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    Betterave et néonicotinoïdes Cas d’école de l’impossibilité d’émergence de l’agroécologie dans un marché agricole mondialisé

    L’Assemblée Nationale a voté le 5 octobre 2020 la réautorisation, jusqu’au 1er juillet 2023, de l’utilisation des néonicotinoïdes en enrobage de semences de betterave sucrière. L’interdiction de ces molécules insecticides, votée en 2016 dans le cadre de la « Loi pour la reconquête de la biodiversité », était entrée en vigueur il y a deux ans. Elle était motivée par la toxicité avérée de ces molécules pour les insectes, dont les pollinisateurs, et pour de nombreux organismes présents dans les sols, comme les vers de terre. Par ailleurs, il a été démontré qu’une partie importante des néonicotinoïdes présents dans l’enrobage des semences était lessivée, migrait dans les sols et était absorbée par la flore sauvage en bord de champs, directement butinée par les pollinisateurs. L’autorisation de dérogations pour la filière betterave, après seulement deux ans d’interdiction, a été poussée par un sentiment d’urgence, la production française étant gravement menacée à très court terme par le virus de la jaunisse de la betterave, transmise par des pucerons. Il convient aujourd’hui d’être très clair : il n’existe à ce jour aucune pratique alternative permettant à la France de se maintenir au second rang mondial de la production de betterave sucrière (39,6 millions de tonnes en 2019, derrière la Russie), avec les coûts de production actuels (28 €/Tonne pour le rendement moyen en 2019). Le « Plan national de recherche et d’innovation » lancé le 22 septembre dernier par l’Institut Nationale de la Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement (INRAE) et l’Institut Technique de la Betterave (ITB) afin de trouver des alternatives aux néonicotinoïdes en production de betterave a mis en lumière une chose : la recherche agronomique française court après les problèmes au lieu de les anticiper et peine à prendre la place qui devrait être la sienne : cheffe de file d’un profond Plan de transformation agroécologique de l’agriculture française, qui est plus que jamais nécessaire. Il faut espérer que le Plan de recherche INRAE/ITB, doté d’un budget de 7 millions d’euros sur 3 ans, aboutira à identifier des alternatives aux néonicotinoïdes. C’est probable, car des alternatives agroécologiques prometteuses existent déjà. Des essais expérimentaux menés en pomme de terre ont déjà permis d’identifier certaines pratiques potentiellement intéressantes comme le paillage ou l’utilisation de couverts inter-rangs qui, en modifiant la couleur du champ, altèreraient la capacité de repérage des plants de betterave par le puceron. Mais, même si l’intérêt de ces pratiques est confirmé, elles ne pourront pas être mises en place par les agriculteurs avec un cours mondial de la betterave en baisse constante (23 €/Tonne en 2019, pulpe comprise), bien souvent inférieurs aux coûts de production (28 €/Tonne). Car les problématiques agronomiques et écologiques liées à la production de betterave ne peuvent pas être découplées des problématiques économiques. Depuis la fin des quotas sucriers en 2017, la production mondiale de sucre s’est envolée, tirée par la course à l’exportation de pays comme l’Inde et la Thaïlande, et le cours mondial s’est effondré : – 40% entre octobre 2017 et mars 2019. Il est donc totalement illusoire de penser que de nouvelles pratiques, non-chimiques voire écologiques, pourront sortir des stations d’essais et se généraliser dans les champs sans prix rémunérateurs. Cette réalité vaut pour l’ensemble des production agricoles : il n’y aura pas de transformation agroécologique à large échelle sans rémunération juste des producteurs, et sans partage équitable de la valeur créée. Dans ce contexte de marché agricole mondialisé, il est permis au passage de déplorer que certains militants de la cause écologiste aient abandonné en chemin l’internationalisme. Est-il vraiment préférable d’interdire immédiatement certaines pratiques polluantes sur notre territoire, de délocaliser les filières industrielles qui s’y rattachent, et de pudiquement fermer les yeux sur les conditions de production des produits importés, ou faut-il accepter de garder la main sur une production, certes polluante pendant encore quelques années, mais sur laquelle notre souveraineté peut et doit s’exercer ? Enfin, il convient également de poser une question centrale en matière de politique écologique : faut-il continuer de légiférer uniquement sur des obligations de moyens (interdire l’utilisation des néonicotinoïdes) sans se préoccuper des résultats ? En l’occurrence, il semble que la biodiversité ne sorte pas gagnante de l’augmentation des pulvérisations foliaires avec plusieurs molécules insecticides consécutive à l’interdiction des néonicotinoïdes. Et l’on mesure donc ici toute l’importance de planifier la transformation écologique de l’agriculture pour que les avancées législatives entraînent de réels effets bénéfiques sur le terrain, pour les agriculteurs et les écosystèmes dans lesquels ils produisent, bien loin des incantations de salon.

    Par Lugassy L.

    8 octobre 2020

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