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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Notes

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Pour un ministère du Temps libéré

Note présentée dans le cadre du Festival des idées, Le 8 juillet 2023, à La-Charité-sur-Loire Introduction « La retraite avant l’arthrite », « Ne pas perdre sa vie à la gagner »… Les slogans de la mobilisation contre la réforme des retraites ont été nourris de références au refus du sacrifice d’un temps de vie « pour soi » par l’allongement de l’âge de départ en retraites à 64 ans. La réforme des retraites a soulevé la question de la place du travail dans nos vies et plus profondément encore celle du temps de vie à notre disposition, une fois soustrait le temps passé au travail. En effet, tout se passe comme si la réforme des retraites avait rappelé à notre société la valeur du temps personnel. Probablement que les graines de cette réflexion avaient été semées lors de l’arrêt du travail pendant le confinement et avec le développement du télétravail. Le rapport des Français au travail semble en tout cas avoir profondément changé : c’est ce que révèle une enquête de l’IFOP[1] menée en octobre 2022 selon laquelle 21 % des Français considèrent le travail comme très important, soit trois fois moins qu’en 1990. Ce constat appelle logiquement une réflexion sur le réaménagement du temps de travail, par exemple avec la semaine de quatre jours (voir la note de l’Institut Rousseau sur ce sujet[2]). Il mène aussi à une réflexion d’accompagnement, de protection et de valorisation du temps libre de chacun d’entre nous. C’est que depuis plusieurs décennies, et malgré les gains de productivité, le travail semble avoir pris une place croissante dans nos vies, au détriment de notre temps personnel. C’est le fruit d’évolutions politiques (comme souligné par François Ruffin dans son dernier livre Le Temps d’apprendre à vivre[3]), d’évolutions du monde du travail, des outils numériques et du management (comme l’ont mis en lumière Dominique Méda et Bruno Palier notamment[4]), et aussi de l’emballement productif[5] d’une société de la surconsommation. Au global, c’est l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle qui est bouleversé. Ces évolutions se font dans le contexte d’avancées technologiques qui génèrent une « accélération du temps »[6], telle que formulée par Hartmut Rosa. Selon lui, cette accélération s’articule autour de trois facteurs[7] : l’innovation technique (qui notamment comprime l’espace et multiplie la nécessité de communiquer), un accroissement des rythmes sociaux et culturels, et enfin une augmentation des rythmes de vie prenant la forme d’une densification des tâches à réaliser et donc un sentiment d’urgence permanent. Ces effets sont particulièrement visibles dans le monde du travail comme on le verra ci-dessous. Ils créent une corrélation entre d’un côté une meilleure productivité au travail grâce à la modernité, qui fait gagner du temps, et pourtant une sensation de manque de temps. De plus, le temps individuel semble de plus en plus déconnecté du temps collectif à travers une forme de désynchronisation des rythmes de vie[8]. La nouveauté de la situation actuelle repose également sur la valeur du temps à l’aune du dérèglement de la planète. L’urgence climatique nous impose que le temps disponible ne soit pas en contradiction avec ce défi qui constitue, lui aussi, une course contre la montre. De fait, le temps libéré interroge l’équation entre croissance, soutenabilité écologique et temps de travail. Dans cette perspective, nous proposons la création d’un ministère du Temps libéré, ministère de plein exercice qui aurait la charge de coordonner une véritable politique publique d’accompagnement du temps libéré. Par « temps libéré », nous entendons tout le temps libre, c’est-à-dire qui n’est pas contraint. Ce temps peut être contraint par le travail au sens classique du terme, en pensant plus particulièrement au travail salarié qui représente 37 heures par semaine en moyenne[9]. Le travail salarié reste aujourd’hui la forme d’activité majoritaire et nous semble la plus souhaitable. C’est à ce titre que nous le privilégions dans cette note, qui prendra nécessairement moins en compte les personnes inactives, les demandeurs d’emploi, les travailleurs non-salariés et les travailleurs à temps partiel. Il apparaît néanmoins souhaitable de donner autant que possible une dimension universelle à cette politique du temps libéré pour en permettre le bénéfice à tous, quelle que soit la situation professionnelle. Le temps est également contraint par les trajets domicile-travail qui représentent environ 50 minutes par jour en moyenne (principalement en voiture)[10] ou encore par le « travail domestique ». Nous faisons le choix, dans le prolongement de certains sociologues (notamment Pierre Bourdieu[11]), de considérer les tâches domestiques et administratives, souvent réalisées par les femmes, comme un travail à part entière. Par définition, le travail domestique et administratif est multiple (faire les courses, aller chercher les enfants, tenir les comptes, prendre les rendez-vous médicaux, régler les factures…). Cette définition fait immédiatement apparaitre des inégalités dans la répartition du temps disponible. Inégalités de classe, inégalités territoriales et inégalités de genre en particulier. Ces inégalités nous amènent à considérer le temps comme un « capital temporel »[12] inégalement réparti et qu’il s’agira de mieux redistribuer. En positif, nous considérons comme « temps libéré » le « temps pour soi »[13], quelle que soit l’utilisation qui en est faite. Passer du temps avec ses petits-enfants, faire du sport, jardiner, regarder une série à la maison, ne rien faire… Toutes ces activités constituent du temps utilisé librement pour soi. Pour autant, ce temps libre peut également être mis au service des autres. Comme le soulignait André Henry, ministre du Temps libre, « Le temps libre, ce n’est pas seulement les loisirs, c’est aussi la culture et la vie citoyenne, l’engagement citoyen pour la République »[14]. Cet engagement n’a pas besoin d’être formalisé. Pour autant et sans l’imposer, nous pensons qu’il est nécessaire de créer les conditions que le temps libéré soit profitable à l’ensemble de la société et au climat par l’engagement citoyen dans sa forme institutionnelle. À l’aune de ces enjeux, le rapport au temps constitue l’une des préoccupations les plus concrètes au quotidien pour les Français. Alors que l’offre politique française et européenne est en pleine mutation, un réformisme « radical » en prise avec le quotidien de nos concitoyens semble plus que jamais nécessaire. C’est dans cette perspective que nous versons dans le débat public la proposition d’un ministère du

Par Montjotin P., Adrianssens C.

28 juillet 2023

Semaine de quatre jours : le temps du monde d’après

En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, le gouvernement avait annoncé une expérimentation de la semaine de quatre jours dans un service de l’URSSAF en Picardie[1]. Cette proposition peu commune dans le secteur public en France se voulait un signe de compréhension à l’attention du mouvement social sur un registre nouveau : il faut réaménager la place du travail dans nos vies. Car comme beaucoup d’observateurs l’ont noté, la réforme des retraites posait non seulement la question de l’emploi, de l’après vie professionnelle, mais peut-être plus encore la question du travail et de la place qu’il occupe au quotidien dans nos vies. Le gouvernement puis le Président de la République ont renvoyé cette question à une future loi travail qui serait la « jambe gauche » de la réforme des retraites, éventuellement discutée avec les syndicats. On peut douter du fait que nos concitoyens et concitoyennes ne fassent pas la différence entre les mesures d’âge et l’amélioration des conditions de travail. Pour autant, on peut se demander si cette future loi ne serait pas l’occasion de créer les conditions d’une généralisation progressive de la semaine de quatre jours ? Plusieurs pays européens mais aussi les États-Unis et le Japon ont lancé le chantier, avec des fortunes diverses. Les pays adoptent des règles différentes : 32 heures, quatre jours sans réduction du temps de travail, réduction partielle du temps de travail… Au sein de ces pays, les entreprises elles-mêmes n’appliquent pas la semaine de quatre jours de la même manière. Il ne s’agit donc pas dans cette note de trancher entre réduction et réaménagement du temps de travail, car, quelle qu’en soit la forme, la semaine de quatre jours poursuit des objectifs différents tels que le bien-être au travail, la lutte contre le changement climatique ou encore l’engagement citoyen. Cette note entend démontrer que la semaine de quatre jours, au regard de ses bénéficies écologiques et sociaux (cf. partie 2) ; constitue une proposition qui arrive en France à maturité dans les entreprises, le monde du travail et la société dans son ensemble. La question des effets de la réduction du temps de travail sur la création d’emplois fait l’objet de controverses vives, en particulier en France depuis le vote des lois Aubry et il n’existe pas aujourd’hui de consensus des économistes à ce sujet. Dans ce cadre, cette note ne conçoit pas la semaine de quatre jours comme une politique de lutte contre le chômage, mais l’inscrit dans un horizon politique nouveau. Cette note pose par ailleurs quelques principes clés dans lesquels s’inscrit la mise en œuvre de la semaine de quatre jours. D’abord la semaine de quatre jours doit être proposée sans baisse de salaire (quatre jours travaillés et payés comme cinq jours) pour les salariés. Le deuxième principe porte sur l’effectivité de la semaine de quatre jours : les entreprises doivent prendre des engagements pour en garantir le respect afin de bénéficier d’une aide (cf. proposition 2). Le troisième principe est celui du dialogue social : les entreprises doivent conclure un accord collectif pour bénéficier d’une aide à la mise en place de la semaine de quatre jours. Il apparaît en effet essentiel de leur permettre de trouver la bonne organisation pour passer à la semaine de quatre jours. Enfin la démarche proposée s’inscrit dans un principe d’expérimentation. Une évaluation par le Parlement des externalités de la semaine de quatre jours pourra ainsi être réalisée auprès d’un échantillon d’entreprises ayant adopté cet aménagement du temps de travail. Il convient par ailleurs de préciser ici que les propositions en faveur de la semaine de quatre jours ne concernent que les personnes salariées travaillant à temps complet à raison de cinq jours par semaine. Les personnes non salariées (artisans, commerçants, professions libérales, agriculteurs) ainsi que celles travaillant à temps partiel ou sur des horaires atypiques ne pourraient pas être concernées par cette mesure dans un premier temps, bien qu’il soit souhaitable d’engager une réflexion plus générale sur la réduction du temps de travail. Par ailleurs, une expérimentation auprès d’agents publics est proposée dans cette note. Alors que la France est confrontée à une crise profonde du monde du travail, exprimée lors du mouvement des « Gilets jaunes » puis à l’occasion de la crise du Covid, la question de la semaine de quatre jours se pose aujourd’hui avec une acuité nouvelle. Pour les gilets jaunes dont les dépenses contraintes de transport, 5 à 6 fois par semaine, les empêchent de « vivre de leur travail », la baisse des déplacements (un ou deux aller-retour en moins par semaine) offrirait un gain financier non négligeable (cf. ci-dessous). Pour les travailleurs dits de la « deuxième ligne »[2] (notamment les éboueurs, les hôtesses de caisse, les agents d’entretien, les aides à domicile, etc., dont beaucoup travaillent sur six jours), le passage à la semaine de quatre jours apparaîtrait comme une forme de reconnaissance alors que la crise sanitaire a mis en lumière leur caractère « essentiel ». Pour l’ensemble de ces travailleurs, qui partagent le fait d’être confronté à des conditions de travail difficiles et de ne pas pouvoir télétravailler, l’amélioration des conditions de vie permise par la semaine de quatre jours constituerait une mesure de justice sociale. La France des années 2020 semble plus que jamais prête à accueillir cette évolution. Alors que la réduction du temps de travail avait jusqu’aux années 1980 toujours été au cœur des conquêtes du monde du travail obtenues par le mouvement syndical, il y a aujourd’hui une aspiration forte, comme le démontrent les sondages (voir infra), à reprendre le fil de cette histoire pour réinscrire la recherche du temps libre dans le progrès social. Cette conquête du temps libre doit désormais être pensée à l’aune des défis écologiques et sociaux de notre époque. Ayant permis au XXe siècle d’accompagner l’essor de la société des loisirs et de la consommation, la réduction, ou au moins le réaménagement, du temps de travail est nécessaire pour faire émerger au 21e siècle la société de l’engagement et du lien social. En ce sens, cette conquête du temps libre n’est pas

Par Adrianssens C., Montjotin P.

2 mai 2023

Retraites : une réforme radicalement solidaire et écologique est possible

Le Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, entend conduire une nouvelle réforme des retraites au plus vite et sans idée de compromis, ce dernier considérant qu’il dispose d’un mandat implicite des Français pour le faire au travers de sa réélection. Selon le Président de la République, la pérennité de notre système de retraites par répartition serait en jeu. Le 6 février 2023, le débat sur le projet de réforme des retraites du gouvernement démarre à l’Assemblée nationale sur fond de forte mobilisation syndicale. La veille de l’ouverture des débats, la Première ministre a annoncé quelques concessions. La principale d’entre elles porte sur l’extension du dispositif applicable aux carrières longues. Une mesure relative à l’index senior (publication par des entreprises du nombre de salariés de plus de 55 ans – et en aucun cas obligation d’embauche -) serait maintenant assortie d’une sanction financière, mais pour défaut de publication de l’index. Le reste ne serait pas négociable. Pourtant, une autre réforme des retraites, radicalement solidaire et écologique, est possible. C’est dans de cette ambition que s’inscrivent cette note et les différentes propositions que celle-ci formule. Après une courte présentation des chiffres clés en matière de retraite nécessaires pour disposer d’une vue d’ensemble, la première partie sera consacrée à une analyse critique des réformes paramétriques qui se sont succédé de 1993 à 2013, de leurs sous-jacents politiques et de leurs impacts en particulier sur l’évolution du taux de remplacement des pensions (rapport entre la pension de retraite calculée au moment de la liquidation des droits et le dernier revenu d’activité perçu). Sous l’effet conjugué des différentes réformes paramétriques menées depuis le début des années 1990, il connaît une baisse continue. Il a perdu 10 points sur la période pour s’établir à 74% aujourd’hui. Pour la génération née en 2000, il serait de 53% ! Nous verrons aussi que les mesures d’allongement de la durée de cotisation et de recul de l’âge légal de départ à la retraite sont relativement inefficaces sur le taux d’emploi des seniors et plus particulièrement des personnes peu qualifiées souvent réduites à l’inactivité et à devoir dépendre des minima sociaux. La seconde partie s’intéressera au projet de réforme en cours et à ses conséquences. À l’appui des principales conclusions du dernier rapport du Comité d’orientation des retraites de septembre 2022, il sera démontré que, contrairement aux discours tenus par les promoteurs de la réforme en cours, la soutenabilité financière à long terme de notre système de retraite n’est pas remise en cause et que le risque de faillite n’est pas avéré. Nous verrons que cette réforme s’inscrit dans la logique des précédentes réformes, propose les mêmes mesures éculées et inégalitaires, remet en cause le principe même d’un système de retraite par répartition et vise en réalité le développement d’un système par capitalisation, fondé quant à lui sur l’épargne retraite, régi par les règles du marché et imposé par l’Union européenne. Elle entraînerait à terme une rupture de notre modèle de retraite par répartition. Dans une dernière séquence, plusieurs pistes de recommandations seront proposées. Elles s’inscrivent dans un cadre repensé en termes d’emploi des seniors et de droits à la retraite. Un « revenu d’engagement senior » offrirait une possibilité de seconde vie professionnelle aux seniors en contrepartie d’un projet à forte utilité sociale notamment dans les domaines de la reconstruction écologique et du « care » (aide à la personne et aux besoins élémentaires du quotidien). Il serait une réponse non marchande à la problématique de l’emploi des seniors. Une autre proposition est fondée sur la reconnaissance d’un droit à la retraite attaché à la personne et non plus à la carrière professionnelle. Enfin, des mesures de financement de notre système sont étudiées, non pour garantir la pérennité de notre système qui n’est pas en cause, mais pour des objectifs de justice sociale et en particulier pour mettre fin à cette baisse continue du taux de remplacement. Un dispositif fondé sur une cotisation retraite appliquée non plus sur la seule masse salariale mais sur l’intégralité de la valeur ajoutée est envisagé. Il assurerait une meilleure répartition des gains de productivité entre la rémunération du capital et du travail. Un prélèvement exceptionnel sur le montant des dividendes versés est proposé. Il viendrait abonder un fonds spécifique retraite. I- Une succession de réformes porteuses de plus d’inégalités Il est d’abord essentiel de rappeler les principales données chiffrées en matière de dépenses et de financement de notre système de retraite ainsi que les principales données « d’environnement » comme le taux d’emploi des seniors, les espérances de vie. Nous présenterons ensuite une rétrospective des réformes paramétriques engagées depuis les années 1980, décennie pivot marquant un véritable tournant en matière de dépenses sociales. Nous mettrons enfin en lumière les principales conséquences de ces réformes en particulier sur le montant des dépenses de retraite et sur l’évolution du taux de remplacement. 1.1 Les dépenses de retraites représentent 14 % du PIB avec un poids des régimes à prestations définies encore prédominant La part dans le PIB français des dépenses de protection sociale a sensiblement augmenté au cours des 60 dernières années. Elle était de 15% en 1960 pour atteindre en 2019 un peu plus de 30% du PIB. Cette proportion est relativement stable depuis les années 2010. Si les années 2020 et 2021 rendent compte d’une augmentation sensible de ces dépenses qui atteignent 33% du PIB, c’est en raison de dépenses exceptionnelles engagées dans le cadre de la crise du COVID. Les comptes de l’année 2020 enregistrent en particulier une charge exceptionnelle de 46 milliards, dont 27 au titre des seules mesures de chômage partiel. Ceux de 2021 sont encore impactés par les dépenses engagées au titre de la vaccination et des campagnes de dépistage. Les deux principaux « risques » couverts par ces dépenses de protection sociale sont, sans surprise, la vieillesse et la maladie à hauteur respectivement de 14% et de 11,3% de ce même PIB[1]. La France compte plus de 16 millions de retraités auxquels 330 milliards d’euros de pensions par an sont versés, ce chiffre incluant

Par Moutenet P., Adrianssens C., Neveu J., Montjotin P.

16 février 2023

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