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Simon Pujau

Simon Pujau

Biographie

Diplômé de Sciences Po Toulouse, Simon Pujau est responsable des relations institutionnelles de l’association professionnelle France Hydrogène. Il travaille sur la décarbonation et la relocalisation des industries de base, principalement à travers des politiques de demande et la régulation des marchés de l’électricité.

Notes publiées

Relancer l’offensive climatique européenne : utiliser l’Industrial Accelerator Act et le Clean Corporate Fleets pour développer des obligations ciblées sur la demande

À partir du 16 décembre 2025 avec le règlement Clean Corporate Fleets (CCF), puis du 28 janvier 2026 avec l’Industrial Accelerator Act (IAA), la Commission européenne déterminera si l’Union choisit la percée ou le reflux en matière de politiques climatiques : soit consolider une architecture climatique socialement soutenable et industriellement robuste, soit ouvrir la voie au backlash fossile en affaiblissant les normes adoptées ces dernières années. La clef de la percée consiste à compléter les normes appliquées à la production et le signal-prix homogène du marché carbone par des obligations ciblées sur la demande, concentrées là où les surcoûts sont absorbables et où les capacités de structuration industrielle sont maximales. Nous les appellerons politiques d’absorption. Constats et recommandations clés 1. Faire des flottes professionnelles le moteur d’une transition juste (règlement Clean Corporate Fleets – CCF) Les véhicules des entreprises et administrations représentent une part limitée du parc, mais une part déterminante des immatriculations et des émissions. Leur conversion accélérée vers le zéro-émission permet d’absorber le surcoût initial là où il est supportable, de sécuriser les investissements engagés pour respecter les normes CO₂ (CAFE[1] et poids lourds[2]), d’alimenter un marché d’occasion électrique, et de réduire fortement la demande en carburants fossiles, allégeant la pression sur l’ETS-2[3] pour les ménages. Le Paquet automobile du 16 décembre 2025 doit ainsi : imposer des obligations zéro-émission et Made in EU ambitieuses sur les flottes professionnelles ; préserver l’intégrité des normes CO₂ voitures et poids lourds, indispensables à la visibilité industrielle et crédibilité politique de l’Union. 2. Relancer la sidérurgie par un marché pilote acier near-zero (IAA) La décarbonation profonde de l’acier primaire (~8 % des émissions mondiales de CO2) repose sur le DRI-hydrogène (DRI-H2), plus coûteux à produire mais dont l’impact sur le prix d’une voiture est d’environ 1 %. Ainsi, dans le Paquet automobile et l’IAA, porter les dispositions suivantes : Rejeter les supercrédits CAFE[4], qui affaibliraient les normes automobiles sans suffire à structurer une production européenne d’acier primaire bas-carbone ; Créer un marché pilote imposant des quotas croissants d’acier near-zero (DRI-H₂) dans les véhicules vendus dans l’Union européenne (UE) à partir de 2029–2030 ; Intégrer des clauses de réciprocité robustes : valeur carbone par défaut sur les importations ; exemption des véhicules exportés. 3. Débloquer la décarbonation des engrais et protéger les agriculteurs par un marché pilote à l’aval Les engrais azotés (≈5 % des émissions mondiales en intégrant l’usage) constituent un nœud climatique et social. Le couple ETS / CBAM[5], appliqué seul, pénalise les agriculteurs sans créer les conditions d’investissement dans des technologies bas-carbone. L’IAA est une opportunité unique de sortir de cette impasse sociale et écologique : Créer un marché pilote engrais bas-carbone pour l’alimentation animale, reposant sur les grands industriels et ciblant plus de la moitié des volumes d’engrais avec un impact inférieur à 2.5 % sur le prix du produit final ; Le doter de deux compartiments indépendants : contenu carbone des engrais à la fabrication et usage d’inhibiteurs réduisant les émissions de N2O à l’usage ; Compenser les agriculteurs pour le prix du carbone sur les engrais (désormais possible sans casser le signal à la décarbonation grâce au marché pilote à l’aval). 4. Étendre les politiques d’absorption à d’autres secteurs (IAA) L’acier et les engrais offrent ici chacun un cas d’école pour concevoir des marchés pilotes industriels bas-carbone. Cette grille de lecture et d’action doit être remobilisée pour déployer mutatis mutandis les politiques d’absorption sur d’autres secteurs émetteurs majeurs, en particulier ciment, aluminium, et plastiques. I. 16 décembre : l’Europe arrive sur le champ de bataille Le 16 décembre 2025 puis le 28 janvier 2026, la Commission européenne ne publiera pas simplement une série de textes techniques supplémentaires. Elle arbitrera un choix stratégique : donner une véritable dimension sociale et industrielle aux politiques climatiques de l’Union, ou donner corps au backlash politique en reculant de manière désordonnée sur des normes écologiques critiques non seulement pour le climat, mais aussi pour la prospérité à moyen et long terme de l’Union. Ce choix tient largement à un déplacement de la focale régulatoire : soit l’Europe continue de s’en remettre principalement à des signaux-prix moyens et à des normes amont sur l’offre pour porter son ambition écologique, soit elle assume de faire porter une partie décisive de l’effort sur des obligations ciblées à l’aval, là où les surcoûts sont socialement absorbables et où l’on peut piloter les effets sur l’activité et les emplois industriels de l’Union. C’est le dénominateur commun entre deux chantiers que la Commission va mettre sur la table  : Le 16 décembre 2025 avec le règlement Clean Corporate Fleets (CCF), qui doit encadrer le verdissement des flottes professionnelles et agir directement sur la demande de véhicules zéro-émission. Les révisions des règlements dits CO2 voitures (normes CAFE1) et CO2 poids-lourds2 y sont directement liées (ou plutôt, dans cette note : l’appel à ne pas toucher à ces règlements adoptés il y a moins de trois ans) ; Le 28 janvier 2026 avec l’Industrial Accelerator Act (IAA), qui ouvre la possibilité de créer de véritables marchés pilotes pour des matériaux bas-carbone, en particulier l’acier et les engrais. Là encore, l’enjeu n’est pas de raffiner marginalement un signal-prix, mais de structurer une demande garantie pour des produits industriels décarbonés, afin de faire basculer des chaînes de valeur entières. À travers ces textes, l’Union dispose d’une opportunité unique : faire converger un agenda social légitime (ne pas faire peser la transition sur les seuls ménages exposés), un agenda industriel offensif (sécuriser des investissements et des emplois en Europe) et un agenda climatique crédible (tenue des trajectoires 2030–2040). La thèse de cette note est la suivante : en organisant des obligations ciblées sur la demande d’acteur privés – via le règlement Clean Corporate Fleets, et via des marchés pilotes ambitieux dans l’Industrial Accelerator Act –, les institutions européennes peuvent rendre la transition pleinement désirable pour les citoyens, en même temps qu’elles renforcent la résilience de la base industrielle européenne. Les politiques climatiques constituent un champ de bataille permanent. Nous faisons face à une contre-offensive des intérêts fossiles, qui exploitent les failles sociales et industrielles des réglementations existantes. Soit l’Union recule en étirant et affaiblissant progressivement ses normes, soit elle relance l’offensive en

Par Pujau S.

15 décembre 2025

Relancer l’offensive climatique européenne : utiliser l’Industrial Accelerator Act et le Clean Corporate Fleets pour développer des obligations ciblées sur la demande

À partir du 16 décembre 2025 avec le règlement Clean Corporate Fleets (CCF), puis du 28 janvier 2026 avec l’Industrial Accelerator Act (IAA), la Commission européenne déterminera si l’Union choisit la percée ou le reflux en matière de politiques climatiques : soit consolider une architecture climatique socialement soutenable et industriellement robuste, soit ouvrir la voie au backlash fossile en affaiblissant les normes adoptées ces dernières années. La clef de la percée consiste à compléter les normes appliquées à la production et le signal-prix homogène du marché carbone par des obligations ciblées sur la demande, concentrées là où les surcoûts sont absorbables et où les capacités de structuration industrielle sont maximales. Nous les appellerons politiques d’absorption. Constats et recommandations clés 1. Faire des flottes professionnelles le moteur d’une transition juste (règlement Clean Corporate Fleets – CCF) Les véhicules des entreprises et administrations représentent une part limitée du parc, mais une part déterminante des immatriculations et des émissions. Leur conversion accélérée vers le zéro-émission permet d’absorber le surcoût initial là où il est supportable, de sécuriser les investissements engagés pour respecter les normes CO₂ (CAFE[1] et poids lourds[2]), d’alimenter un marché d’occasion électrique, et de réduire fortement la demande en carburants fossiles, allégeant la pression sur l’ETS-2[3] pour les ménages. Le Paquet automobile du 16 décembre 2025 doit ainsi : imposer des obligations zéro-émission et Made in EU ambitieuses sur les flottes professionnelles ; préserver l’intégrité des normes CO₂ voitures et poids lourds, indispensables à la visibilité industrielle et crédibilité politique de l’Union. 2. Relancer la sidérurgie par un marché pilote acier near-zero (IAA) La décarbonation profonde de l’acier primaire (~8 % des émissions mondiales de CO2) repose sur le DRI-hydrogène (DRI-H2), plus coûteux à produire mais dont l’impact sur le prix d’une voiture est d’environ 1 %. Ainsi, dans le Paquet automobile et l’IAA, porter les dispositions suivantes : Rejeter les supercrédits CAFE[4], qui affaibliraient les normes automobiles sans suffire à structurer une production européenne d’acier primaire bas-carbone ; Créer un marché pilote imposant des quotas croissants d’acier near-zero (DRI-H₂) dans les véhicules vendus dans l’Union européenne (UE) à partir de 2029–2030 ; Intégrer des clauses de réciprocité robustes : valeur carbone par défaut sur les importations ; exemption des véhicules exportés. 3. Débloquer la décarbonation des engrais et protéger les agriculteurs par un marché pilote à l’aval Les engrais azotés (≈5 % des émissions mondiales en intégrant l’usage) constituent un nœud climatique et social. Le couple ETS / CBAM[5], appliqué seul, pénalise les agriculteurs sans créer les conditions d’investissement dans des technologies bas-carbone. L’IAA est une opportunité unique de sortir de cette impasse sociale et écologique : Créer un marché pilote engrais bas-carbone pour l’alimentation animale, reposant sur les grands industriels et ciblant plus de la moitié des volumes d’engrais avec un impact inférieur à 2.5 % sur le prix du produit final ; Le doter de deux compartiments indépendants : contenu carbone des engrais à la fabrication et usage d’inhibiteurs réduisant les émissions de N2O à l’usage ; Compenser les agriculteurs pour le prix du carbone sur les engrais (désormais possible sans casser le signal à la décarbonation grâce au marché pilote à l’aval). 4. Étendre les politiques d’absorption à d’autres secteurs (IAA) L’acier et les engrais offrent ici chacun un cas d’école pour concevoir des marchés pilotes industriels bas-carbone. Cette grille de lecture et d’action doit être remobilisée pour déployer mutatis mutandis les politiques d’absorption sur d’autres secteurs émetteurs majeurs, en particulier ciment, aluminium, et plastiques. I. 16 décembre : l’Europe arrive sur le champ de bataille Le 16 décembre 2025 puis le 28 janvier 2026, la Commission européenne ne publiera pas simplement une série de textes techniques supplémentaires. Elle arbitrera un choix stratégique : donner une véritable dimension sociale et industrielle aux politiques climatiques de l’Union, ou donner corps au backlash politique en reculant de manière désordonnée sur des normes écologiques critiques non seulement pour le climat, mais aussi pour la prospérité à moyen et long terme de l’Union. Ce choix tient largement à un déplacement de la focale régulatoire : soit l’Europe continue de s’en remettre principalement à des signaux-prix moyens et à des normes amont sur l’offre pour porter son ambition écologique, soit elle assume de faire porter une partie décisive de l’effort sur des obligations ciblées à l’aval, là où les surcoûts sont socialement absorbables et où l’on peut piloter les effets sur l’activité et les emplois industriels de l’Union. C’est le dénominateur commun entre deux chantiers que la Commission va mettre sur la table  : Le 16 décembre 2025 avec le règlement Clean Corporate Fleets (CCF), qui doit encadrer le verdissement des flottes professionnelles et agir directement sur la demande de véhicules zéro-émission. Les révisions des règlements dits CO2 voitures (normes CAFE1) et CO2 poids-lourds2 y sont directement liées (ou plutôt, dans cette note : l’appel à ne pas toucher à ces règlements adoptés il y a moins de trois ans) ; Le 28 janvier 2026 avec l’Industrial Accelerator Act (IAA), qui ouvre la possibilité de créer de véritables marchés pilotes pour des matériaux bas-carbone, en particulier l’acier et les engrais. Là encore, l’enjeu n’est pas de raffiner marginalement un signal-prix, mais de structurer une demande garantie pour des produits industriels décarbonés, afin de faire basculer des chaînes de valeur entières. À travers ces textes, l’Union dispose d’une opportunité unique : faire converger un agenda social légitime (ne pas faire peser la transition sur les seuls ménages exposés), un agenda industriel offensif (sécuriser des investissements et des emplois en Europe) et un agenda climatique crédible (tenue des trajectoires 2030–2040). La thèse de cette note est la suivante : en organisant des obligations ciblées sur la demande d’acteur privés – via le règlement Clean Corporate Fleets, et via des marchés pilotes ambitieux dans l’Industrial Accelerator Act –, les institutions européennes peuvent rendre la transition pleinement désirable pour les citoyens, en même temps qu’elles renforcent la résilience de la base industrielle européenne. Les politiques climatiques constituent un champ de bataille permanent. Nous faisons face à une contre-offensive des intérêts fossiles, qui exploitent les failles sociales et industrielles des réglementations existantes. Soit l’Union recule en étirant et affaiblissant progressivement ses normes, soit elle relance l’offensive en

Par Pujau S.

15 décembre 2025

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