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Gérer les grandes infrastructures dans l’intérêt commun en période de crise

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      Gérer les grandes infrastructures dans l’intérêt commun en période de crise

      Essentielles dans le cadre du développement économique et social des sociétés industrialisées, les grandes infrastructures constituent un patrimoine collectif aujourd’hui invisible aux yeux des populations et dont les services délivrés sont devenus bien acquis.

      Pourtant, ces structures, points d’intérêt vital pour la nation française, le sont d’autant plus en période de crise car leur défaillance a souvent de tragiques conséquences et l’après-crise ne peut se faire sans elles. Cette dépendance accrue de nos sociétés pousse l’ensemble des acteurs de la chaîne à travailler sans cesse sur leur résilience, notamment en apprenant des différentes crises vécues. L’actuelle crise sanitaire ne déroge pas à la règle en portant son lot d’enseignements, notamment en neutralisant partiellement deux ressources critiques pour les grandes infrastructures que sont la disponibilité de ressources humaines et la pleine fonctionnalité du système d’informations. 

      Ainsi, l’augmentation des investissements et une gestion publique de certaines infrastructures semblent apparaître comme des réponses évidentes et immédiates à l’après-crise. Néanmoins, elles ne dispensent pas les sociétés modernes de l’impératif de réfléchir plus globalement à la durabilité de leur modèle et la capacité des infrastructures à y répondre.

       

      Les grandes infrastructures, notamment celles de réseaux (énergie, transports, téléphonie, eau, etc.), tiennent une place essentielle dans le développement économique de nos sociétés. Elles permettent la circulation des personnes, des marchandises, des capitaux, de l’information et constituent un levier de croissance dans de multiples secteurs. Depuis plusieurs années, la transition énergétique, le déploiement du très haut débit et la modernisation des réseaux de transport sont à ce titre au centre des politiques d’investissements de la plupart des pays européens.

      Elles ont également un rôle social déterminant, en assurant la fourniture de biens et de services contribuant à la qualité de vie des individus. En cela, elles représentent un patrimoine collectif au service de la vie de la nation et des activités humaines, pouvant être qualifiés de « biens communs ». « La France possède un des meilleurs réseaux d’infrastructures au monde » [1], affirmation corroborée par le rapport du World Economic Forum (WEF) de 2016 qui mesure la compétitivité globale de 144 pays à partir de 12 thématiques, et qui avait classé la France au dixième rang mondial pour la qualité de ses infrastructures et au deuxième rang des pays du G20. Héritière de grandes infrastructures de service public édifiées après-guerre grâce aux investissements massifs de l’État [2], la France a développé une forte capacité dans la conception, la gestion et l’entretien de ses infrastructures, se positionnant dans les « premiers pays exportateurs » en la matière [3].

      Les infrastructures présentent aujourd’hui un niveau d’intégration tel, avec un fonctionnement régulier, qu’elles disparaissent aux yeux de la population, transformant le service délivré en bien acquis pour l’usager. Cette invisibilité, parfois opportune, véhicule pourtant de nombreux écueils, parmi lesquels l’absence de sensibilisation de la population aux différents enjeux (sécuritaires, financiers, environnementaux, techniques…) attachés à la gestion de ces équipements. Ces derniers réapparaissent à la défaveur d’événements exceptionnels, parfois tragiques [4], qui mettent en lumière la vulnérabilité voire la dangerosité de certaines infrastructures.

      Afin de se prémunir contre de nouvelles catastrophes, les pouvoirs publics ont conçu et déployé des politiques de prévention et gestion des risques visant à réduire les impacts :

      • des risques d’origine naturelle (crues, séismes, mouvements de terrain, changement climatique sur le plus long terme) ;
      • de la dépendance à d’autres infrastructures et réseaux ;
      • des éléments intrinsèques à leur conception (matériaux, vieillissement, etc.) ;
      • d’exploitation liée à la gestion de flux.

      Pourtant, il apparaît que le fonctionnement même des sociétés industrialisées rend les infrastructures de réseaux de plus en plus vulnérables aux différents risques : concurrence internationale accrue, méthodes de flux tendus (du « juste à temps » à la limitation des stocks), forte baisse des financements de l’État menée dans une logique d’économies budgétaires [5], etc. L’impératif de continuité d’activité en toutes circonstances interroge quant aux usages et à la dépendance des sociétés industrialisées aux grandes infrastructures.

       

      Table des matières

      I – L’impérieuse nécessité d’assurer le fonctionnement des grandes infrastructures en période de crise 

      1.  Les infrastructures de réseaux reconnues comme « Point d’Importance Vitale » (PIV)
      2. Des vulnérabilités émergentes à la faveur d’une crise inédite

      II – Les enseignements à tirer de la crise pour un fonctionnement optimisé des grandes infrastructures de réseaux

      1. Une gouvernance publique à conforter économiquement dans la gestion des grandes infrastructures
      2. Une sobriété des usages à développer pour garantir la résilience des grandes infrastructures

       

       

      I – L’impérieuse nécessité d’assurer le fonctionnement des grandes infrastructures en période de crise 

       

      Les différents types de risques ou catastrophes mettent en jeu de façon constante la résilience des infrastructures et de leurs réseaux.

       

      1. Les infrastructures de réseaux reconnues comme « Point d’Importance Vitale » (PIV)

       

      La définition de la résilience, donnée lors de la définition du cadre d’action de Sendaï [6], est « la capacité d’un système, d’une communauté ou d’une société exposée aux risques de résister, d’absorber, d’accueillir et de corriger les effets d’un danger, en temps opportun et de manière efficace, notamment par la préservation et la restauration de ses structures essentielles et de ses fonctions de base » [7].

      C’est précisément parce que les infrastructures de réseaux sont reconnues comme des « structures essentielles » qui concourent aux « fonctions de base » (production, distribution de biens et services indispensables à l’exercice de l’autorité de l’État, fonctionnement de l’économie, maintien du potentiel de défense ou à la sécurité de la nation) qu’ils sont considérés comme « d’importance vitale » [8].

      Le dispositif de sécurité des activités d’importance vitale (SAIV) constitue le cadre permettant d’analyser les risques et d’appliquer les mesures cohérentes avec les décisions des pouvoirs publics. Au sein de ce dispositif sont référencés les opérateurs d’importance vitale (OIV), lesquels détiennent des points d’importance vitale (PIV) tels que des établissements, des ouvrages ou des installations fournissant les services et les biens indispensables à la vie de la nation [9]. 

      La délimitation du PIV permet une mise en œuvre plus efficiente du dispositif de SAIV entre l’opérateur et le préfet de département concernant des composants névralgiques indispensables au bon fonctionnement des infrastructures essentielles à la vie de la nation.

      Le dispositif de SAIV encadre les plans de continuité (PCA) destinés à permettre la résilience des organisations en cas de crise (les OIV), dont font partie la plupart des opérateurs de réseaux, sont les seules entités pour lesquelles les PCA sont obligatoires. L’objectif est celui de la continuité de l’activité et de la sauvegarde de la ressource. Les PCA doivent par ailleurs prendre en compte les interactions entre réseaux et inciter les opérateurs à avoir une vision globale de leur vulnérabilité (ex : dépendance à l’endroit d’un prestataire de téléphonie ou d’électricité). 

      L’exemple de la SNCF illustre à ce titre les contraintes imposées par l’épidémie et la nécessité de disposer d’un PCA. L’entreprise a mis à l’arrêt les chantiers d’entretien du réseau ferroviaire (tous les chantiers de renouvellement des voies et du ballast, ainsi que 90 % des chantiers de développement sont suspendus), afin d’assurer les « missions strictement nécessaires à la continuité du service » [10], parmi lesquelles se trouvent notamment la circulation des TGV médicalisés [11] pour l’acheminement de patients vers des régions moins saturées en termes de capacité de réanimation. 

      Malgré l’établissement de stratégies de continuité d’activité permettant le fonctionnement en mode dégradé et les priorités de reprise, la nature et l’ampleur de la crise sanitaire mondiale liée à l’épidémie de Covid-19 fait émerger certaines vulnérabilités, parfois nouvelles ou imprévisibles, dans la gestion des infrastructures de réseaux. 

       

      2. Des vulnérabilités émergentes à la faveur d’une crise inédite 

       

      Le confinement actuel de plus de 3,5 milliards d’individus ne touche pas directement ni immédiatement l’intégrité matérielle des grandes infrastructures, mais plutôt leur capacité à fonctionner de manière satisfaisante avec des effectifs réduits au minimum.

      Si les PCA prennent en compte les pertes de ressources critiques pouvant générer une rupture de fonctionnement des organisations, le contexte actuel fait apparaître un effet ciseau défavorable sur deux ressources critiques : la baisse massive de la disponibilité de la ressource humaine mobilisable, et une hausse consécutive du besoin en ressources de systèmes d’informations (travail à distance, multiplication des connexions, demandes de matériels, préservation de la sécurité [12]. De plus, l’absence d’horizon temporel défini concernant le maintien de cette situation rend difficile la modélisation des scénarios d’anticipation de reprise normale d’activités.

      Concernant la dimension RH pendant la période de confinement, les différents gestionnaires d’infrastructures doivent :

      • adapter leurs ressources en fonction de l’activité (rotation des équipes pour assurer le service minimum opérationnel), notamment en demandant aux salariés de prendre des jours de repos en cohérence avec la courbe d’activité [13] ;
      • gérer le taux d’absentéisme pouvant découler de la propagation de l’infection, de l’exercice du droit de retrait, de la fatigue accumulée, etc. ;
      • envisager une baisse d’activité des salariés à distance non concernés par le service minimum opérationnel et le risque de distanciation sociale (perte de repères, lassitude…).

      À l’issue de la période de confinement, et selon les scénarios de sortie retenus par les pouvoirs publics, les gestionnaires devront absorber le report d’activité en composant avec la fatigue des personnels mobilisés durant la crise et, éventuellement, l’absentéisme généré par un report massif de congés (lié à la probable sortie de crise en saison estivale).

      Enfin, les structures des systèmes d’information des différents gestionnaires se révèlent souvent non dimensionnées pour répondre à ces circonstances inédites, les obligeant à gérer leur consommation de bande passante par un appel à la sobriété d’usages des personnels travaillant à domicile (taille de fichiers transmis, flux vidéo…) et à prévoir des mesures éventuelles de délestage pour préserver leurs structures SI d’une défaillance générale. De plus, cette situation de travail à distance quasi-généralisée peut nécessiter l’adaptation en urgence des outils et l’installation de nouveaux logiciels, lesquels peuvent fragiliser la sécurité des systèmes et les rendre plus vénérables à des cyberattaques d’ampleur [14].

      De manière plus générale, la dématérialisation massive d’actes du quotidien (école à distance, télétravail, démarches administratives…) accentue le constat de fracture numérique dont souffre une partie de la population et interroge sur le bon dimensionnement et le calendrier de déploiement des infrastructures de très haut débit sur le territoire [15]. 

       

      II – Les enseignements à tirer de la crise pour un fonctionnement optimisé des grandes infrastructures de réseaux 

      1. Une gouvernance publique à conforter économiquement dans la gestion des grandes infrastructures 

       

      Il est nécessaire de sécuriser les activités stratégiques et les infrastructures qui les portent. Patrick Artus [16] souligne que le système capitaliste occidental contemporain a misé sur « la globalisation », « la réduction du rôle de l’État » et les « privatisations », solutions qui n’apparaissent pas être les plus pertinentes pour l’établissement et la gestion des grandes infrastructures. En temps de crise, l’extension d’une gouvernance publique nationale en appui d’un « renouveau des politiques industrielles » (cf. P. Artus) s’illustre notamment dans le domaine des infrastructures de transports :

      • le Royaume-Uni envisage des nationalisations temporaires de lignes ferroviaires (cf. déclaration du son secrétaire d’État aux Transports Grant Shapps [17]) ; 
      • le gouvernement américain envisage de participer au capital de compagnies aériennes nationales à hauteur d’un plan d’aide de 50 milliards de dollars (la moitié de cette somme faisant partie du plan de relance annoncé de 2 000 milliards de dollars) [18] ;
      • une réflexion est en cours en France concernant la nationalisation d’Air-France [19] et le processus de privatisation d’Aéroports de Paris [20] est questionné du fait de l’impact de la crise.

      Une vingtaine d’entreprises françaises stratégiques identifiées par Bercy devraient par ailleurs faire l’objet d’un soutien spécifique, y compris par le truchement d’éventuelles recapitalisations, voire de nationalisations temporaires [21], revitalisant le débat de la compétence et des moyens de l’État à mener des politiques sectorielles au lieu d’assurer uniquement son rôle de régulateur [22]. Pour autant le nécessaire appui financier aux secteurs stratégiques ne doit pas se priver d’associer les capacités d’investissements publics, afin de ne pas reproduire l’erreur pro-cyclique de la frugalité des actions budgétaires de 2008. 

      Dans le cadre de la crise actuelle, l’État investisseur serait ainsi à même de tirer parti de la situation de renouveau nécessaire et souhaitée pour impulser de nouvelles stratégies de croissance fondées sur les leviers d’innovation numérique et d’économie verte [23], tout en relocalisant certaines activités participant à la chaîne de valeur pour assurer son indépendance stratégique.

      En effet, il semble impératif que les plans de relance nationaux et européen de réponse à la crise [24] soutiennent l’économie liée aux grandes infrastructures [25].

      Proposition 1 : Couvrir la différence de compétitivité par une banque d’État (à l’instar de Bpifrance) pour des investissements sur des infrastructures à faible rentabilité et jusqu’à ce que la technologie soit mature.

      Proposition 2 : Créer une « banque publique des infrastructures » exclusivement dédiée à ces financements au sein de la Caisse des dépôts. 

      Proposition 3 : Orienter une partie de l’épargne réglementée actuellement investi sur les marchés (182 milliards d’euros d’épargne, LDDS et LEP en 2018) vers de grands projets d’infrastructures ou de transition énergétique (sans toucher à la part actuellement affectée au logement social).

      Proposition 4 : Lancer un plan d’investissement dédié à la modernisation de certains équipements stratégiques et prioritaires en sortie de crise (Hôpitaux, SI…) qui ne doit pas obérer le besoin en investissement de 400 milliards d’euros (soit l’équivalent annuel de 2,5 % du PIB de l’Union européenne) d’ici 2030 pour soutenir l’entretien et le développement des infrastructures à l’échelle européenne.

       

      2. Une sobriété des usages à développer pour garantir la résilience des grandes infrastructures 

       

      Dans une récente tribune, Patrice Geoffron et Benoît Thirion rappellent que « si les conséquences de la pandémie du Coronavirus sont encore incertaines, il est une nécessité qu’elle révèle : repenser notre système économique et social dans un monde sous la menace d’autres crises, isolées ou combinées, qu’elles soient sanitaires, sociales ou climatiques. ». Trois horizons sont ainsi distingués : 

      • le court terme, assimilé à « la continuité du fonctionnement » ; 
      • le moyen terme, qui permet de « gagner en résilience » ; 
      • le plus long terme avec « l’avènement d’une société plus sobre, moins consommatrice en énergie et en matières premières, pour maîtriser les risques environnementaux ». 

      Le défi majeur de l’après-crise réside alors dans l’alignement du court et long terme « pour permettre un développement durable, assurant notre capacité à croître tout en maîtrisant les risques » [26] .

      Ce sont donc les consommations en énergie, télécoms, transports, eau, assainissement etc., essentielles à la poursuite du système économique et social, qui devront évoluer vers plus de modération et de sobriété afin d’assurer la résilience des infrastructures de réseaux en assurant l’approvisionnement.

      Cette impératif de sobriété dans la consommation et les usages fait déjà l’objet de nombreuses réflexions en matière numérique [27] ou de transition énergétique. Les enjeux posés par cette dernière obligent les autorités publiques compétentes à envisager de nouvelles manières de gestion du modèle énergétique, notamment en passant d’une vision « en silos » par type d’énergie (électricité, gaz, chaleur, froid…) à une vision intégrée, cela afin de délivrer « service public de la sobriété énergétique » [28].

      En temps normal, les collectivités territoriales, pivot de l’action publique dans les territoires, jouent déjà un rôle essentiel dans les services rendus à la population et aux entreprises. Très fortement sollicitées durant la crise afin de maintenir la continuité de service, elles le seront tout autant, sinon plus, lors de la reprise d’activités. Ainsi, en réponse aux enjeux énergétiques portés par les infrastructures publiques (pilotage énergétique et de la maîtrise de l’énergie à l’échelle locale), elles peuvent impulser des synergies par une approche globale et des échanges partagés avec les différents acteurs du dispositifs (fournisseurs, gestionnaires des réseaux, entreprises intéressées…). À titre d’exemple, dans le cadre d’une opération d’aménagement publique type zone d’aménagement concerté (ZAC) pourrait être envisagé entre les bâtiments industriels et/ou commerciaux et certains bâtiments publics (écoles, équipements sportifs…) des systèmes de récupération de chaleur, à l’image des concepts d’écologie industrielle ou territoriale, fondamentaux des villes intelligentes [29]. En effet, les réseaux intelligents, facteurs d’intégration et de développement des énergies renouvelables, ouvrent la voie à de nouveaux modèles de consommation.

      À ce titre, même si le gouvernement assure maintenir les dotations cette année [30], la baisse déjà opérée de la dotation globale de fonctionnement (41 milliards d’euros en 2013 à 27 milliards d’euros en 2017, montant reconduit depuis) [31] milite pour son augmentation immédiate.

      Proposition 5 : Augmenter substantiellement la DGF pour permettre aux collectivités territoriales, d’investir dans la modernisation des infrastructures et de développer des réseaux intelligents.

      Pour amplifier cette action au profit des collectivités territoriales et augmenter la capacité de l’État à investir massivement dans les infrastructures, deux outils supplémentaires peuvent être mobilisés. Le premier concerne les nouveaux contrats de plan État-région (CPER) qui couvriront la période 2021-2027 et qui devraient être adoptés à l’automne 2020. Dans l’état actuel des discussions le Gouvernement a décidé de ne pas ouvrir de discussions sur le volet transports, alors même qu’il représente habituellement plus de 60% des crédits. Pour rappel, dans les CPER 2015-2020, les crédits liés à la mobilité et aux infrastructures de transport représentent plus de la moitié des budgets alloués (23,4 milliards d’euros de crédits contractualisés). L’essentiel de cette enveloppe se consacre au ferroviaire (34 %) et aux transports collectifs (32 %). Mais le routier (23 %), le portuaire (8 %) et le fluvial (3 %) bénéficient aussi de ces investissements. L’État via l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) y contribue à hauteur de 6,8 milliards d’euros. 

      Seulement l’ensemble des moyens financiers prévus n’ont pas été dégagés, ce qui a entraîné de grands retards d’exécution. Par conséquent, dans les nouveaux CPER pour 2021-2027, il est nécessaire de rouvrir un volet infrastructures et transports, focalisés sur leur verdissement, et dotés de moyens supplémentaires. 

      Proposition 6 : Prévoir un volet sur le financement des infrastructures dans le prochain volet des CPER 2021-2027 et le doter de 5 milliards d’euros supplémentaires pour donner aux collectivités, en concertation avec l’État, des moyens d’entretien, de sécurisation et de verdissement des infrastructures dont elles ont la charge. 

      Par ailleurs, l’État devrait augmenter le budget consacré à l’Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF) dans des proportions compatibles avec la réalisation du scénario 3 du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) [32]. Pour rappel, le scénario 3 correspond à une mise en place d’une société de la mobilité respectueuse de l’environnement. Il mobilise environ 80 milliards d’euros en vingt ans pour l’AFITF. Cela suppose un budget montant à 3,5 milliards d’euros par an à court terme (d’ici 2022), puis atteignant de façon stable 4,4 milliards d’euros par an durant les dix années suivantes puis 4 milliards d’euros par an ensuite. Or, dans la loi de finances pour 2020, le budget de l’AFITF ne s’élève qu’à 2,98 milliards d’euros. En outre, il dépend en partie de ressources fiscales instables. En effet, dans le rapport du COI, l’enveloppe de 3 milliards d’euros correspond au strict minimum nécessaire à la politique d’amélioration des transports du quotidien et de relance de l’entretien des infrastructures par l’État. Elle ne permet en aucun cas de relancer de grands programmes ferroviaires, de ferroutage ou de développement des pistes cyclables, pourtant nécessaire pour une reconstruction écologique post-crise. 

      Proposition 7 : Augmenter dès à présent de 1 milliard d’euros la dotation de l’AFITF et flécher cette dotation supplémentaire en intégralité vers le financement d’infrastructures ferroviaires, fluviales ou cyclables compatibles avec les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone. 

       

      Conclusion 

      Si ces actions en faveur des infrastructures sont nécessaires, elle doit être précédée par des réflexions d’ampleur et des actions collectives sur les infrastructures elles-mêmes [33]. Cette pédagogie ne peut se faire que dans le cadre d’une politique publique nationale, clairement définie, concertée avec tous et financée à la hauteur de ses ambitions. C’est dans cette logique de changement de paradigme et de nécessaire évolution des usages vers plus de sobriété que nous devons tous converger. 

       

       

      [1] Rapport du Conseil Économique pour le Développement Durable (CEDD) / Ministère de la Transition Énergétique et Solidaire, La gestion des infrastructures de réseaux, Commentaire de Patrick Vieu, 2015.

      [2] Particulièrement durant la période de forte croissance économique dite des « 30 glorieuses » (1945 – 1973)

      [3] Calvin Pierre, Président de l’Union des Syndicats de l’Industrie Routière Française – USIRF, « France, qu’as-tu fait de tes infrastructures ? », Le téléphone sonne, France Inter, 20 août 2018

      [4] La rupture du barrage de Malpasset, l’incendie du tunnel du Mont-Blanc ou, plus récemment, l’effondrement du viaduc autoroutier de Gênes.

      [5] Rapport n°008414-03 du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD), Résilience des réseaux dans le champ du MEDDE à l’égard des risques, nov. 2015

      [6] Sendai Framework for Risk Reduction, SFA 2015-2030

      [7] United Nations Office for Disaster Risk Reduction (UNISDR), “2009 UNISDR Terminology on Disaster Risk Reduction”, Geneva, May 2009 (http://www.unisdr.org/we/inform/terminology).

      [8] C. défense, art. R. 1332-2

      [9] Instruction générale interminist. n° 6600 relative à la sécurité des activités d’importance vitale, 7 janv. 2014.

      [10] « Coronavirus : la SNCF stoppe ses chantiers de rénovation des lignes », Les Échos, 19 mars 2020

      [11] Meyer Pierre, dirigeant national des Opérations (DNO) de SNCF Réseau, 31 mars 2020

      [12] « Stéphane Richard : «Je demande le report du lancement de Disney + en France » », Le Figaro, 20 mars 2020

      [13] Ord. n° 2020-323, 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos (JO 26 mars 2020, texte n°52)

      [14] L’AP-HP victime d’une cyberattaque, Les Échos, 23 mars 2020 15 https://www.amenagement-numerique.gouv.fr/

      [16] Chef économiste de la banque Natixis, note du 30 mars 2020, La fin du capitalisme néolibéral (https://www.research.natixis.com/Site/en/publication/m5s-lx5Bbb92bmN3Rt3wlOH-FfouhppovZfIyfsy2hw%3D)

      [17] «Train services across Britain to be stripped back from Monday », The Guardian, 20 mars 2020

      [18] « U.S. to Take Stakes in Airlines in Exchange for Grants, Mnuchin Says », The Wall Street Journal, 26 mars 2020

      [19] Audition Jean-Baptiste Djebbari, Secrétaire d’État aux transports, par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat

      [20] « Privatisation d’ADP : le Conseil constitutionnel officialise l’échec du projet de référendum », Le Monde, 26 mars 2020

      [21] Interview de Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie, JDD, 4 avr. 2020

      [22] « Le grand retour de l’État », Le Monde, 7 avr. 2020

      [23] « La transition écologique reste une priorité du gouvernement » (E. Borne), Le Figaro, 16 avr. 2020

      [24] « Covid-19: le spectre de la Grande Dépression hante l’économie mondiale », Mediapart, 24 mars 2020

      [25] « Le Patron de la SNCF veut un « Plan Marshall pour le fret ferroviaire »», Public Sénat, 15 avr. 2020

      [26] « Continuité, résilience, sobriété : les horizons d’un monde en crise », Opinions, La Tribune, 6 avr. 2020

      [27] https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2020/01/2020-01.pdf

      [28] Rapport Terra Nova, « Des services publics des énergies au service public de la sobriété énergétique », 12 mars 2020

      [29] Les caractéristiques d’une ville intelligente, Site de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE)

      [30] « Sébastien Lecornu : « il n’est pas question d’abandonner les collectivités »», Lettre de la Banque des territoires, 10 avr. 2020

      [31] « Dotations aux collectivités : le millésime 2019 à la loupe », Lettre de la Banque des territoires, 11 juin 2019

      Publié le 10 mai 2020

      Gérer les grandes infrastructures dans l’intérêt commun en période de crise

      Auteurs

      Laurent Liguori
      Fonctionnaire territorial, spécialiste des contrats publics et réseaux d'énergie.

      Essentielles dans le cadre du développement économique et social des sociétés industrialisées, les grandes infrastructures constituent un patrimoine collectif aujourd’hui invisible aux yeux des populations et dont les services délivrés sont devenus bien acquis.

      Pourtant, ces structures, points d’intérêt vital pour la nation française, le sont d’autant plus en période de crise car leur défaillance a souvent de tragiques conséquences et l’après-crise ne peut se faire sans elles. Cette dépendance accrue de nos sociétés pousse l’ensemble des acteurs de la chaîne à travailler sans cesse sur leur résilience, notamment en apprenant des différentes crises vécues. L’actuelle crise sanitaire ne déroge pas à la règle en portant son lot d’enseignements, notamment en neutralisant partiellement deux ressources critiques pour les grandes infrastructures que sont la disponibilité de ressources humaines et la pleine fonctionnalité du système d’informations. 

      Ainsi, l’augmentation des investissements et une gestion publique de certaines infrastructures semblent apparaître comme des réponses évidentes et immédiates à l’après-crise. Néanmoins, elles ne dispensent pas les sociétés modernes de l’impératif de réfléchir plus globalement à la durabilité de leur modèle et la capacité des infrastructures à y répondre.

       

      Les grandes infrastructures, notamment celles de réseaux (énergie, transports, téléphonie, eau, etc.), tiennent une place essentielle dans le développement économique de nos sociétés. Elles permettent la circulation des personnes, des marchandises, des capitaux, de l’information et constituent un levier de croissance dans de multiples secteurs. Depuis plusieurs années, la transition énergétique, le déploiement du très haut débit et la modernisation des réseaux de transport sont à ce titre au centre des politiques d’investissements de la plupart des pays européens.

      Elles ont également un rôle social déterminant, en assurant la fourniture de biens et de services contribuant à la qualité de vie des individus. En cela, elles représentent un patrimoine collectif au service de la vie de la nation et des activités humaines, pouvant être qualifiés de « biens communs ». « La France possède un des meilleurs réseaux d’infrastructures au monde » [1], affirmation corroborée par le rapport du World Economic Forum (WEF) de 2016 qui mesure la compétitivité globale de 144 pays à partir de 12 thématiques, et qui avait classé la France au dixième rang mondial pour la qualité de ses infrastructures et au deuxième rang des pays du G20. Héritière de grandes infrastructures de service public édifiées après-guerre grâce aux investissements massifs de l’État [2], la France a développé une forte capacité dans la conception, la gestion et l’entretien de ses infrastructures, se positionnant dans les « premiers pays exportateurs » en la matière [3].

      Les infrastructures présentent aujourd’hui un niveau d’intégration tel, avec un fonctionnement régulier, qu’elles disparaissent aux yeux de la population, transformant le service délivré en bien acquis pour l’usager. Cette invisibilité, parfois opportune, véhicule pourtant de nombreux écueils, parmi lesquels l’absence de sensibilisation de la population aux différents enjeux (sécuritaires, financiers, environnementaux, techniques…) attachés à la gestion de ces équipements. Ces derniers réapparaissent à la défaveur d’événements exceptionnels, parfois tragiques [4], qui mettent en lumière la vulnérabilité voire la dangerosité de certaines infrastructures.

      Afin de se prémunir contre de nouvelles catastrophes, les pouvoirs publics ont conçu et déployé des politiques de prévention et gestion des risques visant à réduire les impacts :

      • des risques d’origine naturelle (crues, séismes, mouvements de terrain, changement climatique sur le plus long terme) ;
      • de la dépendance à d’autres infrastructures et réseaux ;
      • des éléments intrinsèques à leur conception (matériaux, vieillissement, etc.) ;
      • d’exploitation liée à la gestion de flux.

      Pourtant, il apparaît que le fonctionnement même des sociétés industrialisées rend les infrastructures de réseaux de plus en plus vulnérables aux différents risques : concurrence internationale accrue, méthodes de flux tendus (du « juste à temps » à la limitation des stocks), forte baisse des financements de l’État menée dans une logique d’économies budgétaires [5], etc. L’impératif de continuité d’activité en toutes circonstances interroge quant aux usages et à la dépendance des sociétés industrialisées aux grandes infrastructures.

       

      Table des matières

      I – L’impérieuse nécessité d’assurer le fonctionnement des grandes infrastructures en période de crise 

      1.  Les infrastructures de réseaux reconnues comme « Point d’Importance Vitale » (PIV)
      2. Des vulnérabilités émergentes à la faveur d’une crise inédite

      II – Les enseignements à tirer de la crise pour un fonctionnement optimisé des grandes infrastructures de réseaux

      1. Une gouvernance publique à conforter économiquement dans la gestion des grandes infrastructures
      2. Une sobriété des usages à développer pour garantir la résilience des grandes infrastructures

       

       

      I – L’impérieuse nécessité d’assurer le fonctionnement des grandes infrastructures en période de crise 

       

      Les différents types de risques ou catastrophes mettent en jeu de façon constante la résilience des infrastructures et de leurs réseaux.

       

      1. Les infrastructures de réseaux reconnues comme « Point d’Importance Vitale » (PIV)

       

      La définition de la résilience, donnée lors de la définition du cadre d’action de Sendaï [6], est « la capacité d’un système, d’une communauté ou d’une société exposée aux risques de résister, d’absorber, d’accueillir et de corriger les effets d’un danger, en temps opportun et de manière efficace, notamment par la préservation et la restauration de ses structures essentielles et de ses fonctions de base » [7].

      C’est précisément parce que les infrastructures de réseaux sont reconnues comme des « structures essentielles » qui concourent aux « fonctions de base » (production, distribution de biens et services indispensables à l’exercice de l’autorité de l’État, fonctionnement de l’économie, maintien du potentiel de défense ou à la sécurité de la nation) qu’ils sont considérés comme « d’importance vitale » [8].

      Le dispositif de sécurité des activités d’importance vitale (SAIV) constitue le cadre permettant d’analyser les risques et d’appliquer les mesures cohérentes avec les décisions des pouvoirs publics. Au sein de ce dispositif sont référencés les opérateurs d’importance vitale (OIV), lesquels détiennent des points d’importance vitale (PIV) tels que des établissements, des ouvrages ou des installations fournissant les services et les biens indispensables à la vie de la nation [9]. 

      La délimitation du PIV permet une mise en œuvre plus efficiente du dispositif de SAIV entre l’opérateur et le préfet de département concernant des composants névralgiques indispensables au bon fonctionnement des infrastructures essentielles à la vie de la nation.

      Le dispositif de SAIV encadre les plans de continuité (PCA) destinés à permettre la résilience des organisations en cas de crise (les OIV), dont font partie la plupart des opérateurs de réseaux, sont les seules entités pour lesquelles les PCA sont obligatoires. L’objectif est celui de la continuité de l’activité et de la sauvegarde de la ressource. Les PCA doivent par ailleurs prendre en compte les interactions entre réseaux et inciter les opérateurs à avoir une vision globale de leur vulnérabilité (ex : dépendance à l’endroit d’un prestataire de téléphonie ou d’électricité). 

      L’exemple de la SNCF illustre à ce titre les contraintes imposées par l’épidémie et la nécessité de disposer d’un PCA. L’entreprise a mis à l’arrêt les chantiers d’entretien du réseau ferroviaire (tous les chantiers de renouvellement des voies et du ballast, ainsi que 90 % des chantiers de développement sont suspendus), afin d’assurer les « missions strictement nécessaires à la continuité du service » [10], parmi lesquelles se trouvent notamment la circulation des TGV médicalisés [11] pour l’acheminement de patients vers des régions moins saturées en termes de capacité de réanimation. 

      Malgré l’établissement de stratégies de continuité d’activité permettant le fonctionnement en mode dégradé et les priorités de reprise, la nature et l’ampleur de la crise sanitaire mondiale liée à l’épidémie de Covid-19 fait émerger certaines vulnérabilités, parfois nouvelles ou imprévisibles, dans la gestion des infrastructures de réseaux. 

       

      2. Des vulnérabilités émergentes à la faveur d’une crise inédite 

       

      Le confinement actuel de plus de 3,5 milliards d’individus ne touche pas directement ni immédiatement l’intégrité matérielle des grandes infrastructures, mais plutôt leur capacité à fonctionner de manière satisfaisante avec des effectifs réduits au minimum.

      Si les PCA prennent en compte les pertes de ressources critiques pouvant générer une rupture de fonctionnement des organisations, le contexte actuel fait apparaître un effet ciseau défavorable sur deux ressources critiques : la baisse massive de la disponibilité de la ressource humaine mobilisable, et une hausse consécutive du besoin en ressources de systèmes d’informations (travail à distance, multiplication des connexions, demandes de matériels, préservation de la sécurité [12]. De plus, l’absence d’horizon temporel défini concernant le maintien de cette situation rend difficile la modélisation des scénarios d’anticipation de reprise normale d’activités.

      Concernant la dimension RH pendant la période de confinement, les différents gestionnaires d’infrastructures doivent :

      • adapter leurs ressources en fonction de l’activité (rotation des équipes pour assurer le service minimum opérationnel), notamment en demandant aux salariés de prendre des jours de repos en cohérence avec la courbe d’activité [13] ;
      • gérer le taux d’absentéisme pouvant découler de la propagation de l’infection, de l’exercice du droit de retrait, de la fatigue accumulée, etc. ;
      • envisager une baisse d’activité des salariés à distance non concernés par le service minimum opérationnel et le risque de distanciation sociale (perte de repères, lassitude…).

      À l’issue de la période de confinement, et selon les scénarios de sortie retenus par les pouvoirs publics, les gestionnaires devront absorber le report d’activité en composant avec la fatigue des personnels mobilisés durant la crise et, éventuellement, l’absentéisme généré par un report massif de congés (lié à la probable sortie de crise en saison estivale).

      Enfin, les structures des systèmes d’information des différents gestionnaires se révèlent souvent non dimensionnées pour répondre à ces circonstances inédites, les obligeant à gérer leur consommation de bande passante par un appel à la sobriété d’usages des personnels travaillant à domicile (taille de fichiers transmis, flux vidéo…) et à prévoir des mesures éventuelles de délestage pour préserver leurs structures SI d’une défaillance générale. De plus, cette situation de travail à distance quasi-généralisée peut nécessiter l’adaptation en urgence des outils et l’installation de nouveaux logiciels, lesquels peuvent fragiliser la sécurité des systèmes et les rendre plus vénérables à des cyberattaques d’ampleur [14].

      De manière plus générale, la dématérialisation massive d’actes du quotidien (école à distance, télétravail, démarches administratives…) accentue le constat de fracture numérique dont souffre une partie de la population et interroge sur le bon dimensionnement et le calendrier de déploiement des infrastructures de très haut débit sur le territoire [15]. 

       

      II – Les enseignements à tirer de la crise pour un fonctionnement optimisé des grandes infrastructures de réseaux 

      1. Une gouvernance publique à conforter économiquement dans la gestion des grandes infrastructures 

       

      Il est nécessaire de sécuriser les activités stratégiques et les infrastructures qui les portent. Patrick Artus [16] souligne que le système capitaliste occidental contemporain a misé sur « la globalisation », « la réduction du rôle de l’État » et les « privatisations », solutions qui n’apparaissent pas être les plus pertinentes pour l’établissement et la gestion des grandes infrastructures. En temps de crise, l’extension d’une gouvernance publique nationale en appui d’un « renouveau des politiques industrielles » (cf. P. Artus) s’illustre notamment dans le domaine des infrastructures de transports :

      • le Royaume-Uni envisage des nationalisations temporaires de lignes ferroviaires (cf. déclaration du son secrétaire d’État aux Transports Grant Shapps [17]) ; 
      • le gouvernement américain envisage de participer au capital de compagnies aériennes nationales à hauteur d’un plan d’aide de 50 milliards de dollars (la moitié de cette somme faisant partie du plan de relance annoncé de 2 000 milliards de dollars) [18] ;
      • une réflexion est en cours en France concernant la nationalisation d’Air-France [19] et le processus de privatisation d’Aéroports de Paris [20] est questionné du fait de l’impact de la crise.

      Une vingtaine d’entreprises françaises stratégiques identifiées par Bercy devraient par ailleurs faire l’objet d’un soutien spécifique, y compris par le truchement d’éventuelles recapitalisations, voire de nationalisations temporaires [21], revitalisant le débat de la compétence et des moyens de l’État à mener des politiques sectorielles au lieu d’assurer uniquement son rôle de régulateur [22]. Pour autant le nécessaire appui financier aux secteurs stratégiques ne doit pas se priver d’associer les capacités d’investissements publics, afin de ne pas reproduire l’erreur pro-cyclique de la frugalité des actions budgétaires de 2008. 

      Dans le cadre de la crise actuelle, l’État investisseur serait ainsi à même de tirer parti de la situation de renouveau nécessaire et souhaitée pour impulser de nouvelles stratégies de croissance fondées sur les leviers d’innovation numérique et d’économie verte [23], tout en relocalisant certaines activités participant à la chaîne de valeur pour assurer son indépendance stratégique.

      En effet, il semble impératif que les plans de relance nationaux et européen de réponse à la crise [24] soutiennent l’économie liée aux grandes infrastructures [25].

      Proposition 1 : Couvrir la différence de compétitivité par une banque d’État (à l’instar de Bpifrance) pour des investissements sur des infrastructures à faible rentabilité et jusqu’à ce que la technologie soit mature.

      Proposition 2 : Créer une « banque publique des infrastructures » exclusivement dédiée à ces financements au sein de la Caisse des dépôts. 

      Proposition 3 : Orienter une partie de l’épargne réglementée actuellement investi sur les marchés (182 milliards d’euros d’épargne, LDDS et LEP en 2018) vers de grands projets d’infrastructures ou de transition énergétique (sans toucher à la part actuellement affectée au logement social).

      Proposition 4 : Lancer un plan d’investissement dédié à la modernisation de certains équipements stratégiques et prioritaires en sortie de crise (Hôpitaux, SI…) qui ne doit pas obérer le besoin en investissement de 400 milliards d’euros (soit l’équivalent annuel de 2,5 % du PIB de l’Union européenne) d’ici 2030 pour soutenir l’entretien et le développement des infrastructures à l’échelle européenne.

       

      2. Une sobriété des usages à développer pour garantir la résilience des grandes infrastructures 

       

      Dans une récente tribune, Patrice Geoffron et Benoît Thirion rappellent que « si les conséquences de la pandémie du Coronavirus sont encore incertaines, il est une nécessité qu’elle révèle : repenser notre système économique et social dans un monde sous la menace d’autres crises, isolées ou combinées, qu’elles soient sanitaires, sociales ou climatiques. ». Trois horizons sont ainsi distingués : 

      • le court terme, assimilé à « la continuité du fonctionnement » ; 
      • le moyen terme, qui permet de « gagner en résilience » ; 
      • le plus long terme avec « l’avènement d’une société plus sobre, moins consommatrice en énergie et en matières premières, pour maîtriser les risques environnementaux ». 

      Le défi majeur de l’après-crise réside alors dans l’alignement du court et long terme « pour permettre un développement durable, assurant notre capacité à croître tout en maîtrisant les risques » [26] .

      Ce sont donc les consommations en énergie, télécoms, transports, eau, assainissement etc., essentielles à la poursuite du système économique et social, qui devront évoluer vers plus de modération et de sobriété afin d’assurer la résilience des infrastructures de réseaux en assurant l’approvisionnement.

      Cette impératif de sobriété dans la consommation et les usages fait déjà l’objet de nombreuses réflexions en matière numérique [27] ou de transition énergétique. Les enjeux posés par cette dernière obligent les autorités publiques compétentes à envisager de nouvelles manières de gestion du modèle énergétique, notamment en passant d’une vision « en silos » par type d’énergie (électricité, gaz, chaleur, froid…) à une vision intégrée, cela afin de délivrer « service public de la sobriété énergétique » [28].

      En temps normal, les collectivités territoriales, pivot de l’action publique dans les territoires, jouent déjà un rôle essentiel dans les services rendus à la population et aux entreprises. Très fortement sollicitées durant la crise afin de maintenir la continuité de service, elles le seront tout autant, sinon plus, lors de la reprise d’activités. Ainsi, en réponse aux enjeux énergétiques portés par les infrastructures publiques (pilotage énergétique et de la maîtrise de l’énergie à l’échelle locale), elles peuvent impulser des synergies par une approche globale et des échanges partagés avec les différents acteurs du dispositifs (fournisseurs, gestionnaires des réseaux, entreprises intéressées…). À titre d’exemple, dans le cadre d’une opération d’aménagement publique type zone d’aménagement concerté (ZAC) pourrait être envisagé entre les bâtiments industriels et/ou commerciaux et certains bâtiments publics (écoles, équipements sportifs…) des systèmes de récupération de chaleur, à l’image des concepts d’écologie industrielle ou territoriale, fondamentaux des villes intelligentes [29]. En effet, les réseaux intelligents, facteurs d’intégration et de développement des énergies renouvelables, ouvrent la voie à de nouveaux modèles de consommation.

      À ce titre, même si le gouvernement assure maintenir les dotations cette année [30], la baisse déjà opérée de la dotation globale de fonctionnement (41 milliards d’euros en 2013 à 27 milliards d’euros en 2017, montant reconduit depuis) [31] milite pour son augmentation immédiate.

      Proposition 5 : Augmenter substantiellement la DGF pour permettre aux collectivités territoriales, d’investir dans la modernisation des infrastructures et de développer des réseaux intelligents.

      Pour amplifier cette action au profit des collectivités territoriales et augmenter la capacité de l’État à investir massivement dans les infrastructures, deux outils supplémentaires peuvent être mobilisés. Le premier concerne les nouveaux contrats de plan État-région (CPER) qui couvriront la période 2021-2027 et qui devraient être adoptés à l’automne 2020. Dans l’état actuel des discussions le Gouvernement a décidé de ne pas ouvrir de discussions sur le volet transports, alors même qu’il représente habituellement plus de 60% des crédits. Pour rappel, dans les CPER 2015-2020, les crédits liés à la mobilité et aux infrastructures de transport représentent plus de la moitié des budgets alloués (23,4 milliards d’euros de crédits contractualisés). L’essentiel de cette enveloppe se consacre au ferroviaire (34 %) et aux transports collectifs (32 %). Mais le routier (23 %), le portuaire (8 %) et le fluvial (3 %) bénéficient aussi de ces investissements. L’État via l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) y contribue à hauteur de 6,8 milliards d’euros. 

      Seulement l’ensemble des moyens financiers prévus n’ont pas été dégagés, ce qui a entraîné de grands retards d’exécution. Par conséquent, dans les nouveaux CPER pour 2021-2027, il est nécessaire de rouvrir un volet infrastructures et transports, focalisés sur leur verdissement, et dotés de moyens supplémentaires. 

      Proposition 6 : Prévoir un volet sur le financement des infrastructures dans le prochain volet des CPER 2021-2027 et le doter de 5 milliards d’euros supplémentaires pour donner aux collectivités, en concertation avec l’État, des moyens d’entretien, de sécurisation et de verdissement des infrastructures dont elles ont la charge. 

      Par ailleurs, l’État devrait augmenter le budget consacré à l’Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF) dans des proportions compatibles avec la réalisation du scénario 3 du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) [32]. Pour rappel, le scénario 3 correspond à une mise en place d’une société de la mobilité respectueuse de l’environnement. Il mobilise environ 80 milliards d’euros en vingt ans pour l’AFITF. Cela suppose un budget montant à 3,5 milliards d’euros par an à court terme (d’ici 2022), puis atteignant de façon stable 4,4 milliards d’euros par an durant les dix années suivantes puis 4 milliards d’euros par an ensuite. Or, dans la loi de finances pour 2020, le budget de l’AFITF ne s’élève qu’à 2,98 milliards d’euros. En outre, il dépend en partie de ressources fiscales instables. En effet, dans le rapport du COI, l’enveloppe de 3 milliards d’euros correspond au strict minimum nécessaire à la politique d’amélioration des transports du quotidien et de relance de l’entretien des infrastructures par l’État. Elle ne permet en aucun cas de relancer de grands programmes ferroviaires, de ferroutage ou de développement des pistes cyclables, pourtant nécessaire pour une reconstruction écologique post-crise. 

      Proposition 7 : Augmenter dès à présent de 1 milliard d’euros la dotation de l’AFITF et flécher cette dotation supplémentaire en intégralité vers le financement d’infrastructures ferroviaires, fluviales ou cyclables compatibles avec les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone. 

       

      Conclusion 

      Si ces actions en faveur des infrastructures sont nécessaires, elle doit être précédée par des réflexions d’ampleur et des actions collectives sur les infrastructures elles-mêmes [33]. Cette pédagogie ne peut se faire que dans le cadre d’une politique publique nationale, clairement définie, concertée avec tous et financée à la hauteur de ses ambitions. C’est dans cette logique de changement de paradigme et de nécessaire évolution des usages vers plus de sobriété que nous devons tous converger. 

       

       

      [1] Rapport du Conseil Économique pour le Développement Durable (CEDD) / Ministère de la Transition Énergétique et Solidaire, La gestion des infrastructures de réseaux, Commentaire de Patrick Vieu, 2015.

      [2] Particulièrement durant la période de forte croissance économique dite des « 30 glorieuses » (1945 – 1973)

      [3] Calvin Pierre, Président de l’Union des Syndicats de l’Industrie Routière Française – USIRF, « France, qu’as-tu fait de tes infrastructures ? », Le téléphone sonne, France Inter, 20 août 2018

      [4] La rupture du barrage de Malpasset, l’incendie du tunnel du Mont-Blanc ou, plus récemment, l’effondrement du viaduc autoroutier de Gênes.

      [5] Rapport n°008414-03 du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD), Résilience des réseaux dans le champ du MEDDE à l’égard des risques, nov. 2015

      [6] Sendai Framework for Risk Reduction, SFA 2015-2030

      [7] United Nations Office for Disaster Risk Reduction (UNISDR), “2009 UNISDR Terminology on Disaster Risk Reduction”, Geneva, May 2009 (http://www.unisdr.org/we/inform/terminology).

      [8] C. défense, art. R. 1332-2

      [9] Instruction générale interminist. n° 6600 relative à la sécurité des activités d’importance vitale, 7 janv. 2014.

      [10] « Coronavirus : la SNCF stoppe ses chantiers de rénovation des lignes », Les Échos, 19 mars 2020

      [11] Meyer Pierre, dirigeant national des Opérations (DNO) de SNCF Réseau, 31 mars 2020

      [12] « Stéphane Richard : «Je demande le report du lancement de Disney + en France » », Le Figaro, 20 mars 2020

      [13] Ord. n° 2020-323, 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos (JO 26 mars 2020, texte n°52)

      [14] L’AP-HP victime d’une cyberattaque, Les Échos, 23 mars 2020 15 https://www.amenagement-numerique.gouv.fr/

      [16] Chef économiste de la banque Natixis, note du 30 mars 2020, La fin du capitalisme néolibéral (https://www.research.natixis.com/Site/en/publication/m5s-lx5Bbb92bmN3Rt3wlOH-FfouhppovZfIyfsy2hw%3D)

      [17] «Train services across Britain to be stripped back from Monday », The Guardian, 20 mars 2020

      [18] « U.S. to Take Stakes in Airlines in Exchange for Grants, Mnuchin Says », The Wall Street Journal, 26 mars 2020

      [19] Audition Jean-Baptiste Djebbari, Secrétaire d’État aux transports, par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat

      [20] « Privatisation d’ADP : le Conseil constitutionnel officialise l’échec du projet de référendum », Le Monde, 26 mars 2020

      [21] Interview de Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie, JDD, 4 avr. 2020

      [22] « Le grand retour de l’État », Le Monde, 7 avr. 2020

      [23] « La transition écologique reste une priorité du gouvernement » (E. Borne), Le Figaro, 16 avr. 2020

      [24] « Covid-19: le spectre de la Grande Dépression hante l’économie mondiale », Mediapart, 24 mars 2020

      [25] « Le Patron de la SNCF veut un « Plan Marshall pour le fret ferroviaire »», Public Sénat, 15 avr. 2020

      [26] « Continuité, résilience, sobriété : les horizons d’un monde en crise », Opinions, La Tribune, 6 avr. 2020

      [27] https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2020/01/2020-01.pdf

      [28] Rapport Terra Nova, « Des services publics des énergies au service public de la sobriété énergétique », 12 mars 2020

      [29] Les caractéristiques d’une ville intelligente, Site de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE)

      [30] « Sébastien Lecornu : « il n’est pas question d’abandonner les collectivités »», Lettre de la Banque des territoires, 10 avr. 2020

      [31] « Dotations aux collectivités : le millésime 2019 à la loupe », Lettre de la Banque des territoires, 11 juin 2019

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