Il est urgent d’agir face au développement du marché des cryptoactifs et de séparer le bon grain de l’ivraie Tribune
Français 🇫🇷 | English 🇬🇧 | Deutsch 🇩🇪 | Italiano 🇮🇹 | Español 🇪🇸 Signée par plus de 170 économistes, informaticiens, experts et personnalités scientifiques, cette tribune a pour objectif d’alerter sur les risques croissants, en matière économique, financière, écologique et sociale, liés au développement anarchique des cryptoactifs. Face à l’inaction des États en cette matière, elle introduit également plusieurs principes de régulation pour maîtriser ces risques et poser les bases d’une utilisation saine et responsable des technologies innovantes sous-jacentes à ces cryptoactifs. Pour toute information supplémentaire au sujet de cette tribune et des travaux qui l’accompagnent, vous pouvez écrire à l’adresse : contact@institut-rousseau.fr. Vous souhaitez apporter votre soutien à notre démarche ? Vous pouvez remplir ce formulaire, vous serez ajouté aux signataires. Initiateurs : Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire, économiste et directeur de l’Institut Rousseau Jean-Michel Servet, professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement (Genève) Jean-Paul Delahaye, professeur à l’Université de Lille, informaticien et mathématicien Ont notamment soutenu la tribune : Gaël Giraud, directeur du programme de justice environnementale à l’Université de Georgetown et président d’honneur de l’Institut Rousseau Gérard Berry, Professeur émérite au Collège de France, médaille d’or du CNRS 2014 Michel Aglietta, professeur émérite université Paris Nanterre et conseiller scientifique au Cepii Jean-Louis Desvignes Président de l’Association des Réservistes du Chiffres et de la Sécurité de l’Information (ARCSI) Jean-Gabriel Ganascia, informaticien et philosophe, membre du comité national pilote d’éthique du numérique Alain Grandjean, économiste, entrepreneur et polytechnicien, membre du Haut Conseil pour le climat Serge Abiteboul, chercheur à l’Inria, Membre de l’Académie des Sciences Alain Supiot, juriste, professeur émérite au Collège de France Stéphane Ducasse, Directeur de recherche inria Rachid Guerraoui, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), directeur du laboratoire de calcul distribué. Professeur invité sur la chaire annuelle Informatique et sciences numériques du Collège de France. Paul de Grauwe, London School of Economics, John Paulson Chair in European Political Economy Alexandre Rambaud, maître de conférences en comptabilité financière et écologique à AgroParisTech Jacques Dubochet, prof. hon. Université de Lausanne, prix Nobel, chimie 2017 Dominique Plihon, professeur émérite à l’Université Sorbonne Paris Nord François Morin, professeur émérite à l’Université Capitole de Toulouse Pierre Dockès, Professeur émérite de sciences économiques, université Lumière Lyon 2 Didier Roux, Membre de l’Académie des Sciences, Membre de l’Académie des Technologies Découvrir tous les signataires. La tribune en langue française : Il est urgent d’agir face au développement du marché des cryptoactifs et de séparer le bon grain de l’ivraie Le monde monétaire et financier est actuellement bousculé par l’émergence des cryptoactifs. Avec plus de 2 000 milliards de dollars de capitalisation, ce marché compte désormais plus de 16 000 cryptoactifs et connaît une progression fulgurante depuis quelques années. La capitalisation du seul bitcoin, du fait de l’accroissement de son cours, est aujourd’hui à peu près égale à la masse monétaire du franc suisse. Le phénomène ne doit donc pas être pris à la légère. Par son volume, il questionne aujourd’hui directement l’ordre public financier et l’intérêt général. Or, les autorités n’ont jusqu’à présent pas pris la mesure des risques et des dommages que ce développement pourrait engendrer. Cette inaction s’explique sans doute par la difficulté à saisir la diversité du phénomène. En effet, les milliers de cryptoactifs existants ne sont pas de même nature et n’ont pas le même objet. Certains prétendent constituer des alternatives monétaires globales (Bitcoin) ; d’autres ne servent qu’à faciliter des paiements transfrontaliers (Ripple) ; d’autres encore ne sont que des amusements (Dogecoin). Le développement des actifs numériques permet certes de bousculer certaines pratiques et introduit des innovations utiles comme la possibilité de conclure des « contrats intelligents » grâce à la technologie des chaînes de blocs [blockchain], de se passer d’intermédiaires en matière de transferts de propriétés ou d’accélérer les paiements internationaux. Or, des cryptoactifs bien employés et bien régulés pourraient jouer le même rôle sans le caractère négatif majeur qui entache aujourd’hui, plus qu’il ne sert, leur essor. Car certains cryptoactifs, dont le bitcoin qui en est l’étendard, font courir des risques grandissants à nos sociétés. À cause de l’énergie qu’elles requièrent (près de 131 TWh, soit davantage que la Belgique et la Suisse), les blockchains utilisant un protocole de type « preuve de travail » provoquent un désastre écologique, qui va empirer. La forte volatilité du bitcoin porte atteinte à la stabilité financière car elle est opérée par des acteurs à la capitalisation parfois fragile et sans garde-fous, dans des marchés par ailleurs largement manipulés par quelques grands détenteurs de cryptoactifs. Enfin, la cohésion sociale et monétaire peut être menacée par les prétentions de certains d’encourager le développement de systèmes de paiement parallèles. Certains cryptoactifs font par ailleurs peser une lourde menace sur la sécurité des personnes et des États puisqu’ils facilitent les demandes de rançon, l’évasion fiscale ou le financement d’activités criminelles voire terroristes. Des cryptoactifs comme Monero, Dash ou Zcash ont même été pensés pour qu’il soit absolument impossible de suivre leurs opérations. Répondre à ces craintes légitimes en affirmant que le système bancaire et financier traditionnel n’est lui aussi pas exempt de reproches est hors de propos : ce dernier a évidemment aussi permis l’évasion fiscale et le financement du terrorisme, tout comme le financement d’activités polluantes mais les solutions sont connues : elles passent notamment par l’arraisonnement des chambres internationales de compensation par la justice, le renforcement des administrations fiscales, la réglementation du shadow banking… Alors que des efforts sont faits pour sortir de ces errements, pour les corriger et pour les punir, faut-il laisser apparaître un nouveau Far West financier non réglementé ? Faut-il, en recréant de nouveaux actifs polluants, spéculatifs et inégalitaires, anéantir les maigres efforts entrepris pour faciliter le partage des informations bancaires ? Faut-il également laisser se détourner une part significative de l’épargne d’investissements plus productifs ? La crainte de brider l’innovation ne doit pas freiner le besoin, légitime et urgent, de réglementation. La période dite de « bac à sable », dans laquelle les cryptoactifs pouvaient se développer anarchiquement sans
8 février 2022