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Paul Marcelin

Biographie

Pseudonyme d’un haut fonctionnaire.

Notes publiées

Notre système de santé après le covid-19 : réussir le changement de paradigme

Depuis le début de l’épidémie de covid-19, le Président de la République s’est engagé à plusieurs reprises à un effort massif en faveur de l’hôpital public et des soignants. Le directeur général de l’ARS Grand Est a été limogé pour avoir affirmé que la restructuration du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy se poursuivrait comme prévu et le ministre de la Santé s’est engagé à suspendre toutes les réorganisations. Un aggiornamento des politiques de santé semble donc à l’ordre du jour, mais ses contours demeurent très flous. La note de la Caisse des dépôts et consignations récemment dévoilée par Médiapart montre qu’il pourrait tout aussi bien ressembler à une accentuation des dérives antérieures, notamment le recours accru aux partenariats public-privé [1]. L’opportunité de renforcer notre système de santé ne peut être saisie que si l’on dégage une vision claire des maux qui l’affectaient avant la crise et de la manière dont celle-ci nous impose de redéfinir nos priorités.  La question décisive est celle du changement de paradigme. Depuis trente ans, le paradigme dominant des réformes était celui de la productivité, c’est-à-dire la production du soin à un coût maîtrisé, se traduisant par des impératifs comme ceux de la maîtrise des dépenses de l’assurance-maladie, de l’incitation des hôpitaux à la productivité et du « virage ambulatoire » (faire de plus en plus d’interventions sans hospitalisation). Il faut se défier de tout manichéisme et toutes les évolutions antérieures ne sont pas nécessairement condamnables ; mais force est de constater qu’elles ont rendu notre système de santé bien plus fragile, avec des inégalités croissantes et une crise sociale dans le personnel soignant.  Si l’on ne veut pas que l’après-crise se réduise à un coup de pouce temporaire, il faut réussir le passage à un paradigme nouveau, celui de la santé publique, c’est-à-dire de la recherche du plus haut niveau de santé de la population.    Table des matières  1. La productivité, paradigme dominant de l’avant-crise 1.1. La maîtrise des dépenses, impératif premier 1.2. La recherche délétère de l’hôpital-entreprise 1.3. Des inégalités territoriales et sociales timidement combattues 2. Ce que révèle ou confirme le Covid-19 2.1. Un hôpital public fragilisé mais qui tient le choc 2.2. Une culture de santé publique défaillante 2.3. Une médecine de ville désorganisée et négligée 2.4. Des fragilités intolérables dans l’approvisionnement en médicaments 3. Comment réformer selon un paradigme de santé publique 3.1. Pour un primat des politiques de résilience de la société 3.2. Comment donner enfin la priorité à la santé publique 3.3. Sortir de la T2A pour financer l’hôpital en fonction des besoins de la population 3.4. Fonder la qualité des soins sur la considération envers les soignants et l’ensemble des personnels hospitaliers 3.5. Réorganiser les soins de premier recours pour mieux répondre aux besoins de la population   1. La productivité, paradigme dominant de l’avant-crise 1.1. La maîtrise des dépenses, impératif premier S’il fallait résumer les politiques de santé à un acronyme, ce serait sans hésiter « ONDAM », pour « objectif national des dépenses d’assurance-maladie ». Créé en 1996 dans le cadre du plan Juppé, voté chaque année par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), l’ONDAM est le budget de l’assurance-maladie et le symbole d’une « gouvernance par les nombres » [2] du système de santé. Lorsque le Président de la République a annoncé sa stratégie de transformation du système de santé en septembre 2018, l’annonce phare a été l’augmentation du taux de progression de l’ONDAM de 2,3 à 2,5 %…  1 % d’augmentation de l’ONDAM équivaut à plus de 2 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Alors que l’ONDAM voté par le Parlement était fréquemment dépassé durant ses premières années d’existence, il est strictement respecté depuis 2010, à un niveau historiquement faible compris entre 2 et 2,5 % par an. Il a été en 2019 de 218,7 milliards d’euros. Source : Association Fipeco.  Cette maîtrise, dont les ministres de la Santé ne manquent pas de se féliciter, repose sur des instruments de régulation qui pèsent de manière disproportionnée sur l’hôpital. En début d’année, une partie des crédits réservés aux hôpitaux est « gelé » comme réserve de précaution. Les dépenses de soins de ville dépassant régulièrement l’objectif, les crédits gelés sont annulés pour compenser et ne bénéficient donc jamais aux hôpitaux. Selon le Sénat [3], ce sont ainsi au total 3 milliards d’euros votés par le Parlement dont les hôpitaux n’ont pas bénéficié sur la période 2010-2018. Ces annulations de crédits contribuent en bonne partie aux déficits hospitaliers, qui ont abouti à la constitution d’une dette de 30 milliards d’euros aujourd’hui.   1.2. La recherche délétère de l’hôpital-entreprise Au hit-parade des acronymes, la « T2A », ou « tarification à l’activité », viendrait sans doute immédiatement après l’ONDAM sur le podium. Lancée en 2004 et pleinement appliquée depuis 2008 [4], la T2A consiste à attribuer un tarif défini nationalement à chaque acte ou type de soins (classés en « groupes homogènes de soins » ou « GHS ») réalisé par un hôpital ou une clinique privée. Le budget de l’établissement est la résultante de l’application de ces tarifs à son activité, connue de manière très fine grâce au codage de chaque acte dans le cadre du « PMSI » (programme médicalisé des systèmes d’information). Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la T2A n’est pas un outil de maîtrise des dépenses de santé : l’ancien système du « budget global », qui consistait à appliquer chaque année au budget de l’établissement un taux d’augmentation, permettait déjà d’assurer cette maîtrise. La T2A est un outil de répartition du budget, défini nationalement dans le cadre de l’ONDAM, en fonction de la productivité : plus un établissement réalise de soins, plus il bénéficiera d’un budget important. Ou du moins limitera sa diminution, car en cas de dépassement des prévisions d’activité, le ministère de la Santé baissera les tarifs afin de tenir l’ONDAM : comme Alice au pays des merveilles [5], l’hôpital doit courir de plus en plus vite pour ne pas reculer !  Lorsqu’elle était ministre de la Santé, Agnès Buzyn avait annoncé la fin de cette logique de l’hôpital-entreprise. Mais dans les

Par Marcelin P.

3 mai 2020

Notre système de santé après le covid-19 : réussir le changement de paradigme

Depuis le début de l’épidémie de covid-19, le Président de la République s’est engagé à plusieurs reprises à un effort massif en faveur de l’hôpital public et des soignants. Le directeur général de l’ARS Grand Est a été limogé pour avoir affirmé que la restructuration du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy se poursuivrait comme prévu et le ministre de la Santé s’est engagé à suspendre toutes les réorganisations. Un aggiornamento des politiques de santé semble donc à l’ordre du jour, mais ses contours demeurent très flous. La note de la Caisse des dépôts et consignations récemment dévoilée par Médiapart montre qu’il pourrait tout aussi bien ressembler à une accentuation des dérives antérieures, notamment le recours accru aux partenariats public-privé [1]. L’opportunité de renforcer notre système de santé ne peut être saisie que si l’on dégage une vision claire des maux qui l’affectaient avant la crise et de la manière dont celle-ci nous impose de redéfinir nos priorités.  La question décisive est celle du changement de paradigme. Depuis trente ans, le paradigme dominant des réformes était celui de la productivité, c’est-à-dire la production du soin à un coût maîtrisé, se traduisant par des impératifs comme ceux de la maîtrise des dépenses de l’assurance-maladie, de l’incitation des hôpitaux à la productivité et du « virage ambulatoire » (faire de plus en plus d’interventions sans hospitalisation). Il faut se défier de tout manichéisme et toutes les évolutions antérieures ne sont pas nécessairement condamnables ; mais force est de constater qu’elles ont rendu notre système de santé bien plus fragile, avec des inégalités croissantes et une crise sociale dans le personnel soignant.  Si l’on ne veut pas que l’après-crise se réduise à un coup de pouce temporaire, il faut réussir le passage à un paradigme nouveau, celui de la santé publique, c’est-à-dire de la recherche du plus haut niveau de santé de la population.    Table des matières  1. La productivité, paradigme dominant de l’avant-crise 1.1. La maîtrise des dépenses, impératif premier 1.2. La recherche délétère de l’hôpital-entreprise 1.3. Des inégalités territoriales et sociales timidement combattues 2. Ce que révèle ou confirme le Covid-19 2.1. Un hôpital public fragilisé mais qui tient le choc 2.2. Une culture de santé publique défaillante 2.3. Une médecine de ville désorganisée et négligée 2.4. Des fragilités intolérables dans l’approvisionnement en médicaments 3. Comment réformer selon un paradigme de santé publique 3.1. Pour un primat des politiques de résilience de la société 3.2. Comment donner enfin la priorité à la santé publique 3.3. Sortir de la T2A pour financer l’hôpital en fonction des besoins de la population 3.4. Fonder la qualité des soins sur la considération envers les soignants et l’ensemble des personnels hospitaliers 3.5. Réorganiser les soins de premier recours pour mieux répondre aux besoins de la population   1. La productivité, paradigme dominant de l’avant-crise 1.1. La maîtrise des dépenses, impératif premier S’il fallait résumer les politiques de santé à un acronyme, ce serait sans hésiter « ONDAM », pour « objectif national des dépenses d’assurance-maladie ». Créé en 1996 dans le cadre du plan Juppé, voté chaque année par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), l’ONDAM est le budget de l’assurance-maladie et le symbole d’une « gouvernance par les nombres » [2] du système de santé. Lorsque le Président de la République a annoncé sa stratégie de transformation du système de santé en septembre 2018, l’annonce phare a été l’augmentation du taux de progression de l’ONDAM de 2,3 à 2,5 %…  1 % d’augmentation de l’ONDAM équivaut à plus de 2 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Alors que l’ONDAM voté par le Parlement était fréquemment dépassé durant ses premières années d’existence, il est strictement respecté depuis 2010, à un niveau historiquement faible compris entre 2 et 2,5 % par an. Il a été en 2019 de 218,7 milliards d’euros. Source : Association Fipeco.  Cette maîtrise, dont les ministres de la Santé ne manquent pas de se féliciter, repose sur des instruments de régulation qui pèsent de manière disproportionnée sur l’hôpital. En début d’année, une partie des crédits réservés aux hôpitaux est « gelé » comme réserve de précaution. Les dépenses de soins de ville dépassant régulièrement l’objectif, les crédits gelés sont annulés pour compenser et ne bénéficient donc jamais aux hôpitaux. Selon le Sénat [3], ce sont ainsi au total 3 milliards d’euros votés par le Parlement dont les hôpitaux n’ont pas bénéficié sur la période 2010-2018. Ces annulations de crédits contribuent en bonne partie aux déficits hospitaliers, qui ont abouti à la constitution d’une dette de 30 milliards d’euros aujourd’hui.   1.2. La recherche délétère de l’hôpital-entreprise Au hit-parade des acronymes, la « T2A », ou « tarification à l’activité », viendrait sans doute immédiatement après l’ONDAM sur le podium. Lancée en 2004 et pleinement appliquée depuis 2008 [4], la T2A consiste à attribuer un tarif défini nationalement à chaque acte ou type de soins (classés en « groupes homogènes de soins » ou « GHS ») réalisé par un hôpital ou une clinique privée. Le budget de l’établissement est la résultante de l’application de ces tarifs à son activité, connue de manière très fine grâce au codage de chaque acte dans le cadre du « PMSI » (programme médicalisé des systèmes d’information). Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la T2A n’est pas un outil de maîtrise des dépenses de santé : l’ancien système du « budget global », qui consistait à appliquer chaque année au budget de l’établissement un taux d’augmentation, permettait déjà d’assurer cette maîtrise. La T2A est un outil de répartition du budget, défini nationalement dans le cadre de l’ONDAM, en fonction de la productivité : plus un établissement réalise de soins, plus il bénéficiera d’un budget important. Ou du moins limitera sa diminution, car en cas de dépassement des prévisions d’activité, le ministère de la Santé baissera les tarifs afin de tenir l’ONDAM : comme Alice au pays des merveilles [5], l’hôpital doit courir de plus en plus vite pour ne pas reculer !  Lorsqu’elle était ministre de la Santé, Agnès Buzyn avait annoncé la fin de cette logique de l’hôpital-entreprise. Mais dans les

Par Marcelin P.

22 juin 2021

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