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Frédéric Galois

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Fin de l’opération Barkhane : réflexions sur sept ans et demi d’engagement militaire

Emmanuel Macron a annoncé le 17 février 2022 le retrait des forces françaises du Mali, après avoir amorcé au cours de l’année 2021 une transformation profonde de l’opération Barkhane. De fait, celle-ci prend fin, après sept ans et demi d’existence. Le processus de retrait va prendre plusieurs mois, compte tenu de l’ampleur de la manœuvre logistique de désengagement. Il intervient dans un climat délétère, marqué par de fortes tensions avec les militaires putschistes au pouvoir à Bamako, qui ont expulsé l’ambassadeur de France, fait appel aux mercenaires russes de la société Wagner et attisé un sentiment antifrançais qui trouve des échos ailleurs au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Dans le même temps, les groupes armés islamistes combattus par les soldats français continuent de mener des attaques meurtrières au Mali, au Niger, au Burkina Faso et de plus en plus souvent dans des pays du golfe de Guinée comme la Côte d’Ivoire et le Bénin. Le retrait français n’est toutefois pas total. La France devrait maintenir des troupes au Niger et au Tchad, selon des modalités qui restent à préciser. Elle continuera par ailleurs d’être présente à travers son outil diplomatique et l’aide au développement. Mais une page se tourne et un premier bilan de l’opération Barkhane peut être fait. C’est le propos de cette note : analyser les décisions qui ont présidé à l’engagement militaire français ; mettre en évidence d’autres choix qui auraient pu être faits. Nous nous intéresserons ici d’abord à l’action militaire même s’il transparaîtra qu’elle ne peut pas être examinée isolément des dynamiques politiques, sociales et économiques. Les choix faits en 2013-2014 ont été structurants pour l’opération Barkhane L’opération Barkhane, née en août 2014, était l’héritière de l’opération Serval, lancée en janvier 2013 pour reprendre le contrôle du nord du Mali tombé aux mains de groupes armés islamistes. Elle a également absorbé l’opération Épervier, présente au Tchad depuis février 1986 pour contribuer à la stabilité de ce pays. Elle doit donc être analysée à la lumière des choix effectués en 2013 et 2014. Nous n’évoquerons pas ici la guerre de 2011 en Libye, conduite par une coalition dirigée notamment par la France, qui a favorisé la déstabilisation du Sahel mais a constitué du point de vue de l’opération Barkhane une donnée extrinsèque. Cette analyse de la genèse de l’opération Barkhane nous conduit à nous intéresser à quatre choix, pour certains répétés ensuite, qui se sont révélés structurants pour l’action militaire. 1.1. L’installation de la présence militaire au Sahel dans la durée L’opération Barkhane aurait très bien pu ne pas exister. Une fois l’opération Serval réussie et les groupes armés islamistes chassés des villes du nord du Mali, la décision aurait pu être prise de quitter ce pays et de n’entreprendre une nouvelle action militaire qu’en cas de péril imminent. Les forces spéciales auraient eu la possibilité de mener des opérations ponctuelles. Les autorités maliennes se seraient retrouvées en première ligne face à un ennemi fortement affaibli, et auraient sans doute été davantage incitées à faire de la lutte contre le terrorisme une priorité. La France aurait évité de paraître de plus en plus, à mesure que le temps passait, comme une partie du problème plutôt que de la solution. Cette hypothèse, qui paraît de bon sens a posteriori[1], nous renvoie aux limites des interventions militaires : une force expéditionnaire peut renverser une situation et un rapport de force dans un court laps de temps mais son caractère exogène et sa faiblesse numérique la pénalisent face à une guérilla qui s’inscrit dans la durée. Un choix différent a été fait, probablement à la fois parce que la situation semblait trop précaire et parce que les autorités françaises ont vu au Sahel un théâtre propre à affirmer la puissance nationale sur la scène mondiale. Cette deuxième raison mérite qu’on s’y arrête. Dans une mesure difficile à apprécier, les mobiles de la France au Sahel ne résidaient pas à Bamako, Niamey ou Kidal mais à New York, Bruxelles, Washington. La réaction très virulente à l’hypothèse d’une implication russe au Mali à l’automne 2021, avant même que celle-ci ne se matérialise, va dans le même sens : elle a été d’emblée analysée sous l’angle de la compétition entre puissances, après l’épisode centrafricain, accentuant l’impression que la France subissait quelques mois plus tard un revers du fait de son éviction par le groupe Wagner. Les autorités putschistes maliennes ont su instrumentaliser, à court terme du moins, les tensions stratégiques. L’opération Barkhane a ainsi été, pendant plusieurs années, la vitrine de nos capacités militaires et une source de capital politique confortant la place de la France sur la scène internationale, sa présence au Conseil de sécurité des Nations unies et son statut de plus vieil allié des États-Unis. Ce capital a en partie été réinvesti pour faire bouger les lignes stratégiques à partir du Sahel avec une efficacité difficile à évaluer. On peut par exemple se demander si l’activation, au bénéfice notamment de l’opération Barkhane, de la clause de défense mutuelle prévue à l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne à la suite des attentats de novembre 2015, ou la création de la force multinationale européenne Takuba au Mali en mars 2020, ont marqué de vraies avancées pour la défense européenne. La réponse est probablement positive mais dans une mesure modeste. Il paraît assez clair en revanche qu’elles n’ont pas permis d’altérer la situation stratégique au Sahel. Le bilan de l’opération Barkhane sera dans la suite de cette note évalué à l’aune de son but affiché, c’est-à-dire la lutte contre les groupes armés islamistes sahéliens, mais il doit tout autant être fait à la lumière du positionnement de la France sur la scène internationale. La question est dès lors de savoir si le coût humain (près de soixante soldats tués dans les opérations Serval et Barkhane), financier (de l’ordre du milliard d’euros par an) et politique (lié à la montée du sentiment antifrançais et à un retrait plus contraint que souhaité) n’est pas trop cher payé. 1.2. La promotion d’une solution négociée à la

Par Galois F.

16 mars 2022

Fin de l’opération Barkhane : réflexions sur sept ans et demi d’engagement militaire

Emmanuel Macron a annoncé le 17 février 2022 le retrait des forces françaises du Mali, après avoir amorcé au cours de l’année 2021 une transformation profonde de l’opération Barkhane. De fait, celle-ci prend fin, après sept ans et demi d’existence. Le processus de retrait va prendre plusieurs mois, compte tenu de l’ampleur de la manœuvre logistique de désengagement. Il intervient dans un climat délétère, marqué par de fortes tensions avec les militaires putschistes au pouvoir à Bamako, qui ont expulsé l’ambassadeur de France, fait appel aux mercenaires russes de la société Wagner et attisé un sentiment antifrançais qui trouve des échos ailleurs au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Dans le même temps, les groupes armés islamistes combattus par les soldats français continuent de mener des attaques meurtrières au Mali, au Niger, au Burkina Faso et de plus en plus souvent dans des pays du golfe de Guinée comme la Côte d’Ivoire et le Bénin. Le retrait français n’est toutefois pas total. La France devrait maintenir des troupes au Niger et au Tchad, selon des modalités qui restent à préciser. Elle continuera par ailleurs d’être présente à travers son outil diplomatique et l’aide au développement. Mais une page se tourne et un premier bilan de l’opération Barkhane peut être fait. C’est le propos de cette note : analyser les décisions qui ont présidé à l’engagement militaire français ; mettre en évidence d’autres choix qui auraient pu être faits. Nous nous intéresserons ici d’abord à l’action militaire même s’il transparaîtra qu’elle ne peut pas être examinée isolément des dynamiques politiques, sociales et économiques. Les choix faits en 2013-2014 ont été structurants pour l’opération Barkhane L’opération Barkhane, née en août 2014, était l’héritière de l’opération Serval, lancée en janvier 2013 pour reprendre le contrôle du nord du Mali tombé aux mains de groupes armés islamistes. Elle a également absorbé l’opération Épervier, présente au Tchad depuis février 1986 pour contribuer à la stabilité de ce pays. Elle doit donc être analysée à la lumière des choix effectués en 2013 et 2014. Nous n’évoquerons pas ici la guerre de 2011 en Libye, conduite par une coalition dirigée notamment par la France, qui a favorisé la déstabilisation du Sahel mais a constitué du point de vue de l’opération Barkhane une donnée extrinsèque. Cette analyse de la genèse de l’opération Barkhane nous conduit à nous intéresser à quatre choix, pour certains répétés ensuite, qui se sont révélés structurants pour l’action militaire. 1.1. L’installation de la présence militaire au Sahel dans la durée L’opération Barkhane aurait très bien pu ne pas exister. Une fois l’opération Serval réussie et les groupes armés islamistes chassés des villes du nord du Mali, la décision aurait pu être prise de quitter ce pays et de n’entreprendre une nouvelle action militaire qu’en cas de péril imminent. Les forces spéciales auraient eu la possibilité de mener des opérations ponctuelles. Les autorités maliennes se seraient retrouvées en première ligne face à un ennemi fortement affaibli, et auraient sans doute été davantage incitées à faire de la lutte contre le terrorisme une priorité. La France aurait évité de paraître de plus en plus, à mesure que le temps passait, comme une partie du problème plutôt que de la solution. Cette hypothèse, qui paraît de bon sens a posteriori[1], nous renvoie aux limites des interventions militaires : une force expéditionnaire peut renverser une situation et un rapport de force dans un court laps de temps mais son caractère exogène et sa faiblesse numérique la pénalisent face à une guérilla qui s’inscrit dans la durée. Un choix différent a été fait, probablement à la fois parce que la situation semblait trop précaire et parce que les autorités françaises ont vu au Sahel un théâtre propre à affirmer la puissance nationale sur la scène mondiale. Cette deuxième raison mérite qu’on s’y arrête. Dans une mesure difficile à apprécier, les mobiles de la France au Sahel ne résidaient pas à Bamako, Niamey ou Kidal mais à New York, Bruxelles, Washington. La réaction très virulente à l’hypothèse d’une implication russe au Mali à l’automne 2021, avant même que celle-ci ne se matérialise, va dans le même sens : elle a été d’emblée analysée sous l’angle de la compétition entre puissances, après l’épisode centrafricain, accentuant l’impression que la France subissait quelques mois plus tard un revers du fait de son éviction par le groupe Wagner. Les autorités putschistes maliennes ont su instrumentaliser, à court terme du moins, les tensions stratégiques. L’opération Barkhane a ainsi été, pendant plusieurs années, la vitrine de nos capacités militaires et une source de capital politique confortant la place de la France sur la scène internationale, sa présence au Conseil de sécurité des Nations unies et son statut de plus vieil allié des États-Unis. Ce capital a en partie été réinvesti pour faire bouger les lignes stratégiques à partir du Sahel avec une efficacité difficile à évaluer. On peut par exemple se demander si l’activation, au bénéfice notamment de l’opération Barkhane, de la clause de défense mutuelle prévue à l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne à la suite des attentats de novembre 2015, ou la création de la force multinationale européenne Takuba au Mali en mars 2020, ont marqué de vraies avancées pour la défense européenne. La réponse est probablement positive mais dans une mesure modeste. Il paraît assez clair en revanche qu’elles n’ont pas permis d’altérer la situation stratégique au Sahel. Le bilan de l’opération Barkhane sera dans la suite de cette note évalué à l’aune de son but affiché, c’est-à-dire la lutte contre les groupes armés islamistes sahéliens, mais il doit tout autant être fait à la lumière du positionnement de la France sur la scène internationale. La question est dès lors de savoir si le coût humain (près de soixante soldats tués dans les opérations Serval et Barkhane), financier (de l’ordre du milliard d’euros par an) et politique (lié à la montée du sentiment antifrançais et à un retrait plus contraint que souhaité) n’est pas trop cher payé. 1.2. La promotion d’une solution négociée à la

Par Galois F.

15 mars 2022

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