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Maximilien Pierre-Latour

Biographie

Maximilien Pierre-Latour est le pseudonyme d’un jeune ancien élève de l’École nationale d’administration servant actuellement en administration centrale.

Notes publiées

Décentralisation et organisation territoriale : vers un retour à l’État ?

Telle qu’elle fut menée en France, la décentralisation a tendu à mettre de plus en plus en danger la République. Multipliant les exceptions, elle a calqué les structures administratives sur les revendications catégorielles, voire identitaires. Elle n’a pas pour autant favorisé la démocratie. Devenue illisible, elle est demeurée affaire d’élus et, d’élection en élection, une part croissante des citoyens s’en est détournée pour se réfugier dans l’abstention. Diluant les responsabilités entre au minimum cinq niveaux d’action publique, elle a affaibli notre capacité collective à conduire de grands projets, à aménager le territoire et à assurer l’égalité des citoyens devant la loi. Cette note se propose de remettre sur le métier la toile d’une décentralisation dysfonctionnelle dès le départ pour en reposer la superstructure sur des fondations démocratiques et républicaines.   Introduction   Avec l’irruption brutale de la crise causée par la pandémie du virus Covid-19 dans la vie de sociétés qui, imprudemment, croyaient trop souvent en avoir fini avec le tragique, la vieille machine administrative centralisée française, montre à nouveau son visage séculaire. Quels qu’aient pu être les retards, les imprévoyances et les erreurs du Gouvernement dans la réponse à la crise, qui semblent majeurs et dont il faudra évaluer attentivement l’ampleur une fois la crise passée, force est de constater que la machine de l’État fait face, mieux qu’ailleurs, aux urgences du moment. Alors que le gouvernement espagnol et celui de la communauté autonome de Catalogne se déchirent sur leurs responsabilités, que les États-Unis réagissent par morceaux et en désordre conformément à leur nature fédérale, que la fermeture des établissements scolaires en Allemagne dépend de la décision de chaque land, l’État à la française montre sa vertu. Les agences régionales de santé, administration déconcentrée de l’État, sont à pied d’œuvre pour accroître les capacités de réanimation des hôpitaux et transférer les malades des zones les plus touchées vers celles encore relativement épargnées. Le maillage préfectoral, relayé par les communes, organise aussi bien que possible la continuité des activités vitales, suivant les instructions des ministères concernés. En temps de crise, la centralisation tant décriée réapparaît pour ce qu’elle est, un gage d’efficacité administrative, de cohérence et de rapidité. Quant à la décentralisation, elle semble pour quelques semaines engloutie dans l’oubli par les impérieuses exigences du réel. Là où elle fut conduite, notamment en matière de stockage des masques, elle a montré toutes ses limites. Ainsi Marisol Touraine déclare-t-elle dans Le Figaro du 23 mars : « En 2013, il y a un avis du SGDN qui dit que chaque collectivité, entreprise ou établissement est responsable de ses stocks, car l’État ne peut pas tout stocker. C’est ce qu’ont fait la mairie de Paris, ou le ministère de la Santé pour les urgences. Ce n’est pas un changement de doctrine, c’est une décentralisation ». Si l’on peut s’étonner qu’un État moderne comme la France ne soit pas à même d’assurer le stockage de masques, il faut bien interroger les soubassements idéologiques conduisant à décentraliser cette décision… et en reconnaître le bilan catastrophique. Telle qu’elle fut menée en France, la décentralisation a tendu à mettre de plus en plus en danger la République[1]. Multipliant les exceptions, elle a calqué les structures administratives sur les revendications catégorielles, voire identitaires. Elle n’a pas pour autant favorisé la démocratie. Devenue illisible, elle est demeurée affaire d’élus et, d’élection en élection, une part croissante des citoyens s’en est détournée pour se réfugier dans l’abstention. Diluant les responsabilités entre au minimum cinq niveaux d’action publique[2], elle a affaibli notre capacité collective à conduire de grands projets, à aménager le territoire et à assurer l’égalité des citoyens devant la loi. Cette note se propose de remettre sur le métier la toile d’une décentralisation dysfonctionnelle dès le départ pour en reposer la superstructure sur des fondations démocratiques et républicaines. Construisant sur les fondations posées par l’arasement révolutionnaire de la marqueterie administrative archaïque léguée par l’Ancien régime et la création des départements, l’État centralisé et uniforme fut la clef de voûte de l’unité de la société française. La simplicité et l’efficacité redoutable de l’édifice donnèrent à la France une véritable « constitution administrative » qui devait survivre, moyennant de minimes évolutions, à toutes les vicissitudes de l’histoire politique agitée du pays entre 1800 et 1981. C’est grâce à cette armature solide que purent être conduits les grands efforts d’unification du pays avec la mise en œuvre de l’école obligatoire, le service militaire universel et la grande politique d’aménagement du territoire des années 1960 et 1970. Elle permit aussi à la France d’affronter victorieusement sa plus grande épreuve, la Grande Guerre, en mobilisant efficacement toutes les ressources de la nation. En comparant l’article 3 de la loi du 28 pluviôse An VIII (17 février 1800)[3] avec les 136 articles et 188 pages de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, plus connue en tant que loi « NOTRe », établissant la dernière en date des grandes « réformes territoriales » qui ont rythmé l’actualité politique des dernières décennies depuis 1982, on est frappé par l’impression de confusion et d’enchevêtrement que donne désormais notre organisation administrative. À l’imposante façade néoclassique a succédé un patchwork disgracieux d’aspirations contradictoires, un édifice menaçant ruine, mais maintenu debout au jour le jour par des étais provisoires. La décentralisation, soit le transfert de certaines compétences des administrations territoriales de l’État à des autorités locales élues, a représenté dans notre histoire institutionnelle une rupture d’une extraordinaire portée, dont on ne mesure en général pas l’importance et qui peut prétendre, avec la signature du traité de Maastricht, au titre de plus importante décision prise par les dirigeants français depuis 1974. À en juger par la succession rapide des réformes, remplaçant sans repos une cote mal taillée par une autre dans une large indifférence du public, force est de constater que la France n’a pas retrouvé, depuis 1982, un équilibre institutionnel dans lequel elle se reconnaît s’agissant de son organisation territoriale. Pourtant, alors que le bilan d’une transformation aussi brutale reste à établir, il suscite peu de débats intellectuels, et encore

Par Pierre-Latour M.

26 mars 2020

Décentralisation et organisation territoriale : vers un retour à l’État ?

Telle qu’elle fut menée en France, la décentralisation a tendu à mettre de plus en plus en danger la République. Multipliant les exceptions, elle a calqué les structures administratives sur les revendications catégorielles, voire identitaires. Elle n’a pas pour autant favorisé la démocratie. Devenue illisible, elle est demeurée affaire d’élus et, d’élection en élection, une part croissante des citoyens s’en est détournée pour se réfugier dans l’abstention. Diluant les responsabilités entre au minimum cinq niveaux d’action publique, elle a affaibli notre capacité collective à conduire de grands projets, à aménager le territoire et à assurer l’égalité des citoyens devant la loi. Cette note se propose de remettre sur le métier la toile d’une décentralisation dysfonctionnelle dès le départ pour en reposer la superstructure sur des fondations démocratiques et républicaines.   Introduction   Avec l’irruption brutale de la crise causée par la pandémie du virus Covid-19 dans la vie de sociétés qui, imprudemment, croyaient trop souvent en avoir fini avec le tragique, la vieille machine administrative centralisée française, montre à nouveau son visage séculaire. Quels qu’aient pu être les retards, les imprévoyances et les erreurs du Gouvernement dans la réponse à la crise, qui semblent majeurs et dont il faudra évaluer attentivement l’ampleur une fois la crise passée, force est de constater que la machine de l’État fait face, mieux qu’ailleurs, aux urgences du moment. Alors que le gouvernement espagnol et celui de la communauté autonome de Catalogne se déchirent sur leurs responsabilités, que les États-Unis réagissent par morceaux et en désordre conformément à leur nature fédérale, que la fermeture des établissements scolaires en Allemagne dépend de la décision de chaque land, l’État à la française montre sa vertu. Les agences régionales de santé, administration déconcentrée de l’État, sont à pied d’œuvre pour accroître les capacités de réanimation des hôpitaux et transférer les malades des zones les plus touchées vers celles encore relativement épargnées. Le maillage préfectoral, relayé par les communes, organise aussi bien que possible la continuité des activités vitales, suivant les instructions des ministères concernés. En temps de crise, la centralisation tant décriée réapparaît pour ce qu’elle est, un gage d’efficacité administrative, de cohérence et de rapidité. Quant à la décentralisation, elle semble pour quelques semaines engloutie dans l’oubli par les impérieuses exigences du réel. Là où elle fut conduite, notamment en matière de stockage des masques, elle a montré toutes ses limites. Ainsi Marisol Touraine déclare-t-elle dans Le Figaro du 23 mars : « En 2013, il y a un avis du SGDN qui dit que chaque collectivité, entreprise ou établissement est responsable de ses stocks, car l’État ne peut pas tout stocker. C’est ce qu’ont fait la mairie de Paris, ou le ministère de la Santé pour les urgences. Ce n’est pas un changement de doctrine, c’est une décentralisation ». Si l’on peut s’étonner qu’un État moderne comme la France ne soit pas à même d’assurer le stockage de masques, il faut bien interroger les soubassements idéologiques conduisant à décentraliser cette décision… et en reconnaître le bilan catastrophique. Telle qu’elle fut menée en France, la décentralisation a tendu à mettre de plus en plus en danger la République[1]. Multipliant les exceptions, elle a calqué les structures administratives sur les revendications catégorielles, voire identitaires. Elle n’a pas pour autant favorisé la démocratie. Devenue illisible, elle est demeurée affaire d’élus et, d’élection en élection, une part croissante des citoyens s’en est détournée pour se réfugier dans l’abstention. Diluant les responsabilités entre au minimum cinq niveaux d’action publique[2], elle a affaibli notre capacité collective à conduire de grands projets, à aménager le territoire et à assurer l’égalité des citoyens devant la loi. Cette note se propose de remettre sur le métier la toile d’une décentralisation dysfonctionnelle dès le départ pour en reposer la superstructure sur des fondations démocratiques et républicaines. Construisant sur les fondations posées par l’arasement révolutionnaire de la marqueterie administrative archaïque léguée par l’Ancien régime et la création des départements, l’État centralisé et uniforme fut la clef de voûte de l’unité de la société française. La simplicité et l’efficacité redoutable de l’édifice donnèrent à la France une véritable « constitution administrative » qui devait survivre, moyennant de minimes évolutions, à toutes les vicissitudes de l’histoire politique agitée du pays entre 1800 et 1981. C’est grâce à cette armature solide que purent être conduits les grands efforts d’unification du pays avec la mise en œuvre de l’école obligatoire, le service militaire universel et la grande politique d’aménagement du territoire des années 1960 et 1970. Elle permit aussi à la France d’affronter victorieusement sa plus grande épreuve, la Grande Guerre, en mobilisant efficacement toutes les ressources de la nation. En comparant l’article 3 de la loi du 28 pluviôse An VIII (17 février 1800)[3] avec les 136 articles et 188 pages de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, plus connue en tant que loi « NOTRe », établissant la dernière en date des grandes « réformes territoriales » qui ont rythmé l’actualité politique des dernières décennies depuis 1982, on est frappé par l’impression de confusion et d’enchevêtrement que donne désormais notre organisation administrative. À l’imposante façade néoclassique a succédé un patchwork disgracieux d’aspirations contradictoires, un édifice menaçant ruine, mais maintenu debout au jour le jour par des étais provisoires. La décentralisation, soit le transfert de certaines compétences des administrations territoriales de l’État à des autorités locales élues, a représenté dans notre histoire institutionnelle une rupture d’une extraordinaire portée, dont on ne mesure en général pas l’importance et qui peut prétendre, avec la signature du traité de Maastricht, au titre de plus importante décision prise par les dirigeants français depuis 1974. À en juger par la succession rapide des réformes, remplaçant sans repos une cote mal taillée par une autre dans une large indifférence du public, force est de constater que la France n’a pas retrouvé, depuis 1982, un équilibre institutionnel dans lequel elle se reconnaît s’agissant de son organisation territoriale. Pourtant, alors que le bilan d’une transformation aussi brutale reste à établir, il suscite peu de débats intellectuels, et encore

Par Pierre-Latour M.

22 juin 2021

Travaux externes

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