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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Paul Montjotin

Biographie

Diplômé de Sciences Po, Paul est enseignant en questions sociales et travaille dans le secteur de la formation et l’emploi.

Notes publiées

Négocier la transition écologique : du dialogue social au dialogue écologique

En mai 2022, le discours de huit étudiants d’AgroParisTech lors de leur cérémonie de remise de diplôme invitant leurs camarades de promotion à « déserter » les emplois « destructeurs » a mis une nouvelle fois en lumière la défiance croissante des jeunes diplômés à l’égard des entreprises. Une défiance nouvelle incarnée également par le Manifeste étudiant pour un réveil écologique signé par plus de 30 000 étudiants. Ces interpellations, signaux faibles d’une crise du travail qui traverse notre société, soulèvent une question majeure : comment réellement transformer les entreprises pour préserver les conditions de vie sur terre ? Si le discours des étudiants d’AgroParisTech a rencontré un écho important, c’est parce que la question écologique est indissociable de celle du travail. L’impératif écologique met aujourd’hui en lumière l’impasse d’un modèle de régulation du travail, hérité de la révolution industrielle, qui a évacué du champ de la négociation collective l’objet et la finalité du travail. C’est sur cet effacement de la finalité du travail, du seul ressort de l’employeur, que s’est construite la société salariale à la fin du XIXe siècle, réduisant le progrès social à des termes quantitatifs liés à la rémunération, au temps et aux conditions de travail. Ce modèle de régulation, aveugle à l’empreinte du travail sur notre environnement, nécessite désormais d’être repensé à l’aune de l’impératif écologique. Alors que l’urgence climatique s’est installée au cœur du débat public depuis quelques années, la transition écologique n’est appréhendée qu’à travers le prisme de l’État et de la « planification écologique » incarné par la création en 2022 du Secrétariat général pour la planification écologique (SGPE). La question de la transformation écologique des entreprises apparaît encore délaissée alors qu’elle constitue un levier d’action décisif. Or la transformation de l’appareil productif ne peut se décréter simplement par des lois mais implique de nouer, par la négociation collective, de nouveaux équilibres économiques et sociaux adaptés aux spécificités de chaque secteur d’activité. Face à l’impératif écologique, les relations collectives de travail qui se sont construites autour de l’objectif de sécurité économique et matérielle, doivent désormais intégrer l’enjeu de responsabilité environnementale. Conçu pour prendre en charge la révolution industrielle, le droit du travail peut constituer demain un formidable levier d’action pour réussir la transition écologique. Si une initiative telle que la Convention des entreprises pour le climat[1] témoigne d’un engagement réel des directions d’entreprises, faire de la question écologique un sujet de dialogue social est la seule garantie que ces transformations ne s’effectuent pas au détriment des salariés. À cet égard, une dynamique nouvelle semble à l’œuvre. À l’échelle nationale d’abord, la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 a, pour la première fois, conféré des prérogatives écologiques aux représentants des salariés en entreprises. Par ailleurs, les organisations professionnelles tentent de s’emparer des questions écologiques. Un premier accord de branche sur la transition écologique a ainsi été conclu le 17 octobre 2023[2] dans le secteur pharmaceutique. Signé par les syndicats représentatifs (CFDT, FO, CFTC, UNSA) et le syndicat de l’industrie pharmaceutique (LEEM), cet accord impose des obligations nouvelles en matière écologique aux entreprises du secteur. L’intégration des questions écologiques dans le dialogue social à tous les niveaux apparaît comme une nécessité pour réussir la transformation écologique des entreprises. Pour ce faire, cette note formule des propositions fortes, dans le prolongement de la loi « Climat et résilience », pour faire de l’impératif écologique un sujet de dialogue social à part entière.  Père fondateur du dialogue social en entreprise, l’ancien ministre du Travail de François Mitterrand, Jean Auroux, affirmait que « l’entreprise ne peut plus être le lieu du bruit et du silence des hommes ». Face à l’urgence écologique, l’entreprise ne peut désormais plus être le lieu de la destruction du vivant et du silence des hommes. C’est le sens de l’ensemble des propositions qui sont ici formulées pour faire de l’urgence écologique un véritable sujet de dialogue social. 1. L’impératif écologique, grand absent du dialogue social Si la loi « Climat et résilience » a pour la première fois étendu le champ de compétence des comités sociaux et économiques (CSE) aux questions écologiques, force est de constater que ce cadre reste insuffisant pour faire émerger un véritable dialogue social en matière écologique. C’est d’ailleurs ce que souligne une enquête réalisée par Syndex auprès de représentants du personnel en 2023[3] : si 79 % des représentants du personnel ont connaissance des prérogatives environnementales des CSE, 83 % d’entre eux estiment qu’il n’existe peu ou pas de dialogue social sur les questions écologiques dans leur entreprise. Seuls 15 % estiment aujourd’hui qu’il y en a suffisamment. Cette absence de dialogue social sur les questions écologiques tient à la limite des prérogatives des CSE en la matière, et plus largement à l’absence d’espace de discussion comme de moyens spécifiques dédiés aux questions écologiques. Si les représentants du personnel disposent désormais de compétences réelles en matière écologique, ces derniers souffrent d’un manque de temps comme de moyens dédiés pour s’emparer véritablement de ces sujets. a. Le dialogue social, une conquête politique récente Alors que plus de 88 000 accords collectifs en entreprise ont été conclus en 2022, le dialogue social en entreprise est un acquis récent. Jusqu’en 1982 et l’adoption des « lois Auroux », le dialogue social n’avait lieu que lorsque les entreprises étaient confrontées à des conflits sociaux. Aspirant à faire des salariés des « citoyens à part entière dans l’entreprise », le ministre du Travail Jean Auroux engage alors une réforme profonde du droit du travail qui oblige, pour la première fois, les entreprises à négocier chaque année avec les représentants du personnel sur l’évolution des salaires, du temps de travail et des conditions de travail ; sans obligation toutefois de devoir conclure un accord.  La loi du 13 novembre 1982 marque ainsi un changement de paradigme : alors que les négociations en entreprise avaient auparavant principalement vocation à mettre fin à des conflits sociaux pouvant prendre la forme de grèves, l’instauration des négociations obligatoires à partir de 1982 contraint soudain les employeurs et les représentants des salariés à dialoguer « à froid » et négocier des accords collectifs. L’absence de dialogue social en matière

Par Bozonnet C., Montjotin P.

18 novembre 2024

Vers une sécurité sociale de l’alimentation

Introduction : L’alimentation, au cœur des préoccupations des Français Filmées par le média Brut pendant la pandémie de Covid-19, les images de l’interminable file d’attente d’étudiants lors d’une distribution alimentaire organisée par l’association Linkee dans le XIIIe arrondissement de Paris avaient marqué la réémergence de l’alimentation comme une urgence nationale[1]. La crise sanitaire passée, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a continué de progresser sur fond d’inflation des prix alimentaires pour atteindre un niveau record de 2,4 millions de bénéficiaires d’après le réseau des banques alimentaires[2]. Pour elles, l’aide alimentaire est souvent un moyen de pouvoir tout simplement manger à leur faim, alors que « le système alimentaire, de la production jusqu’à la consommation, dysfonctionne totalement, ne répondant à aucune promesse »[3]. Elle est aussi perçue par 86 % des bénéficiaires comme indispensable pour manger de manière saine et équilibrée. Plus largement, les études convergent pour dire que ce sont près de 8 millions de personnes qui vivent dans la précarité alimentaire en France, soit plus d’un français sur dix[4]. Plus largement encore, 55 % des Français considèrent aujourd’hui qu’il est trop cher de manger équilibré[5]. L’accessibilité de l’alimentation étant une source de tensions, le sujet a trouvé une place nouvelle dans le débat public. Dès 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat a retenu parmi ses propositions celle du « chèque alimentaire », prenant la forme d’une aide mensuelle aux plus modestes fléchée sur l’achat d’aliments durables et issus de l’agriculture biologique. C’est une forme embryonnaire de sécurité sociale alimentaire à grande échelle. Le président de la République a repris à son compte cette proposition lors des élections présidentielles de 2022, avant de l’abandonner en 2023[6]. L’élection présidentielle de 2022 a aussi été largement marquée par l’enjeu de l’alimentation puisque le positionnement des candidats sur la consommation de produits carnés a cristallisé de manière inattendue la campagne. Malheureusement réduit médiatiquement à une caricaturale opposition entre France du « bifteck »[7] et France du « quinoa »[8], ce débat présentait au contraire des enjeux majeurs et sérieux, dont nous tentons de démontrer ici qu’ils peuvent trouver des réponses rassembleuses, écologiques et solidaires. Puis, l’inflation historique des prix des produits alimentaires en 2022 et 2023, notamment du fait de la hausse des coûts de l’énergie, de la guerre en Ukraine et de l’action à contre-emploi de certains grands groupes du secteur[9], a replacé l’alimentation au second rang des postes de dépense du budget des foyers français[10]. L’alimentation est revenue au premier plan de manière spectaculaire début 2024 avec la colère des agriculteurs, exprimant leurs difficultés à vivre de leur travail. Les violences alimentaires touchent bien les deux extrémités de la chaîne de valeur : de la fourche à la fourchette. Les Français s’y sont montrés particulièrement sensibles et se sont rangés avec une rare unanimité du côté des agriculteurs, 90 % d’entre eux affirmant soutenir leur action[11]. C’est que « bien manger » a de nombreuses significations pour les Français. Même si la place de l’alimentation dans nos vies est propre à chacune de nos cultures, sa place centrale pour notre santé est bien définie par le concept « One Health[12] », développé par l’ONU au début des années 2000, qui promeut une approche intégrée et systémique de la santé publique, animale et environnementale à toutes les échelles. Le contenu de nos assiettes a ainsi des effets directs sur la santé publique mondiale et sur la santé de la planète. « Bien manger » est d’abord pour chacun d’entre nous une priorité pour le bien-être individuel. La corrélation entre l’alimentation et la santé est de mieux en mieux identifiée par la population, y compris par celle qui n’a pas les possibilités de manger équilibré. C’est d’ailleurs ce que démontre le succès de l’application française Yuka, permettant de scanner le code barre d’un produit alimentaire pour connaître les effets sur la santé et qui revendique plus de 16 millions d’utilisateurs en France. « Bien manger », c’est aussi une ambition pour les autres. Créer les conditions pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail s’est affirmé comme un enjeu populaire, ce qu’on retrouve par exemple avec le succès des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). Pour les autres aussi, car partager un repas en famille et entre amis est perçu comme une activité de partage et de lien social importante[13]. C’est également un moment de plaisir, de découverte et de maintien des traditions. « Bien manger », c’est enfin une urgence pour la planète. Le GIEC estime que le système alimentaire au sens large est directement et indirectement responsable de 21 % à 37 % des gaz à effet de serre (l’élevage étant une des principales causes)[14]. Mais par où commencer pour répondre à toutes ces questions à la fois et permettre à chacun d’entre nous de bien manger ? Les défis à relever sont vitaux et enchevêtrés. Ils concernent très directement notre santé, le lien social, la lutte contre la précarité et l’habitabilité de notre planète. Seule une proposition réformiste radicale, solutionnant les difficultés en les envisageant à leurs racines, permettra de réellement faire face aux multiples défis auxquels nous sommes confrontés. C’est pourquoi, la réflexion au menu de cette note s’inscrit dans la perspective d’un changement en profondeur de notre système alimentaire. La sécurité sociale alimentaire consiste à socialiser le bien commun qu’est l’alimentation à travers la création d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale. Elle constitue donc un changement majeur pour toute l’organisation de la société. Cette proposition a déjà fait l’objet de modélisations économiques. Elle émerge dans le débat public mais elle est parfois réduite à une carte vitale alimentaire ou à son coût élevé. Nous contribuons au débat en développant ici un chemin progressif pour avancer vers une sécurité sociale alimentaire. Cela passe d’abord par un investissement public en faveur de l’éducation alimentaire, afin de reconstruire une « culture alimentaire » donnant davantage d’outils à la population pour savoir bien se nourrir. Nous portons aussi le développement d’un fonds d’expérimentation pour les initiatives locales, une réflexion sur

Par Adrianssens C., Montjotin P., Hégly M.

14 octobre 2024

Pour un ministère du Temps libéré

Note présentée dans le cadre du Festival des idées, Le 8 juillet 2023, à La-Charité-sur-Loire Introduction « La retraite avant l’arthrite », « Ne pas perdre sa vie à la gagner »… Les slogans de la mobilisation contre la réforme des retraites ont été nourris de références au refus du sacrifice d’un temps de vie « pour soi » par l’allongement de l’âge de départ en retraites à 64 ans. La réforme des retraites a soulevé la question de la place du travail dans nos vies et plus profondément encore celle du temps de vie à notre disposition, une fois soustrait le temps passé au travail. En effet, tout se passe comme si la réforme des retraites avait rappelé à notre société la valeur du temps personnel. Probablement que les graines de cette réflexion avaient été semées lors de l’arrêt du travail pendant le confinement et avec le développement du télétravail. Le rapport des Français au travail semble en tout cas avoir profondément changé : c’est ce que révèle une enquête de l’IFOP[1] menée en octobre 2022 selon laquelle 21 % des Français considèrent le travail comme très important, soit trois fois moins qu’en 1990. Ce constat appelle logiquement une réflexion sur le réaménagement du temps de travail, par exemple avec la semaine de quatre jours (voir la note de l’Institut Rousseau sur ce sujet[2]). Il mène aussi à une réflexion d’accompagnement, de protection et de valorisation du temps libre de chacun d’entre nous. C’est que depuis plusieurs décennies, et malgré les gains de productivité, le travail semble avoir pris une place croissante dans nos vies, au détriment de notre temps personnel. C’est le fruit d’évolutions politiques (comme souligné par François Ruffin dans son dernier livre Le Temps d’apprendre à vivre[3]), d’évolutions du monde du travail, des outils numériques et du management (comme l’ont mis en lumière Dominique Méda et Bruno Palier notamment[4]), et aussi de l’emballement productif[5] d’une société de la surconsommation. Au global, c’est l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle qui est bouleversé. Ces évolutions se font dans le contexte d’avancées technologiques qui génèrent une « accélération du temps »[6], telle que formulée par Hartmut Rosa. Selon lui, cette accélération s’articule autour de trois facteurs[7] : l’innovation technique (qui notamment comprime l’espace et multiplie la nécessité de communiquer), un accroissement des rythmes sociaux et culturels, et enfin une augmentation des rythmes de vie prenant la forme d’une densification des tâches à réaliser et donc un sentiment d’urgence permanent. Ces effets sont particulièrement visibles dans le monde du travail comme on le verra ci-dessous. Ils créent une corrélation entre d’un côté une meilleure productivité au travail grâce à la modernité, qui fait gagner du temps, et pourtant une sensation de manque de temps. De plus, le temps individuel semble de plus en plus déconnecté du temps collectif à travers une forme de désynchronisation des rythmes de vie[8]. La nouveauté de la situation actuelle repose également sur la valeur du temps à l’aune du dérèglement de la planète. L’urgence climatique nous impose que le temps disponible ne soit pas en contradiction avec ce défi qui constitue, lui aussi, une course contre la montre. De fait, le temps libéré interroge l’équation entre croissance, soutenabilité écologique et temps de travail. Dans cette perspective, nous proposons la création d’un ministère du Temps libéré, ministère de plein exercice qui aurait la charge de coordonner une véritable politique publique d’accompagnement du temps libéré. Par « temps libéré », nous entendons tout le temps libre, c’est-à-dire qui n’est pas contraint. Ce temps peut être contraint par le travail au sens classique du terme, en pensant plus particulièrement au travail salarié qui représente 37 heures par semaine en moyenne[9]. Le travail salarié reste aujourd’hui la forme d’activité majoritaire et nous semble la plus souhaitable. C’est à ce titre que nous le privilégions dans cette note, qui prendra nécessairement moins en compte les personnes inactives, les demandeurs d’emploi, les travailleurs non-salariés et les travailleurs à temps partiel. Il apparaît néanmoins souhaitable de donner autant que possible une dimension universelle à cette politique du temps libéré pour en permettre le bénéfice à tous, quelle que soit la situation professionnelle. Le temps est également contraint par les trajets domicile-travail qui représentent environ 50 minutes par jour en moyenne (principalement en voiture)[10] ou encore par le « travail domestique ». Nous faisons le choix, dans le prolongement de certains sociologues (notamment Pierre Bourdieu[11]), de considérer les tâches domestiques et administratives, souvent réalisées par les femmes, comme un travail à part entière. Par définition, le travail domestique et administratif est multiple (faire les courses, aller chercher les enfants, tenir les comptes, prendre les rendez-vous médicaux, régler les factures…). Cette définition fait immédiatement apparaitre des inégalités dans la répartition du temps disponible. Inégalités de classe, inégalités territoriales et inégalités de genre en particulier. Ces inégalités nous amènent à considérer le temps comme un « capital temporel »[12] inégalement réparti et qu’il s’agira de mieux redistribuer. En positif, nous considérons comme « temps libéré » le « temps pour soi »[13], quelle que soit l’utilisation qui en est faite. Passer du temps avec ses petits-enfants, faire du sport, jardiner, regarder une série à la maison, ne rien faire… Toutes ces activités constituent  du temps utilisé librement pour soi. Pour autant, ce temps libre peut également être mis au service des autres. Comme le soulignait André Henry, ministre du Temps libre, « Le temps libre, ce n’est pas seulement les loisirs, c’est aussi la culture et la vie citoyenne, l’engagement citoyen pour la République »[14]. Cet engagement n’a pas besoin d’être formalisé. Pour autant et sans l’imposer, nous pensons qu’il est nécessaire de créer les conditions que le temps libéré soit profitable à l’ensemble de la société et au climat par l’engagement citoyen dans sa forme institutionnelle. À l’aune de ces enjeux, le rapport au temps constitue l’une des préoccupations les plus concrètes au quotidien pour les Français. Alors que l’offre politique française et européenne est en pleine mutation, un réformisme « radical » en prise avec le quotidien de nos concitoyens semble plus que jamais nécessaire. C’est dans cette perspective que nous versons dans le débat public la proposition d’un ministère du

Par Montjotin P., Adrianssens C.

28 juillet 2023

Négocier la transition écologique : du dialogue social au dialogue écologique

En mai 2022, le discours de huit étudiants d’AgroParisTech lors de leur cérémonie de remise de diplôme invitant leurs camarades de promotion à « déserter » les emplois « destructeurs » a mis une nouvelle fois en lumière la défiance croissante des jeunes diplômés à l’égard des entreprises. Une défiance nouvelle incarnée également par le Manifeste étudiant pour un réveil écologique signé par plus de 30 000 étudiants. Ces interpellations, signaux faibles d’une crise du travail qui traverse notre société, soulèvent une question majeure : comment réellement transformer les entreprises pour préserver les conditions de vie sur terre ? Si le discours des étudiants d’AgroParisTech a rencontré un écho important, c’est parce que la question écologique est indissociable de celle du travail. L’impératif écologique met aujourd’hui en lumière l’impasse d’un modèle de régulation du travail, hérité de la révolution industrielle, qui a évacué du champ de la négociation collective l’objet et la finalité du travail. C’est sur cet effacement de la finalité du travail, du seul ressort de l’employeur, que s’est construite la société salariale à la fin du XIXe siècle, réduisant le progrès social à des termes quantitatifs liés à la rémunération, au temps et aux conditions de travail. Ce modèle de régulation, aveugle à l’empreinte du travail sur notre environnement, nécessite désormais d’être repensé à l’aune de l’impératif écologique. Alors que l’urgence climatique s’est installée au cœur du débat public depuis quelques années, la transition écologique n’est appréhendée qu’à travers le prisme de l’État et de la « planification écologique » incarné par la création en 2022 du Secrétariat général pour la planification écologique (SGPE). La question de la transformation écologique des entreprises apparaît encore délaissée alors qu’elle constitue un levier d’action décisif. Or la transformation de l’appareil productif ne peut se décréter simplement par des lois mais implique de nouer, par la négociation collective, de nouveaux équilibres économiques et sociaux adaptés aux spécificités de chaque secteur d’activité. Face à l’impératif écologique, les relations collectives de travail qui se sont construites autour de l’objectif de sécurité économique et matérielle, doivent désormais intégrer l’enjeu de responsabilité environnementale. Conçu pour prendre en charge la révolution industrielle, le droit du travail peut constituer demain un formidable levier d’action pour réussir la transition écologique. Si une initiative telle que la Convention des entreprises pour le climat[1] témoigne d’un engagement réel des directions d’entreprises, faire de la question écologique un sujet de dialogue social est la seule garantie que ces transformations ne s’effectuent pas au détriment des salariés. À cet égard, une dynamique nouvelle semble à l’œuvre. À l’échelle nationale d’abord, la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 a, pour la première fois, conféré des prérogatives écologiques aux représentants des salariés en entreprises. Par ailleurs, les organisations professionnelles tentent de s’emparer des questions écologiques. Un premier accord de branche sur la transition écologique a ainsi été conclu le 17 octobre 2023[2] dans le secteur pharmaceutique. Signé par les syndicats représentatifs (CFDT, FO, CFTC, UNSA) et le syndicat de l’industrie pharmaceutique (LEEM), cet accord impose des obligations nouvelles en matière écologique aux entreprises du secteur. L’intégration des questions écologiques dans le dialogue social à tous les niveaux apparaît comme une nécessité pour réussir la transformation écologique des entreprises. Pour ce faire, cette note formule des propositions fortes, dans le prolongement de la loi « Climat et résilience », pour faire de l’impératif écologique un sujet de dialogue social à part entière.  Père fondateur du dialogue social en entreprise, l’ancien ministre du Travail de François Mitterrand, Jean Auroux, affirmait que « l’entreprise ne peut plus être le lieu du bruit et du silence des hommes ». Face à l’urgence écologique, l’entreprise ne peut désormais plus être le lieu de la destruction du vivant et du silence des hommes. C’est le sens de l’ensemble des propositions qui sont ici formulées pour faire de l’urgence écologique un véritable sujet de dialogue social. 1. L’impératif écologique, grand absent du dialogue social Si la loi « Climat et résilience » a pour la première fois étendu le champ de compétence des comités sociaux et économiques (CSE) aux questions écologiques, force est de constater que ce cadre reste insuffisant pour faire émerger un véritable dialogue social en matière écologique. C’est d’ailleurs ce que souligne une enquête réalisée par Syndex auprès de représentants du personnel en 2023[3] : si 79 % des représentants du personnel ont connaissance des prérogatives environnementales des CSE, 83 % d’entre eux estiment qu’il n’existe peu ou pas de dialogue social sur les questions écologiques dans leur entreprise. Seuls 15 % estiment aujourd’hui qu’il y en a suffisamment. Cette absence de dialogue social sur les questions écologiques tient à la limite des prérogatives des CSE en la matière, et plus largement à l’absence d’espace de discussion comme de moyens spécifiques dédiés aux questions écologiques. Si les représentants du personnel disposent désormais de compétences réelles en matière écologique, ces derniers souffrent d’un manque de temps comme de moyens dédiés pour s’emparer véritablement de ces sujets. a. Le dialogue social, une conquête politique récente Alors que plus de 88 000 accords collectifs en entreprise ont été conclus en 2022, le dialogue social en entreprise est un acquis récent. Jusqu’en 1982 et l’adoption des « lois Auroux », le dialogue social n’avait lieu que lorsque les entreprises étaient confrontées à des conflits sociaux. Aspirant à faire des salariés des « citoyens à part entière dans l’entreprise », le ministre du Travail Jean Auroux engage alors une réforme profonde du droit du travail qui oblige, pour la première fois, les entreprises à négocier chaque année avec les représentants du personnel sur l’évolution des salaires, du temps de travail et des conditions de travail ; sans obligation toutefois de devoir conclure un accord.  La loi du 13 novembre 1982 marque ainsi un changement de paradigme : alors que les négociations en entreprise avaient auparavant principalement vocation à mettre fin à des conflits sociaux pouvant prendre la forme de grèves, l’instauration des négociations obligatoires à partir de 1982 contraint soudain les employeurs et les représentants des salariés à dialoguer « à froid » et négocier des accords collectifs. L’absence de dialogue social en matière

Par Bozonnet C., Montjotin P.

16 février 2023

Vers une sécurité sociale de l’alimentation

Introduction : L’alimentation, au cœur des préoccupations des Français Filmées par le média Brut pendant la pandémie de Covid-19, les images de l’interminable file d’attente d’étudiants lors d’une distribution alimentaire organisée par l’association Linkee dans le XIIIe arrondissement de Paris avaient marqué la réémergence de l’alimentation comme une urgence nationale[1]. La crise sanitaire passée, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a continué de progresser sur fond d’inflation des prix alimentaires pour atteindre un niveau record de 2,4 millions de bénéficiaires d’après le réseau des banques alimentaires[2]. Pour elles, l’aide alimentaire est souvent un moyen de pouvoir tout simplement manger à leur faim, alors que « le système alimentaire, de la production jusqu’à la consommation, dysfonctionne totalement, ne répondant à aucune promesse »[3]. Elle est aussi perçue par 86 % des bénéficiaires comme indispensable pour manger de manière saine et équilibrée. Plus largement, les études convergent pour dire que ce sont près de 8 millions de personnes qui vivent dans la précarité alimentaire en France, soit plus d’un français sur dix[4]. Plus largement encore, 55 % des Français considèrent aujourd’hui qu’il est trop cher de manger équilibré[5]. L’accessibilité de l’alimentation étant une source de tensions, le sujet a trouvé une place nouvelle dans le débat public. Dès 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat a retenu parmi ses propositions celle du « chèque alimentaire », prenant la forme d’une aide mensuelle aux plus modestes fléchée sur l’achat d’aliments durables et issus de l’agriculture biologique. C’est une forme embryonnaire de sécurité sociale alimentaire à grande échelle. Le président de la République a repris à son compte cette proposition lors des élections présidentielles de 2022, avant de l’abandonner en 2023[6]. L’élection présidentielle de 2022 a aussi été largement marquée par l’enjeu de l’alimentation puisque le positionnement des candidats sur la consommation de produits carnés a cristallisé de manière inattendue la campagne. Malheureusement réduit médiatiquement à une caricaturale opposition entre France du « bifteck »[7] et France du « quinoa »[8], ce débat présentait au contraire des enjeux majeurs et sérieux, dont nous tentons de démontrer ici qu’ils peuvent trouver des réponses rassembleuses, écologiques et solidaires. Puis, l’inflation historique des prix des produits alimentaires en 2022 et 2023, notamment du fait de la hausse des coûts de l’énergie, de la guerre en Ukraine et de l’action à contre-emploi de certains grands groupes du secteur[9], a replacé l’alimentation au second rang des postes de dépense du budget des foyers français[10]. L’alimentation est revenue au premier plan de manière spectaculaire début 2024 avec la colère des agriculteurs, exprimant leurs difficultés à vivre de leur travail. Les violences alimentaires touchent bien les deux extrémités de la chaîne de valeur : de la fourche à la fourchette. Les Français s’y sont montrés particulièrement sensibles et se sont rangés avec une rare unanimité du côté des agriculteurs, 90 % d’entre eux affirmant soutenir leur action[11]. C’est que « bien manger » a de nombreuses significations pour les Français. Même si la place de l’alimentation dans nos vies est propre à chacune de nos cultures, sa place centrale pour notre santé est bien définie par le concept « One Health[12] », développé par l’ONU au début des années 2000, qui promeut une approche intégrée et systémique de la santé publique, animale et environnementale à toutes les échelles. Le contenu de nos assiettes a ainsi des effets directs sur la santé publique mondiale et sur la santé de la planète. « Bien manger » est d’abord pour chacun d’entre nous une priorité pour le bien-être individuel. La corrélation entre l’alimentation et la santé est de mieux en mieux identifiée par la population, y compris par celle qui n’a pas les possibilités de manger équilibré. C’est d’ailleurs ce que démontre le succès de l’application française Yuka, permettant de scanner le code barre d’un produit alimentaire pour connaître les effets sur la santé et qui revendique plus de 16 millions d’utilisateurs en France. « Bien manger », c’est aussi une ambition pour les autres. Créer les conditions pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail s’est affirmé comme un enjeu populaire, ce qu’on retrouve par exemple avec le succès des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). Pour les autres aussi, car partager un repas en famille et entre amis est perçu comme une activité de partage et de lien social importante[13]. C’est également un moment de plaisir, de découverte et de maintien des traditions. « Bien manger », c’est enfin une urgence pour la planète. Le GIEC estime que le système alimentaire au sens large est directement et indirectement responsable de 21 % à 37 % des gaz à effet de serre (l’élevage étant une des principales causes)[14]. Mais par où commencer pour répondre à toutes ces questions à la fois et permettre à chacun d’entre nous de bien manger ? Les défis à relever sont vitaux et enchevêtrés. Ils concernent très directement notre santé, le lien social, la lutte contre la précarité et l’habitabilité de notre planète. Seule une proposition réformiste radicale, solutionnant les difficultés en les envisageant à leurs racines, permettra de réellement faire face aux multiples défis auxquels nous sommes confrontés. C’est pourquoi, la réflexion au menu de cette note s’inscrit dans la perspective d’un changement en profondeur de notre système alimentaire. La sécurité sociale alimentaire consiste à socialiser le bien commun qu’est l’alimentation à travers la création d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale. Elle constitue donc un changement majeur pour toute l’organisation de la société. Cette proposition a déjà fait l’objet de modélisations économiques. Elle émerge dans le débat public mais elle est parfois réduite à une carte vitale alimentaire ou à son coût élevé. Nous contribuons au débat en développant ici un chemin progressif pour avancer vers une sécurité sociale alimentaire. Cela passe d’abord par un investissement public en faveur de l’éducation alimentaire, afin de reconstruire une « culture alimentaire » donnant davantage d’outils à la population pour savoir bien se nourrir. Nous portons aussi le développement d’un fonds d’expérimentation pour les initiatives locales, une réflexion sur

Par Adrianssens C., Montjotin P., Hégly M.

16 février 2023

Travaux externes

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