Neutralité carbone de l’Europe : l’Institut Rousseau ouvre la voie pour une transition réussie
Alors que la récente crise agricole a mis en lumière les tensions autour de la rémunération des agriculteurs, avant de se solder par un recul sur les normes environnementales, l’Institut Rousseau s’est interrogé sur la nécessité de trouver le bon équilibre pour concilier enjeux économiques, sociaux et écologiques. Comment décarboner tous les secteurs de l’économie ? Combien d’investissements cela nécessite-t-il, par secteur, par pays, par mesure ? À l’heure de l’austérité budgétaire, comment financer la transformation nécessaire de notre économie ? Pour répondre à cette question, l’Institut Rousseau a réuni plus de 150 chercheurs et experts de toute l’Europe afin d’évaluer les investissements publics et privés nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques de l’Europe, et notamment la neutralité carbone d’ici 2050. Le rapport Road to Net Zero compile l’ensemble de ce travail de recherche et constitue, par son niveau de précision, une première mondiale. L’étude analyse en détail sept grands pays en plus de l’Europe – la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Suède – et chiffre ainsi 37 leviers de décarbonation, tous secteurs confondus, et plus de 70 politiques publiques. « Atteindre nos objectifs climatiques nous coûtera deux fois plus cher si nous ne l’abordons que sous l’angle technologique » En parallèle, la Commission européenne a récemment publié son étude d’impact ‘Europe’s 2040 climate target and path to climate neutrality by 2050 building a sustainable, just and prosperous society’ (« L’objectif climatique de l’Europe à l’horizon 2040 et la voie vers la neutralité carbone d’ici 2050 pour construire une société durable, juste et prospère »). Chacune de ces deux études constate que des investissements supplémentaires substantiels, par rapport à ceux déjà prévus (“les investissements tendanciels”), sont absolument nécessaires. En revanche, la comparaison entre ces deux études met en exergue une différence d’approche notable : le scénario de la Commission européenne préconise une “simple” décarbonation des usages (c’est à dire un pur « switch » technologique ») quand l’Institut Rousseau propose une transition plus globale, intégrant des mesures de réduction des consommations énergétiques. De cette différence d’approche découle un triple constat. La transition écologique globale couplée à des mesures de réduction des consommations énergétiques que propose l’Institut Rousseau est : Deux fois moins coûteuse pour l’ensemble de l’économie par rapport aux scénarios reposant principalement sur l’électrification des secteurs énergivores. Possible, car s’appuyant sur des politiques déjà mises en œuvre dans certains pays ou régions d’Europe. Synonyme d’une bien plus grande souveraineté économique pour les pays de l’UE, en réduisant largement leur dépendance aux importations, de fossiles et de matériaux critiques à court terme, et de “gaz verts” à plus long terme. Une transition globale, économe et ambitieuse A l’inverse des discours sur les « coûts exorbitants » d’une transition écologique globale, la comparaison entre le rapport de l’Institut Rousseau et l’étude de la Commission européenne démontre qu’une transition intégrant des mesures de réduction des consommations énergétiques – par efficacité et sobriété – est in fine nettement moins coûteuse, sur le long terme, qu’une transition centrée sur la seule décarbonation des usages. L’analyse de l’étude d’impact de la Commission UE permet de mettre en évidence les coûts supplémentaires d’une stratégie centrée sur la seule décarbonation. En effet, la Commission européenne prévoit deux fois plus d’investissements supplémentaires d’ici 2050 pour le scénario qu’elle privilégie, soit environ 540 milliards d’euros par an, contre 285 milliards d’euros par an pour le scénario proposé par l’Institut Rousseau[1] (ramené à un périmètre similaire, pour comparaison). Cette différence de coûts, entre transition globale et décarbonation des usages, s’explique principalement par les surcoûts liés à une trop forte augmentation de la production d’électricité et au renouvellement de la totalité des flottes de véhicules sans report modal (là où le scénario de l’Institut Rousseau, grâce à un développement ambitieux du train, des transports en commun et du vélo, permet une baisse de 20 à 25% du nombre de voitures particulières en circulation). Les besoins d’investissements climat selon les études Institut Rousseau vs. Com UE* Sources : Rapport RtNZ (2024) et Impact assessment « path to climate neutrality by 2050 » de la commission UE (2024) en euros 2022 et 2023 sur les 4 principaux secteurs étudiés. Note : Dans l’étude de la Commission européenne, le sur-investissement est même estimé à plus de 640 Mds/an mais les années considérées pour évaluer la « dépense actuelle » sont antérieures à celles du rapport RtNZ (2019-2022), qui correspond à 1040 Mds/an d’investissements dans ces 4 secteurs (vs. 1160 Mds en ajoutant l’agriculture, la R&D et les puits, voir graphique suivant). *L’étude UECom n’intégrant pas les investissements dans les infrastructures ferroviaires et cyclables (environ 100 Mds/an dans RtNZ), nous avons ajouté les investissements prévus sur le seul réseau « Trans-européen », estimés à au moins 65 Mds/an dans l’étude d’impact « réseaux de transports » de 2021 de la Commission (pour l’essentiel ferroviaires). Certes, d’autres scénarios de « décarbonation seule », produits par des gestionnaires de réseaux électriques européens aboutissent à des besoins d’investissements moins élevés dans la production d’énergie que l’étude de la Commission européenne. Mais ces scénarios préconisent un recours massif aux importations de « gaz verts » (ex. hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable ou biométhane). Or, d’une part les surcoûts engendrés par ces importations sont estimés à environ 200 milliards d’euros par an pour l’économie européenne. D’autre part, ces scénarios auront pour conséquence de remplacer les dépendances actuelles de l’Europe en gaz et en pétrole par de nouvelles dépendances aux “gaz verts”. Dans le détail, l’Institut Rousseau préconise d’accroître les investissements de 30%, en particulier dans les domaines de la rénovation énergétique (+ 140 milliards d’euros par an), de la production d’énergie (+ 80 milliards d’euros par an), des infrastructures de transports et de l’agriculture (avec respectivement + 52 et + 47 milliards d’euros par an) : Une transition possible et souhaitable Les politiques publiques nationales et locales étudiées dans le rapport prouvent qu’il est possible de réorienter la stratégie de l’Europe vers une transition globale limitant les investissements supplémentaires grâce à des efforts mieux ciblés. Dans le secteur des transports, l’exemple de l’Autriche et du Danemark ont démontré que