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police française pendant une manifestation

METTRE FIN À L’ORIENTATION RÉPRESSIVE DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ POUR RENOUER LA CONFIANCE ENTRE LES FORCES DE L’ORDRE ET LA POPULATION

Introduction La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme, par son article 12, que « la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Cette force publique, au cœur du pacte républicain, s’incarne aujourd’hui dans les institutions formant les forces de sécurité intérieures : la police nationale, la gendarmerie nationale et la branche « surveillance » de la direction générale des douanes et droits indirects. Définis comme des personnes « dépositaires de l’autorité publique » par les textes, policiers, gendarmes et douaniers sont de fait titulaires de la puissance publique, et de ce que Max Weber a fameusement nommé le « monopole de la violence physique légitime ». À ce titre, l’agent bénéficie d’une protection particulière, l’outrage ou la rébellion constituant ainsi des délits spécifiquement prévus pour réprimer des actes commis à l’encontre de sa personne. Cette protection et cette autorité obligent le policier ou le gendarme, tenu à une exigence particulière d’exemplarité, ainsi que de retenue, de proportionnalité et de mesure dans l’usage de la force. L’autorité du policier ou du gendarme n’est pas seulement une aura transcendantale née de sa fonction. Elle résulte également de la qualité de la relation concrète qui le lie au public, par laquelle il renforce sa légitimité, laquelle ne peut que résulter d’un long processus de développement d’une confiance réciproque et non d’une simple loi. Le policier ou le gendarme ne demeure en effet titulaire du monopole de la violence légitime que s’il exerce légitimement la force. Depuis deux décennies, on assiste à l’émergence d’une défiance croissante entre une partie des citoyens et les forces de l’ordre, illustrée l’an dernier par les huit jours d’émeutes entre le 27 juin et le 5 juillet 2023, ayant suivi la mort de Nahel Merzouk. La confiance dans la police est en recul, notamment chez les jeunes : le taux de confiance chez les jeunes de 18 à 24 ans est tombé de 62 % à 52 % de 2020 à 2021 (CEVIPOF, La Confiance police-population en 2021 : le décrochage des 18-24 ans, mars 2021). Cette défiance s’exprime également dans la forte hausse du nombre d’outrages et de violences commis à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique, passés de 22 000 à 68 000 de 1990 à 2019[1]. Ce recul de la confiance dans la police entraîne une dégradation à la fois de la relation entre les forces de l’ordre et la population, et une dégradation du contexte d’intervention des policiers et des gendarmes. Par conséquent, il menace la capacité des forces de l’ordre à mener à bien leurs missions et, à terme, la stabilité des institutions. Les causes de cette défiance croissante sont multiples. Il s’agit d’abord du modèle de police qui a été porté par les institutions et les responsables politiques depuis 20 ans. Le développement d’une véritable proximité avec la population n’est pas un objectif prioritaire, en particulier depuis la disparition de la police de proximité. L’institution policière participe ainsi au développement d’une défiance réciproque entre les citoyens et les policiers et gendarmes, en éloignant ces derniers du terrain et en leur assignant une mission de nature principalement répressive, et insuffisamment préventive. Les modalités d’action des forces de l’ordre sont discutées voire critiquées, de nombreux chercheurs estimant que ces méthodes, par exemple en matière de maintien de l’ordre, favoriseraient l’escalade de la violence. Il s’agit d’une part de restaurer le lien de confiance en rétablissant une police de proximité de plein exercice (I), de pacifier la doctrine de maintien de l’ordre sans sacrifier son efficacité face aux groupuscules violents (II) et de lutter efficacement contre les violences policières illégitimes (III). I. Restaurer le lien de confiance entre la police et la population en changeant de doctrine policière et en restaurant la police de proximité La disparition de la police de proximité a indéniablement participé à la dégradation de la relation entre la police et la population. Gardien de la paix, le policier est chargé non seulement de réprimer les délits, mais aussi et surtout d’assurer la sécurité, ce qui passe par une prévention efficace des tensions. Pour cela, il doit être au contact de la population, et déployer une action de discussion et de négociation pour apaiser les conflits. Sa capacité d’anticipation dépend des relations de confiance qu’il est capable de développer avec les populations locales. La police de proximité, supprimée progressivement par la droite à partir de 2003[2] alors même qu’elle était plébiscitée par les élus locaux[3] depuis sa création en 1997, a fait les frais d’une conception purement répressive de la sécurité. Laurent Bonelli décrit dès 2005 ce nouveau modèle comme celui d’une « police d’intervention »[4]. On peut voir une illustration de cette doctrine dans la multiplication d’opérations « coup-de-poing », dans une logique punitive, voire primitive : dans les zones les plus touchées par la délinquance, il s’agit pour certains policiers d’imposer un rapport de force direct, qui les conduit trop souvent à traiter la population locale dans son ensemble comme un groupe hostile. Cette politique conduit à exacerber les tensions et le rejet de l’autorité républicaine et, paradoxalement, à céder le terrain aux délinquants dans les intervalles entre chaque intervention. L’émergence de cette doctrine a été concomitante avec la montée en puissance de la politique du chiffre. Or politique du chiffre et police de proximité se situent nécessairement dans un rapport antagoniste : en effet, les indicateurs de la politique du chiffre ciblent les contrôles, les interpellations et les déferrements. Par nature, les résultats de la police de proximité sont très difficiles à évaluer, puisqu’elle vise justement à prévenir la délinquance par la connaissance des habitants et des enjeux locaux. Ce tournant répressif de la politique de sécurité engagé par l’État dans les années 2000 s’est avéré un échec aux graves conséquences : non seulement le lien avec les populations a été perdu dans des quartiers populaires toujours plus socialement exclus, mais la délinquance n’a cessé d’y augmenter, témoignant de la pertinence d’une conception moins étroite et autoritariste de la sécurité. Pour

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Panier de légumes, sécurité sociale de l'alimentation

Vers une sécurité sociale de l’alimentation

Introduction : L’alimentation, au cœur des préoccupations des Français Filmées par le média Brut pendant la pandémie de Covid-19, les images de l’interminable file d’attente d’étudiants lors d’une distribution alimentaire organisée par l’association Linkee dans le XIIIe arrondissement de Paris avaient marqué la réémergence de l’alimentation comme une urgence nationale[1]. La crise sanitaire passée, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a continué de progresser sur fond d’inflation des prix alimentaires pour atteindre un niveau record de 2,4 millions de bénéficiaires d’après le réseau des banques alimentaires[2]. Pour elles, l’aide alimentaire est souvent un moyen de pouvoir tout simplement manger à leur faim, alors que « le système alimentaire, de la production jusqu’à la consommation, dysfonctionne totalement, ne répondant à aucune promesse »[3]. Elle est aussi perçue par 86 % des bénéficiaires comme indispensable pour manger de manière saine et équilibrée. Plus largement, les études convergent pour dire que ce sont près de 8 millions de personnes qui vivent dans la précarité alimentaire en France, soit plus d’un français sur dix[4]. Plus largement encore, 55 % des Français considèrent aujourd’hui qu’il est trop cher de manger équilibré[5]. L’accessibilité de l’alimentation étant une source de tensions, le sujet a trouvé une place nouvelle dans le débat public. Dès 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat a retenu parmi ses propositions celle du « chèque alimentaire », prenant la forme d’une aide mensuelle aux plus modestes fléchée sur l’achat d’aliments durables et issus de l’agriculture biologique. C’est une forme embryonnaire de sécurité sociale alimentaire à grande échelle. Le président de la République a repris à son compte cette proposition lors des élections présidentielles de 2022, avant de l’abandonner en 2023[6]. L’élection présidentielle de 2022 a aussi été largement marquée par l’enjeu de l’alimentation puisque le positionnement des candidats sur la consommation de produits carnés a cristallisé de manière inattendue la campagne. Malheureusement réduit médiatiquement à une caricaturale opposition entre France du « bifteck »[7] et France du « quinoa »[8], ce débat présentait au contraire des enjeux majeurs et sérieux, dont nous tentons de démontrer ici qu’ils peuvent trouver des réponses rassembleuses, écologiques et solidaires. Puis, l’inflation historique des prix des produits alimentaires en 2022 et 2023, notamment du fait de la hausse des coûts de l’énergie, de la guerre en Ukraine et de l’action à contre-emploi de certains grands groupes du secteur[9], a replacé l’alimentation au second rang des postes de dépense du budget des foyers français[10]. L’alimentation est revenue au premier plan de manière spectaculaire début 2024 avec la colère des agriculteurs, exprimant leurs difficultés à vivre de leur travail. Les violences alimentaires touchent bien les deux extrémités de la chaîne de valeur : de la fourche à la fourchette. Les Français s’y sont montrés particulièrement sensibles et se sont rangés avec une rare unanimité du côté des agriculteurs, 90 % d’entre eux affirmant soutenir leur action[11]. C’est que « bien manger » a de nombreuses significations pour les Français. Même si la place de l’alimentation dans nos vies est propre à chacune de nos cultures, sa place centrale pour notre santé est bien définie par le concept « One Health[12] », développé par l’ONU au début des années 2000, qui promeut une approche intégrée et systémique de la santé publique, animale et environnementale à toutes les échelles. Le contenu de nos assiettes a ainsi des effets directs sur la santé publique mondiale et sur la santé de la planète. « Bien manger » est d’abord pour chacun d’entre nous une priorité pour le bien-être individuel. La corrélation entre l’alimentation et la santé est de mieux en mieux identifiée par la population, y compris par celle qui n’a pas les possibilités de manger équilibré. C’est d’ailleurs ce que démontre le succès de l’application française Yuka, permettant de scanner le code barre d’un produit alimentaire pour connaître les effets sur la santé et qui revendique plus de 16 millions d’utilisateurs en France. « Bien manger », c’est aussi une ambition pour les autres. Créer les conditions pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail s’est affirmé comme un enjeu populaire, ce qu’on retrouve par exemple avec le succès des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). Pour les autres aussi, car partager un repas en famille et entre amis est perçu comme une activité de partage et de lien social importante[13]. C’est également un moment de plaisir, de découverte et de maintien des traditions. « Bien manger », c’est enfin une urgence pour la planète. Le GIEC estime que le système alimentaire au sens large est directement et indirectement responsable de 21 % à 37 % des gaz à effet de serre (l’élevage étant une des principales causes)[14]. Mais par où commencer pour répondre à toutes ces questions à la fois et permettre à chacun d’entre nous de bien manger ? Les défis à relever sont vitaux et enchevêtrés. Ils concernent très directement notre santé, le lien social, la lutte contre la précarité et l’habitabilité de notre planète. Seule une proposition réformiste radicale, solutionnant les difficultés en les envisageant à leurs racines, permettra de réellement faire face aux multiples défis auxquels nous sommes confrontés. C’est pourquoi, la réflexion au menu de cette note s’inscrit dans la perspective d’un changement en profondeur de notre système alimentaire. La sécurité sociale alimentaire consiste à socialiser le bien commun qu’est l’alimentation à travers la création d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale. Elle constitue donc un changement majeur pour toute l’organisation de la société. Cette proposition a déjà fait l’objet de modélisations économiques. Elle émerge dans le débat public mais elle est parfois réduite à une carte vitale alimentaire ou à son coût élevé. Nous contribuons au débat en développant ici un chemin progressif pour avancer vers une sécurité sociale alimentaire. Cela passe d’abord par un investissement public en faveur de l’éducation alimentaire, afin de reconstruire une « culture alimentaire » donnant davantage d’outils à la population pour savoir bien se nourrir. Nous portons aussi le développement d’un fonds d’expérimentation pour les initiatives locales, une réflexion sur

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Le recours à l’Intelligence artificielle pour lutter contre la fraude fiscale

En France, les chiffres relatifs à la fraude fiscale ont de quoi impressionner. Après avoir estimé en janvier 2013, l’évitement illégal de l’impôt entre 60 et 80 milliards d’euros par an, le syndicat national Solidaires finances publiques a estimé en 2017[1], qu’il se situait dans la fourchette haute et qu’il était possible qu’il atteigne jusqu’à 100 milliards d’euros. Cette estimation du premier syndicat représentatif des agents du ministère chargé des impôts joue un grand rôle, car elle est très souvent reprise dans le débat politique et médiatique. Celle-ci, pour la Cour des comptes, se situerait aux alentours de 20 milliards d’euros par an (elle est probablement sous-estimée). En cumulant sur 10 années et prenant la fourchette basse de la Cour des Comptes, le coût de la fraude fiscale serait de 400 milliards d’euros (avec l’hypothèse haute du syndicat Solidaires finances publiques, deux fois plus). Combattre l’évitement illégal de l’impôt nécessite une stratégie globale. Cela passe en premier lieu par la législation fiscale et pénale. Le grand nombre de dispositifs dérogatoires par exemple nourrit le risque de fraude puisque les multiples conditions qui les assortissent ne sont pas toujours respectées. De ce point de vue, une revue de ces dispositifs ayant pour objectif d’en réduire le nombre et le coût s’impose. Cela passe également par la mobilisation de moyens humains (les personnels des services spécialisés en la matière), juridiques (les procédures de contrôle proprement dites par exemple) et techniques. C’est sur ce dernier point que nous revenons ici, tant il est vrai qu’ils ont constitué la priorité des pouvoirs publics, qui ont, hélas, surtout vu dans l’intelligence artificielle le moyen de poursuivre les suppressions d’emplois au sein de l’administration fiscale (voir sur ce sujet notamment la note de l’Institut Rousseau d’avril 2022[2]). I) Big Data et IA à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) Plusieurs initiatives ont déjà été mises en place dans les pays européens : lutte contre l’escroquerie à la TVA en Belgique via la modélisation automatique des réseaux, dispositif Connect en Angleterre pour détecter les incohérences dans les déclarations fiscales, système nommé Redditometro en Italie pour comparer montants d’imposition et trains de vie constatés. La France s’inscrit dans ce sillage, et les premières applications de l’IA dans l’administration de la fraude fiscale apparaissent sporadiquement. L’une des difficultés au déploiement de l’IA est liée à la complexité des missions de ces administrations, étant précisé par ailleurs que l’administration fiscale, déjà très « numérisée » , utilise de longue date des applications prévoyant des possibilités de requêtage très utilisées par les personnels dans le cadre de leurs missions. Depuis 2014, Bercy dispose d’une cellule de data mining spécialisée, qui utilise un outil dédié au ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (CFVR). Par l’analyse des comportements frauduleux constatés et la modélisation de ces derniers le but est d’identifier des critères caractérisant une personne ayant des comportements à risque de fraude. Le CFVR exploite les informations de 11 bases de données[3]. Précisons-le, initialement, ce traitement automatisé de données a porté sur la détection de la fraude en matière de TVA. En 2017, l’outil a été étendu aux personnes physiques, de façon expérimentale, par voie d’arrêté. Selon un rapport du Sénat déposé en 2020 par les sénateurs Thierry Carcenac et Claude Nougein[4], les techniques d’analyse de données utilisées « sont sans cesse étendues. En plus du data mining et du recours à l’IA, se développe le textmining, soit le traitement de données non structurées [textes ou images]. En parallèle, une expérimentation est menée dans plusieurs départements afin de croiser les déclarations des contribuables, les vues aériennes et les plans cadastraux pour traquer les erreurs, intentionnelles ou non, de déclaration des contribuables. Pour ce faire, la DGFiP s’appuie sur un logiciel développé par la société Accenture. » Les algorithmes permettent de faire du data mining, de l’exploration des données grâce à l’IA. Les algorithmes sont capables de détecter des incohérences dans les fichiers entre revenus, opérations financières ou trains de vie par rapport aux déclarations fiscales des ménages. Le décret publié le 13 février 2020 au Journal officiel, précisant les modalités de l’article 154 de la loi de finance 2020, a donné le coup d’envoi d’une expérimentation sur trois ans ne couvrant que trois types de fraudes : le trafic de marchandises prohibées, l’activité professionnelle non déclarée et la domiciliation fiscale frauduleuse. Le champ des données prospectées par cette IA dans le cyberespace est particulièrement étendu puisqu’il concerne les réseaux sociaux comme Facebook, les messageries comme Instagram ou encore les sites de commerce en ligne tels que LeBonCoin ou eBay. Ce programme doit permettre aux data scientists d’affiner leur méthode de profilage pour les personnes physiques. Il s’agit de renforcer les outils de détection des fraudes fiscales ou douanières particulièrement graves, pour lesquels les moyens d’investigation traditionnels des administrations sont insuffisants : fausse domiciliation fiscale à l’étranger, activité commerciale occulte, activités illicites telles que la contrebande de tabac ou le commerce de stupéfiants. L’affaire de la domiciliation fiscale de Johnny Hallyday illustre la démarche d’exploitation des réseaux sociaux à des fins de lutte contre la fraude pour déterminer la résidence fiscale effective (France ou États-Unis) au regard de la fiscalité applicable à la succession. L’analyse des contenus publiés par le défunt et sa famille (géolocalisation des photos) avait vocation à retracer ses déplacements et quantifier le nombre de jours passés dans chacun des pays, afin d’évaluer si les critères de résidence fiscale étaient démontrés ou non. Consultée en amont sur le projet de loi, compte tenu de l’impact du dispositif sur la vie privée et ses possibles effets sur la liberté d’expression en ligne, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a mentionné expressément des réserves afin de préserver un équilibre entre l’objectif de lutte contre la fraude fiscale et le respect des droits et de la liberté des personnes[5] et a indiqué qu’un pareil test « doit s’accompagner de garanties fortes afin de préserver les droits et libertés des personnes concernées ». Une grande prudence dans l’utilisation des données personnelles est exigée aux administrations publiques. Seules

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Les Golden shares comme outils de planification écologique en alternative aux participations de l’État

Judith Kleman et Camille Souffron Pour l’Institut Rousseau Octobre 2024 Introduction                                                                                          2 Actions spécifiques : outils de contrôle et de gouvernance partagée 4 Actions spécifiques : qu’est-ce ? 4 Actions spécifiques et loi PACTE : une extension toujours limitée par les traités européens 6 Une alternative à l’entrée de l’État au capital et à la nationalisation pour la planification écologique 8 Court contre long terme : contrer la primauté de la valeur actionnariale et orienter les choix stratégiques 8 Quelles solutions face à la difficile prise en compte des enjeux environnementaux dans l’entreprise ? 9 Faire des participations de l’État plus qu’un outil passif de recettes : la nécessité de la mise en place d’un réel État-stratège pour mener la transition écologique 10 III. Quels secteurs concernés et quelles évolutions du droit nécessaires ?                                                                                        12 Aujourd’hui, un ensemble de secteurs stratégiques délimité 12 (Re)définir les secteurs stratégiques et les élargir aux enjeux environnementaux 13 Propositions                                                                                        14 Résumé général : Nous proposons la réappropriation de l’outil de l’action spécifique (golden share) par l’État, action qui lui donne des prérogatives et droits spécifiques largement supérieurs à ceux des actionnaires ordinaires, sans qu’il soit pour autant actionnaire majoritaire. Nous proposons également le développement de nouveaux mécanismes juridiques et administratifs pour renforcer la souveraineté nationale, développer de réelles stratégies économiques, piloter la nécessaire transition écologique et affronter les crises actuelles. Proposition n°1 : ●      Réappropriation par l’État de l’action spécifique dans des entreprises stratégiques (Total, Veolia). ●      Élargissement du périmètre de l’Agence des participations de l’État (APE) et des secteurs sensibles du Code monétaire. ●      Utilisation de l’action spécifique pour relancer des activités productives innovantes (i.e. mines de lithium, IA). Proposition n°2 : ●      Couplage avec une planification économique et écologique ambitieuse. ●      Mobilisation de différents services et organismes d’État pour sortir de la gestion passive des participations. Encouragement de la transformation des entreprises vers des missions sociales (affectio societatis). Proposition n°3 : ●      Développement de nouveaux droits dans l’action spécifique (inspirés de l’Allemagne et des Pays-Bas) : droit de véto de l’État sur des votes stratégiques, interdiction de développer des activités nuisibles, obligation de réinvestir une partie des profits, plafond des droits de vote pour les gros actionnaires. ●      Sélection de droits conférés selon les enjeux de chaque entreprise pour éviter l’opposition de la CJUE. Proposition n°4 : ●      Conditionnement des financements et commandes publics à des critères environnementaux, sociaux, et économiques. Proposition n°5 : ●      Création d’une autorité de contrôle du devoir de vigilance des entreprises en matière environnementale, sociale, et des droits humains. Inclusion des entreprises étrangères opérant en France dans ce contrôle. Proposition n°6 : ●      Adaptation du cadre européen (TFUE) pour développer le périmètre et les droits des actions spécifiques des États membres, bien que la révision des traités soit difficile. ●      Utilisation de précédents juridiques pour justifier la réappropriation d’entreprises stratégiques face aux crises écologiques. Sélection précise des droits pour éviter un blocage européen. Introduction Le 19 juin dernier était publié le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe Total Energies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, avec une liste de recommandations. Parmi ces dernières, un outil juridique d’une grande influence et peu discuté dans le débat public a été remis au goût du jour : l’action spécifique. Le rapport appelle en effet l’État à en acquérir une dans l’énergéticien à la fois pour organiser sa transition écologique et le protéger de l’américanisation massive de son actionnariat. L’action spécifique pourrait être un puissant outil de planification écologique, en plus de la défense des intérêts stratégiques de la France. D’autant que le concept de planification écologique s’est récemment développé dans le débat public et là où on ne l’attendait pas à une échelle remarquable, que ce soit chez des économistes comme Jean Pisani-Ferry évoquant le retour d’une « économie de pénurie »[1], ou bien directement au sein du gouvernement qui en revendique le terme[2].   La planification écologique, déjà évoquée dès 1972 par le président de la Commission européenne Sicco Mansholt dans sa fameuse lettre[3], peut s’avérer prometteuse voire nécessaire[4] dans une conjoncture économique instable et face aux conséquences de l’effondrement écologique, au vu des besoins en termes d’investissement[5] et de coordination des secteurs public et privé. Mais encore faut-il que cette planification soit réalisée par un État-stratège avec une vision cohérente, au-delà des purs effets d’annonce et aspects marketing. Or, dans le rapport d’information sénatorial de 2021 sur les participations annuelles de l’État[6], la sénatrice LR Martine Berthet notait qu’il était de plus en plus difficile de deviner une stratégie de long terme de la part de l’État français, et cela particulièrement au sujet de la dimension actionnariale de l’État. Selon ce rapport, le compte d’affectation spéciale « participations financières de l’État », regroupant recettes et cessions des dites participations, ne serait devenu depuis 2017 qu’un « outil comptable de la politique d’investissement de l’État » plutôt « qu’un levier d’action de l’État stratège ». La Cour des comptes va jusqu’à parler de « perte de substance »[7].   Autrement dit, plutôt que d’investir et de soutenir des secteurs stratégiques pour l’intérêt national, de sauvegarder la souveraineté économique du pays face à des gestionnaires court-termistes et des investisseurs étrangers, la gestion des actions de l’État suivrait désormais une simple logique d’optimisation du budget à court terme. L’État lui-même ferait parfois pression sur les actionnaires privés et les conseils d’administration pour verser et augmenter les dividendes ou bien réaliser des choix stratégiques dans le seul but de maximiser le taux de marge d’EBIT[8], par exemple chez Thalès[9], alors que l’on aurait à l’inverse pu penser que l’État était un garde-fou face aux pressions de la valorisation actionnariale.   Pourtant, l’État se retrouve rattrapé par l’urgence environnementale, dépassant le seul impératif climatique[10]. Une telle transformation impose de préparer les structures économiques et de coordonner un ensemble d’investissements publics (cf. le rapport 2 % de 2°C de l’Institut Rousseau) mais aussi privés. Nombre

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La séquence des élections législatives de 2024 : une démocratie de crise en crise

La décision précipitée du Président Macron de recourir à des élections législatives – expresses ! – en réponse au désaveu de sa majorité à l’issue des élections européennes a plongé le pays dans une situation inédite. Pour la première fois sous la Ve République, et ce malgré le type de scrutin majoritaire pensé pour enrayer toute instabilité, le paysage politique à l’Assemblée nationale conduit à ce qu’aucun bloc politique (NFP, Ensemble, RN) ne puisse gouverner sans risquer la censure des deux autres. Le président de la République qui se présentait autrefois sous l’étiquette d’« En marche » pourrait bien avoir placé le pouvoir législatif à l’arrêt. Après des années passées sous l’ère Macron, à la conception verticale du pouvoir, le peuple français aspire à davantage de justice sociale, de pouvoir d’achat mais surtout une volonté de changement drastique dans la méthode de gouverner, voire un rejet du système. L’attitude du Président Macron ne fait qu’attiser ce qui a conduit à cette configuration politique : le manque de confiance des citoyens envers des représentants perçus comme impuissants et sourds à leurs revendications. Les Français ne parviennent plus à s’identifier à leurs institutions et la séquence post-législative a démultiplié cette méfiance en défiance. S’il est une majorité dont il faut faire état à l’issue des législatives, celle d’une volonté de rupture dans la façon de gouverner s’impose, dérivant d’un manque de légitimité ressenti par les citoyens. Pourtant, le Premier ministre Michel Barnier est issu des rangs du parti ayant recueilli à peine plus de 5% des suffrages et constitue l’archétype de l’ancien monde politique. Comment expliquer aux Français que le parti le moins fort à l’Assemblée se retrouve au cœur du pouvoir, avec le Premier ministre le plus âgé de toute l’histoire de la Ve République ? S’il est une majorité dont il faut faire état, c’est bien la rupture avec la politique jupitérienne conduite tant sur le fond que sur la forme, depuis 2017. Si le peuple a voté pour son effacement, le président de la République a opéré une résistance par sa lecture extensive de son rôle d’arbitre à travers la combinaison des articles de la Constitution pour s’arroger un rôle de sélectionneur voire de capitaine de la politique gouvernementale. Pourtant, le régime de la Ve République a ceci de particulier. Fondamentalement, la France demeure un régime parlementaire. La tendance semi-présidentielle ne vaut, en pratique, qu’en dehors des périodes de cohabitation. Dans cette dernière configuration, le Président n’est alors plus le chef de la majorité mais bien le chef de l’État. Le Président en période de concordance des majorités, décide de tout, mais n’est responsable politiquement de rien, d’autant plus lors d’un second mandat, celui-ci n’étant pas renouvelable. Pourtant désavoué par son absence de majorité, le Président Macron a souhaité peser de tout son poids dans le choix du Premier ministre, anticipant lui-même le jeu des coalitions, sans même laisser une chance à celle arrivée en tête, le NFP, de constituer un gouvernement. S’il est une majorité dont il faut faire état, indéniablement, celle du Front Républicain se place largement en tête. Et pourtant, c’est le RN, arrivé en troisième position qui dispose d’une place de choix. Et pour cause : le gouvernement choisi opère un virage à droite toutes, aux valeurs de repli, à la merci d’un RN sur lequel repose toute la stabilité gouvernementale. La nomination de Bruno Retailleau, incarnation du symbole de la droite dure au ministère de l’Intérieur en constitue une illustration, tout comme l’appel du Premier ministre à Marine Le Pen après la déclaration du ministre de l’Économie affichant son caractère Le-Peno incompatible. Au-delà l’ensemble du gouvernement reflète des choix audacieux et très conservateurs : Laurent Saint Martin, macroniste de la première heure, pourtant battu lors des élections législatives de 2022, se voit nommé au poste de ministre des Comptes publics ; Annie Genevard soutenant l’élevage intensif et les méthodes de chasse « dures » au ministère de l’Agriculture ; Olga Givernet, adepte du nucléaire en tant que ministre déléguée chargée de l’Énergie ; sans compter les nombreuses reconductions du gouvernement démissionnaire. Certains de ses membres ont voté contre la loi pour le mariage pour tous, contre l’inscription de l’IVG dans la Constitution, ou encore contre l’ouverture de la PMA. Aujourd’hui, ni le président de la République, ni le gouvernement ne paraissent assez solides pour susciter la confiance des Français. Le Premier ministre de ce gouvernement minoritaire, s’il est tenu de prononcer un discours de politique générale, n’est pas assujetti à une obligation s’agissant du vote de confiance. En outre, aucune dissolution ne pourra être prononcée avant un an après cet épisode électoral. Reste donc l’incertitude du jeu de la motion de censure, brouillé par un RN devant qui le nouveau gouvernement courbe l’échine, faisant obstruction au Front républicain. Or, la Ve République se fonde sur le peuple, conçu comme étant la source du pouvoir. Et n’en déplaise au ministre de l’Intérieur, l’État de droit est sacré en tant que véritable corollaire de la sécurité juridique des citoyens, détenteurs de droits politiques actifs mais également de droits et libertés qui leur sont garanties, non soumis à l’effervescence de l’immédiateté, notamment aux fluctuations de majorités faibles et éphémères. Les crises conjoncturelles puisent leur source de crises plus profondes : elles ne sont que la version émergée de l’iceberg. La crise politique que nous traversons à l’issue des élections législatives de 2024 dérive d’une crise institutionnelle plus profondément ancrée. Le manque de confiance des citoyens envers leurs institutions ne relève plus de l’exception : il en est devenu le principe. Cette double méfiance à la fois des citoyens envers leurs représentants mais également des représentants envers le peuple souverain est devenu structurelle sous la Ve République. Alors que faire pour parvenir à ressusciter le sentiment d’adhésion et d’appartenance des français au contrat social ? L’un des chantiers consiste à moderniser les institutions et remettre le citoyen au cœur du pouvoir. L’Institut Rousseau a déjà œuvré en ce sens ! De façon synthétique, la fiche thématique sur « Intégrer le peuple dans les

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Commission Européenne

Le rapport Draghi : un plan d’action ambigu

Camille Souffron – Institut Rousseau & ENS Ulm 12 septembre 2024 Un « défi existentiel »pour l’Union européenne (UE), tels sont les termes donnés par l’ex-président de la banque centrale européenne (BCE) et ex-président du Conseil italien Mario Draghi lors de la remise de son rapport à la Commission européenne le lundi 9 septembre au sujet du décrochage économique européen devant les États-Unis et la Chine, en termes de productivité comme de compétitivité européenne. Intitulé « Le futur de la compétitivité européenne : une stratégie de compétitivité pour l’Europe », ce document de 170 propositions appelle à un électrochoc, en posant comme objectif le retour à la croissance et à la compétitivité européenne en misant notamment sur l’innovation, et aborde pour cela des enjeux comme le droit de la concurrence, la décarbonation, l’autonomie énergétique et en matériaux stratégiques du continent, ou bien encore le financement public et privé de ces projets. À première vue, on ne peut que saluer, dans un tel climat politique où le spectre pénitentiel de l’austérité budgétaire réapparaît, un rapport qui appelle à des investissements supplémentaires annuels de 750 à 800 milliards d’euros. De même, un discours public sur la nécessité d’une autonomie énergétique européenne avec une énergie décarbonée à bas coût, et sur la dépendance d’approvisionnement en matières premières et minerais stratégiques dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu, ne peut être que bienvenu. Néanmoins, sa lecture révèle l’essoufflement d’un paradigme et plusieurs contradictions : la volonté de concilier décarbonation et croissance économique avec comme objectif la compétitivité au détriment des autres limites planétaires ; l’écart entre les investissements vus comme nécessaires et les mécanismes de financement proposés en passant à côté des mécanismes de financement budgétaires mais aussi monétaires possibles et en proposant une financiarisation accrue de l’économie, une retraite par capitalisation et des mesures qui laisseraient penser que la crise financière de 2008 n’a pas existé ; et la remise en cause des réglementations et démarches déjà entreprises aux niveaux européens comme le Green Deal. En deux mots : telles sont les contradictions lorsque l’on veut s’extraire de politiques libérales sans modifier la structure macroéconomique. Voici nos trois points d’analyse de ce rapport. 1. La nécessité d’une Union européenne stratège, sans opposer le retour de vraies politiques industrielles et une transition écologique complète Ce rapport cherche le retour de la productivité et de la compétitivité, pour un objectif de croissance économique. L’élément le plus intéressant est sans doute son plaidoyer pour le retour d’une vraie politique industrielle et technologique, dénonçant « l’absence d’une stratégie industrielle équivalente à celle des autres grandes puissances », et ciblant dix secteurs, à savoir l’énergie, les matériaux critiques, le numérique et les nouvelles technologies, les industries intensives en énergie, les technologies « vertes », l’automobile, la défense, le spatial, l’industrie pharmaceutique et les transports, en proposant des politiques transversales (innovation, concurrence et compétitivité, compétences, décarbonation, financement, gouvernance). Or, l’Union européenne comme la France se distinguent par l’absence de doctrine sur les secteurs stratégiques, et de définition claire de ceux-ci (voir la note Institut Rousseau de Nathan Sperber « Ce qui doit échapper à la logique de la mondialisation. Quelle méthode pour identifier les secteurs stratégiques de l’économie ? »). Cette absence de vision dans le cas de la France a mené à la cession d’Alstom Energie à General Electric en 2014, à la cession de la branche ferroviaire rentable de Thalès forcé par l’État qui y possède une action spécifique, à une gestion dénoncée par le Sénat des participations de l’État comme pure source de dividende[1], à la création d’un « Haut-Commissariat au plan » sans administration propre, et aujourd’hui à la décoordination et à l’opacité du plan France 2030, finançant avant tout des start-up et « licornes » sans conditionnalité ni contrôle des entrées étrangères au capital une fois des brevets développés. Cette absence à l’échelle européenne s’est faite ressentir lors du COVID 19 avec l’effondrement des chaînes d’approvisionnement et l’échec de l’essai clinique Discovery, et présentement avec la dépendance énergétique, ou encore l’inexistence d’infrastructure numérique continentale. Ainsi le rapport appelle par exemple à « élaborer un plan d’action industriel pour le secteur automobile, afin d’éviter la délocalisation radicale de la production en dehors de l’Union ou le rachat rapide d’usines et d’entreprises européennes par des producteurs étrangers bénéficiant de subventions publiques », idem sur le numérique. Il aborde également la question de la propriété intellectuelle et de la nécessité d’une stratégie de protection des brevets européens. Il défend de plus le développement, au-delà du marché commun, d’une stratégie économique extérieure pour permettre l’autonomie et le contrôle des chaînes d’approvisionnement, par exemple pour les supraconducteurs, cela afin d’assurer la sécurité du continent en termes de ressources critiques. Il recommande l’expansion de l’initiative Global Gateway, lancée fin 2021 par la Commission comme contre-projet face aux nouvelles routes de la soie chinoises, sur les questions numériques, énergétiques, sanitaires, et propose la création d’un commissaire européen à l’industrie de la défense, doté d’une autorité européenne. Enfin, il appelle au développement d’institutions universitaires européennes de pointe et à la mutualisation de la R&D publique. Reste la question de l’échelle. Le rapport propose la création d’un « cadre de coordination de la compétitivité » dont les priorités seraient formulées et adoptées par le Conseil européen. Se pose la question de la souveraineté nationale dans sa capacité à choisir ses priorités stratégiques et ses politiques de compétitivité. Le document propose notamment de généraliser le vote par majorité qualifiée en remplacement de l’unanimité pour les décisions du Conseil, supprimant de fait le droit de véto des États membres mais pouvant permettre de débloquer des projets comme la Taxe sur les transactions financières (TTF). Par ailleurs, relevons la proposition de renforcer la coopération entre États sur des projets spécifiques pour contourner les situations de blocage où un vote requiert l’unanimité ou la majorité qualifiée des États membres. Le document appelle ainsi à “explorer toutes les possibilités permises par les traités” européens, et notamment d’user des articles 20 du Traité sur l’Union européenne

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