Le coronavirus, des enseignements à tirer pour sortir d’une démocratie déjà confinée
L’apport de cette note tient au constat d’une démocratie[1] déjà confinée, appréhendée par les gouvernants dans sa dimension purement majoritaire et formaliste. L’épisode révélateur de l’organisation du premier tour des élections municipales à l’aune d’une crise sanitaire permet d’attester de la déconnexion des sphères politique et sociale. Il y a urgence à repenser un nouveau paradigme démocratique pour « l’après », à prévoir une ère de démocratie délibérative large à multiples niveaux, associant les citoyens et la société civile dans une logique englobante. I – Constater : une démocratie « en crise » déjà confinée « En même temps », ce leitmotiv présidentiel confus se révèle lourd de sens dans cette crise pandémique. Le maintien des élections municipales au sein de cette crise sanitaire en atteste aisément. Le premier tour des élections municipales en date du 15 mars n’a pas été reporté, pourtant, la veille du scrutin, le Premier ministre annonçait la fermeture de l’ensemble des lieux non essentiels à la vie de la nation. Les médecins en appellent au report face à un gouvernement aux propos antinomiques : « restez chez vous mais en même temps, allez voter ». Cet épisode, a priori anecdotique, constitue le parfait corollaire de la perception démocratique actuelle, une conception étroite et « confinée », purement formaliste. Quoi de plus révélateur d’une autonomisation exacerbée du champ politique conduisant à une isolation vis-à-vis de la sphère sociale ? Une réelle tension se joue alors car le citoyen se voit contraint de choisir entre acte politique et acte social : son devoir de voter d’un côté, son devoir de se protéger ainsi que ses pairs de l’autre. Sans grand étonnement, les élections municipales ont fait l’objet d’une abstention record s’élevant à plus de 55,25% contre 36,5% en 2014. Logiquement, ces maires ayant acquis leur élection de droit au premier tour par une majorité absolue des voix, la conserveront, tel en dispose la loi du 23 mars 2020 relative à l’État d’urgence sanitaire[2]. Il faut dire que le Conseil constitutionnel, juge du scrutin, fait d’ordinaire fi de ces considérations : l’abstention versus vote est un choix, celui de ne pas aller voter et ne peut emporter de conséquences sur le scrutin lui-même[3]. Or, et c’est tout le problème, ces circonstances exceptionnelles d’espèce entourant le vote ne font pas l’objet d’un choix citoyen consenti mais contraint : ne pas voter pour se protéger – soi, ses proches, les autres. La sincérité du scrutin peut dès lors être altérée dans cette « démocratie pandémique », l’égalité des citoyens devant le suffrage remise en cause. Une pétition en ligne, intitulée « Je n’ai pas pu choisir mon maire à cause du coronavirus », a déjà pu recueillir presque 13 000 signataires. Quoi qu’on en dise, la légitimité démocratique de ces « élus-covid » dès le premier tour est branlante, sans parler de ceux « post-covid », convoqués pour un second tour, éligibles par une déconnexion de plusieurs mois entre le premier et le second tour de scrutin, rendant « celui-ci » ou pourrait-on dire (après plusieurs mois) « ceux-là », insincères. Concrètement, c’est notre attachement à la démocratie que le coronavirus pointe : une démocratie majoritaire, où seule importe la capacité de gouverner, où seul le vote compte et prime, qu’importent les circonstances pandémiques ; malgré l’absence de visibilité du débat public obnubilé par la crise sanitaire et l’impossibilité vitale pour certains de se rendre aux urnes. La démocratie se conçoit uniquement comme un instrument de légitimation purement formel des gouvernants, l’essentiel étant la nomination d’exécutifs locaux à n’importe quel prix, faisant fi du reste. Cette conception hyper représentative et déconnectée du social n’échappe pas aux yeux des citoyens. La gestion de la crise en général, de même que l’avant ou l’après, relève du « clair-obscur ». Les derniers sondages du CEVIPOF[4] sont édifiants : 57% des français ont la vision d’une démocratie qui ne fonctionne pas bien contre 30% en Allemagne ou 26% au Royaume Uni. Surtout, 77% des français ont le sentiment que les gouvernants ne tiennent pas compte de leurs opinions contre 46% en Allemagne et 49% au Royaume-Uni. La gestion bonapartiste de la crise conduit à repenser la conception de la représentation à la française, qu’il s’agisse de l’inclusion du citoyen dans la gestion de crise, mais surtout de ses suites. Gardons-le à l’esprit, l’organisation des municipales, certes, constitue un dysfonctionnement démocratique important, mais cela ne fait que révéler un constat pré-établi : une démocratie strictement « majoritaire », coupée de ses citoyens. Paradoxalement, le discours du Premier ministre Édouard Philippe, en date du 28 avril dernier, sur le plan de déconfinement atteste même de cette démocratie purement formaliste envers les représentants : « Non. Les députés ne commentent pas : ils votent ». II – Repenser : l’urgence d’acter un paradigme démocratique dit « délibératif ». En réalité, cette démocratie de « crise » en « crise » s’enracine dans un besoin plus profond encore : celui d’un changement de paradigme démocratique, responsable de la crise de la représentation. Élire, mandater, obéir : la démocratie à la française se révèle l’archétype du système « top-down » par excellence. Ce type de démocratie revêt une forme représentative, élitiste, en déléguant aux seuls « présumés capables » la tâche de définir ce qu’est l’intérêt général. Dès lors, selon Francis Dupuis-Déri, l’élection s’apparenterait à une sorte de procédure d’auto-expropriation du peuple de son pouvoir, confié uniquement aux élus. Or, à l’ère du « netizen » (citoyen hyper-connecté), « l’assentiment populaire préalable ne suffit plus. La légitimité ne provient plus de l’organe mais du processus décisionnel lui-même ». Comme l’exprime à juste titre Bernard Manin, l’idéal « démocratique » moderne ne consiste plus en « la décision de tous mais dans la délibération de tous »[5]. Cette vision délibérative englobante de la démocratie, viendrait résoudre les critiques formulées par Clément Viktorovitch, politiste, à l’égard de l’institution parlementaire. Celui-ci a pu démontrer en effet que « les contradictions jacobines et sieyessiennes » mettent à mal, dans son fondement même, la légitimité du Parlement sous plusieurs aspects : d’une part, « tout en prétendant incarner l’unité derrière l’intérêt général, le Parlement institutionnalise le pluralisme » et donc serait vecteur de « plusieurs interprétations incompatibles de la volonté populaire »[6].
Par Toudic B.
15 mai 2020