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La qualité de la vie démocratique : un affaissement dangereux

Alors que la proposition de loi relative à la sécurité globale est en cours de discussion à l’Assemblée nationale, me vient l’image du comportement de la grenouille plongée dans l’eau bouillante ou dans de l’eau froide portée progressivement à haute température. Dans le premier cas, elle saute en dehors de la marmite et se sauve ; dans le second, elle se laisse faire, sidérée par l’élévation progressive de la chaleur, et succombe. Où en sommes-nous, après une vingtaine de lois renforçant la lutte contre le terrorisme depuis 1986 et deux états d’urgence successifs ? De l’insertion dans le droit commun des principales mesures de l’état d’urgence anti-terroriste, organisée par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) d’octobre 2017, à l’empilement du second état d’urgence relatif à la situation sanitaire, nous assistons au rétrécissement de nos libertés. La création de nouvelles infractions témoigne du goût prononcé de nos gouvernants pour le répressif. Alors que le droit pénal sanctionne déjà le harcèlement, les insultes et les menaces, c’est la possibilité de diffuser des images – et en amont de filmer l’action des forces de l’ordre dans l’espace public – que l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale entend largement restreindre, sous peine de prison. La liberté d’informer et la liberté des citoyens de dénoncer les exactions policières sont menacées, dans un contexte où l’impartialité et l’indépendance de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) et de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) sont questionnées. Fort heureusement, la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel offerte au citoyen via une question prioritaire de constitutionnalité pourrait permettre de confronter ces dispositions à l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui pose, avec force, un principe essentiel : « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Alors que la liberté de manifester n’a jamais été aussi réduite, la proposition de loi relative à la sécurité globale réactive la crainte d’une société de surveillance, légalisant les drones, ouvrant la voie aux recoupements de fichiers et d’images, ainsi qu’à la reconnaissance faciale. Elle fait peser une menace pour la protection de nos données personnelles, et avec elle pour le respect de notre vie privée. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le procédé. Cette proposition de loi est discutée en procédure accélérée, sans étude d’impact ni consultation du Conseil d’État, précisément au moment où la mobilisation citoyenne, sidérée comme la grenouille par un millefeuille de crises, est la plus difficile. D’autres projets de textes législatifs révèlent ce goût du répressif. Ainsi, le blocage des établissements d’enseignement supérieur, déjà sanctionné administrativement, devient un délit pénal assorti d’une peine de prison par la loi de programmation de la recherche. Plus encore, le Gouvernement annonce vouloir rompre avec l’équilibre qui prévaut depuis deux siècles et demi, en rompant avec l’essence de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui faisait de la liberté d’expression le principe, et de ses abus, l’exception. Or, la qualité de notre vie démocratique se mesure à l’ampleur des canaux d’expression du mécontentement des citoyens. Elle dépend largement de la robustesse de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice, de la liberté de la presse, et de l’étendue de l’espace dévolu à la société civile. Séparation des pouvoirs d’abord. Du fait de l’empilement des lois d’urgence, jamais l’exécutif, déjà bien servi par la Constitution de la Vème République, n’aura été aussi puissant en temps de paix. Le Parlement est relégué à une fonction d’information, de contrôle et de ratification, depuis que le gouvernement a obtenu l’autorisation de légiférer par voie d’ordonnances sur des pans entiers de notre droit concernant les libertés publiques. Le récent épisode au cours duquel le ministre de la santé, ulcéré par la réduction de la durée de l’état d’urgence sanitaire, vient dans l’hémicycle tancer les députés pour avoir voulu exercer leur mission et susciter un débat démocratique avant une éventuelle prorogation, devrait nous interpeller. Indépendance de la justice ensuite. Les alertes des plus hauts magistrats du pays révèlent le niveau des menaces pesant sur l’indépendance de la justice. À cet égard, les attaques menées contre le Parquet national financier – ce parquet qui a fait tant de mal aux puissants de la sphère économique comme politique – constitue un nœud d’inquiétudes. Liberté de la presse encore. Des propos du secrétaire d’État au numérique sur la nécessité de fonder un conseil de l’ordre des journalistes, aux auditions spectaculaires de journalistes suspectés de recel d’informations classées secret défense, jusqu’à l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale, la liberté d’informer se trouve fragilisée. Fort heureusement, le pluralisme des médias et le professionnalisme de la profession témoignent de la vitalité du quatrième pouvoir. Reste enfin l’espace dévolu à la société civile. L’encadrement de la liberté d’expression, les limitations de la liberté de manifester, la tentation de la surveillance généralisée de l’espace public, sont autant de signaux inquiétants. Toutefois, riche d’un tissu associatif robuste, la puissance mobilisatrice de l’engagement des citoyens reste intacte. Au moment où la voix de la France, nouvellement élue au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, est attendue pour porter haut et fort nos valeurs universelles, ces restrictions aux libertés ne passent pas inaperçues dans le reste du monde. De la Cour européenne des droits de l’homme aux titulaires de mandat des procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme, les mécanismes internationaux de contrôle soulignent les atteintes portées aux droits humains. Dès lors, suivant une logique implacable, ce sont désormais les conventions internationales des droits de l’Homme et l’état de droit qui sont accusés d’entraver l’efficacité de la puissance publique. C’est oublier que c’est dans l’intérêt de leurs ressortissants que les États ont négocié et ratifié ces traités internationaux. Car, la vocation des droits de l’Homme est de faire reculer la raison d’État.

Par Lafourcade M.

22 novembre 2020

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