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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Magali Lafourcade

Magali Lafourcade

Conseil scientifique

Biographie

Magistrate, Magali Lafourcade est secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, et préside le sous-comité chargé de l’accréditation des Institutions nationales des droits de l’homme auprès des Nations Unies. Docteure en droit et diplômée de Sciences Po, elle enseigne à l’IEP de Paris, à l’université Paris II Panthéon-Assas, et dirige des sessions de formation à l’attention des magistrats.
Elle a notamment publié Les Droits de l’Homme dans la collection Que-sais-je des Presses universitaires de France.
Membre de l’Observatoire de la Haine en ligne du CSA, elle est aussi engagée dans la vie associative.

Notes publiées

La qualité de la vie démocratique : un affaissement dangereux

Alors que la proposition de loi relative à la sécurité globale est en cours de discussion à l’Assemblée nationale, me vient l’image du comportement de la grenouille plongée dans l’eau bouillante ou dans de l’eau froide portée progressivement à haute température. Dans le premier cas, elle saute en dehors de la marmite et se sauve ; dans le second, elle se laisse faire, sidérée par l’élévation progressive de la chaleur, et succombe. Où en sommes-nous, après une vingtaine de lois renforçant la lutte contre le terrorisme depuis 1986 et deux états d’urgence successifs ? De l’insertion dans le droit commun des principales mesures de l’état d’urgence anti-terroriste, organisée par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) d’octobre 2017, à l’empilement du second état d’urgence relatif à la situation sanitaire, nous assistons au rétrécissement de nos libertés. La création de nouvelles infractions témoigne du goût prononcé de nos gouvernants pour le répressif. Alors que le droit pénal sanctionne déjà le harcèlement, les insultes et les menaces, c’est la possibilité de diffuser des images – et en amont de filmer l’action des forces de l’ordre dans l’espace public – que l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale entend largement restreindre, sous peine de prison. La liberté d’informer et la liberté des citoyens de dénoncer les exactions policières sont menacées, dans un contexte où l’impartialité et l’indépendance de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) et de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) sont questionnées. Fort heureusement, la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel offerte au citoyen via une question prioritaire de constitutionnalité pourrait permettre de confronter ces dispositions à l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui pose, avec force, un principe essentiel : « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Alors que la liberté de manifester n’a jamais été aussi réduite, la proposition de loi relative à la sécurité globale réactive la crainte d’une société de surveillance, légalisant les drones, ouvrant la voie aux recoupements de fichiers et d’images, ainsi qu’à la reconnaissance faciale. Elle fait peser une menace pour la protection de nos données personnelles, et avec elle pour le respect de notre vie privée. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le procédé. Cette proposition de loi est discutée en procédure accélérée, sans étude d’impact ni consultation du Conseil d’État, précisément au moment où la mobilisation citoyenne, sidérée comme la grenouille par un millefeuille de crises, est la plus difficile. D’autres projets de textes législatifs révèlent ce goût du répressif. Ainsi, le blocage des établissements d’enseignement supérieur, déjà sanctionné administrativement, devient un délit pénal assorti d’une peine de prison par la loi de programmation de la recherche. Plus encore, le Gouvernement annonce vouloir rompre avec l’équilibre qui prévaut depuis deux siècles et demi, en rompant avec l’essence de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui faisait de la liberté d’expression le principe, et de ses abus, l’exception. Or, la qualité de notre vie démocratique se mesure à l’ampleur des canaux d’expression du mécontentement des citoyens. Elle dépend largement de la robustesse de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice, de la liberté de la presse, et de l’étendue de l’espace dévolu à la société civile. Séparation des pouvoirs d’abord. Du fait de l’empilement des lois d’urgence, jamais l’exécutif, déjà bien servi par la Constitution de la Vème République, n’aura été aussi puissant en temps de paix. Le Parlement est relégué à une fonction d’information, de contrôle et de ratification, depuis que le gouvernement a obtenu l’autorisation de légiférer par voie d’ordonnances sur des pans entiers de notre droit concernant les libertés publiques. Le récent épisode au cours duquel le ministre de la santé, ulcéré par la réduction de la durée de l’état d’urgence sanitaire, vient dans l’hémicycle tancer les députés pour avoir voulu exercer leur mission et susciter un débat démocratique avant une éventuelle prorogation, devrait nous interpeller. Indépendance de la justice ensuite. Les alertes des plus hauts magistrats du pays révèlent le niveau des menaces pesant sur l’indépendance de la justice. À cet égard, les attaques menées contre le Parquet national financier – ce parquet qui a fait tant de mal aux puissants de la sphère économique comme politique – constitue un nœud d’inquiétudes. Liberté de la presse encore. Des propos du secrétaire d’État au numérique sur la nécessité de fonder un conseil de l’ordre des journalistes, aux auditions spectaculaires de journalistes suspectés de recel d’informations classées secret défense, jusqu’à l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale, la liberté d’informer se trouve fragilisée. Fort heureusement, le pluralisme des médias et le professionnalisme de la profession témoignent de la vitalité du quatrième pouvoir. Reste enfin l’espace dévolu à la société civile. L’encadrement de la liberté d’expression, les limitations de la liberté de manifester, la tentation de la surveillance généralisée de l’espace public, sont autant de signaux inquiétants. Toutefois, riche d’un tissu associatif robuste, la puissance mobilisatrice de l’engagement des citoyens reste intacte. Au moment où la voix de la France, nouvellement élue au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, est attendue pour porter haut et fort nos valeurs universelles, ces restrictions aux libertés ne passent pas inaperçues dans le reste du monde. De la Cour européenne des droits de l’homme aux titulaires de mandat des procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme, les mécanismes internationaux de contrôle soulignent les atteintes portées aux droits humains. Dès lors, suivant une logique implacable, ce sont désormais les conventions internationales des droits de l’Homme et l’état de droit qui sont accusés d’entraver l’efficacité de la puissance publique. C’est oublier que c’est dans l’intérêt de leurs ressortissants que les États ont négocié et ratifié ces traités internationaux. Car, la vocation des droits de l’Homme est de faire reculer la raison d’État.

Par Lafourcade M.

22 novembre 2020

Le sens des responsabilités

C’est sur une ligne de crête que nous avançons désormais. Sur ce chemin, les « premiers de corvées » ont été salués pour les risques pris pour assurer la continuité de la vie de la Nation. Quant aux « premiers de cordées », ils en appellent à notre sens des responsabilités. La séquence de la sortie du confinement s’est ouverte au Parlement lorsque, tout en prorogeant l’état d’exception et les restrictions à nos libertés qui l’accompagnent, nos élus ont cherché à organiser l’atténuation de leur responsabilité pénale. Les maires ne veulent pas porter le chapeau des décisions prises par les ministres, lesquels bénéficient d’une justice d’exception pour les infractions commises pendant leur mandat : sur les quinze « juges » qui composent la Cour de justice de la République, douze sont des parlementaires. Les membres du gouvernement pourront toujours souligner qu’ils n’ont fait qu’exécuter une décision prise par celui qui marche devant, le chef de l’État, dont l’irresponsabilité pénale est constitutionnellement consacrée. De ces débats, suintait une impression de décalage. D’autant que, dans le même temps, nos gouvernants s’attachaient à reconnaître la maturité du corps social, les citoyens ayant indéniablement fait preuve de cohésion, de discipline et de force morale. Chacun a bien saisi les enjeux sanitaires et l’importance des mesures de distanciation physique. Il n’y avait nul besoin des milices de chasseurs de Seine-et-Marne, ni de tenir des propos infantilisants ou culpabilisateurs. Ceux du Préfet de police de Paris ont laissé des traces. Plutôt que des drones et des amendes, ce sont de tests, d’équipements de protection et d’informations fiables dont la population avait besoin. Les sondages révèlent combien la confiance dans ceux que nous avons porté au pouvoir est abîmée par le constat de leur impréparation face à la crise, comme par la nature torve de leur discours sur les masques. Si la confiance se nourrit de l’efficacité et de l’exemplarité, la responsabilité est le corollaire nécessaire du pouvoir. Et le pouvoir est actuellement exorbitant. Face à des circonstances inédites, nos gouvernants ont fait basculer notre droit tout entier dans un état d’exception. Conçu par Hans Kelsen comme « un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée », notre État de droit a été largement perturbé par la loi d’urgence du 23 mars 2020 qui est prorogée au moins jusqu’au 10 juillet. Jamais un état d’exception n’aura aussi massivement restreint nos libertés fondamentales. Or les droits humains sont si interdépendants que nul ne saurait, à la façon d’un mikado, extraire un droit, une liberté, sans faire bouger tous les autres. Dans ce nouveau décor où la dérogation chasse la règle, notre liberté d’aller et venir a été massivement restreinte. La liberté de manifestation est suspendue. Les injures racistes et les discriminations se banalisent. Le droit au respect de la vie privée se trouve menacé par les projets de suivi numérique des personnes. L’urgence est devenue un ciseau dans les mains de l’exécutif. Pourtant, le curseur des libertés n’est pas censé pouvoir s’abaisser sans que s’exerce un contrôle robuste du juge. Il lui revient de veiller à ce que la pleine puissance de l’État ne déborde des limites à ne pas franchir. C’est là la seconde condition de l’État de droit. Sans surprise, nous assistons à une forte attente des citoyens vis-à-vis du contrôle juridictionnel. Les référés devant la justice administrative se multiplient, tandis que pas moins de 63 plaintes sont déjà déposées contre les ministres. Pourtant, la justice est sortie affaiblie du confinement. Dans ce contexte, il y a une forme d’impudeur à déshabiller les contre-pouvoirs. Tandis que se raréfient nos espaces démocratiques, le pouvoir exécutif préfère recourir aux ordonnances et y voyager sans escorte. Le parlement est relégué à une fonction d’information et de contrôle. Dans un fond de sauce guerrier, la rhétorique du chef de l’État somme les oppositions de se joindre à l’union sacrée. Les corps intermédiaires, fragilisés, sont devenus peu audibles. Que les gouvernants s’impatientent devant les lourdeurs des débats parlementaires et les entraves posées par le contrôle des magistrats de tous ordres, n’a rien de nouveau. Or, l’État de droit constitue un entrelacs de responsabilités où se dessinent les pleins et les déliés des procédures et mécanismes de contrôle. L’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen avait ainsi donné du sens à la transparence et à l’esprit de responsabilité : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. » Dans les espaces désertés par l’affaiblissement des contre-pouvoirs, s’élève, déjà puissante, la voix de la société civile pour rappeler que c’est à la source vive qu’il faut revenir, au tout premier message que les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 nous ont laissé en héritage : « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». Les circonstances exceptionnelles que nous traversons ont conduit à la mise en place de pouvoirs exorbitants au prix d’une nouvelle érosion de nos libertés, elles commandent aussi de questionner l’existence d’une justice d’exception pour les membres du gouvernement. À tout le moins, une cour composée de jurés citoyens et présidée par un magistrat du siège, assisté de deux magistrats assesseurs, sur le modèle de la cour d’assises, serait davantage de nature à rappeler qu’entre le village et le château, le lien de confiance procède du sens des responsabilités, claires et assumées. Et que celui-ci ne saurait être à sens unique.  

Par Lafourcade M.

25 mai 2020

La qualité de la vie démocratique : un affaissement dangereux

Alors que la proposition de loi relative à la sécurité globale est en cours de discussion à l’Assemblée nationale, me vient l’image du comportement de la grenouille plongée dans l’eau bouillante ou dans de l’eau froide portée progressivement à haute température. Dans le premier cas, elle saute en dehors de la marmite et se sauve ; dans le second, elle se laisse faire, sidérée par l’élévation progressive de la chaleur, et succombe. Où en sommes-nous, après une vingtaine de lois renforçant la lutte contre le terrorisme depuis 1986 et deux états d’urgence successifs ? De l’insertion dans le droit commun des principales mesures de l’état d’urgence anti-terroriste, organisée par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) d’octobre 2017, à l’empilement du second état d’urgence relatif à la situation sanitaire, nous assistons au rétrécissement de nos libertés. La création de nouvelles infractions témoigne du goût prononcé de nos gouvernants pour le répressif. Alors que le droit pénal sanctionne déjà le harcèlement, les insultes et les menaces, c’est la possibilité de diffuser des images – et en amont de filmer l’action des forces de l’ordre dans l’espace public – que l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale entend largement restreindre, sous peine de prison. La liberté d’informer et la liberté des citoyens de dénoncer les exactions policières sont menacées, dans un contexte où l’impartialité et l’indépendance de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) et de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) sont questionnées. Fort heureusement, la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel offerte au citoyen via une question prioritaire de constitutionnalité pourrait permettre de confronter ces dispositions à l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui pose, avec force, un principe essentiel : « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Alors que la liberté de manifester n’a jamais été aussi réduite, la proposition de loi relative à la sécurité globale réactive la crainte d’une société de surveillance, légalisant les drones, ouvrant la voie aux recoupements de fichiers et d’images, ainsi qu’à la reconnaissance faciale. Elle fait peser une menace pour la protection de nos données personnelles, et avec elle pour le respect de notre vie privée. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le procédé. Cette proposition de loi est discutée en procédure accélérée, sans étude d’impact ni consultation du Conseil d’État, précisément au moment où la mobilisation citoyenne, sidérée comme la grenouille par un millefeuille de crises, est la plus difficile. D’autres projets de textes législatifs révèlent ce goût du répressif. Ainsi, le blocage des établissements d’enseignement supérieur, déjà sanctionné administrativement, devient un délit pénal assorti d’une peine de prison par la loi de programmation de la recherche. Plus encore, le Gouvernement annonce vouloir rompre avec l’équilibre qui prévaut depuis deux siècles et demi, en rompant avec l’essence de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui faisait de la liberté d’expression le principe, et de ses abus, l’exception. Or, la qualité de notre vie démocratique se mesure à l’ampleur des canaux d’expression du mécontentement des citoyens. Elle dépend largement de la robustesse de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice, de la liberté de la presse, et de l’étendue de l’espace dévolu à la société civile. Séparation des pouvoirs d’abord. Du fait de l’empilement des lois d’urgence, jamais l’exécutif, déjà bien servi par la Constitution de la Vème République, n’aura été aussi puissant en temps de paix. Le Parlement est relégué à une fonction d’information, de contrôle et de ratification, depuis que le gouvernement a obtenu l’autorisation de légiférer par voie d’ordonnances sur des pans entiers de notre droit concernant les libertés publiques. Le récent épisode au cours duquel le ministre de la santé, ulcéré par la réduction de la durée de l’état d’urgence sanitaire, vient dans l’hémicycle tancer les députés pour avoir voulu exercer leur mission et susciter un débat démocratique avant une éventuelle prorogation, devrait nous interpeller. Indépendance de la justice ensuite. Les alertes des plus hauts magistrats du pays révèlent le niveau des menaces pesant sur l’indépendance de la justice. À cet égard, les attaques menées contre le Parquet national financier – ce parquet qui a fait tant de mal aux puissants de la sphère économique comme politique – constitue un nœud d’inquiétudes. Liberté de la presse encore. Des propos du secrétaire d’État au numérique sur la nécessité de fonder un conseil de l’ordre des journalistes, aux auditions spectaculaires de journalistes suspectés de recel d’informations classées secret défense, jusqu’à l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale, la liberté d’informer se trouve fragilisée. Fort heureusement, le pluralisme des médias et le professionnalisme de la profession témoignent de la vitalité du quatrième pouvoir. Reste enfin l’espace dévolu à la société civile. L’encadrement de la liberté d’expression, les limitations de la liberté de manifester, la tentation de la surveillance généralisée de l’espace public, sont autant de signaux inquiétants. Toutefois, riche d’un tissu associatif robuste, la puissance mobilisatrice de l’engagement des citoyens reste intacte. Au moment où la voix de la France, nouvellement élue au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, est attendue pour porter haut et fort nos valeurs universelles, ces restrictions aux libertés ne passent pas inaperçues dans le reste du monde. De la Cour européenne des droits de l’homme aux titulaires de mandat des procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme, les mécanismes internationaux de contrôle soulignent les atteintes portées aux droits humains. Dès lors, suivant une logique implacable, ce sont désormais les conventions internationales des droits de l’Homme et l’état de droit qui sont accusés d’entraver l’efficacité de la puissance publique. C’est oublier que c’est dans l’intérêt de leurs ressortissants que les États ont négocié et ratifié ces traités internationaux. Car, la vocation des droits de l’Homme est de faire reculer la raison d’État.

Par Lafourcade M.

22 juin 2021

Le sens des responsabilités

C’est sur une ligne de crête que nous avançons désormais. Sur ce chemin, les « premiers de corvées » ont été salués pour les risques pris pour assurer la continuité de la vie de la Nation. Quant aux « premiers de cordées », ils en appellent à notre sens des responsabilités. La séquence de la sortie du confinement s’est ouverte au Parlement lorsque, tout en prorogeant l’état d’exception et les restrictions à nos libertés qui l’accompagnent, nos élus ont cherché à organiser l’atténuation de leur responsabilité pénale. Les maires ne veulent pas porter le chapeau des décisions prises par les ministres, lesquels bénéficient d’une justice d’exception pour les infractions commises pendant leur mandat : sur les quinze « juges » qui composent la Cour de justice de la République, douze sont des parlementaires. Les membres du gouvernement pourront toujours souligner qu’ils n’ont fait qu’exécuter une décision prise par celui qui marche devant, le chef de l’État, dont l’irresponsabilité pénale est constitutionnellement consacrée. De ces débats, suintait une impression de décalage. D’autant que, dans le même temps, nos gouvernants s’attachaient à reconnaître la maturité du corps social, les citoyens ayant indéniablement fait preuve de cohésion, de discipline et de force morale. Chacun a bien saisi les enjeux sanitaires et l’importance des mesures de distanciation physique. Il n’y avait nul besoin des milices de chasseurs de Seine-et-Marne, ni de tenir des propos infantilisants ou culpabilisateurs. Ceux du Préfet de police de Paris ont laissé des traces. Plutôt que des drones et des amendes, ce sont de tests, d’équipements de protection et d’informations fiables dont la population avait besoin. Les sondages révèlent combien la confiance dans ceux que nous avons porté au pouvoir est abîmée par le constat de leur impréparation face à la crise, comme par la nature torve de leur discours sur les masques. Si la confiance se nourrit de l’efficacité et de l’exemplarité, la responsabilité est le corollaire nécessaire du pouvoir. Et le pouvoir est actuellement exorbitant. Face à des circonstances inédites, nos gouvernants ont fait basculer notre droit tout entier dans un état d’exception. Conçu par Hans Kelsen comme « un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée », notre État de droit a été largement perturbé par la loi d’urgence du 23 mars 2020 qui est prorogée au moins jusqu’au 10 juillet. Jamais un état d’exception n’aura aussi massivement restreint nos libertés fondamentales. Or les droits humains sont si interdépendants que nul ne saurait, à la façon d’un mikado, extraire un droit, une liberté, sans faire bouger tous les autres. Dans ce nouveau décor où la dérogation chasse la règle, notre liberté d’aller et venir a été massivement restreinte. La liberté de manifestation est suspendue. Les injures racistes et les discriminations se banalisent. Le droit au respect de la vie privée se trouve menacé par les projets de suivi numérique des personnes. L’urgence est devenue un ciseau dans les mains de l’exécutif. Pourtant, le curseur des libertés n’est pas censé pouvoir s’abaisser sans que s’exerce un contrôle robuste du juge. Il lui revient de veiller à ce que la pleine puissance de l’État ne déborde des limites à ne pas franchir. C’est là la seconde condition de l’État de droit. Sans surprise, nous assistons à une forte attente des citoyens vis-à-vis du contrôle juridictionnel. Les référés devant la justice administrative se multiplient, tandis que pas moins de 63 plaintes sont déjà déposées contre les ministres. Pourtant, la justice est sortie affaiblie du confinement. Dans ce contexte, il y a une forme d’impudeur à déshabiller les contre-pouvoirs. Tandis que se raréfient nos espaces démocratiques, le pouvoir exécutif préfère recourir aux ordonnances et y voyager sans escorte. Le parlement est relégué à une fonction d’information et de contrôle. Dans un fond de sauce guerrier, la rhétorique du chef de l’État somme les oppositions de se joindre à l’union sacrée. Les corps intermédiaires, fragilisés, sont devenus peu audibles. Que les gouvernants s’impatientent devant les lourdeurs des débats parlementaires et les entraves posées par le contrôle des magistrats de tous ordres, n’a rien de nouveau. Or, l’État de droit constitue un entrelacs de responsabilités où se dessinent les pleins et les déliés des procédures et mécanismes de contrôle. L’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen avait ainsi donné du sens à la transparence et à l’esprit de responsabilité : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. » Dans les espaces désertés par l’affaiblissement des contre-pouvoirs, s’élève, déjà puissante, la voix de la société civile pour rappeler que c’est à la source vive qu’il faut revenir, au tout premier message que les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 nous ont laissé en héritage : « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». Les circonstances exceptionnelles que nous traversons ont conduit à la mise en place de pouvoirs exorbitants au prix d’une nouvelle érosion de nos libertés, elles commandent aussi de questionner l’existence d’une justice d’exception pour les membres du gouvernement. À tout le moins, une cour composée de jurés citoyens et présidée par un magistrat du siège, assisté de deux magistrats assesseurs, sur le modèle de la cour d’assises, serait davantage de nature à rappeler qu’entre le village et le château, le lien de confiance procède du sens des responsabilités, claires et assumées. Et que celui-ci ne saurait être à sens unique.  

Par Lafourcade M.

22 juin 2021

Travaux externes

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