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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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Adrien Sergent

Biographie

Ingénieur électricien (INSA Lyon) et politologue (Université de Buenos Aires), Adrien Sergent est salarié du secteur de l’énergie depuis 2009 et est membre de la Fundación Meridiano depuis 2021.

Notes publiées

EDF, la concurrence jusqu’à la lie ?

Quelle que soit l’issue de la crise énergétique traversée par l’Europe, il est à espérer qu’elle aura au moins le mérite d’interroger sur les politiques publiques qui nous ont amenés là. Les auditions à l’Assemblée nationale de la Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France apportent un éclairage saisissant sur le cas particulier de l’électricité. Un enjeu d’autant plus crucial que la décarbonation de nos modes de vie passera nécessairement par l’augmentation de la part de ce vecteur énergétique dans les usages finaux. Durant son audition à l’Assemblée nationale le 13 décembre 2022 en tant qu’ex-PDG d’Électricité de France (EDF), Proglio rappelle que l’entreprise publique se trouvait à l’aube de la libéralisation du secteur de l’électricité en position d’exportatrice nette, disposait des prix les plus compétitifs au niveau européen, offrait un contrat de service public qui faisait référence dans le monde et possédait une longueur d’avance avec son parc de production émettant peu de gaz à effet de serre. Avant d’ajouter laconiquement : « il n’y avait plus qu’à tout détruire. C’est chose faite ». Le contraste est en effet saisissant vis-à-vis de la situation actuelle du groupe qui termine l’année 2022 avec la production électronucléaire la plus basse enregistrée depuis 1988, des pertes historiques de 17,9 milliards d’euros et un endettement record de 64,5 milliards d’euros[1]. Au-delà des accusations croisées entre plusieurs des hauts dirigeants auditionnés et ayant probablement à cœur de se dédouaner de leurs responsabilités dans la crise ambiante, un thème revient en boucle : celui de l’introduction toute particulière de la concurrence dans le domaine électrique français. Généalogie du dogme Mais avant de se pencher sur ce point précis, il est utile de revenir sur les origines d’un mouvement qui brisera dans le monde entier l’organisation du secteur de l’électricité sous la forme d’entreprises verticalement intégrées. La première grande réforme visant à introduire la concurrence dans ce domaine est à l’actif du gouvernement de Pinochet dans le Chili de 1982. Les activités de production, de transport et de distribution d’électricité sont alors séparées préalablement à la privatisation des entreprises locales. Est venue ensuite l’ouverture du marché de l’électricité par le gouvernement de Thatcher dans la Grande-Bretagne en 1989, suivie de près par celle de l’Argentine en 1992, du Japon en 1995, de la Californie en 1998 et de nombreux autres pays par la suite. Le cas des États-Unis est intéressant dans le sens où aujourd’hui encore, environ la moitié des régions de ce pays continue de fonctionner avec le modèle du monopole régulé. Aux dernières nouvelles, celles-ci ont observé une moindre augmentation des tarifs de l’électricité par rapport à celles qui ont décidé de parier sur les supposées vertus de la concurrence[2]. Dans le cas de l’Union européenne, le coup d’envoi a été donné par la directive 96/92/CE du parlement européen et du conseil du 19 décembre 1996. Tous les pays membres sont alors sommés d’ouvrir à la concurrence la production et la fourniture d’électricité tandis que le transport et la distribution restent à part en tant que « monopole naturel »[3]. Pour ces deux derniers segments, on parle plutôt de concurrence pour le marché, c’est-à-dire de mettre en enchère pour des entreprises, privées de préférence, la concession de portions du réseau électrique. Comme dans les cas précédents, il a été mis en avant que la concurrence permettrait d’améliorer l’efficacité de la gestion du réseau électrique et que ces usagers se verraient bénéficier de prix plus compétitifs. C’était l’époque où le modèle de monopoles publics ou privés sous la supervision d’une institution publique de régulation était critiqué pour conduire à des surinvestissements. Rétrospectivement, on peut trouver cet argument particulièrement cocasse quand on sait qu’aujourd’hui on souffre d’un manque d’investissements dans les énergies décarbonées pour assurer la transition écologique. Les réformes ont donc été menées tambour battant en dépit des avertissements des économistes spécialistes de l’énergie (qui n’étaient d’ailleurs pas nécessairement réfractaires aux idées libérales)[4]. En effet, l’électricité n’est pas un bien comme les autres puisqu’à chaque instant l’offre doit être égale à la demande sous peine d’écroulement du réseau. Malgré le fait que facturer des électrons reste quelque chose de plutôt standard, on espérait aussi que la libéralisation permettrait des innovations dans la fourniture d’électricité à même de compenser les nouveaux coûts de marketing et de transaction qu’implique la création de nouveaux segments de marché[5]. Concernant la production d’électricité, l’introduction de la concurrence se traduit par la mise en place d’un marché spot où se confrontent les prix de chaque centrale, celle ayant le coût variable le plus haut définissant le prix rémunéré à toutes les autres. Ce système de fixation du prix au coût marginal de la dernière centrale appelée pour satisfaire la demande trouve son origine théorique dans les apports de Marcel Boiteux, pionnier de l’économie de l’électricité et historique dirigeant d’EDF. Cet économiste avait en effet démontré que sous certaines conditions ce système était le meilleur possible, car il incitait à bien dimensionner le parc de production dans une gestion centralisée. Il s’agissait cependant d’un mécanisme qui s’inscrivait dans le cadre d’un monopole public comme celui d’EDF et non pas dans celui d’un marché avec différents agents décentralisés en concurrence. En effet, pour cela il faudrait que ce dernier puisse soit être omniscient en connaissant parfaitement la demande d’électricité à venir ou parfaitement flexible en rajoutant ou retirant des unités de production selon les variations de la demande. Pour un secteur dont les coûts fixes sont énormes et les cycles de vie peuvent se compter en décennies, cela est évidemment impossible. Le marché ouvert à la concurrence ne satisfait pas non plus la condition de convexité du modèle théorique à cause des coûts de démarrage et d’arrêt des centrales, du fait que certaines d’entre elles ne peuvent descendre en dessous d’une puissance minimum ou bien dans le cas de l’hydraulique parce que l’ouverture des vannes d’un barrage se répercute sur ceux en aval. Il n’est toutefois pas rare de trouver des défenseurs acharnés de cette théorie se retrancher derrière leurs équations différentielles du premier

Par Sergent A.

9 mars 2023

EDF, la concurrence jusqu’à la lie ?

Quelle que soit l’issue de la crise énergétique traversée par l’Europe, il est à espérer qu’elle aura au moins le mérite d’interroger sur les politiques publiques qui nous ont amenés là. Les auditions à l’Assemblée nationale de la Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France apportent un éclairage saisissant sur le cas particulier de l’électricité. Un enjeu d’autant plus crucial que la décarbonation de nos modes de vie passera nécessairement par l’augmentation de la part de ce vecteur énergétique dans les usages finaux. Durant son audition à l’Assemblée nationale le 13 décembre 2022 en tant qu’ex-PDG d’Électricité de France (EDF), Proglio rappelle que l’entreprise publique se trouvait à l’aube de la libéralisation du secteur de l’électricité en position d’exportatrice nette, disposait des prix les plus compétitifs au niveau européen, offrait un contrat de service public qui faisait référence dans le monde et possédait une longueur d’avance avec son parc de production émettant peu de gaz à effet de serre. Avant d’ajouter laconiquement : « il n’y avait plus qu’à tout détruire. C’est chose faite ». Le contraste est en effet saisissant vis-à-vis de la situation actuelle du groupe qui termine l’année 2022 avec la production électronucléaire la plus basse enregistrée depuis 1988, des pertes historiques de 17,9 milliards d’euros et un endettement record de 64,5 milliards d’euros[1]. Au-delà des accusations croisées entre plusieurs des hauts dirigeants auditionnés et ayant probablement à cœur de se dédouaner de leurs responsabilités dans la crise ambiante, un thème revient en boucle : celui de l’introduction toute particulière de la concurrence dans le domaine électrique français. Généalogie du dogme Mais avant de se pencher sur ce point précis, il est utile de revenir sur les origines d’un mouvement qui brisera dans le monde entier l’organisation du secteur de l’électricité sous la forme d’entreprises verticalement intégrées. La première grande réforme visant à introduire la concurrence dans ce domaine est à l’actif du gouvernement de Pinochet dans le Chili de 1982. Les activités de production, de transport et de distribution d’électricité sont alors séparées préalablement à la privatisation des entreprises locales. Est venue ensuite l’ouverture du marché de l’électricité par le gouvernement de Thatcher dans la Grande-Bretagne en 1989, suivie de près par celle de l’Argentine en 1992, du Japon en 1995, de la Californie en 1998 et de nombreux autres pays par la suite. Le cas des États-Unis est intéressant dans le sens où aujourd’hui encore, environ la moitié des régions de ce pays continue de fonctionner avec le modèle du monopole régulé. Aux dernières nouvelles, celles-ci ont observé une moindre augmentation des tarifs de l’électricité par rapport à celles qui ont décidé de parier sur les supposées vertus de la concurrence[2]. Dans le cas de l’Union européenne, le coup d’envoi a été donné par la directive 96/92/CE du parlement européen et du conseil du 19 décembre 1996. Tous les pays membres sont alors sommés d’ouvrir à la concurrence la production et la fourniture d’électricité tandis que le transport et la distribution restent à part en tant que « monopole naturel »[3]. Pour ces deux derniers segments, on parle plutôt de concurrence pour le marché, c’est-à-dire de mettre en enchère pour des entreprises, privées de préférence, la concession de portions du réseau électrique. Comme dans les cas précédents, il a été mis en avant que la concurrence permettrait d’améliorer l’efficacité de la gestion du réseau électrique et que ces usagers se verraient bénéficier de prix plus compétitifs. C’était l’époque où le modèle de monopoles publics ou privés sous la supervision d’une institution publique de régulation était critiqué pour conduire à des surinvestissements. Rétrospectivement, on peut trouver cet argument particulièrement cocasse quand on sait qu’aujourd’hui on souffre d’un manque d’investissements dans les énergies décarbonées pour assurer la transition écologique. Les réformes ont donc été menées tambour battant en dépit des avertissements des économistes spécialistes de l’énergie (qui n’étaient d’ailleurs pas nécessairement réfractaires aux idées libérales)[4]. En effet, l’électricité n’est pas un bien comme les autres puisqu’à chaque instant l’offre doit être égale à la demande sous peine d’écroulement du réseau. Malgré le fait que facturer des électrons reste quelque chose de plutôt standard, on espérait aussi que la libéralisation permettrait des innovations dans la fourniture d’électricité à même de compenser les nouveaux coûts de marketing et de transaction qu’implique la création de nouveaux segments de marché[5]. Concernant la production d’électricité, l’introduction de la concurrence se traduit par la mise en place d’un marché spot où se confrontent les prix de chaque centrale, celle ayant le coût variable le plus haut définissant le prix rémunéré à toutes les autres. Ce système de fixation du prix au coût marginal de la dernière centrale appelée pour satisfaire la demande trouve son origine théorique dans les apports de Marcel Boiteux, pionnier de l’économie de l’électricité et historique dirigeant d’EDF. Cet économiste avait en effet démontré que sous certaines conditions ce système était le meilleur possible, car il incitait à bien dimensionner le parc de production dans une gestion centralisée. Il s’agissait cependant d’un mécanisme qui s’inscrivait dans le cadre d’un monopole public comme celui d’EDF et non pas dans celui d’un marché avec différents agents décentralisés en concurrence. En effet, pour cela il faudrait que ce dernier puisse soit être omniscient en connaissant parfaitement la demande d’électricité à venir ou parfaitement flexible en rajoutant ou retirant des unités de production selon les variations de la demande. Pour un secteur dont les coûts fixes sont énormes et les cycles de vie peuvent se compter en décennies, cela est évidemment impossible. Le marché ouvert à la concurrence ne satisfait pas non plus la condition de convexité du modèle théorique à cause des coûts de démarrage et d’arrêt des centrales, du fait que certaines d’entre elles ne peuvent descendre en dessous d’une puissance minimum ou bien dans le cas de l’hydraulique parce que l’ouverture des vannes d’un barrage se répercute sur ceux en aval. Il n’est toutefois pas rare de trouver des défenseurs acharnés de cette théorie se retrancher derrière leurs équations différentielles du premier

Par Sergent A.

9 mars 2023

Travaux externes

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