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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

Écologie

Droits de Tirage Spéciaux, Covid-19 et environnement : The time is now, the question is how ?

Comme dans bon nombre d’autres domaines, la pandémie de Covid-19 a agi comme un révélateur des fragilités préexistantes du système monétaire et financier international (SMI). Depuis les années 1980, le cycle financier, guidé par les grandes institutions financières internationales, a déterminé les dynamiques économiques du régime de croissance financiarisé [1]. Ce régime se caractérise par une succession de survalorisations d’actifs et d’emballements du crédit créant une croissance sous hormones, survalorisations suivies régulièrement de crises systémiques toujours plus massives, à l’image de celle de 2008. Le cycle financier a ainsi offert aux économies développées une échappatoire facile mais fragile à la menace de « stagnation séculaire » dont elles n’ont par ailleurs pas encore trouvé l’issue, tout en faisant porter une bonne partie des coûts sociaux et écologiques des crises sur les populations les plus faibles du globe. Table des matières I. La triple crise des pays émergents et en développement II. Des filets de sécurité financiers ébranlés, une dépendance problématique au dollar. III. DTS, the time is now IV. The question is how V. Monnaie internationale et limites planétaires   I. La triple crise des pays émergents et en développement À cet égard, la pandémie de Covid-19 intervient à un moment où les indicateurs de volatilité financière (tels que mesurés par le VIX par exemple) étaient revenus à leur plus haut niveau depuis 2009, de sorte que la combinaison de ces fragilités prêtes à imploser et de la pandémie a immédiatement créé un effet de système massif. Le retournement brutal des flux de capitaux, qui avaient afflué ces dernières années dans les pays émergents et dans les pays en développement, à la recherche de rendements, a été particulièrement massif dans les dernières semaines. Totalement étrangers à la crise du Covid-19, les pays émergents ont pourtant vu littéralement fondre, en quelques jours, leur déjà faible autonomie financière, le prix des matières premières dont dépend l’essentiel de leurs ressources fiscales, en même temps qu’ils ont vu surgir pour eux-mêmes la menace de la pandémie [2]. C’est ainsi bien une triple crise en puissance à laquelle sont confrontés les pays émergents et en développement. Les fuites de capitaux d’abord, qui ont atteint une centaine de milliards de dollars depuis le début de la pandémie alors qu’elles s’étaient limitées à l’occasion de la crise de 2008 à une trentaine de milliards de dollars. La chute induite des taux de change des pays émergents et des pays en développement (entre 5 et 25 % de perte par rapport au dollar) surenchérit l’accès aux devises étrangères, et notamment au dollar et à l’euro, que ce soit pour les importations ou le remboursement de crédits dans ces monnaies avec des risques de défauts très fortement accrus. La chute des cours des matières premières ensuite (37% en moyenne à ce jour), et du pétrole en particulier, réduit encore l’espace d’autonomie politique de ces pays pour faire face à la crise. Enfin, la crise sanitaire pourrait générer des dégâts considérables dans des pays qui ont jusqu’à récemment encore suivi les recettes du consensus de Washington, réduisant tout ce qui pouvait ressembler à des dépenses publiques ou des services publics. Face à cette triple crise, les filets de sécurité financiers existants, ce que l’on appelle plus généralement le système monétaire international, s’avèrent bien trop faibles pour endiguer la crise.   II. Des filets de sécurité financiers ébranlés, une dépendance problématique au dollar Pour faire face aux besoins urgents en devises, de nombreux pays (plus de 90 à l’heure où nous écrivons) ont d’ores et déjà demandé de bénéficier de facilités de financement du FMI. Sans conditionnalité pour les pays présentant une situation d’endettement jugée soutenable, ces facilités d’urgence sont limitées en volume (100 milliards de dollars au total). Les programmes plus conséquents de prêts du FMI supposent quant à eux des conditionnalités lourdes de réformes dites structurelles, co-responsables des conditions sanitaires déplorables de nombreux pays aujourd’hui candidats. De nombreux pays émergents sont ainsi traumatisés par leur dernière expérience de tels prêts (Algérie, Argentine…) et pourraient reculer le plus longtemps possible devant cette éventualité. De leur côté, les États-Unis, via leur réserve fédérale (Fed), ont déployé un arsenal de lignes d’échanges de devises (« swap lines ») avec les banques centrales de pays « amis », permettant de fournir directement à ces pays des dollars en échange de leur propre devise. Le Brésil et le Mexique sont les principaux pays émergents concernés. Au-delà de ces swap lines, une facilité « repo » a été également ouverte pour permettre à un plus grand nombre de pays de troquer leurs bons du Trésor américain contre des dollars. Des discussions sont enfin ouvertes sur la possibilité d’une ligne d’échanges de devises entre le FMI et la Fed. Malgré ces avancées, les insuffisances de ce système apparaissent au grand jour : la conditionnalité des prêts liée à des fondamentaux macroéconomiques « solides », qui exclut de nombreux pays en nécessité impérieuse de soutien tels que l’Argentine ou le Soudan ; la limitation des quantités émises par rapport aux enjeux, alors que la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (UNCTAD) [3] évalue les besoins immédiats des pays émergents et des pays en développements à 2500 milliards de dollars ; le choix politique des pays bénéficiaires par la puissance hégémonique, directement dans le cas des interventions de la Fed (l’Inde, la Turquie, la Thaïlande ou l’Afrique du Sud ne font pour l’instant pas partie des pays bénéficiaires de « swap lines »), indirectement via le jeu des quotes-parts au sein du FMI. Plus fondamentalement, la confiance dans la devise clé, le dollar américain, pourrait être ébranlée par la gestion même de la pandémie par les États-Unis, la tendance de l’administration actuelle à prioriser absolument les intérêts américains au détriment systématique du multilatéralisme, et les dépenses intérieures titanesques engagées pour limiter les impacts de la crise [4]. Les tensions géopolitiques générées par ce moment de flottement des responsabilités internationales semblent repousser toute action majeure sur les dettes des pays en développement. Même si le G20 reporte fort heureusement les paiements d’intérêts des dettes pour l’année 2020 (qui

Par Espagne É.

3 mai 2020

Comment financer une politique ambitieuse de reconstruction écologique ?

Si l’importance cruciale de la reconstruction écologique de nos sociétés n’est plus à démontrer et fait l’objet d’un large consensus, son ampleur, son financement et les modalités de sa mise en œuvre demeurent très largement discutés, ce qui en fait un objet politique de toute première importance. Une véritable reconstruction écologique suppose en effet des moyens financiers importants, difficiles à mobiliser sans une action déterminée de l’État, des banques centrales et des institutions financières publiques afin de compenser ce que le marché seul ne pourra pas réaliser. Une telle action ne peut que reposer sur une vision différente de la politique monétaire et budgétaire sur les plans théorique et pratique. Cette note propose des solutions concrètes pour parvenir à un financement adéquat de la reconstruction écologique, en distinguant ce qui peut être effectué dans le cadre juridique et financier européen actuel et ce qui pourrait être obtenu en allant au-delà de ce cadre. Elle insiste également sur la différence d’ambition entre le Green deal présenté aujourd’hui au niveau européen et le Green New Deal tel qu’il est souhaité par de nombreux acteurs.   Introduction   La reconstruction écologique de nos sociétés est un impératif pour notre survie et une chance à saisir dans l’histoire du progrès humain. Nous le savons : la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère est aujourd’hui d’environ 415 parties par million (ppm), soit un niveau inédit dans toute l’histoire de l’humanité. La dernière fois qu’un niveau similaire avait été atteint, c’était il y a trois millions d’années, alors que les températures étaient 3 à 4°C plus élevées. Le niveau des océans était alors de 15 mètres plus élevé qu’aujourd’hui, une réalité que nous pourrions de nouveau connaître au XXIIe siècle à trajectoire constante. Cette atteinte à la planète se double d’une atteinte à la vie : la sixième extinction de masse devient une réalité puisque nous avons perdu 60% des effectifs d’animaux sauvages de la planète en moins d’un demi-siècle, soit un rythme cent à mille fois supérieur au taux naturel de disparition des espèces. Éclairés par ce que la science du climat nous permet de comprendre de notre avenir et des conséquences de notre action, nous voici également placés devant l’opportunité de repenser en profondeur notre manière d’habiter la Terre, en décarbonant notre production d’énergie, nos modes de transports et d’habitation, en protégeant la biodiversité et en nous donnant les moyens de bâtir une économie circulaire digne de ce nom. En effet, les périodes de crise, comme les périodes de guerre ou de reconstruction, ont cet avantage qu’elles peuvent nous permettre de dépasser les frilosités idéologiques et l’inertie de l’habitude pour mettre en place de nouveaux modèles de société et retrouver ainsi la voie démocratique du progrès social, qui, sans ce changement de cap, est rendu impossible par la dégradation du milieu duquel nous dépendons pour toute notre économie. Toutefois, la multiplication des discours écologistes contraste de plus en plus avec la faiblesse des propositions, des mesures avancées et des résultats obtenus. En effet, financer un « Green New Deal », c’est-à-dire un vaste programme de reconstruction écologique qui inclut une dimension sociale et permette un véritable découplage entre l’amélioration de la qualité de vie de toutes et de tous et l’utilisation de ressources naturelles non renouvelables, suppose de mobiliser des moyens humains et financiers significatifs. Or, malgré quelques mécanismes d’incitation plus ou moins efficaces, la sphère financière et le secteur privé s’avèrent très largement incapables de financer et d’organiser seuls l’effort de reconstruction écologique et de s’imposer les cadres réglementaires nécessaires. L’objet de cette note est donc d’abord de rappeler le contenu et les enjeux financiers d’un véritable programme de reconstruction écologique, ainsi que les obstacles institutionnels et politiques qui s’opposent à leur réalisation et les limites de ce que peut réaliser le « marché », livré à lui-même, dont on attend tout aujourd’hui. Elle propose ensuite des solutions financières concrètes pour dépasser ces contraintes afin de créer les conditions de mise en œuvre d’un réel programme de reconstruction écologique en France et en Europe.     Table des matières I. Il n’y aura pas de reconstruction écologique sans investissement massif et sans rupture avec les dogmes existants. A. Un plan de reconstruction écologique suppose d’investir des sommes significatives qui constituent une opportunité de renouer avec le progrès. B. Le secteur privé ne pourra pas répondre seul au défi de la reconstruction écologique. C. « Green Deal » vs « Green New Deal » : distinguer deux niveaux d’ambition. II. Passer la première et financer une véritable reconstruction écologique A. Il existe des marges de manœuvre importantes qui ne sont pas exploitées dans le cadre juridique actuel 1) Identifier ce qui est bon pour la reconstruction écologique pour guider les investissements. 2) Utiliser le levier fiscal et celui de la commande publique dans un souci d’efficacité et de justice 3) Utiliser les Banques publiques d’investissement pour investir rapidement. 4) Mobiliser l’épargne des Français. B. Des actions non conventionnelles peuvent être défendues à la frontière de ce qu’autorisent les Traités 1) Remettre en cause la « neutralité » de la politique monétaire pour agir en faveur du climat et de la biodiversité. 2) L’annulation des dettes publiques détenues par la banque centrale en échange d’investissements verts C. Penser hors du cadre et mettre en œuvre une réforme ciblée des traités en matière budgétaire et monétaire au profit de la transition écologique. 1) Réformer la politique budgétaire et les aides d’État pour augmenter la capacité d’investissement dans la reconstruction écologique. 2) Réviser les règles en matière d’aides d’État 3) Utiliser l’arme de la monnaie libre comme pilier de la reconstruction écologique. 4) Une telle politique est-elle soutenable ?. 5) Des externalités économiques positives, facteur de dynamisme et d’innovation. D. Redynamiser l’économie dans son ensemble, résorber le chômage Conclusion.   I. Il n’y aura pas de reconstruction écologique sans investissement massif et sans rupture avec les dogmes existants La présente note fait le choix d’utiliser le terme de « reconstruction écologique » plutôt que de « transition écologique » pour insister sur le caractère matériel généralisé

Par Giraud G., Dufrêne N., Gilbert P.

25 février 2020

Affranchir l’agriculture des pesticides, enjeu central de la transformation agricole

Affranchir l’agriculture française des pesticides est un enjeu écologique et sanitaire majeur. Il se heurte au profond verrouillage du système agricole autour du couple espèces dominantes – intrants chimiques, dont les agriculteurs ne peuvent pas sortir seuls. La sortie des pesticides ne se fera qu’à trois conditions : premièrement, que le plan de sortie des pesticides ne consiste pas en un simple remplacement des traitements chimiques par des techniques de bio-contrôle, mais en une profonde transformation des systèmes de culture, seule à même de faire baisser durablement la pression des ravageurs et des mauvaises herbes ; deuxièmement, que ce plan de sortie des pesticides s’accompagne d’un grand plan de diversification agricole, assorti de mesures incitatives et contraignantes pour que l’amont et l’aval agricole s’investissent pleinement en faveur des espèces minoritaires, aujourd’hui largement délaissées ; troisièmement, que des mesures fortes soient prises pour supprimer les distorsions de concurrence avec les pays de l’Union européenne et avec les pays tiers ayant des normes sociales, sanitaires et environnementales moins élevées. Note aux lecteurs : Il va de soi que la transformation agricole est un vaste chantier. Cette note n’a pas vocation à lister l’ensemble des modifications à opérer dans le système agricole au sens large, mais à mettre en lumière quelques aspects fondamentaux et trop souvent absents des débats sur la transformation agricole. D’autres notes auront vocation à développer et compléter ce cadrage initial, notamment sur le sujet majeur de l’enseignement agricole et de l’installation/transmission des exploitations agricoles. Introduction   À la fin des années 1940, l’utilisation de pesticides[1] de synthèse s’est peu à peu imposée dans l’agriculture française comme l’un des piliers de la modernisation agricole, avec celle des engrais chimiques, des variétés « améliorées » et de la mécanisation. Deux générations plus tard, force est de constater que les pesticides et leurs résidus sont partout : dans nos cours d’eau[2], nos aliments[3], nos cheveux et nos urines[4]. Cette situation a un coût humain et environnemental important. Concernant la santé humaine, une expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)[5] a montré que l’exposition professionnelle aux pesticides entraîne une augmentation significative des risques pour plusieurs pathologies comme la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate, et certains cancers hématopoïétiques. Une enquête menée dans le cadre du Plan Ecophyto sur une cohorte d’agriculteurs (Agrican) a également montré que la totalité des 18 activités agricoles étudiées « était associée de façon défavorable à au moins un cancer, certaines de façon assez récurrente comme la culture de légumes en plein champ ou les cultures sous serres »[6]. Malgré cette dangerosité avérée de l’exposition professionnelle aux pesticides, l’ANSES[7] constatait en 2016 que « les données relatives aux expositions aux pesticides des personnes travaillant dans l’agriculture sont lacunaires et aucune organisation en France n’est en charge de les produire »[8]. Par ailleurs, les autorités européennes continuent de délivrer des autorisations de mises sur le marché pour les pesticides à usage agricole, conditionnées au fait que les utilisateurs emploient des équipements de protection individuelle. Or, une récente étude[9] a montré que ces conditions « sécuritaires » d’utilisation des pesticides ne sont jamais rencontrées en conditions réelles car elles ne prennent absolument pas en compte les contraintes pratiques rencontrées par les agriculteurs. Concernant les atteintes portées à l’environnement, il est aujourd’hui avéré que les pesticides sont, avec la destruction des milieux naturels, une des principales causes du déclin massif de la biodiversité[10],[11]. Là encore, l’évaluation réglementaire au niveau européen est insuffisamment protectrice et évolue à un rythme très lent en comparaison de la vitesse du déclin de la biodiversité. Alors que les populations d’insectes pollinisateurs chutent de façon massive et rapide, les nouveaux critères d’évaluation de l’EFSA[12] adoptés en 2013 ne sont toujours pas appliqués. Censés prendre en compte la toxicité des molécules évaluées sur les pollinisateurs, ces nouveaux critères ont été bloqués par la Commission européenne, sous l’influence des lobbies de l’industrie chimique. Au vu des connaissances, nous pouvons donc aujourd’hui affirmer que les pesticides entraînent un risque avéré pour la santé des agriculteurs, une contamination généralisée des citoyens dont nous mesurons mal les conséquences ainsi qu’une pollution massive de l’environnement. Face à ce constat, la nécessité de réduire drastiquement l’utilisation des pesticides ne devrait plus être un sujet de débat. Mais les réponses apportées jusqu’ici ne sont pas, de loin, à la hauteur des enjeux. Plusieurs plans visant à réduire l’usage des pesticides se sont succédé en France au cours des dix dernières années, sans succès puisque la consommation de pesticides ne s’est non seulement pas réduite durant cette période mais a même augmenté. Né à la suite du Grenelle de l’environnement de 2008, le plan Ecophyto affichait ainsi comme objectif une diminution de 50 % de la quantité de pesticides utilisés en 10 ans. Ce plan était doté d’un budget annuel de 41 millions d’euros, financé pour un peu plus de la moitié par la redevance pour pollution diffuse due par les distributeurs de produits phytosanitaires. Les deux actions phares de ce plan étaient la mise en place d’un réseau de fermes de démonstration des techniques économes en pesticides (le réseau Dephy) et la diffusion du « Bulletin de santé du végétal » afin d’informer en temps réel sur les risques de bio-agression des cultures. Or, six ans après le début de ce plan, un travail d’évaluation conduit sous l’égide du député de la Meurthe-et-Moselle Dominique Potier a conclu à un échec global[13]. Non seulement la quantité de pesticides utilisée n’a pas été réduite de moitié mais elle a même augmenté de près de 15 000 tonnes sur la période (cf. Figure 1). L’une des raisons de cet échec mise en avant par le rapport, et confortée par des études ultérieures[14], est la quasi-absence de prise en compte du fonctionnement des filières agricoles[15] et des marchés agro-alimentaires dans le plan, alors même qu’ils influencent fortement le choix des cultures, des systèmes de culture et des assolements[16]. Le plan Ecophyto 2, démarré en 2015, maintenait le même objectif que le premier plan, à savoir une diminution de 50 % de la quantité de pesticides utilisés, mais le

Par Lugassy L., Aze E.

24 février 2020

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