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Des mesures mais pas de changement de cap

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      Des mesures mais pas de changement de cap

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      Notre pays a connu le 29 janvier dernier l’un de ces épisodes de communication dont le gouvernement Macron est friand, avec la tenue d’un Comité interministériel des Villes (CIV) « délocalisé » dans la commune de Grigny. Au-delà des images, quel message, quelles annonces, quelles mesures ?

      Percutés de plein fouet par les conséquences économiques et sociales de la Covid qui les ont forcés à se substituer à un État défaillant, 200 maires de villes populaires s’insurgent courant novembre, dans un appel trans-partisan face à l’absence de tous moyens les concernant dans le plan de relance de 100 milliards d’euros annoncé en grandes pompes. Rien sur les aides alimentaires mises en place, le coût financier induit par l’explosion des demandes d’aide d’urgence, les recettes amputées, les dépenses en forte augmentation avec l’achat des matériels de protection et la mobilisation des agents ; rien sur les programmes d’accompagnement éducatifs, culturels et sportifs au sortir du premier confinement. En somme, ni les populations en grande précarité (cf les rapports du Secours populaire, d’Oxfam ou plus récemment de la fondation Abbé Pierre), ni les collectivités en première ligne de la réponse sociale, n’émargent à ce plan de relance. À l’inverse des grandes entreprises, qui captent à elles seules 37 milliards d’euros de ce plan, alors que certaines ont poursuivi ou entamé leurs plans sociaux ou continué de verser des dividendes à leurs actionnaires. Les élus locaux sont vent debout et exigent, mesure plus symbolique que comptable, l’attribution d’un pourcent, donc d’un milliard d’euros du plan de relance. Des amendements sont votés en ce sens au Sénat, provenant tant des bancs des groupes LR, communistes, socialistes ou écologistes. Auxquels s’adjoignent ceux des députés du groupe France Insoumise lorsque le débat arrive à l’Assemblée. Las, rien n’y fait. Tous les amendements sont rejetés en bloc. Fin du premier acte… Mais pas de la pièce.

      Le gouvernement n’a pas voulu reconnaître publiquement le « trou dans la raquette » de son plan de relance mais rapports après rapports, tout converge vers l’exécutif pour attester de l’aggravation majeure de la situation sociale des habitants des quartiers, villes et campagnes populaires. Alors que ce sont ces mêmes catégories de population qui ont porté l’essentiel de l’effort du pays depuis le début de la crise (65 % de travail « présentiel » pour les emplois de bas d’échelle contre à peine 25 % chez les cadres) et qui ont payé le prix sanitaire de cet engagement (À l’exemple de la Seine-Saint-Denis, département en tête des décès dus à l’épidémie). Le risque politique de voir une jonction s’opérer entre ces franges de la population et leurs édiles locaux, toutes tendances confondues, n’est pas pris à la légère. Alors, les négociations s’engagent avec les associations d’élus, tout particulièrement avec ceux de « Villes et Banlieues » qui ont participé à l’aventure Borloo. De ces échanges va naître l’idée d’un CIV dédié et, forte de son statut de « ville la plus pauvre de France » et de l’engagement de son Maire, c’est Grigny qui en sera le décor. Plusieurs réunions de préparation, avec les maires et les services des ministères vont se succéder durant le mois de janvier afin de préciser les contenus et de caler la réponse gouvernementale à hauteur des « légitimes attentes » des quartiers populaires.

      Les mesures présentées à Grigny ce 29 janvier visent donc essentiellement à couper l’herbe sous le pied d’une contestation en forme de « jacquerie » potentielle. Et bien sûr, contrebalancer les mesures sécuritaires inscrites dans la loi Sécurité globale, ou identitaires de la loi contre les séparatismes. Ce « je vous ai entendu » nuancé d’un « même si nous faisons déjà beaucoup » a donc pour objet de redonner un semblant d’équilibre à la politique gouvernementale en musclant sa « jambe gauche ». Du coup, l’exercice de communication se déploie. Les maires demandent 1 milliard d’euros ? Jean Castex en annonce 1,1. Et plus encore, 3,3 de budget global. Et 2 milliards d’euros supplémentaires pour le NPNRU (nouveau programme de rénovation urbaine. Et 1,4 milliard d’euros pour le logement social. Et 15 millions d’euros pour les hôpitaux. Et 35 millions d’euros pour le sport. Et 6 millions d’euros pour la prévention spécialisée. Et 10 millions d’euros pour la vidéo-protection… Et 60 centres de santé supplémentaires ; 46 cités éducatives en 2021, 200 en 2022 ; 60 cités de l’emploi ; 50 internats d’excellence… Et 200 000 formations supplémentaires ; 10 000 places de crèche ; 6000 nouveaux contrats aidés ; 900 agents administratifs dans les tribunaux ; 300 éducateurs et 300 médiateurs ; 500 conseillers pôle emploi… Des moyens financiers, des embauches, des services publics renforcés pour la sécurité, la justice, le sport. Les arts et la culture sont les grands oubliés de la liste des annonces. Les « malveillants » y verront sans doute une sanction face aux dernières mobilisations. Ou tout simplement un oubli ? Alors, au final ce « plan Castex » est-il une avancée majeure pour les villes et quartiers populaires, comme pourrait le laisser à penser une lecture linéaire des mesures annoncées ?

      Pour les villes directement concernées ou du moins les plus « visibles dans les radars », ces annonces contiennent des avancées. Grigny par exemple va y gagner, vieille revendication mainte fois portée, 7 millions d’euros des travaux d’urgence indispensables à ce que la copropriété dégradée ne sombre pas. Sur le plan de l’insertion et de l’emploi, un objectif de doublement du nombre de jeunes bénéficiant de la garantie Jeune (497€/mois), des crédits pour renforcer les équipes d’accompagnement. Et puis on sort enfin des suppressions successives des postes « aidés » d’animateurs sportifs, de médiateurs, d’éducateurs, de personnels de soutien scolaire. Ces coupes successives entamées sous le précédent quinquennat, poursuivies depuis, et qui ont justement mis à genoux le volet accompagnement social des collectivités. Enfin, certains concepts comme les cités éducatives et leur extension avec les cités de l’emploi méritent qu’on s’y intéresse. Dès lors qu’ils permettent de mieux coordonner les acteurs sur les territoires, de mobiliser des moyens supplémentaires, et de manière plus efficace. Et pas d’enterrer les zones et réseaux d’Éducation prioritaires, comme le craignent les enseignants. Malgré ces critiques légitimes, ces dispositifs marquent justement ce qui manque cruellement à l’ensemble du package d’annonces du 29 janvier : la capacité à changer de cap, à repenser les politiques publiques, à innover. Et, surtout, à répondre à l’ampleur des besoins en substituant une logique de résultats face à l’appauvrissement et aux inégalités ; en lieu et place de l’actuelle logique de bonnes intentions. Parce qu’au final, ce qui manque à ces mesures, et on n’en sera pas surpris, c’est une vision sociétale, inclusive qui s’attaque véritablement à la fracture sociale dénoncée il y a 25 ans par Jacques Chirac et qui est devenu un gouffre insondable. Les 120 QPV sont devenus plus de 1000. Les 6 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté d’alors sont maintenant exactement le double, soit 20 % de la population française. Ces derniers mois les files d’attente se sont allongées pour obtenir une aide alimentaire d’urgence. Et que dire des 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat qui deviennent 50 % dans les QPV, voire 25 % à Grigny. Ou les 25 % de chômage culminant à 45 % pour les moins de 25 ans. Notre pays est entré massivement dans la précarité et la pauvreté, la qualité de mesures gouvernementales quel qu’il soit doivent être jugée à cette aune. Le compte n’y est pas.

      Les annonces du 29 sont une avancée au pas de marche sur un tapis roulant des inégalités sociales reculant au galop.

      Publié le 19 février 2021

      Des mesures mais pas de changement de cap

      Auteurs

      Pascal Troadec
      Adjoint au Maire et Président de la Mission locale de Grigny.

      Notre pays a connu le 29 janvier dernier l’un de ces épisodes de communication dont le gouvernement Macron est friand, avec la tenue d’un Comité interministériel des Villes (CIV) « délocalisé » dans la commune de Grigny. Au-delà des images, quel message, quelles annonces, quelles mesures ?

      Percutés de plein fouet par les conséquences économiques et sociales de la Covid qui les ont forcés à se substituer à un État défaillant, 200 maires de villes populaires s’insurgent courant novembre, dans un appel trans-partisan face à l’absence de tous moyens les concernant dans le plan de relance de 100 milliards d’euros annoncé en grandes pompes. Rien sur les aides alimentaires mises en place, le coût financier induit par l’explosion des demandes d’aide d’urgence, les recettes amputées, les dépenses en forte augmentation avec l’achat des matériels de protection et la mobilisation des agents ; rien sur les programmes d’accompagnement éducatifs, culturels et sportifs au sortir du premier confinement. En somme, ni les populations en grande précarité (cf les rapports du Secours populaire, d’Oxfam ou plus récemment de la fondation Abbé Pierre), ni les collectivités en première ligne de la réponse sociale, n’émargent à ce plan de relance. À l’inverse des grandes entreprises, qui captent à elles seules 37 milliards d’euros de ce plan, alors que certaines ont poursuivi ou entamé leurs plans sociaux ou continué de verser des dividendes à leurs actionnaires. Les élus locaux sont vent debout et exigent, mesure plus symbolique que comptable, l’attribution d’un pourcent, donc d’un milliard d’euros du plan de relance. Des amendements sont votés en ce sens au Sénat, provenant tant des bancs des groupes LR, communistes, socialistes ou écologistes. Auxquels s’adjoignent ceux des députés du groupe France Insoumise lorsque le débat arrive à l’Assemblée. Las, rien n’y fait. Tous les amendements sont rejetés en bloc. Fin du premier acte… Mais pas de la pièce.

      Le gouvernement n’a pas voulu reconnaître publiquement le « trou dans la raquette » de son plan de relance mais rapports après rapports, tout converge vers l’exécutif pour attester de l’aggravation majeure de la situation sociale des habitants des quartiers, villes et campagnes populaires. Alors que ce sont ces mêmes catégories de population qui ont porté l’essentiel de l’effort du pays depuis le début de la crise (65 % de travail « présentiel » pour les emplois de bas d’échelle contre à peine 25 % chez les cadres) et qui ont payé le prix sanitaire de cet engagement (À l’exemple de la Seine-Saint-Denis, département en tête des décès dus à l’épidémie). Le risque politique de voir une jonction s’opérer entre ces franges de la population et leurs édiles locaux, toutes tendances confondues, n’est pas pris à la légère. Alors, les négociations s’engagent avec les associations d’élus, tout particulièrement avec ceux de « Villes et Banlieues » qui ont participé à l’aventure Borloo. De ces échanges va naître l’idée d’un CIV dédié et, forte de son statut de « ville la plus pauvre de France » et de l’engagement de son Maire, c’est Grigny qui en sera le décor. Plusieurs réunions de préparation, avec les maires et les services des ministères vont se succéder durant le mois de janvier afin de préciser les contenus et de caler la réponse gouvernementale à hauteur des « légitimes attentes » des quartiers populaires.

      Les mesures présentées à Grigny ce 29 janvier visent donc essentiellement à couper l’herbe sous le pied d’une contestation en forme de « jacquerie » potentielle. Et bien sûr, contrebalancer les mesures sécuritaires inscrites dans la loi Sécurité globale, ou identitaires de la loi contre les séparatismes. Ce « je vous ai entendu » nuancé d’un « même si nous faisons déjà beaucoup » a donc pour objet de redonner un semblant d’équilibre à la politique gouvernementale en musclant sa « jambe gauche ». Du coup, l’exercice de communication se déploie. Les maires demandent 1 milliard d’euros ? Jean Castex en annonce 1,1. Et plus encore, 3,3 de budget global. Et 2 milliards d’euros supplémentaires pour le NPNRU (nouveau programme de rénovation urbaine. Et 1,4 milliard d’euros pour le logement social. Et 15 millions d’euros pour les hôpitaux. Et 35 millions d’euros pour le sport. Et 6 millions d’euros pour la prévention spécialisée. Et 10 millions d’euros pour la vidéo-protection… Et 60 centres de santé supplémentaires ; 46 cités éducatives en 2021, 200 en 2022 ; 60 cités de l’emploi ; 50 internats d’excellence… Et 200 000 formations supplémentaires ; 10 000 places de crèche ; 6000 nouveaux contrats aidés ; 900 agents administratifs dans les tribunaux ; 300 éducateurs et 300 médiateurs ; 500 conseillers pôle emploi… Des moyens financiers, des embauches, des services publics renforcés pour la sécurité, la justice, le sport. Les arts et la culture sont les grands oubliés de la liste des annonces. Les « malveillants » y verront sans doute une sanction face aux dernières mobilisations. Ou tout simplement un oubli ? Alors, au final ce « plan Castex » est-il une avancée majeure pour les villes et quartiers populaires, comme pourrait le laisser à penser une lecture linéaire des mesures annoncées ?

      Pour les villes directement concernées ou du moins les plus « visibles dans les radars », ces annonces contiennent des avancées. Grigny par exemple va y gagner, vieille revendication mainte fois portée, 7 millions d’euros des travaux d’urgence indispensables à ce que la copropriété dégradée ne sombre pas. Sur le plan de l’insertion et de l’emploi, un objectif de doublement du nombre de jeunes bénéficiant de la garantie Jeune (497€/mois), des crédits pour renforcer les équipes d’accompagnement. Et puis on sort enfin des suppressions successives des postes « aidés » d’animateurs sportifs, de médiateurs, d’éducateurs, de personnels de soutien scolaire. Ces coupes successives entamées sous le précédent quinquennat, poursuivies depuis, et qui ont justement mis à genoux le volet accompagnement social des collectivités. Enfin, certains concepts comme les cités éducatives et leur extension avec les cités de l’emploi méritent qu’on s’y intéresse. Dès lors qu’ils permettent de mieux coordonner les acteurs sur les territoires, de mobiliser des moyens supplémentaires, et de manière plus efficace. Et pas d’enterrer les zones et réseaux d’Éducation prioritaires, comme le craignent les enseignants. Malgré ces critiques légitimes, ces dispositifs marquent justement ce qui manque cruellement à l’ensemble du package d’annonces du 29 janvier : la capacité à changer de cap, à repenser les politiques publiques, à innover. Et, surtout, à répondre à l’ampleur des besoins en substituant une logique de résultats face à l’appauvrissement et aux inégalités ; en lieu et place de l’actuelle logique de bonnes intentions. Parce qu’au final, ce qui manque à ces mesures, et on n’en sera pas surpris, c’est une vision sociétale, inclusive qui s’attaque véritablement à la fracture sociale dénoncée il y a 25 ans par Jacques Chirac et qui est devenu un gouffre insondable. Les 120 QPV sont devenus plus de 1000. Les 6 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté d’alors sont maintenant exactement le double, soit 20 % de la population française. Ces derniers mois les files d’attente se sont allongées pour obtenir une aide alimentaire d’urgence. Et que dire des 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat qui deviennent 50 % dans les QPV, voire 25 % à Grigny. Ou les 25 % de chômage culminant à 45 % pour les moins de 25 ans. Notre pays est entré massivement dans la précarité et la pauvreté, la qualité de mesures gouvernementales quel qu’il soit doivent être jugée à cette aune. Le compte n’y est pas.

      Les annonces du 29 sont une avancée au pas de marche sur un tapis roulant des inégalités sociales reculant au galop.

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