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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Ukraine

Sommaire

    Ukraine

    Prêtons l’oreille aux voix de l’Europe centrale

    « Europe. Superbe, intelligente, coupable, extraordinaire, innocente, sanglante… unique. » Sándor Márai, Journal (II). Unique, l’Europe, déclarait le romancier hongrois Sándor Márai, précisément parce qu’il en portait le deuil : son pays, à peine libéré de l’invasion militaire allemande, se retrouva, dès 1949, à son tour pris dans le glacis soviétique. Ce second « kidnapping » (Kundera[1]), avait toutefois quelque chose d’inédit : il apparaissait au romancier plus profond, plus irréversible, civilisationnel : « Une force venait d’apparaître en Europe, une force dont l’Armée rouge ne constituait que le support. S’agissait-il du communisme ?… Des Slaves ?… De l’Orient ?…[2] » L’invasion soviétique, aux yeux de Márai, c’était d’abord l’invasion russe : ainsi écrit-il, dans ses Mémoires de Hongrie, insistant sur l’abîme culturel qui séparait les nations centre-européennes de la civilisation « russo-slave » : « Ces hommes se montraient profondément différents de nous, inaccessibles, dans leur altérité, aux non-Slaves que nous étions[3] ». L’URSS signifiait ainsi, à ses yeux, non seulement l’arrivée d’une catastrophe politique (soviétisme totalitaire), mais par surcroît la disparition brutale de l’Europe. Un grand adieu civilisationnel dont témoigne aussi Milan Kundera, emboîtant le pas à Márai, quelques décennies plus tard : Face à l’éternité de la nuit russe, j’ai vécu à Prague la fin violente de la culture occidentale telle qu’elle avait été conçue à l’aube des Temps modernes, fondée sur l’individu et sur sa raison, sur le pluralisme de la pensée et sur la tolérance. Dans un petit pays occidental, j’ai vécu la fin de l’Occident. C’était ça, le grand adieu[4]. Cette nostalgie européenne est une cause aussi cruciale, et pourtant plus méconnue (toujours jugée inférieure aux raisons politiques) des grands exils du XXe siècle. Milan Kundera, Czesław Miłosz, Danilo Kiš, Sławomir Mrożek, Sándor Márai, tant d’autres : ces romanciers, essayistes, poètes, dramaturges, dont les noms nous sont, à nous, Français, si étrangers, ont tous émigré en Europe de l’Ouest – a fortiori en France. Derrière l’asile politique se jouait donc une autre tragédie : la quête d’une appartenance culturelle. C’est ce que Milan Kundera, encore, confesse dans une préface offerte à Václav Havel : Le drame qui se joue à Prague n’est pas d’ordre local (une querelle de famille dans la maisonnée soviétique), mais il reflète d’une manière très concentrée la destinée européenne. […] On anticipe à Prague la ruine possible de l’Europe. C’est la raison pour laquelle le moindre Tchèque est un Européen bien plus convaincu que n’importe quel Français ou Danois. Car il voit tous les jours de ses propres yeux « mourir l’Europe » et, tous les jours, il est contraint de défendre « l’Europe qui est en lui[5] ». Les réflexions de ces esprits centre-européens, cet attachement inquiet à « l’Europe mortelle » (cette Europe culturelle sous la politique) semblent désormais loin de nous, étranges ou désuets, au moment précisément où notre Europe entre dans une ère nouvelle de son histoire ; à l’heure où les vieux conflits souterrains semblent ressuscités par l’attaque russe de l’Ukraine, l’Europe n’est-elle pas sommée de relire avec attention ces plumes de l’« Autre Europe[6] » ? Ces voix de l’« Autre Europe », qu’elles s’élèvent du passé ou de notre modernité toute contemporaine, invitent à des méditations, transportent des imaginaires, délivrent des enseignements, déplacent la focale de notre jugement, mobilisent des héritages dont nous sommes étonnamment orphelins (à l’Ouest), et sans lesquels, pourtant, l’esprit européen, à coup sûr, serait incomplet : culture du doute (scepticisme) devant les grands emballements idéologiques ; culture du courage (des dissidents, des femmes, des artistes et des intellectuels) contre les forces d’intimidation ; attachement aux ambiguïtés (cette « sagesse de l’incertitude » selon Kundera) contre les processus de simplification et d’uniformisation… Plus encore qu’un fond culturel, on découvre aussi, dans ces régions de l’Europe, un certain ton, disons une tonalité, un rythme, un climat : pratique féroce de l’ironie face au lyrisme sentimental ; culture du jeu, des pieds-de-nez, des plaisanteries face à l’esprit de sérieux (la littérature d’Europe centrale est chargée d’une drôlerie inimitable) ; culture de la sublimation dans le tragique. Toute une « poétique » centre-européenne, peuplée d’histoires facétieuses (aux morales souvent cruelles et savoureuses, comme dans les nouvelles du polonais Sławomir Mrożek, du hongrois Desző Kosztolányi ou du tchèque Karel Čapek), dans une langue à la fois légère et haletante. On retrouve souvent, lorsqu’on se plonge dans ce corpus, des formes brèves, dynamiques, presque distrayantes à la manière des dialogues platoniciens ou des méditations de Montaigne, c’est-à-dire « à sauts et à gambades », par « bonds, sauts, feintes, cabrioles[7] », même au cœur des sujets les plus sérieux. Il y a là, dans la pensée et l’art centre-européens, un immense réservoir culturel et sensible qui s’inscrit en plein dans les problématiques de notre temps. Quoi d’autre ? Peut-être, pour finir ce bref panorama, rappeler que cette littérature est aussi celle des tavernes et de la musique, des forêts et des légendes, de l’ivresse et des frontières, de la camaraderie et de la solitude, des palabres et du silence, « des drames et de l’humour, des batailles perdues (…), des défenestrations, des révolutions (…), de l’imagination créatrice (…), des espérances écœurées, de la bravade et de la vraie résistance[8] » (Karel Kosik). Et lorsque l’écrivain-voyageur polonais, Andrzej Stasiuk, dans son récit Sur la route de Babadag, médite sur cette poétique du centre-est européen, il conclut, dans une superbe synthèse : C’est la spécialité des pays auxiliaires, des nations de second choix et des peuples de rechange. C’est ce miroitement, cette double ou triple fiction, ce miroir déformant, cette lanterne magique, le mirage, le fantastique et la fantasmagorie se glissant avec pitié entre ce qui est et ce qui devrait être. C’est cette ironie envers soi-même qui permet de jouer avec son propre destin, de s’en moquer, de le parodier, de transformer la chute en légende héroïco-comique, et de faire d’une allégation quelque chose à l’image du salut[9]. La guerre russo-ukrainienne continue à nos portes, depuis désormais plus d’un an ; Milan Kundera, le plus européen des romanciers contemporains, vient de faire ses adieux ; les élections européennes s’annoncent à l’horizon de 2024. À cet égard, prêter l’oreille aux grandes voix de l’Europe centrale (d’hier comme d’aujourd’hui) est une démarche plus qu’enrichissante : elle est salutaire. Quelques propositions de lecture : Pour les classiques : Desző Kosztolányi, Le traducteur

    Par Manhes U.

    5 septembre 2023

    Les cryptomonnaies dans la guerre d’Ukraine ?

    L’idée que les cryptomonnaies sont des monnaies libres et indépendantes de tout État suggère qu’en cas de conflit, elles pourraient prendre le relais des autres monnaies et rendre possible la poursuite du commerce en même temps qu’elles assureraient une protection de la valeur de ce que chacun détient et qui risque de fondre ou même de disparaitre dans le tumulte engendré par les combats et les troubles de toutes sortes perturbant les réseaux. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en mars 2022 a créé une situation permettant d’évaluer sur un exemple dramatique mais significatif l’intérêt de l’existence des cryptomonnaies et les usages possibles qu’il peut en être fait en cas conflit ou de crises majeures[1]. C’est cette évaluation que nous nous proposons de faire. L’analyse de ce qui s’est passé en Ukraine montre que le rôle des cryptomonnaies a concerné divers aspects des évènements, mais qu’il est finalement resté relativement modéré. Il est intéressant de comprendre jusqu’à quel point et pourquoi. Pour cela nous allons examiner de près les différents usages possibles des cryptomonnaies selon les endroits concernés, les acteurs impliqués et les buts poursuivis. Notons avant tout que dans le cas de la guerre d’Ukraine, l’évolution des cours montre que les cryptomonnaies n’ont pas joué un rôle de valeur refuge équivalent à celui de l’or. Par exemple, entre le 1er janvier 2022 et le 14 mars 2022, le cours du Bitcoin a perdu 18,7 % de sa valeur, passant de 44730 $ à 38773 $, pendant que l’once d’or gagnait 8,1 % passant de 1828 $ à 1977 $. Le cours de l’or a donc confirmé son rôle millénaire de valeur refuge, que le Bitcoin malgré ce qu’en disent ses défenseurs n’a pas su rejoindre. Un examen attentif des courbes des cours du Bitcoin et de l’or le 24 février 2022, jour du début de l’invasion russe, montre d’ailleurs très clairement un pic en hauteur pour l’or, et un trou pour le Bitcoin qui a donc eu exactement le comportement inverse de l’or. Le républicain libertarien américain Ron Paul, pourtant défenseur acharné du Bitcoin, en accord avec de nombreux observateurs a d’ailleurs fait la remarque que depuis plusieurs mois le Bitcoin se comporte davantage comme une action étroitement corrélée au marché boursier, que comme une couverture contre l’incertitude des marchés[2]. Pour analyser le rôle des cryptomonnaies lors de ce conflit nous allons traiter à part l’Ukraine et la Russie. Précisons que nous menons notre analyse le 24 mars 2022 alors bien sûr que les combats qui durent depuis presque un mois sont loin d’être terminés. En Ukraine A. Apporter de l’aide à l’Ukraine Une partie du soutien extérieur à l’Ukraine s’est opérée par l’envoi de cryptomonnaies au gouvernement ukrainien. Pour faciliter l’envoi de dons en cryptomonnaies, le gouvernement ukrainien a lancé un site en partenariat avec deux plateformes d’échange. L’une FTX est américaine, l’autre Everstake est à Kiev[3]. Le gouvernement peut ainsi recevoir des bitcoins, des éthers, et 8 autres cryptomonnaies. Le 24 mars, il avait reçu par ces moyens plus de 100 millions de dollars et espérait arriver à 200 millions de dollars. Mis à part qu’il est peut-être plus rapide et plus facile pour quelqu’un qui détient des cryptomonnaies de faire des dons en utilisant des envois directs, l’intérêt des cryptomonnaies pour soutenir l’Ukraine reste un peu anecdotique puisqu’on peut aussi faire des dons à l’Ukraine en dollars ou en euros par l’intermédiaire de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, de la Fondation de France, du Secours Catholique, de l’UNICEF et bien d’autres organismes encore. Cela sera plus facile pour la grande majorité des donateurs qui n’ont pas de cryptomonnaies, et sera même préféré par ceux qui en possèdent et souhaitent les garder (puisqu’en général on en détient pour spéculer et qu’on les garde en espérant qu’elles vont monter !). La réalité est que ce soutien aux Ukrainiens par les cryptomonnaies concerne des montants assez faibles à l’échelle de l’État ukrainien dont le PIB est de 155 milliards d’euros, ou en comparaison au soutien de l’Union européenne — plus d’un milliard d’euros — ou des États-Unis — plus d’un milliard de dollars. Le 16 mars 2022, le président Volodymyr Zelensky, peut-être en prévision d’évolutions à venir concernant l’usage des cryptomonnaies dans la suite du conflit a cependant jugé utile de signer une loi qui en assouplit l’usage et en permet un meilleur contrôle[4]. La loi prévoit d’accorder aux plateformes d’échange de cryptomonnaies, ukrainiennes ou non, la possibilité d’opérer légalement dans le pays ; d’autoriser les banques nationales à ouvrir des comptes pour les entreprises liées aux cryptomonnaies ; de donner des droits aux cryptoactifs et à leurs détenteurs. B. Sortir avec de l’argent en quittant l’Ukraine Du côté des particuliers, qui en Ukraine étaient avant la guerre plus de 10% à détenir des cryptomonnaies, il est raisonnable de penser qu’elles ont un peu servi. Celui qui en Ukraine avant l’invasion russe en détenait en propre a pu effectivement quitter le pays en emportant son smartphone, son wallet physique, ou même seulement les clés de ses comptes, puis facilement retrouver ses cryptomonnaies une fois hors des frontières. Certaines familles ont certainement profité de cette opportunité. Les cryptomonnaies sont plus faciles à transporter et à cacher que les liasses de billets, les pièces ou les lingots d’or. De même celui qui détient des cryptomonnaies sur une plateforme d’échange de cryptomonnaies à l’étranger retrouve ses dépôts sans mal une fois hors du pays. Cependant, c’est le cas aussi pour des dépôts opérés sur des comptes bancaires classiques dans des banques hors d’Ukraine. En soi, les cryptomonnaies ne sont donc pas indispensables à celui qui avant l’invasion a souhaité protéger certaines sommes en ne les laissant pas sur des comptes ukrainiens. C. Envoyer de l’argent à l’extérieur pendant le conflit Les cryptomonnaies sont-elles utiles pour envoyer son argent à l’étranger de façon à le sécuriser une fois la guerre commencée ? Ceux qui en Ukraine n’avaient pas de cryptomonnaies avant le conflit, outre les difficultés à s’initier très rapidement à leur maniement, ont hésité à

    Par Delahaye J.

    31 mars 2022

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