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    Une finance aux ordres Comment le pouvoir chinois met le secteur financier au service de ses ambitions

    Alors que Huawei et TikTok ont défrayé la chronique cette année, alors que les ambitions commerciales, technologiques et militaires de la Chine sont devenues des enjeux de premier plan, le secteur financier chinois reste curieusement sous les radars. Sait-on, par exemple, que le système bancaire chinois est depuis 2016 le plus grand du monde par actifs, dépassant celui de la zone euro ? Sait-on que China Development Bank et Export-Import Bank of China détiennent à elles deux plus de créances à l’international que la Banque mondiale ? Au-delà de sa taille et de sa croissance accélérée, c’est le fonctionnement qualitatif du système financier chinois qui gagne à être connu. Car les grandes institutions financières chinoises ont cela de particulier qu’elles sont des entités hybrides, mi-économique mi-politiques, à la fois organes du Parti-État et acteurs de marché. La finance chinoise dans son ensemble est assujettie à des mécanismes de contrôle multiples qui en font avant tout un instrument au service du pouvoir. Alors que ces dernières décennies nous ont habitués, en Europe, à des secteurs financiers plus prompts à imposer leurs priorités aux États que l’inverse, il peut être instructif de décentrer la perspective pour faire voir comment un ordre financier tout autre est en train de monter en puissance en Chine. Introduction Certaines statistiques financières chinoises sont susceptibles de donner le tournis. Gongshang Yinhang 工商银行, plus connue à l’étranger sous le nom d’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), disposait en début d’année de 30 100 milliards de yuans d’actifs (l’équivalent de 3 900 milliards d’euros). Cette somme, égale à plus d’une fois et demi le PIB français, fait d’ICBC la plus grande banque du monde, et de loin (à titre de comparaison, BNP Paribas, plus grande banque française et deuxième plus grande banque d’Europe, ne pèse que 2 400 milliards d’euros). Le bilan d’ICBC, cependant, ne représente que 10 % des actifs bancaires chinois. Le montant total de ces derniers s’élevait en juin 2020 à 309 000 milliards de yuan (39 000 milliards d’euros) – soit 17 fois le PIB français, deux fois le PIB américain… et trois fois le PIB chinois[1]. Autre fait notable, l’actionnaire majoritaire d’ICBC est le gouvernement central. C’est également le cas de la deuxième plus grande banque du pays (China Construction Bank), de la troisième (Agricultural Bank of China), la quatrième (Bank of China), la cinquième (China Development Bank) – et même chose pour les quelques suivantes. La Chine nous présente donc ce qui, vu d’Occident, a tout l’air d’un paradoxe : une expansion financière accélérée, une financiarisation de plus en plus poussée de l’économie, mais dans l’orbite de la puissance publique. En somme, une dynamique historique inverse de celle qui a vu les secteurs financiers de nombreux pays occidentaux – États-Unis, Grande-Bretagne, France notamment – grossir et s’internationaliser depuis un demi-siècle en s’émancipant de plus en plus des contraintes réglementaires imposées par les États. Cette note propose un aperçu des caractéristiques principales du système financier chinois. Il s’agit en particulier de montrer les mécanismes qui entérinent le contrôle politique sur la finance, ainsi que les façons dont le capital financier est mobilisé par le pouvoir comme vecteur essentiel de sa politique de développement et de puissance. Le secteur financier est devenu un outil indispensable au Parti-État pour réaliser ses ambitions dans différents domaines, qu’il s’agisse de la macroéconomie (croissance, emploi), de la politique industrielle et technologique, du développement local ou des relations internationales (investissements à l’étranger, « Nouvelles Routes de la Soie »). Dans tous ces champs d’intervention, le déploiement du capital financier se substitue aux ressources fiscales des administrations, émancipant la politique économique des contraintes budgétaires dont on connaît la pesanteur dans les pays occidentaux. Un tel modèle financier, nous l’évoquerons aussi, n’est pas sans risques et sans travers, entre une addiction croissante à la dette, des opportunités multiples de corruption, et un degré d’arbitraire à la mesure de l’autoritarisme du pays. I. Un paysage financier sous domination étatique I. A. Une omniprésence du capital financier public La finance chinoise est principalement axée sur le secteur bancaire et les activités de prêt. Les marchés de capitaux et la « finance de marché » (actions, obligations, titres divers) y jouent un rôle de complément dans le financement de la vie économique. Ainsi, selon les données de la banque centrale, les prêts en cours en monnaie locale représentent aujourd’hui 60,3 % du « financement agrégé de l’économie réelle », comparé à 9,8 % pour les obligations à destination d’entreprises non-financières[2]. Le système bancaire lui-même est divisé depuis le milieu des années 1990 en plusieurs segments qu’il s’agit de savoir distinguer[3]. Il existe d’abord trois banques de développement publiques dont les activités sont en principe entièrement guidées par les objectifs de la politique nationale : China Development Bank (CDB), Export-Import Bank of China (Exim Bankpour faire court) et Agricultural Development Bank of China (ADBC)[4]. On trouve ensuite quatre banques commerciales étatiques, parfois désignées sous le nom de « Big Four », qui sont aussi les quatre plus grandes banques chinoises par actifs : Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), China Construction Bank (CCB), Agricultural Bank of China (ABC ou AgBank) et Bank of China (BOC) – il faut éviter de confondre cette dernière avec la banque centrale chinoise, qui se dénomme People’s Bank of China ou Banque populaire de Chine en français. À ces quatre banques commerciales, on en ajoute parfois deux autres, tout aussi étatiques, passant donc des « Big Four » aux « Big Six » : Bank of Communications (Bofcom) et Postal Savings Bank of China (PSBC). Ces « Big Six » sont toutes cotées en bourse, à Shanghai, Hong Kong ou New York, alors même que le gouvernement central y garde des participations majoritaires. Le segment suivant est constitué d’une douzaine de banques d’envergure nationale dites « à capitaux mixtes ». Ces banques sont toutes sous contrôle politique également, leurs principaux actionnaires étant des entités publiques. La seule exception est Minsheng Bank, dont les actionnaires sont privés – mais dont les dirigeants seraient nommés par le Parti communiste, selon plusieurs sources concordantes[5]. D’autres segments moins significatifs du système bancaire chinois sont les « banques commerciales urbaines » et les « banques commerciales rurales » (à périmètre

    Par Sperber N.

    5 décembre 2020

    Ce qui doit échapper à la logique de la mondialisation Quelle méthode pour identifier les secteurs stratégiques de l’économie ?

    Depuis l’éclatement de la crise sanitaire, l’idée que la France doit s’émanciper de chaînes de valeur mondialisées pour son approvisionnement en biens vitaux fait brusquement consensus. La pénurie criante de masques de protection qui a obéré la réponse française à l’épidémie s’est accompagnée d’autres fragilités dans le domaine des respirateurs ou encore des médicaments. De telles circonstances expliquent pourquoi des politiques ayant fait leur métier de porter des recettes libérales dissertent désormais sur la souveraineté économique, de Dominique Strauss-Kahn [1] à Emmanuel Macron, qui le 12 mars a déclaré : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie » [2]. Dès lors que la nécessité de « reprendre le contrôle » – autre expression présidentielle récente – sur certains biens et services stratégiques est admise, comment procéder ? Quelles sont les activités qui mériteraient ce qualitatif de stratégique ? Comment déterminer, au sein de ces activités, les premières priorités ? Quels moyens mettre en œuvre pour maintenir ces activités sur le territoire, pour les faire croître, pour les sanctuariser vis-à-vis de fluctuations de marché ou d’offres d’achat venues de l’extérieur ?   Table des matières I. La France n’a pas de doctrine cohérente sur la question des secteurs stratégiques II. Vers une doctrine viable : une méthode en deux temps a. Trois grandes catégories de secteurs stratégiques b. Trois types d’interventions à mettre en œuvre     I. La France n’a pas de doctrine cohérente sur la question des secteurs stratégiques Force est de constater qu’il manque à ce jour à la collectivité un cadre de pensée cohérent en la matière. Pire, la méthode de raisonnement même qui permettrait d’établir un tel cadre fait défaut. Derrière certaines expressions invoquées à répétition par les acteurs politiques – l’« État stratège », le « patriotisme économique » – se cache une absence de réflexion globale sur les enjeux qu’elles recouvrent. Les errements du discours officiel au sujet de l’État actionnaire illustrent parfaitement cette indigence – qui est tout autant intellectuelle que pratique. En mars 2018, au moment de communiquer sur le programme de privatisations du gouvernement, Bruno Le Maire explique que « [l]‘État actionnaire doit être présent dans des secteurs stratégiques, où notre souveraineté est en jeu. Pour le reste, ce n’est pas le rôle de l’État que de recueillir régulièrement des dividendes » [3]. Outre l’amalgame entre deux questions distinctes – la participation au capital d’une part, l’appropriation et l’usage de dividendes de l’autre –, le ministre ne daigne pas énumérer les domaines où la souveraineté du pays serait en jeu. Trois mois plus tard, dans une interview aux Échos à l’occasion de la présentation du projet de loi Pacte en Conseil des ministres, il affirme que « [l]’État, pour sa part, doit être un État stratège. Il n’a pas vocation à diriger des entreprises concurrentielles […] Il doit garder la main sur des activités de souveraineté nationale, comme le nucléaire ou la défense ainsi que sur les grands services publics nationaux comme la SNCF » [4]. Au-delà de l’observation que le rail, le nucléaire et l’armement sont de facto des secteurs concurrentiels, ne serait-ce qu’à l’international, cette liste est bien trop courte, et bien trop vague, pour constituer un socle pouvant guider les pratiques de l’État actionnaire. Malheureusement, aucun éclairage probant sur le sujet n’est apporté par les rapports annuels et les autres communications de l’Agence des Participations de l’État (APE), sise à Bercy. Dans la « doctrine de l’actionnariat public » que l’APE met en avant, ne sont mentionnées que « les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de notre pays (défense et nucléaire) » – comme si la souveraineté économique pouvait se limiter à ces deux activités – et les entreprises œuvrant au « service public » et à l’« intérêt général national ou local » [5]. « Stratégique », « souveraineté », « service public », « intérêt général » : autant de termes dont l’institution s’abstient pudiquement de préciser le périmètre. Au reste, la réflexion sur les secteurs stratégiques de l’économie et les manières de les préserver doit dépasser la seule question de l’actionnariat public. Par sa réglementation des entreprises privées, par ses interventions financières, par ses commandes, l’État dispose en principe d’une panoplie de moyens pour promouvoir les activités jugées essentielles. Encore faut-il déterminer quelles sont ces activités, et adapter à chaque fois les instruments déployés à leurs caractéristiques. Pourtant, pas plus que l’APE, les autres organes de la puissance publique n’offrent aujourd’hui un cadre de pensée cohérent face à ce sujet, qu’il s’agisse de la Caisse des Dépôts, de Bpifrance, du Conseil économique, social et environnemental, ou encore de France Stratégie (organisme de réflexion rattaché à Matignon, mais qui porte parfois bien mal son nom). L’absence de cadre cohérent pouvant servir de repère pour orienter des décisions particulières, ainsi que l’absence de méthode intellectuelle pour arriver à un tel cadre, expliquent pourquoi la gestion française des dossiers industriels majeurs de ces dernières années a été avant tout réactive, pour ne pas dire improvisée. Souvent, ce n’est qu’après coup, et déjà pris de court, que l’État a fait mine de découvrir qu’une activité vitale avait échappé à son champ d’intervention : aujourd’hui les masques de protection, hier les données personnelles ou encore les batteries de véhicules électriques. Dans d’autres cas, face à l’urgence de certaines situations, les dirigeants français ont surtout tâtonné. C’est ce qui s’est visiblement passé au moment du rachat d’Alstom Énergie par General Electric. À en croire un témoignage d’Arnaud Montebourg dans Le Monde, une réunion le 21 juin 2014 aurait opposé celui-ci, favorable à une solution alternative impliquant l’allemand Siemens, à Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Élysée, qui se serait opposé à un blocage de General Electric au motif qu’« on n’est quand même pas au Venezuela ! » [6]. Si le parti pris idéologique du futur président peut choquer, le plus grave n’est sans doute pas là, mais bien dans le fait qu’un argument si déconnecté de l’enjeu concret ait pu avoir eu droit de cité dans le contexte de la prise de décision. Cette anecdote illustre

    Par Sperber N.

    3 mai 2020

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