe, en date du 28 avril dernier, sur le plan de déconfinement atteste même de cette démocratie purement formaliste envers les représentants : « Non. Les députés ne commentent pas : ils votent ».

       

      II – Repenser : l’urgence d’acter un paradigme démocratique dit « délibératif ».

       

      En réalité, cette démocratie de « crise » en « crise » s’enracine dans un besoin plus profond encore : celui d’un changement de paradigme démocratique, responsable de la crise de la représentation. Élire, mandater, obéir : la démocratie à la française se révèle l’archétype du système « top-down » par excellence. Ce type de démocratie revêt une forme représentative, élitiste, en déléguant aux seuls « présumés capables » la tâche de définir ce qu’est l’intérêt général. Dès lors, selon Francis Dupuis-Déri, l’élection s’apparenterait à une sorte de procédure d’auto-expropriation du peuple de son pouvoir, confié uniquement aux élus. Or, à l’ère du « netizen » (citoyen hyper-connecté), « l’assentiment populaire préalable ne suffit plus. La légitimité ne provient plus de l’organe mais du processus décisionnel lui-même ». Comme l’exprime à juste titre Bernard Manin, l’idéal « démocratique » moderne ne consiste plus en « la décision de tous mais dans la délibération de tous »[5]. Cette vision délibérative englobante de la démocratie, viendrait résoudre les critiques formulées par Clément Viktorovitch, politiste, à l’égard de l’institution parlementaire. Celui-ci a pu démontrer en effet que « les contradictions jacobines et sieyessiennes » mettent à mal, dans son fondement même, la légitimité du Parlement sous plusieurs aspects : d’une part, « tout en prétendant incarner l’unité derrière l’intérêt général, le Parlement institutionnalise le pluralisme » et donc serait vecteur de « plusieurs interprétations incompatibles de la volonté populaire »[6]. D’autre part, si le Parlement procède du peuple, il détient de jure le monopole de l’élaboration de la législation et le peuple se retrouve ainsi « limité à la simple capacité de surveillance et d’empêchement »[7]. Le système politique basé une approche délibérative englobante viendrait résoudre ces paradoxes inhérents. Par ce mode de fonctionnement, les parlementaires seraient de facto incités à respecter la force du meilleur argument, ce « rapprochement progressif des opinions divergentes au fur et à mesure que le débat se poursuit »[8]. Ce ne serait donc plus « un pluralisme irréductible et agnostique »[9] mais la recherche collective de l’intérêt général.

      À l’aune de cette crise de la représentation irriguant l’État français ces dernières décennies, il est temps d’acter l’ère d’une démocratie plus délibérative que majoritaire, une démocratie plus consensuelle que compromissoire. Quelle meilleure conjoncture que celle de « l’après Covid » pour ce faire[10]? Après l’expérience d’un individualisme effacé au profit de l’intérêt général, quand se protéger soi, c’est également et surtout, protéger les autres. L’intérêt général, bien conçu, est celui de l’intérêt de tous, il passe par la délibération, par des mécanismes d’inclusion délibératifs. Après l’expérience dite du « Grand débat national », il faut aller encore plus loin, pour ouvrir l’ère de la démocratie délibérative large multi-niveaux, associant les citoyens au maximum dans une logique englobante. Dès lors, plusieurs stratégies pratiques pourraient se mettre en place pour relégitimer le processus législatif à travers le citoyen, reflétant le passage à une nouvelle culture démocratique. Cela passe par un contrôle accru qui renforce le citoyen dans sa faculté de surveillance et d’empêchement (notamment sa capacité de défaire la loi via le veto), et par une élaboration législative plus ouverte, allant vers l’avènement d’un citoyen co-législateur (par le biais d’initiatives citoyennes ou de grandes consultations).

       

      III – Concrétiser : concevoir de nouveaux modèles de gestion s’appuyant sur le citoyen en temps normal et en période de crise.

       

      Un premier pas avait déjà été amorcé avant cette crise via la Convention citoyenne pour le climat. Il prend encore plus sens aujourd’hui. Les 150 citoyens tirés au sort[11] ont planché sur l’après Covid-19, lors d’une session extraordinaire de travail menée les 3 et 4 avril derniers par visioconférence. Pour l’assemblée citoyenne, « la stratégie de sortie de crise, devra porter l’espoir d’un nouveau modèle de société […]. Un modèle économique et sociétal différent, plus humain et plus résilient face aux futures crises ». Elle poursuit : « La participation citoyenne est essentielle. […] C’est le moment idéal d’écouter et de prendre en compte les remarques des citoyens pour la construction d’une société future ». Cette expérience pourrait-on dire hasardeuse puisque amorcée bien avant la crise sanitaire, pourrait enclencher des efforts de réflexion sur l’implication des citoyens en période de crise, pour en sortir, et afin d’anticiper les prochaines.

      Ce mode de fonctionnement permet de s’attarder sur deux autres formes délibératives à savoir les « jurys citoyens » et la « Chambre du futur ». Cette dernière, contrairement à la Convention citoyenne pour le climat constitue une sorte de troisième chambre au long terme, composée des représentants de la société civile ayant pour rôle celui d’une instance unique de consultation de fabrique de la loi associant les citoyens par de larges consultations. Pour autant, si Emmanuel Macron s’est engagé à renoncer aux 60 personnalités associées, les membres de l’ancien CESE rebaptisé « conseil de la participation citoyenne » dans le projet de loi constitutionnelle continueront à être choisis parmi des représentants la société civile. Les jurys citoyens, pour leur part, se rapprochent davantage du mécanisme de la convention citoyenne pour le climat. Ils s’apparentent certes à un dispositif ponctuel mais intéressant : une vingtaine de citoyens tirés au sort dans le respect de la diversité (à défaut d’être représentatifs) sont associés à la confection de la loi sur un thème. Ils élaborent un rapport motivé et disposent à ce titre d’un éventail de mécanismes « d’aide à la décision » : procédure d’enquête, experts… Certes, l’organisation de la délibération est quelque peu « artificielle », mais l’ensemble des enjeux sont exposés dans une dynamique chaque fois contradictoire. Le rapport émis par ce jury citoyen se veut, de facto, parfaitement éclairé.

      Proposition n°1 : Poursuivre l’effort de création d’une véritable « chambre du futur » de consultation (tel le Conseil de la participation citoyenne contenu dans le projet de loi constitutionnelle) composée de plusieurs collèges y compris de citoyens tirés au sort. Elle œuvrera, certes en dehors de la crise mais également en période de crise, pour en sortir, et afin d’en anticiper les prochaines.

      Proposition n°2 : Faire appel à des dispositifs ponctuels de « jurys citoyens » tirés au sort pour les associer à la confection de la loi sur un thème et ce, aussi bien en période de crise qu’en dehors. La Convention citoyenne pour le climat en constitue une preuve d’efficience à grande échelle.

      Au-delà de ces « jurys citoyens » ou « chambre du futur », il existe d’autres propositions permettant d’interférer directement dans le débat parlementaire.

      D’une part, simplifier les procédures permettant la mise en œuvre du droit de pétition dans une perspective d’impulsion de la loi permettant de mettre l’accent sur le citoyen instigateur. Un allègement des étapes procédurales conditionnant l’examen de la pétition[12], de même qu’une obligation d’étude de celle-ci par la commission compétente semblent essentiels à partir d’un certain seuil.

      D’autre part, militer pour la systématisation du droit d’amendement citoyen, prolongement du droit d’initiative législative : il consiste, pour les citoyens, à soumettre au vote des chambres des modifications aux textes dont elles sont saisies, qu’il s’agisse de projets de loi, ou de propositions de loi. Le seuil préconisé par le député Olivier Faure était celui de 45 000 signatures, collectées sur internet, afin que l’amendement soit considéré comme recevable et qu’il puisse être défendu par le rapporteur. À cet égard, il serait utile de repenser la défense de l’amendement citoyen par le rapporteur. On pourrait notamment imaginer la figure « d’un rapporteur citoyen », dont il faudrait définir les modalités. Celui-ci serait chargé de défendre les amendements citoyens retenus pour être examinés en séance publique, c’est à dire les amendements ayant reçu sur la plateforme un nombre suffisant de co-signatures. Il pourrait être un député spécialement désigné à cet effet ou bien le rapporteur du texte en question, cette dernière solution étant en pratique certainement la plus aisée à mettre en oeuvre. Sa seule obligation serait de présenter et de défendre les amendements citoyens ayant atteint le seuil nécessaire, mais il demeurerait libre de son vote et pourrait, le cas échéant, donner un avis négatif à leur adoption, comme pour tout autre amendement.

      L’exemple du projet de loi sur la République numérique, d’une certaine manière, donne corps à cette ambition démocratique dans la mesure où elle a constitué la première loi co-écrite avec les citoyens. En effet, après trois semaines de consultation en ligne, l’on dénombrait 21 330 participants et 8 501 amendements et propositions.

      Proposition n°3 : Simplifier les procédures permettant la mise en œuvre du droit de pétition.

      Proposition n°4 : Systématiser le droit d’amendement citoyen et proposer la création d’un « rapporteur citoyen » chargé d’en défendre les amendements ayant atteint un certain seuil (a minima 100 000 soutiens pour éviter l’éventuelle pression des lobbies).

      D’autres mécanismes de contrôle citoyen pourraient être mis en place tels la simplification du référendum d’initiative partagée abaissant le seuil de signatures des citoyens à celui d’un million. L’exemple concernant la privatisation des aéroports de Paris a pu également démontrer la dynamique « veto » de ce genre de mécanismes. Le Conseil constitutionnel a ainsi rendu une décision sujette à critiques validant l’admissibilité d’un tel référendum entre l’adoption et la promulgation de la loi visant à empêcher son entrée en vigueur. D’ailleurs le dernier projet de réforme constitutionnelle tire les leçons de ces dérives possibles du referendum d’initiative partagée[13]. Pourtant, le veto populaire constitue le corollaire des démocraties tournées vers le dialogue inclusif. « L’opposition étant le peuple », les partis s’acclimatent à une « culture du consensus ». Tous collaborent afin d’éviter un blocage de la loi par une sanction citoyenne. Par ce mode de fonctionnement, les parlementaires sont incités à respecter la force du meilleur argument, ce « rapprochement progressif des opinions divergentes au fur et à mesure que le débat se poursuit. Ce n’est donc plus un pluralisme irréductible et agnostique mais la recherche collective de l’intérêt général »[14].

      Partant de ce constat, une phase post parlementaire s’ouvrant juste après le vote de la loi pourrait être de mise comme en Suisse, et ainsi permettre de s’opposer à son entrée en vigueur. Dans une courte période postérieure à leur adoption et avant leur entrée en vigueur (par exemple 70 jours), les lois ordinaires pourraient, à la demande d’un certain nombre d’électeurs (500 000 par exemple), faire l’objet d’un referendum portant sur leur entrée en vigueur. Dans ce cas, la loi sera soumise au vote et n’entrera en vigueur que si la majorité des citoyens l’approuvent. En revanche, ces mécanismes de type « veto » fondent leur vertu par une délibération sur le temps long. Il faudra prendre garde à l’importation d’un tel mécanisme en temps de « crise », temps basé sur l’immédiateté qui pourrait conduire à une dérive contre-productive.

      Proposition n°5 : Simplifier le référendum d’initiative partagée à la fois sur ses modalités d’adoption via l’abaissement du seuil de signatures à un million mais aussi sur son mode de déclenchement : que les citoyens puissent être à l’initiative de la proposition appuyés par des parlementaires et non exclusivement l’inverse (c’est d’ailleurs le contenu du projet de loi constitutionnelle). 

      Proposition n°6 : Instaurer un mécanisme de contrôle citoyen type veto dans une phase post-parlementaire en dehors des périodes de crise. Dans une courte période postérieure à leur adoption et avant leur entrée en vigueur (70 jours), les lois ordinaires pourraient, à la demande d’un certain nombre d’électeurs (500 000), faire l’objet d’un referendum portant sur leur entrée en vigueur.                             

      D’aucuns diront que la démocratie représentative à la française ne souffre pas de maux. En réalité, il s’agit de tirer l’alarme sur l’urgence d’une nouvelle approche démocratique englobante en réponse à un dogme autodestructeur[15] axé sur le monopole des représentants une fois l’élection passée. Opter pour une démocratie délibérative multi-niveaux permettra d’atténuer considérablement le symptôme irriguant nos démocraties occidentales : la crise de la représentation.

                                                                                      

       

                                     

      [1] Se prêter à penser la démocratie suppose de s’entendre sur son acception. L’étude retiendra une définition purement organique de la démocratie, à savoir tendre vers une « identité entre objet et sujet du pouvoir ». Dans une démocratie représentative, elle s’entendra comme la recherche du rétablissement du lien de confiance entre gouvernés et gouvernants en réduisant la chaîne de légitimation les séparant, en passant de « citoyens passifs » à de véritables « citoyens actifs ».

      Le volet consacré à la démocratie en tant qu’équilibre des pouvoirs et assurant la protection des droits fondamentaux des citoyens sera traité par d’autres contributeurs (cf notes concernant les « institutions »), à l’aune d’une crise sanitaire où les impératifs de santé publique ont percuté des principes démocratiques fondamentaux.

      [2] L’article 19-1 de cette loi dispose « dans tous les cas, l’élection régulière des conseillers municipaux, dès le premier tour organisé le 15 mars, reste acquise, conformément à l’article 3 de la Constitution », ce dernier dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret… ».

      [3] Si le code électoral prévoit qu’au moins un quart des électeurs inscrits doit avoir voté dans les communes de moins de 1.000 habitants pour qu’une élection soit validée, il ne fixe pas de seuil de participation pour l’ensemble des communes.

      [4] CEVIPOF, baromètre de la confiance politique, vague 11 bis, avril 2020.

      [5] MANIN B., « Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de la délibération politique », Le Débat, n° 33, 1985, p. 83.

      [6] VIKTOROVITCH, C., Conclusion « Le Parlement, les citoyens et la délibération » in « Le Parlement et les citoyens », Les cahiers du CEVIPOF, Olivier Rozenberg et Clément Viktorovitch (dir), Octobre 2014, n°58.

      [7] ibid.

      [8] ibid.

      [9] ibid.

      [10] « Il peut aussi y avoir des réformes majeures, comme après 1945, et surtout, des « traces culturelles » profondes, comme après mai 1968 : sur la conscience de l’unité de destin du genre humain, y compris écologique, sur les inégalités sociales plus évidentes pendant la crise, sur la famille et le rapport à l’autre, sur la place vitale de certains métiers peu valorisés (caissières, aides-soignants…), l’idéologie économique, le rapport au temps, l’implication citoyenne », CHOURAQUI A., directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en sciences politiques et sociales.

      [11] Pour assurer la meilleure représentativité, le tirage au sort est réalisé selon des méthodes de sélection conçues pour refléter celle de la société Française dans son ensemble : 51 % de femmes – 49 % d’hommes, 6 tranches d’âge conformes à population française, 6 niveaux de diplômes reflétant la structure de la population française, la diversité des catégories socio-professionnelles et tous les types de territoires, avec « cinq représentants des Outre-Mer ».

      [12] Il existe actuellement deux voies de réception des pétitions : l’Assemblée nationale et le Conseil économique, social, et environnemental. Les pétitions ne sont pas toujours examinées, les délais d’examen sont excessivement longs, surtout elles sont rarement relayées. Ainsi, seules les pétitions reçues à la présidence de l’Assemblée nationale sont transmises à la commission des lois. Sur les conclusions du rapporteur, la commission des lois peut prendre trois types de décisions : le classement pur et simple de la pétition ; le renvoi de celle-ci à une autre commission permanente, à un ministre ou au médiateur de la République ; la soumission de la pétition à l’Assemblée. La seconde, auprès du Conseil économique, social et environnemental (CESE), a été instaurée par la loi organique de juin 2010. Pour être valide, la pétition doit être signée par au moins 500.000 personnes de nationalité française ou résidant régulièrement en France. Son objet doit porter sur une question d’intérêt général, à caractère économique, social ou environnemental. En vertu de l’article 69, alinéa 3 de la  constitution, le CESE, après examen de la pétition, « fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner ». C’est donc au CESE à relayer la proposition, qui sera éventuellement reprise ou non par l’Assemblée nationale ou le pouvoir exécutif. En somme : de nombreux filtrages et des délais excessivements longs qui en font des procédures lourdes.

      [13] « La participation citoyenne doit en effet constituer un outil démocratique pour mettre à l’agenda politique des questions qui touchent les Français. Elle ne doit pas apparaître comme un mode de déstabilisation des institutions représentatives ou un moyen d’en contester constamment les décisions. C’est la raison pour laquelle il est prévu que la proposition de texte de loi soumise à cette procédure ne peut avoir ni pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins de trois ans (et non un an comme aujourd’hui), ni porter sur le même objet qu’une disposition introduite au cours de la législature et en cours d’examen au Parlement ou définitivement adoptée par ce dernier et non encore promulguée », Présentation du projet de loi constitutionnelle « Pour un renouveau de la vie démocratique », 29 août 2019.

      [14] VIKTOROVITCH, C., Conclusion « Le Parlement, les citoyens et la délibération » in « Le Parlement et les citoyens », Les cahiers du CEVIPOF, Olivier Rozenberg et Clément Viktorovitch (dir), Octobre 2014, n°58.

      [15] Cela renvoie à la vision de DUPUIS DÉRI, F., le vote en tant « qu’expropriation du peuple de son pouvoir ».

      Publié le 15 mai 2020

      Le coronavirus, des enseignements à tirer pour sortir d’une démocratie déjà confinée

      Auteurs

      Beverley Toudic
      Doctorante en droit public à l’Université de Lille, Beverley Toudic est également vice-présidente de la Commission de la jeune recherche en droit constitutionnel. Ses thématiques de recherche s’attachent à l’étude des droits constitutionnel, électoral et parlementaire dans une perspective comparée à travers la dynamique de la chaîne de légitimation. Responsable des ressources humaines et des adhérents au sein de l’institut, elle est également en charge des études du pôle institutions.

      L’apport de cette note tient au constat d’une démocratie[1] déjà confinée, appréhendée par les gouvernants dans sa dimension purement majoritaire et formaliste. L’épisode révélateur de l’organisation du premier tour des élections municipales à l’aune d’une crise sanitaire permet d’attester de la déconnexion des sphères politique et sociale. Il y a urgence à repenser un nouveau paradigme démocratique pour « l’après », à prévoir une ère de démocratie délibérative large à multiples niveaux, associant les citoyens et la société civile dans une logique englobante.

       

      I – Constater : une démocratie « en crise » déjà confinée

       

      « En même temps », ce leitmotiv présidentiel confus se révèle lourd de sens dans cette crise pandémique. Le maintien des élections municipales au sein de cette crise sanitaire en atteste aisément. Le premier tour des élections municipales en date du 15 mars n’a pas été reporté, pourtant, la veille du scrutin, le Premier ministre annonçait la fermeture de l’ensemble des lieux non essentiels à la vie de la nation. Les médecins en appellent au report face à un gouvernement aux propos antinomiques : « restez chez vous mais en même temps, allez voter ». Cet épisode, a priori anecdotique, constitue le parfait corollaire de la perception démocratique actuelle, une conception étroite et « confinée », purement formaliste. Quoi de plus révélateur d’une autonomisation exacerbée du champ politique conduisant à une isolation vis-à-vis de la sphère sociale ? Une réelle tension se joue alors car le citoyen se voit contraint de choisir entre acte politique et acte social : son devoir de voter d’un côté, son devoir de se protéger ainsi que ses pairs de l’autre.

      Sans grand étonnement, les élections municipales ont fait l’objet d’une abstention record s’élevant à plus de 55,25% contre 36,5% en 2014. Logiquement, ces maires ayant acquis leur élection de droit au premier tour par une majorité absolue des voix, la conserveront, tel en dispose la loi du 23 mars 2020 relative à l’État d’urgence sanitaire[2]. Il faut dire que le Conseil constitutionnel, juge du scrutin, fait d’ordinaire fi de ces considérations : l’abstention versus vote est un choix, celui de ne pas aller voter et ne peut emporter de conséquences sur le scrutin lui-même[3]. Or, et c’est tout le problème, ces circonstances exceptionnelles d’espèce entourant le vote ne font pas l’objet d’un choix citoyen consenti mais contraint : ne pas voter pour se protéger – soi, ses proches, les autres. La sincérité du scrutin peut dès lors être altérée dans cette « démocratie pandémique », l’égalité des citoyens devant le suffrage remise en cause. Une pétition en ligne, intitulée « Je n’ai pas pu choisir mon maire à cause du coronavirus », a déjà pu recueillir presque 13 000 signataires. Quoi qu’on en dise, la légitimité démocratique de ces « élus-covid » dès le premier tour est branlante, sans parler de ceux « post-covid », convoqués pour un second tour, éligibles par une déconnexion de plusieurs mois entre le premier et le second tour de scrutin, rendant « celui-ci » ou pourrait-on dire (après plusieurs mois) « ceux-là », insincères.

      Concrètement, c’est notre attachement à la démocratie que le coronavirus pointe : une démocratie majoritaire, où seule importe la capacité de gouverner, où seul le vote compte et prime, qu’importent les circonstances pandémiques ; malgré l’absence de visibilité du débat public obnubilé par la crise sanitaire et l’impossibilité vitale pour certains de se rendre aux urnes. La démocratie se conçoit uniquement comme un instrument de légitimation purement formel des gouvernants, l’essentiel étant la nomination d’exécutifs locaux à n’importe quel prix, faisant fi du reste. Cette conception hyper représentative et déconnectée du social n’échappe pas aux yeux des citoyens. La gestion de la crise en général, de même que l’avant ou l’après, relève du « clair-obscur ». Les derniers sondages du CEVIPOF[4] sont édifiants : 57% des français ont la vision d’une démocratie qui ne fonctionne pas bien contre 30% en Allemagne ou 26% au Royaume Uni. Surtout, 77% des français ont le sentiment que les gouvernants ne tiennent pas compte de leurs opinions contre 46% en Allemagne et 49% au Royaume-Uni. La gestion bonapartiste de la crise conduit à repenser la conception de la représentation à la française, qu’il s’agisse de l’inclusion du citoyen dans la gestion de crise, mais surtout de ses suites. Gardons-le à l’esprit, l’organisation des municipales, certes, constitue un dysfonctionnement démocratique important, mais cela ne fait que révéler un constat pré-établi : une démocratie strictement « majoritaire », coupée de ses citoyens. Paradoxalement, le discours du Premier ministre Édouard Philippe, en date du 28 avril dernier, sur le plan de déconfinement atteste même de cette démocratie purement formaliste envers les représentants : « Non. Les députés ne commentent pas : ils votent ».

       

      II – Repenser : l’urgence d’acter un paradigme démocratique dit « délibératif ».

       

      En réalité, cette démocratie de « crise » en « crise » s’enracine dans un besoin plus profond encore : celui d’un changement de paradigme démocratique, responsable de la crise de la représentation. Élire, mandater, obéir : la démocratie à la française se révèle l’archétype du système « top-down » par excellence. Ce type de démocratie revêt une forme représentative, élitiste, en déléguant aux seuls « présumés capables » la tâche de définir ce qu’est l’intérêt général. Dès lors, selon Francis Dupuis-Déri, l’élection s’apparenterait à une sorte de procédure d’auto-expropriation du peuple de son pouvoir, confié uniquement aux élus. Or, à l’ère du « netizen » (citoyen hyper-connecté), « l’assentiment populaire préalable ne suffit plus. La légitimité ne provient plus de l’organe mais du processus décisionnel lui-même ». Comme l’exprime à juste titre Bernard Manin, l’idéal « démocratique » moderne ne consiste plus en « la décision de tous mais dans la délibération de tous »[5]. Cette vision délibérative englobante de la démocratie, viendrait résoudre les critiques formulées par Clément Viktorovitch, politiste, à l’égard de l’institution parlementaire. Celui-ci a pu démontrer en effet que « les contradictions jacobines et sieyessiennes » mettent à mal, dans son fondement même, la légitimité du Parlement sous plusieurs aspects : d’une part, « tout en prétendant incarner l’unité derrière l’intérêt général, le Parlement institutionnalise le pluralisme » et donc serait vecteur de « plusieurs interprétations incompatibles de la volonté populaire »[6]. D’autre part, si le Parlement procède du peuple, il détient de jure le monopole de l’élaboration de la législation et le peuple se retrouve ainsi « limité à la simple capacité de surveillance et d’empêchement »[7]. Le système politique basé une approche délibérative englobante viendrait résoudre ces paradoxes inhérents. Par ce mode de fonctionnement, les parlementaires seraient de facto incités à respecter la force du meilleur argument, ce « rapprochement progressif des opinions divergentes au fur et à mesure que le débat se poursuit »[8]. Ce ne serait donc plus « un pluralisme irréductible et agnostique »[9] mais la recherche collective de l’intérêt général.

      À l’aune de cette crise de la représentation irriguant l’État français ces dernières décennies, il est temps d’acter l’ère d’une démocratie plus délibérative que majoritaire, une démocratie plus consensuelle que compromissoire. Quelle meilleure conjoncture que celle de « l’après Covid » pour ce faire[10]? Après l’expérience d’un individualisme effacé au profit de l’intérêt général, quand se protéger soi, c’est également et surtout, protéger les autres. L’intérêt général, bien conçu, est celui de l’intérêt de tous, il passe par la délibération, par des mécanismes d’inclusion délibératifs. Après l’expérience dite du « Grand débat national », il faut aller encore plus loin, pour ouvrir l’ère de la démocratie délibérative large multi-niveaux, associant les citoyens au maximum dans une logique englobante. Dès lors, plusieurs stratégies pratiques pourraient se mettre en place pour relégitimer le processus législatif à travers le citoyen, reflétant le passage à une nouvelle culture démocratique. Cela passe par un contrôle accru qui renforce le citoyen dans sa faculté de surveillance et d’empêchement (notamment sa capacité de défaire la loi via le veto), et par une élaboration législative plus ouverte, allant vers l’avènement d’un citoyen co-législateur (par le biais d’initiatives citoyennes ou de grandes consultations).

       

      III – Concrétiser : concevoir de nouveaux modèles de gestion s’appuyant sur le citoyen en temps normal et en période de crise.

       

      Un premier pas avait déjà été amorcé avant cette crise via la Convention citoyenne pour le climat. Il prend encore plus sens aujourd’hui. Les 150 citoyens tirés au sort[11] ont planché sur l’après Covid-19, lors d’une session extraordinaire de travail menée les 3 et 4 avril derniers par visioconférence. Pour l’assemblée citoyenne, « la stratégie de sortie de crise, devra porter l’espoir d’un nouveau modèle de société […]. Un modèle économique et sociétal différent, plus humain et plus résilient face aux futures crises ». Elle poursuit : « La participation citoyenne est essentielle. […] C’est le moment idéal d’écouter et de prendre en compte les remarques des citoyens pour la construction d’une société future ». Cette expérience pourrait-on dire hasardeuse puisque amorcée bien avant la crise sanitaire, pourrait enclencher des efforts de réflexion sur l’implication des citoyens en période de crise, pour en sortir, et afin d’anticiper les prochaines.

      Ce mode de fonctionnement permet de s’attarder sur deux autres formes délibératives à savoir les « jurys citoyens » et la « Chambre du futur ». Cette dernière, contrairement à la Convention citoyenne pour le climat constitue une sorte de troisième chambre au long terme, composée des représentants de la société civile ayant pour rôle celui d’une instance unique de consultation de fabrique de la loi associant les citoyens par de larges consultations. Pour autant, si Emmanuel Macron s’est engagé à renoncer aux 60 personnalités associées, les membres de l’ancien CESE rebaptisé « conseil de la participation citoyenne » dans le projet de loi constitutionnelle continueront à être choisis parmi des représentants la société civile. Les jurys citoyens, pour leur part, se rapprochent davantage du mécanisme de la convention citoyenne pour le climat. Ils s’apparentent certes à un dispositif ponctuel mais intéressant : une vingtaine de citoyens tirés au sort dans le respect de la diversité (à défaut d’être représentatifs) sont associés à la confection de la loi sur un thème. Ils élaborent un rapport motivé et disposent à ce titre d’un éventail de mécanismes « d’aide à la décision » : procédure d’enquête, experts… Certes, l’organisation de la délibération est quelque peu « artificielle », mais l’ensemble des enjeux sont exposés dans une dynamique chaque fois contradictoire. Le rapport émis par ce jury citoyen se veut, de facto, parfaitement éclairé.

      Proposition n°1 : Poursuivre l’effort de création d’une véritable « chambre du futur » de consultation (tel le Conseil de la participation citoyenne contenu dans le projet de loi constitutionnelle) composée de plusieurs collèges y compris de citoyens tirés au sort. Elle œuvrera, certes en dehors de la crise mais également en période de crise, pour en sortir, et afin d’en anticiper les prochaines.

      Proposition n°2 : Faire appel à des dispositifs ponctuels de « jurys citoyens » tirés au sort pour les associer à la confection de la loi sur un thème et ce, aussi bien en période de crise qu’en dehors. La Convention citoyenne pour le climat en constitue une preuve d’efficience à grande échelle.

      Au-delà de ces « jurys citoyens » ou « chambre du futur », il existe d’autres propositions permettant d’interférer directement dans le débat parlementaire.

      D’une part, simplifier les procédures permettant la mise en œuvre du droit de pétition dans une perspective d’impulsion de la loi permettant de mettre l’accent sur le citoyen instigateur. Un allègement des étapes procédurales conditionnant l’examen de la pétition[12], de même qu’une obligation d’étude de celle-ci par la commission compétente semblent essentiels à partir d’un certain seuil.

      D’autre part, militer pour la systématisation du droit d’amendement citoyen, prolongement du droit d’initiative législative : il consiste, pour les citoyens, à soumettre au vote des chambres des modifications aux textes dont elles sont saisies, qu’il s’agisse de projets de loi, ou de propositions de loi. Le seuil préconisé par le député Olivier Faure était celui de 45 000 signatures, collectées sur internet, afin que l’amendement soit considéré comme recevable et qu’il puisse être défendu par le rapporteur. À cet égard, il serait utile de repenser la défense de l’amendement citoyen par le rapporteur. On pourrait notamment imaginer la figure « d’un rapporteur citoyen », dont il faudrait définir les modalités. Celui-ci serait chargé de défendre les amendements citoyens retenus pour être examinés en séance publique, c’est à dire les amendements ayant reçu sur la plateforme un nombre suffisant de co-signatures. Il pourrait être un député spécialement désigné à cet effet ou bien le rapporteur du texte en question, cette dernière solution étant en pratique certainement la plus aisée à mettre en oeuvre. Sa seule obligation serait de présenter et de défendre les amendements citoyens ayant atteint le seuil nécessaire, mais il demeurerait libre de son vote et pourrait, le cas échéant, donner un avis négatif à leur adoption, comme pour tout autre amendement.

      L’exemple du projet de loi sur la République numérique, d’une certaine manière, donne corps à cette ambition démocratique dans la mesure où elle a constitué la première loi co-écrite avec les citoyens. En effet, après trois semaines de consultation en ligne, l’on dénombrait 21 330 participants et 8 501 amendements et propositions.

      Proposition n°3 : Simplifier les procédures permettant la mise en œuvre du droit de pétition.

      Proposition n°4 : Systématiser le droit d’amendement citoyen et proposer la création d’un « rapporteur citoyen » chargé d’en défendre les amendements ayant atteint un certain seuil (a minima 100 000 soutiens pour éviter l’éventuelle pression des lobbies).

      D’autres mécanismes de contrôle citoyen pourraient être mis en place tels la simplification du référendum d’initiative partagée abaissant le seuil de signatures des citoyens à celui d’un million. L’exemple concernant la privatisation des aéroports de Paris a pu également démontrer la dynamique « veto » de ce genre de mécanismes. Le Conseil constitutionnel a ainsi rendu une décision sujette à critiques validant l’admissibilité d’un tel référendum entre l’adoption et la promulgation de la loi visant à empêcher son entrée en vigueur. D’ailleurs le dernier projet de réforme constitutionnelle tire les leçons de ces dérives possibles du referendum d’initiative partagée[13]. Pourtant, le veto populaire constitue le corollaire des démocraties tournées vers le dialogue inclusif. « L’opposition étant le peuple », les partis s’acclimatent à une « culture du consensus ». Tous collaborent afin d’éviter un blocage de la loi par une sanction citoyenne. Par ce mode de fonctionnement, les parlementaires sont incités à respecter la force du meilleur argument, ce « rapprochement progressif des opinions divergentes au fur et à mesure que le débat se poursuit. Ce n’est donc plus un pluralisme irréductible et agnostique mais la recherche collective de l’intérêt général »[14].

      Partant de ce constat, une phase post parlementaire s’ouvrant juste après le vote de la loi pourrait être de mise comme en Suisse, et ainsi permettre de s’opposer à son entrée en vigueur. Dans une courte période postérieure à leur adoption et avant leur entrée en vigueur (par exemple 70 jours), les lois ordinaires pourraient, à la demande d’un certain nombre d’électeurs (500 000 par exemple), faire l’objet d’un referendum portant sur leur entrée en vigueur. Dans ce cas, la loi sera soumise au vote et n’entrera en vigueur que si la majorité des citoyens l’approuvent. En revanche, ces mécanismes de type « veto » fondent leur vertu par une délibération sur le temps long. Il faudra prendre garde à l’importation d’un tel mécanisme en temps de « crise », temps basé sur l’immédiateté qui pourrait conduire à une dérive contre-productive.

      Proposition n°5 : Simplifier le référendum d’initiative partagée à la fois sur ses modalités d’adoption via l’abaissement du seuil de signatures à un million mais aussi sur son mode de déclenchement : que les citoyens puissent être à l’initiative de la proposition appuyés par des parlementaires et non exclusivement l’inverse (c’est d’ailleurs le contenu du projet de loi constitutionnelle). 

      Proposition n°6 : Instaurer un mécanisme de contrôle citoyen type veto dans une phase post-parlementaire en dehors des périodes de crise. Dans une courte période postérieure à leur adoption et avant leur entrée en vigueur (70 jours), les lois ordinaires pourraient, à la demande d’un certain nombre d’électeurs (500 000), faire l’objet d’un referendum portant sur leur entrée en vigueur.                             

      D’aucuns diront que la démocratie représentative à la française ne souffre pas de maux. En réalité, il s’agit de tirer l’alarme sur l’urgence d’une nouvelle approche démocratique englobante en réponse à un dogme autodestructeur[15] axé sur le monopole des représentants une fois l’élection passée. Opter pour une démocratie délibérative multi-niveaux permettra d’atténuer considérablement le symptôme irriguant nos démocraties occidentales : la crise de la représentation.

                                                                                      

       

                                     

      [1] Se prêter à penser la démocratie suppose de s’entendre sur son acception. L’étude retiendra une définition purement organique de la démocratie, à savoir tendre vers une « identité entre objet et sujet du pouvoir ». Dans une démocratie représentative, elle s’entendra comme la recherche du rétablissement du lien de confiance entre gouvernés et gouvernants en réduisant la chaîne de légitimation les séparant, en passant de « citoyens passifs » à de véritables « citoyens actifs ».

      Le volet consacré à la démocratie en tant qu’équilibre des pouvoirs et assurant la protection des droits fondamentaux des citoyens sera traité par d’autres contributeurs (cf notes concernant les « institutions »), à l’aune d’une crise sanitaire où les impératifs de santé publique ont percuté des principes démocratiques fondamentaux.

      [2] L’article 19-1 de cette loi dispose « dans tous les cas, l’élection régulière des conseillers municipaux, dès le premier tour organisé le 15 mars, reste acquise, conformément à l’article 3 de la Constitution », ce dernier dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret… ».

      [3] Si le code électoral prévoit qu’au moins un quart des électeurs inscrits doit avoir voté dans les communes de moins de 1.000 habitants pour qu’une élection soit validée, il ne fixe pas de seuil de participation pour l’ensemble des communes.

      [4] CEVIPOF, baromètre de la confiance politique, vague 11 bis, avril 2020.

      [5] MANIN B., « Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de la délibération politique », Le Débat, n° 33, 1985, p. 83.

      [6] VIKTOROVITCH, C., Conclusion « Le Parlement, les citoyens et la délibération » in « Le Parlement et les citoyens », Les cahiers du CEVIPOF, Olivier Rozenberg et Clément Viktorovitch (dir), Octobre 2014, n°58.

      [7] ibid.

      [8] ibid.

      [9] ibid.

      [10] « Il peut aussi y avoir des réformes majeures, comme après 1945, et surtout, des « traces culturelles » profondes, comme après mai 1968 : sur la conscience de l’unité de destin du genre humain, y compris écologique, sur les inégalités sociales plus évidentes pendant la crise, sur la famille et le rapport à l’autre, sur la place vitale de certains métiers peu valorisés (caissières, aides-soignants…), l’idéologie économique, le rapport au temps, l’implication citoyenne », CHOURAQUI A., directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en sciences politiques et sociales.

      [11] Pour assurer la meilleure représentativité, le tirage au sort est réalisé selon des méthodes de sélection conçues pour refléter celle de la société Française dans son ensemble : 51 % de femmes – 49 % d’hommes, 6 tranches d’âge conformes à population française, 6 niveaux de diplômes reflétant la structure de la population française, la diversité des catégories socio-professionnelles et tous les types de territoires, avec « cinq représentants des Outre-Mer ».

      [12] Il existe actuellement deux voies de réception des pétitions : l’Assemblée nationale et le Conseil économique, social, et environnemental. Les pétitions ne sont pas toujours examinées, les délais d’examen sont excessivement longs, surtout elles sont rarement relayées. Ainsi, seules les pétitions reçues à la présidence de l’Assemblée nationale sont transmises à la commission des lois. Sur les conclusions du rapporteur, la commission des lois peut prendre trois types de décisions : le classement pur et simple de la pétition ; le renvoi de celle-ci à une autre commission permanente, à un ministre ou au médiateur de la République ; la soumission de la pétition à l’Assemblée. La seconde, auprès du Conseil économique, social et environnemental (CESE), a été instaurée par la loi organique de juin 2010. Pour être valide, la pétition doit être signée par au moins 500.000 personnes de nationalité française ou résidant régulièrement en France. Son objet doit porter sur une question d’intérêt général, à caractère économique, social ou environnemental. En vertu de l’article 69, alinéa 3 de la  constitution, le CESE, après examen de la pétition, « fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner ». C’est donc au CESE à relayer la proposition, qui sera éventuellement reprise ou non par l’Assemblée nationale ou le pouvoir exécutif. En somme : de nombreux filtrages et des délais excessivements longs qui en font des procédures lourdes.

      [13] « La participation citoyenne doit en effet constituer un outil démocratique pour mettre à l’agenda politique des questions qui touchent les Français. Elle ne doit pas apparaître comme un mode de déstabilisation des institutions représentatives ou un moyen d’en contester constamment les décisions. C’est la raison pour laquelle il est prévu que la proposition de texte de loi soumise à cette procédure ne peut avoir ni pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins de trois ans (et non un an comme aujourd’hui), ni porter sur le même objet qu’une disposition introduite au cours de la législature et en cours d’examen au Parlement ou définitivement adoptée par ce dernier et non encore promulguée », Présentation du projet de loi constitutionnelle « Pour un renouveau de la vie démocratique », 29 août 2019.

      [14] VIKTOROVITCH, C., Conclusion « Le Parlement, les citoyens et la délibération » in « Le Parlement et les citoyens », Les cahiers du CEVIPOF, Olivier Rozenberg et Clément Viktorovitch (dir), Octobre 2014, n°58.

      [15] Cela renvoie à la vision de DUPUIS DÉRI, F., le vote en tant « qu’expropriation du peuple de son pouvoir ».

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