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Alexandra Patel

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Économiste

Notes publiées

Il est grand temps que les régulateurs se penchent sur les entreprises de négoce de matières premières

Trafigura, Vitol, Glencore, Gunvor, Archer Daniels Midland. Ces noms vous sont-ils familiers ? Probablement pas ; pourtant il s’agit de multinationales pesant plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires et qui, si elles venaient à interrompre leurs activités demain, priveraient des millions de personnes de nourriture, d’électricité et d’emploi. Ces entreprises sont des géants du négoce de matières premières, elles sont les premiers maillons de la financiarisation et de la mondialisation des ressources naturelles. Pour faire simple, elles achètent, acheminent, parfois transforment puis revendent des matières premières : du blé, du pétrole, du coton, du cacao, du fer etc… Un certain nombre de ces entreprises a actuellement des difficultés de liquidités, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas les fonds suffisants pour honorer l’ensemble de leurs paiements. Comment est-ce possible alors qu’elles opèrent des matières premières dont les prix se sont envolés ces derniers mois et qu’elles devraient s’en frotter les mains ? Pour le comprendre, il faut regarder en détail comment ces entreprises opèrent véritablement. Risquées à la base Si un industriel japonais souhaite acheter du blé à $10 le boisseau, que des fermiers américains du Midwest en vendent à $9 et qu’une entreprise de négoce de matières première pense pouvoir l’acheminer pour moins de $1 le boisseau, alors elle réalisera la transaction contre un profit. Du moins en théorie, mais la réalité est un peu plus complexe. En effet, l’industriel souhaite acheter aujourd’hui au prix de $10, mais le blé américain mettra des semaines, voire des mois à lui être livré et pendant ce temps le prix du blé peut varier. Et notamment si les cours mondiaux baissent, il peut très bien décider de ne plus vouloir acheter à $10 et de renégocier fortement le prix, ce qui mettrait l’entreprise de négoce dans une situation délicate puisqu’elle aurait déjà acheté à $9 et engagé des frais pour le transport. Alors comment éviter ce risque sur les prix pour le négociant ? C’est simple : en utilisant des instruments financiers et notamment des contrats à terme. Les contrats à terme permettent d’acheter et de vendre à une date future, une quantité de matières premières à un prix convenu à l’avance. La matière première étant due au porteur du contrat à la date d’échéance. Donc dans notre exemple, l’industriel japonais et l’entreprise de négoce de matières premières concluraient un contrat à terme, et seraient ainsi liés par un engagement sur les prix d’achat et de vente et tout finirait bien ? En réalité non, toujours pas. Reprenons le cas où le prix du blé diminue.  Afin de forcer à renégocier, l’industriel pourrait, à quelques jours de la livraison, contacter l’entreprise de négoce et lui dire par exemple : « Nous allons certainement céder notre contrat à terme à un acheteur en Suède, il faudra donc livrer à Stockholm… à moins que vous ne soyez d’accord pour revoir le prix de vente un peu à la baisse ? ». Vous comprenez facilement qu’en fonction de l’évolution des cours des matières premières, l’acheteur ou le vendeur pourraient tenter de tordre le bras de la contrepartie et c’est pour cette raison que les contrats à terme sur les matières premières sont des instruments purement financiers traités par des institutions financières. Le négociant en matières premières comme l’industriel peuvent faire appel à un intermédiaire financier pour acheter ou vendre un contrat à terme uniquement dans le but de couvrir le risque sur le prix de la matière première. Dans les faits, les uns comme les autres achètent et vendent la matière première physique plus ou moins au prix de marché du jour. Dans notre exemple, l’entreprise de négoce de matières premières achète aux États-Unis pour $9 le boisseau du blé et le vendra dans, disons un mois au Japon à son client au prix de marché. Pour éviter de porter le risque de fluctuation des cours du blé, elle va contacter une banque et lui vendre un contrat à terme pour une livraison dans un mois. Le prix du contrat à terme dépend lui aussi des conditions de marché. Si les intervenants de marché pensent que le prix du blé va s’apprécier d’ici un mois, le prix à terme pourrait être de $9,50 ; inversement si les anticipations sont à la baisse, le prix à terme pourrait être par exemple de $8,50. Dans le premier cas, en vendant son contrat à terme, l’entreprise de négoce finance complètement son achat de blé aujourd’hui sans sortir un euro de sa poche. Dans le second, elle devra financer $0,50 par boisseau pour finaliser son achat et très souvent, ces $0,50 sont financés à crédit par une banque. Au bout d’un mois, l’entreprise vendra son blé au client japonais et devra également « racheter » son contrat à terme. Ce qui est avantageux et sécurisant pour l’entreprise de négoce est que le prix du contrat à terme et le prix du blé comptant évoluent à peu près de concert (l’écart entre ces deux prix est appelé « base »). Si le prix du blé comptant augmente de 5 %, le blé à terme augmentera peu ou prou de 5 %. Ainsi en transformant un risque de prix (acheter du blé à un prix donné sans garantie sur le prix de revente) en risque de « base », l’entreprise maîtrise davantage le gain comme la perte éventuelle de son opération (l’écart entre l’évolution du prix comptant et du prix à terme étant très souvent faible). La guerre en Ukraine, catalyseur d’une crise de liquidité Il manque un dernier élément pour comprendre le fonctionnement et les besoins de financement des entreprises de négoce de matière première : les contrats à terme entraînent des appels de marge. Tous les jours, entre la vente du contrat à terme et sa date de fin, l’entreprise de négoce doit répondre à de potentiels appels de marge. Si le prix du blé comptant est de $9 et que le prix à terme est de $8, l’appel de marge sera de $1 par boisseau. Comme évoqué plus haut, les deux prix évoluant généralement de concert, les appels de marge ne sont pas de nature à perturber le fonctionnement normal de

Par Patel A., Dufrêne N.

29 juin 2022

Il est grand temps que les régulateurs se penchent sur les entreprises de négoce de matières premières

Trafigura, Vitol, Glencore, Gunvor, Archer Daniels Midland. Ces noms vous sont-ils familiers ? Probablement pas ; pourtant il s’agit de multinationales pesant plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires et qui, si elles venaient à interrompre leurs activités demain, priveraient des millions de personnes de nourriture, d’électricité et d’emploi. Ces entreprises sont des géants du négoce de matières premières, elles sont les premiers maillons de la financiarisation et de la mondialisation des ressources naturelles. Pour faire simple, elles achètent, acheminent, parfois transforment puis revendent des matières premières : du blé, du pétrole, du coton, du cacao, du fer etc… Un certain nombre de ces entreprises a actuellement des difficultés de liquidités, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas les fonds suffisants pour honorer l’ensemble de leurs paiements. Comment est-ce possible alors qu’elles opèrent des matières premières dont les prix se sont envolés ces derniers mois et qu’elles devraient s’en frotter les mains ? Pour le comprendre, il faut regarder en détail comment ces entreprises opèrent véritablement. Risquées à la base Si un industriel japonais souhaite acheter du blé à $10 le boisseau, que des fermiers américains du Midwest en vendent à $9 et qu’une entreprise de négoce de matières première pense pouvoir l’acheminer pour moins de $1 le boisseau, alors elle réalisera la transaction contre un profit. Du moins en théorie, mais la réalité est un peu plus complexe. En effet, l’industriel souhaite acheter aujourd’hui au prix de $10, mais le blé américain mettra des semaines, voire des mois à lui être livré et pendant ce temps le prix du blé peut varier. Et notamment si les cours mondiaux baissent, il peut très bien décider de ne plus vouloir acheter à $10 et de renégocier fortement le prix, ce qui mettrait l’entreprise de négoce dans une situation délicate puisqu’elle aurait déjà acheté à $9 et engagé des frais pour le transport. Alors comment éviter ce risque sur les prix pour le négociant ? C’est simple : en utilisant des instruments financiers et notamment des contrats à terme. Les contrats à terme permettent d’acheter et de vendre à une date future, une quantité de matières premières à un prix convenu à l’avance. La matière première étant due au porteur du contrat à la date d’échéance. Donc dans notre exemple, l’industriel japonais et l’entreprise de négoce de matières premières concluraient un contrat à terme, et seraient ainsi liés par un engagement sur les prix d’achat et de vente et tout finirait bien ? En réalité non, toujours pas. Reprenons le cas où le prix du blé diminue.  Afin de forcer à renégocier, l’industriel pourrait, à quelques jours de la livraison, contacter l’entreprise de négoce et lui dire par exemple : « Nous allons certainement céder notre contrat à terme à un acheteur en Suède, il faudra donc livrer à Stockholm… à moins que vous ne soyez d’accord pour revoir le prix de vente un peu à la baisse ? ». Vous comprenez facilement qu’en fonction de l’évolution des cours des matières premières, l’acheteur ou le vendeur pourraient tenter de tordre le bras de la contrepartie et c’est pour cette raison que les contrats à terme sur les matières premières sont des instruments purement financiers traités par des institutions financières. Le négociant en matières premières comme l’industriel peuvent faire appel à un intermédiaire financier pour acheter ou vendre un contrat à terme uniquement dans le but de couvrir le risque sur le prix de la matière première. Dans les faits, les uns comme les autres achètent et vendent la matière première physique plus ou moins au prix de marché du jour. Dans notre exemple, l’entreprise de négoce de matières premières achète aux États-Unis pour $9 le boisseau du blé et le vendra dans, disons un mois au Japon à son client au prix de marché. Pour éviter de porter le risque de fluctuation des cours du blé, elle va contacter une banque et lui vendre un contrat à terme pour une livraison dans un mois. Le prix du contrat à terme dépend lui aussi des conditions de marché. Si les intervenants de marché pensent que le prix du blé va s’apprécier d’ici un mois, le prix à terme pourrait être de $9,50 ; inversement si les anticipations sont à la baisse, le prix à terme pourrait être par exemple de $8,50. Dans le premier cas, en vendant son contrat à terme, l’entreprise de négoce finance complètement son achat de blé aujourd’hui sans sortir un euro de sa poche. Dans le second, elle devra financer $0,50 par boisseau pour finaliser son achat et très souvent, ces $0,50 sont financés à crédit par une banque. Au bout d’un mois, l’entreprise vendra son blé au client japonais et devra également « racheter » son contrat à terme. Ce qui est avantageux et sécurisant pour l’entreprise de négoce est que le prix du contrat à terme et le prix du blé comptant évoluent à peu près de concert (l’écart entre ces deux prix est appelé « base »). Si le prix du blé comptant augmente de 5 %, le blé à terme augmentera peu ou prou de 5 %. Ainsi en transformant un risque de prix (acheter du blé à un prix donné sans garantie sur le prix de revente) en risque de « base », l’entreprise maîtrise davantage le gain comme la perte éventuelle de son opération (l’écart entre l’évolution du prix comptant et du prix à terme étant très souvent faible). La guerre en Ukraine, catalyseur d’une crise de liquidité Il manque un dernier élément pour comprendre le fonctionnement et les besoins de financement des entreprises de négoce de matière première : les contrats à terme entraînent des appels de marge. Tous les jours, entre la vente du contrat à terme et sa date de fin, l’entreprise de négoce doit répondre à de potentiels appels de marge. Si le prix du blé comptant est de $9 et que le prix à terme est de $8, l’appel de marge sera de $1 par boisseau. Comme évoqué plus haut, les deux prix évoluant généralement de concert, les appels de marge ne sont pas de nature à perturber le fonctionnement normal de

Par Patel A., Dufrêne N.

29 juin 2022

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