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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

écosystèmes

Faire évoluer les outils comptables pour « réencastrer » l’activité économique dans son environnement

« La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ». Ce sont les mots de Sir Robert Watson en mai 2019 à l’occasion de la sortie du rapport annuel de l’IPBES, qu’il préside. Les données sont alarmantes : plus de 500 000 espèces terrestres ont désormais un habitat insuffisant pour leur survie à long terme, 75 % du milieu terrestre et 40 % du milieu marin sont sévèrement altérés à ce jour par les activités humaines, 60 milliards de tonnes de ressources renouvelables et non renouvelables sont extraites chaque année dans le monde, une quantité qui a presque doublé depuis 1980. Aujourd’hui ces informations résonnent particulièrement : si les circonstances spécifiques d’apparition puis de transmission à l’espèce humaine du SARS-Cov-2 ne sont pas encore déterminées précisément, la réduction de l’habitat naturel des espèces par l’homme a été clairement identifiée comme un facteur de pandémies, par le passage de la barrière d’espèce des agents pathogènes qu’il permet. « La santé des écosystèmes dont nous dépendons » est une vision anthropocentrée du problème, mais convaincante : la protection et la restauration des écosystèmes répond aux besoins de conserver les services indispensables qu’ils fournissent aux sociétés humaines. En insistant sur l’érosion de ces services, Sir Robert Waltson entend promouvoir la préservation de la biodiversité non pas au regard de l’éthique mais bien d’un calcul coût-bénéfice pour les sociétés humaines. Cette perspective est défendue par les organisations internationales comme l’ONU et la Banque mondiale à travers les notions de services écosystémiques et de capital naturel. Malgré des définitions parfois variables selon les institutions, nous pourrions définir le capital naturel comme « une métaphore anthropocentrique qui illustre le rôle de la nature dans l’économie et le bien-être des êtres humains, mais ne rend pas compte de la valeur intrinsèque de la nature ».Il désigne « l’ensemble des richesses naturelles qui offrent à la société des ressources renouvelables et non renouvelables, ainsi que des services écosystémiques »[1]. De ce capital naturel dérivent des services indispensables pour les sociétés humaines, appelés services écosystémiques. Ces services sont donc un « objet frontière »[2] qui exprime la diversité des relations entre les communautés humaines et leur environnement naturel, irréductible à un fait strictement social ou écologique. Une des solutions envisagées pour améliorer la prise en compte de la biodiversité et impulser des actions ambitieuses de protection et de restauration est de remédier à l’illusion de la gratuité de ces services, d’abord en les évaluant puis en les incluant dans les systèmes de comptabilité. Ainsi la dépendance de l’activité économique au bon fonctionnement des écosystèmes serait mise en valeur et l’arbitrage entre impératif économique et protection des écosystèmes prendrait un tout autre sens. Il ne s’agit pas de monétiser, encore moins de privatiser, la biodiversité mais de définir la part de la richesse produite qui dépend directement de son existence. Mettre en perspective notre système économique au regard de ce qu’il doit au bon fonctionnement des écosystèmes est une nécessité : nous avons besoin d’un système d’information qui tienne compte des valeurs de subsistance. Il ne s’agit pas seulement de donner une équivalence dans un langage institutionnel pour faciliter la prise en compte de ces problématiques, mais de modifier notre référentiel d’analyse. Si le chantier est ambitieux, il ne doit pas faire oublier que l’évaluation du capital naturel et des services écosystémiques et son incorporation dans des systèmes de comptabilité privée ou nationale ne se substitue pas aux changements de politiques publiques, de cadre juridique (voir la note de Dorian Guinard dans ce dossier) et de systèmes productifs qu’il faut prioritairement mettre en œuvre. Ces évaluations viennent au contraire accompagner ces transformations, en modifiant les analyses prospectives et de gestion des risques ou en permettant le suivi dans le temps des mesures mises en place via l’évolution de la valeur. La valorisation n’agit pas d’elle-même, n’auto-régule pas les usages, elle n’est qu’un outil, mais un outil nécessaire, pour justifier une action ambitieuse de protection et de restauration des écosystèmes.   I. Illustrer la dépendance de l’activité économique à son environnement et remédier à une analyse économique « dématérialisée »   La tension entre la rareté de la ressource et le développement est au fondement de l’analyse économique. Dans l’analyse des classiques, la terre disponible détermine d’abord la richesse, puis les conditions de son accumulation, elle contient l’économie. David Ricardo (1772-1823) théorisait « l’état stationnaire »[3] : l’accumulation du capital s’arrête par le rendement décroissant des terres. Les Physiocrates à la même époque – et notamment François Quesnay – proposaient une vision intégrée, conscients que la première richesse est celle de la nature, source de toute production. La question des ressources naturelles devient plus importante encore à la révolution industrielle. Parmi les analyses les plus connues, William Stanley Jevons (1835-1882) publie en 1865 The Coal question. Il montre le rôle moteur joué par le charbon dans la révolution industrielle. À partir de cette analyse, Jevons avance que l’extraction de quantités croissantes du charbon entraînera un coût de plus en plus important. À terme, la compétitivité des produits britanniques pourrait être affectée. Selon Antonin Pottier[4], il s’agit là de la continuité de l’état stationnaire de Ricardo mais “en version souterraine”. C’est avec les néoclassiques que le processus économique s’émancipe, dans l’analyse, de son environnement direct. L’analyse se dématérialise[5] et se recentre sur deux facteurs de production : le capital et le travail. Les ressources, entendues au sens large comme l’ensemble des ressources naturelles pouvant intervenir directement ou indirectement dans le processus de production, comprenant les ressources hors marché, disparaissent du champ visible de l’économie. L’analyse de l’activité économique au XXe siècle se fait majoritairement « toutes choses égales par ailleurs », sans considération de l’écosystème dans lequel elle s’insère. De fait, les considérations environnementales deviennent des externalités. L’environnement n’est pas considéré comme nécessaire au développement économique, sa protection est externe et, pour des raisons non économiques, nous pourrions dire éthiques, le prix peut être modifié pour éviter, ou dédommager,

Par Gonon M., Métadier B.

4 juin 2020

Le coronavirus se diffuse sur fond de destruction des écosystèmes

La destruction des écosystèmes favorise la diffusion de virus jusqu’alors inconnus et augmente donc notre vulnérabilité face aux catastrophes sanitaires. La pandémie de Covid-19 doit nous faire comprendre que la lutte pour la préservation de l’environnement est aussi une lutte contre de futures pandémies. Le coronavirus rencontre probablement son patient zéro par l’entremise d’une espèce de chauve-souris, consommée près d’un marché aux animaux de Wuhan, en Chine continentale. D’autres chercheurs évoquent la piste du pangolin, petit mammifère cuirassé menacé de disparition, car chassé et revendu à prix d’or pour sa peau et sa viande. Quoi qu’il en soit, pour le Coronavirus comme pour Ebola il y a quelques années, le pathogène nous provient directement de la faune sauvage. Depuis 1945, des centaines de bactéries et de virus sont apparus ou réapparus dans des régions où ils n’avaient jamais été observés. SRAS, grippe aviaire, Ebola, Zika, VIH, coronavirus, etc., 60 % de ces pathogènes sont d’origine animale, et deux tiers de ces derniers proviennent d’animaux sauvages. Si les interactions entre les hommes et les microbes issus du milieu sauvage ont toujours existé, comment expliquer cette augmentation récente de la fréquence d’apparition des épidémies ? Comme l’explique Sonia Shah (Le Monde diplomatique, Contre les pandémies, l’écologie, mars 2020), la destruction méthodique de l’environnement par l’extractivisme forcené a provoqué un phénomène d’atomisation, d’archipélisation du monde sauvage. Les animaux n’ont d’autre choix que de déborder sur les milieux humains, car les humains s’installent partout. Conséquence logique : les chances pour qu’un virus, inoffensif pour son animal porteur, entre en contact avec un organisme humain augmentent. Une étude sur Ebola menée en 2017 a montré que les apparitions du virus, porté initialement par des chauves-souris, sont plus fréquentes dans les zones d’Afrique équatoriale ayant subi des déforestations récentes. En rasant leurs forêts, les chauves-souris sont poussées à aller se percher sur les arbres des jardins. Il suffit qu’un humain croque dans un fruit déjà mordu par une chauve-souris, et donc couvert de salive, ou se fasse mordre en tentant de la chasser, pour que le virus pénètre son organisme. Globalement, la destruction des habitats, qui représente la première cause de la sixième extinction de masse, dérégule la biodiversité. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), sur les 82 954 espèces étudiées aujourd’hui, 23 928 sont menacées. Parmi elles, on compte : 13 % des oiseaux, 26 % des mammifères et 42 % des amphibiens. La disparition de la biomasse d’insectes est encore plus phénoménale puisqu’elle est 8 fois plus rapide que celle des autres espèces animales. En Europe occidentale, nous en aurions perdu 75 % en 30 ans. Or cette biodiversité de proies et de prédateurs empêche les porteurs de virus comme les moustiques ou les tiques de se multiplier. Selon une étude conduite dans 12 pays, les moustiques sont ainsi deux fois moins nombreux dans les zones boisées intactes que dans les zones déboisées (The Scientist, Deforestation tied to changes in disease dynamics, 29 janvier 2019). En somme, si l’on veut limiter le risque de propagation des pathogènes, il faut permettre à la nature de continuer à ériger des barrières biologiques. En termes de politiques publiques, cela passe avant tout par une transition agroécologique d’ampleur, faisant la part belle aux arbres, aux haies et à la guerre aux pesticides, principale cause de la disparition du vivant. Une note récente de l’Institut Rousseau explique d’ailleurs comment diminuer radicalement l’usage des pesticides en moins de 10 ans. De la même manière, la lutte contre la déforestation, nationale ou importée, doit être vigoureuse. Plus de 80 % de la déforestation sert aujourd’hui à étendre les exportations agricoles, notamment de viande. La puissance publique doit donc s’atteler, pour limiter le risque de pandémie, à combattre l’élevage industriel au profit d’un élevage local, intégré dans les cycles agroécologiques. Le changement climatique augmente également les risques sanitaires. En premier lieu, avec l’augmentation de la température, le cycle de l’eau est bouleversé : avec + 1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle, l’évaporation de l’eau est 7 % plus élevée que la normale. Il en résulte à la fois davantage de sécheresses et de pluies diluviennes. La combinaison des deux phénomènes entraîne un durcissement des sols et une stagnation plus longue des eaux, qui n’arrivent plus à pénétrer la terre. Des conditions idéales pour le développement du choléra par exemple, dont les bactéries remontent les cours d’eau depuis la mer. La prolifération des moustiques, qui se reproduisent dans l’eau stagnante, s’en trouve également renforcée. À titre d’exemple, les anophèles, une espèce de moustique originaire d’Égypte et principaux porteurs du paludisme, sont en pleine expansion vers nos latitudes, à cause du réchauffement climatique. Par conséquent, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le changement climatique entraînera 60 000 décès supplémentaires liés au paludisme chaque année entre 2030 et 2050, soit une augmentation de près de 15 % par rapport à aujourd’hui. Le moustique tigre, vecteur de plus de 20 virus dangereux, dont le Zika, le chikungunya, la dengue et fièvre jaune, n’est pas en reste. En 2050, 2,4 milliards d’individus seront à sa portée, dans son aire de répartition. La fonte du permafrost, dans le cercle arctique, pourrait également libérer des glaces de dangereux pathogènes oubliés, comme l’anthrax ou la grippe espagnole – qui avaient fait davantage de morts que la Première Guerre mondiale en 1918-1920, avec plus de 50 millions de victimes. La multiplication des événements extrêmes, comme les ouragans ou les inondations, affaiblit également les communautés humaines en détruisant les infrastructures et en désorganisant les chaînes d’approvisionnement. Les migrations climatiques, si elles sont aussi massives qu’annoncées par l’ONU – entre 250 millions et 1 milliard de réfugiés climatiques en 2050 – peuvent enfin faciliter la propagation de pathogènes. Pour toutes ces raisons, la lutte contre le changement climatique et la prévention des risques sanitaires vont de pair : la guerre contre le coronavirus ne doit pas faire oublier la guerre contre le changement climatique.  

Par Gilbert P.

20 mars 2020

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