Accélérer la réalisation d’une économie véritablement circulaire à grande échelle
La crise du Covid-19 vient de démontrer cruellement notre dépendance aux importations de produits stratégiques (masques, médicaments, kits de tests PCR, etc.) et renforce ce qui était identifié de longue date pour l’ensemble de nos ressources. Bien que cela ne soit qu’une de ses nombreuses vertus, l’économie circulaire a depuis quelques années été identifiée comme un moyen de réduire cette dépendance. En 2014, Janez Potočnik, ex-Commissaire européen pour l’Environnement, écrivait ainsi : « L’Europe est très dépendante des importations pour la plupart de ses ressources et les prix de ces dernières vont continuer à augmenter et devenir de plus en plus volatiles. Il y a donc un intérêt économique manifeste à utiliser plus efficacement les ressources et à réutiliser les matières – au sein d’une économie circulaire. »[1]En 2018, on peut lire dans la Feuille de route pour l’économie circulaire (FREC) française : « L’économie circulaire, c’est aussi la réduction de la dépendance de la France aux importations de matières premières et aux aléas économiques mondiaux ». L’expérience de cette crise sanitaire a également montré que la puissance publique a gardé un pouvoir essentiel, capable qu’elle a été de ralentir – certes indirectement – une machine économique réputée incontrôlable. Un système économique que l’on sait étroitement imbriqué aux systèmes politique, sociologique et technique pour former un hyper-système global complexe, soumis à des changements environnementaux (climat, biodiversité) induits aussi bien que subis. Le constat est désormais connu : ce système n’est pas viable et a atteint voiredépassé certaines limites planétaires[2]. La cause principale en est aussi identifiée : une économie dite linéaire, consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter. L’économie circulaire est pensée dès l’origine comme une alternative au système économique linéaire, un changement systémique volontariste permettant de revenir dans l’enveloppe de ces limites planétaires et de viabiliser notre système global. En Europe et en France ont été lancées depuis une dizaine d’années des politiques visant à sortir de l’économie linéaire, mais nous semblons aujourd’hui « coincés » à un stade précoce de l’économie circulaire. Un stade trop précoce car porteur d’un possible effet pervers : servir de façade à la poursuite du « business as usual » de l’économie linéaire. La crise de 2020 peut-elle être un catalyseur de l’accélération vers plus de circularité véritable ? Nous allons tenter de répondre à cette question en posant, dans un premier temps, les éléments d’une définition complète de l’économie circulaire, indispensable à la préservation du concept fondateur (I), en exposant les étapes théoriques de mise en place de l’économie circulaire (II), en précisant le stade actuel de cette mise en place en Europe et en France (III), en analysant les causes de son ralentissement à un stade encore trop précoce (IV), en identifiant les domaines déterminants d’une accélération souhaitée (V) et l’acteur-clé que constitue l’État (VI) et enfin en examinant la question spécifique de la relocalisation d’activités industrielles (VII). Au fil du texte, nous formulerons des propositions qui nous semblent essentielles pour accélérer la réalisation d’une économie véritablement circulaire à grande échelle. Pour une définition complète de l’économie circulaire L’économie circulaire est un concept ayant émergé à la toute fin des années 1980[3] comme une alternative, inspirée par le fonctionnement des écosystèmes, à l’économie linéaire extractive et prédatrice. Il n’a cessé d’évoluer depuis et, probablement à cause de sa relative jeunesse, n’est pas encore stabilisé, ni en théorie, ni en pratique, ce qui lui fait courir le risque d’être mal interprété voire détourné[4]. Kirchherr et collaborateurs démontrent en particulier que le concept d’économie circulaire est trop souvent réduit à deux dimensions : le recyclage des déchets et la prospérité économique. L’économie circulaire, dans cette formulation « faible », ne répond plus alors à ses objectifs premiers de soutenabilité et d’équité intergénérationnelle. Proposition 1 : Adopter collectivement une définition claire, complète et « forte » de l’économie circulaire, associée à la réduction des flux (en particulier à la réduction de la consommation des ressources) dans l’objectif, à terme, d’un retour à l’intérieur des limites planétaires et ne permettant pas une interprétation « faible » légitimant la poursuite d’un modèle qui resterait essentiellement linéaire. Proposition 2 : Inscrire cette définition dans un cadre stratégique national aussi bien qu’européen, avec des objectifs chiffrés explicites mettant l’accent sur la réduction de la consommation des ressources. Nous proposons ci-dessous les éléments que toute définition complète du concept devrait inclure en nous inspirant du travail de Kirchherr et collaborateurs et en y apportant quelques compléments. Les objectifs de l’économie circulaire en termes de soutenabilité : aller vers une économie sobre en ressources naturelles difficilement ou non renouvelables (dans le cadre d’un modèle de soutenabilité dite «faible[5] »), voire totalement dénuée de prélèvements de ressources non renouvelables (dans le cadre d’un modèle de soutenabilité dite « forte »), sobre en énergie, à bas carbone et à faible impact sur les écosystèmes, jusqu’à revenir dans le domaine intérieur des limites planétaires (empreinte écologique ne dépassant pas une planète) ; en assurant la prospérité économique nécessaire au bien-être des citoyens, en particulier en termes de santé, d’emploi et de sécurisation des sources d’approvisionnement; en garantissant la justice sociale[6]; en préservant la qualité de vie des générations futures. Les principes opérationnels de l’économie circulaire : le cadre hiérarchisé de la gestion des déchets, permettant de boucler les cycles de matière et de réduire la consommation des ressources : par ordre de préférence (1) réduction des déchets et du gaspillage, (2) extension de la durée de vie des produits par réparation et maintenance, réutilisation et réemploi[7], (3) valorisation des matières par recyclage[8], (4) valorisation énergétique[9]. Ce cadre hiérarchique est souvent représenté comme une série de “R” (pour réduire, réparer, réutiliser, recycler, etc.) dont le nombre varie d’une publication à l’autre ; l’approche systémique multi-échelle: mise en œuvre de la circularité à l’échelle (1) des micro-systèmes (échelle des entreprises, des produits, des consommateurs), (2) des méso-systèmes (échelle des villes, des territoires, des plateformes industrielles, des régions), (3) des macro-systèmes (échelle nationale, continentale et globale)[10]. Les acteurs de la mise en œuvre de l’économie circulaire : les pouvoirs publics, par leur rôle normatif et incitatif à l’échelle nationale et de mise en œuvre à l’échelle descollectivités
Par Duquennoi C.
29 mai 2020