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Rousseau et la nature

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      Rousseau et la nature

      « Peuples, sachez donc une fois que la nature
      a voulu vous préserver de la science,
      comme une mère arrache une arme dangereuse
      des mains de son enfant »

      Discours sur les Sciences et les Arts, 1755

      L’omniprésence de la Nature dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau procure beaucoup d’occasions pour le lecteur moderne de réfléchir et de trouver une inspiration pour le XXIème siècle. Rousseau, longtemps avant de nombreux auteurs, a pensé l’importance capitale de notre rapport a la nature et de notre fonctionnement en écosystème avec elle. Il serait même, pour certains, le précurseur de « l’écologie profonde », à l’heure où l’effondrement rapide de la biodiversité va jusqu’à remettre en cause le primat de la lutte contre le réchauffement climatique. Il affirme de manière simple l’importance de la notion d’écosystème contre ceux qui voient dans la Nature un simple objet inerte : 

      « Quelque élégante, quelque admirable, quelque diverse que soit la structure des végétaux, elle ne frappe pas assez un œil ignorant pour l’intéresser. Cette constante analogie, et pourtant cette variété prodigieuse qui règne dans leur organisation, ne transporte que ceux qui ont déjà quelque idée du système végétal. Les autres n’ont, à l’aspect de tous même ce qu’il faut regarder ; et ils ne voient plus l’ensemble, parce qu’ils n’ont aucune idée de cette chaîne de rapports et de combinaisons qui accable de ses merveilles l’esprit de l’observateur. » (Les Confessions, Livre XII, 1813)

      Si Rousseau insiste sur cette chaîne de rapports et de combinaisons, c’est évidemment qu’il voit dans la Nature cet élément perdu de l’Homme, dont la souffrance et les malheurs viennent en grande partie de son éloignement d’avec la Nature. Face à la Nature, l’être humain a deux attitudes qui peuvent à la fois la détruire ou la régénérer : c’est pour cela qu’il doit être au cœur de la Nature, conservateur et architecte de ses équilibres, interventionniste raisonné au sein d’écosystèmes qu’il s’applique à comprendre. Faute de quoi, la destruction de la Nature aux mains de l’Homme est presque certaine puisque : « Tout dégénère entre les mains de l’homme. Il force une terre à nourrir les productions d’une autre, un arbre à porter les fruits d’un autre ; il mêle et confond les climats, les éléments, les saisons. »

      D’ailleurs, Rousseau insiste sur la vanité des travaux humains face aux dons de la Nature :

      « Quand d’un côté l’on considère les immenses travaux des hommes, tant de sciences approfondies, tant d’arts inventés, tant de forces employées, des abîmes comblés, des montagnes rasées, des rochers brisés, des fleuves rendus navigables, des terres défrichées, des lacs creusés, des marais desséchés, des bâtiments énormes élevés sur la terre, la mer couverte de vaisseaux et de matelots, et que de l’autre on recherche avec un peu de méditation les vrais avantages qui ont résulté de tout cela pour le bonheur de l’espèce humaine, on ne peut qu’être frappé de l’étonnante disproportion qui règne entre ces choses, et déplorer l’aveuglement de l’homme qui, pour nourrir son fol orgueil et je ne sais quelle vaine admiration de lui-même, le fait courir avec ardeur après toutes les misères dont il est susceptible, et que la bienfaisante nature avait pris soin d’écarter de lui. »

      Si Rousseau va plus loin et affirme selon un mot célèbre que « nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection », c’est simplement pour remarquer que si le retour à l’état de Nature n’est ni possible ni même souhaitable, l’Homme ne doit pas perdre de vue les dommages causés par l’éloignement d’avec la Nature, autant comme concept philosophique que comme réalité concrète de notre environnement. 

      Toutefois, remarquons que Rousseau vante aussi les mérites et l’ingénierie de l’Homme. Quoi qu’on pense de sa vision entropique d’une nature qui va à sa perte et n’est sauvée que par des catastrophes qui remettent l’ordre de la Nature en place, l’action de l’Homme trouve grâce à ses yeux en cela qu’elle permet de faire subsister la vie là où celle-ci n’aurait normalement pas de place. C’est ce qui lui fait dire qu’« avant le travail humain, les sources, mal distribuées, se répandaient plus inégalement, fertilisaient moins la terre, en abreuvaient plus difficilement les habitants ». Mais plus encore, selon Rousseau, « les grandes espèces eussent, à la longue, absorbé les petites : toute la terre n’eût bientôt été couverte que d’arbres et de bêtes féroces ; à la fin tout eût péri ». Et s’il se trouvera toujours ceux pour qui l’intervention de l’Homme est toujours nocive, gageons que le travail de régulation des espèces par ce dernier peut être utile pour la préservation de la biodiversité.

      Cette volonté de préserver la nature, de la conserver, trouve un exemple parfait dans l’herbier de Jean-Jacques Rousseau, une œuvre qui lui tient à cœur tant parce qu’elle est le symbole du soin et de l’attention qu’il porte à la Nature, à la nécessité de la préserver, pour ce qu’elle contient de puissance d’évocation, d’expériences sensibles.

      « Toutes mes courses de botanique, les diverses impressions du local, des objets qui m’ont frappé, les idées qu’il m’a fait naître, les incidents qui s’y sont mêlés, tout cela m’a laissé des impressions qui se renouvellent par l’aspect des plantes herborisées dans ces mêmes lieux. Je ne reverrai plus ces beaux paysages, ces forêts, ces lacs, ces bosquets, ces rochers, ces montagnes, dont l’aspect a toujours touché mon cœur : mais maintenant que je ne peux plus courir ces heureuses contrées je n’ai qu’à ouvrir mon herbier et bientôt il m’y transporte. »

      Rousseau semble en réalité souvent hésiter entre une conception « orphique » de contemplation pré-romantique de la Nature et une volonté plus profonde d’expérimentation, comme lorsqu’il se demande dans les Rêveries du promeneur solitaire qu’elle serait la meilleure manière d’étudier la Nature. C’est pourquoi la formule de Christophe Martin est révélatrice de l’attitude du philosophe qui nous invite, dans une troisième voie, à « faire société » avec la Nature, une attitude qui passe nécessairement par l’acceptation de notre éloignement et par l’accentuation des artifices destinés à organiser cette vie en société avec la Nature.

      « Efforçons-nous de tirer du mal même le remède qui doit le guérir. Par de nouvelles associations, corrigeons, s’il se peut, le défaut de l’association générale. Que notre violent interlocuteur juge lui-même des succès. Montrons-lui dans l’art perfectionné la réparation des maux que l’art commencé fit à la Nature ».

      Ce passage, s’il en est, montre à quel point la solution ne passe pas, pour Rousseau, par un abandon pur et simple de la société et sa dissolution dans un état de nature. L’art est commencé et le processus est irréversible. La seule option qui subsiste pour l’Homme est l’art perfectionné d’une société bien ordonnée qui a conscience de son lien avec la Nature. D’une certaine manière, l’œuvre de Rousseau constitue malgré tout une réfutation, certes modérée, des thèses de « l‘écologie profonde » : si le progrès technique est critiqué par la corruption morale qu’il entraîne, il n’en reste pas moins l’instrument essentiel de la construction d’une existence durable au sein de la nature. Le caractère éminemment actuel des intuitions du philosophe genevois est d’ailleurs tel qu’il se trouve de nos jours peu de gens pour contester l’importance de préserver le vivant, la biodiversité ou de réduire notre influence sur le changement climatique.   

      Les déclinaisons pratiques et politiques de cette invitation à faire société avec la Nature sont nombreuses : cela signifie prendre toutes les mesures utiles pour préserver les espèces animales et végétales qui souffrent de notre emprise ; veiller au bien-être animal, témoigner de notre pitié malgré la reconnaissance de notre qualité d’omnivores. Afin de retrouver un lien sensible avec la nature, l’Homme du XXIème siècle devrait vivre au possible en symbiose avec elle, ce qui est autant affaire de lieux que de perspectives sur l’existence.  

      Revenons à l’épigraphe : ce que Rousseau veut y exprimer est la nécessaire modération de l’enthousiasme de nos explorations, comme par exemple dans l’exploitation des mines :

      « Le règne minéral n’a rien en soi d’aimable et d’attrayant ; ses richesses enfermées dans le sein de la terre semblent avoir été éloignées des regards des hommes pour ne pas tenter leur cupidité. Elles sont là comme en réserve pour servir un jour de supplément aux véritables richesses qui sont plus à sa portée et dont il perd le goût à mesure qu’il se corrompt. Alors il faut qu’il appelle l’industrie, la peine et le travail au secours de ses misères ; il fouille les entrailles de la terre, il va chercher dans son centre aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé des biens imaginaires à la place des biens réels qu’elle lui offrait d’elle-même quand il savait en jouir ».

      Il serait bien sûr facile de faire du Genevois, sur la foi de quelques mots isolés, un critique radical et univoque de la croissance économique, des excès immenses de la technique et de la faillite morale inévitable des sociétés humaines fondées sur la consommation. En somme, il serait aisé d’en faire un épouvantail, une sorte de « khmer vert », selon l’expression consacrée. Rien n’est moins vrai. Rousseau nous incite simplement à la contemplation de la nature et nous avertit des dangers qu’il y aurait à laisser triompher le progrès sans limite. Dès lors, la réponse la plus naturelle à un tel équilibre, c’est sans doute l’éloge d’une certaine frugalité heureuse, voulue par l’Homme lui-même avant que l’effondrement de la Nature ne la lui impose.

      Et pour qui n’en serait pas convaincu :

      « Mon âme, exaltée par ces contemplations sublimes, s’élevait auprès de la Divinité ; et voyant de là mes semblables suivre, dans l’aveugle route de leurs préjugés, celle de leurs erreurs, de leurs malheurs, de leurs crimes, je leur criais d’une faible voix qu’ils ne pouvaient entendre : Insensés, qui vous plaignez sans cesse de la nature, apprenez que tous vos maux vous viennent de vous ! »

       

       

      Publié le 2 août 2020

      Rousseau et la nature

      Auteurs

      Matthieu Abgrall
      Docteur en histoire ancienne, diplômé de l'Université de Stanford.

      « Peuples, sachez donc une fois que la nature
      a voulu vous préserver de la science,
      comme une mère arrache une arme dangereuse
      des mains de son enfant »

      Discours sur les Sciences et les Arts, 1755

      L’omniprésence de la Nature dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau procure beaucoup d’occasions pour le lecteur moderne de réfléchir et de trouver une inspiration pour le XXIème siècle. Rousseau, longtemps avant de nombreux auteurs, a pensé l’importance capitale de notre rapport a la nature et de notre fonctionnement en écosystème avec elle. Il serait même, pour certains, le précurseur de « l’écologie profonde », à l’heure où l’effondrement rapide de la biodiversité va jusqu’à remettre en cause le primat de la lutte contre le réchauffement climatique. Il affirme de manière simple l’importance de la notion d’écosystème contre ceux qui voient dans la Nature un simple objet inerte : 

      « Quelque élégante, quelque admirable, quelque diverse que soit la structure des végétaux, elle ne frappe pas assez un œil ignorant pour l’intéresser. Cette constante analogie, et pourtant cette variété prodigieuse qui règne dans leur organisation, ne transporte que ceux qui ont déjà quelque idée du système végétal. Les autres n’ont, à l’aspect de tous même ce qu’il faut regarder ; et ils ne voient plus l’ensemble, parce qu’ils n’ont aucune idée de cette chaîne de rapports et de combinaisons qui accable de ses merveilles l’esprit de l’observateur. » (Les Confessions, Livre XII, 1813)

      Si Rousseau insiste sur cette chaîne de rapports et de combinaisons, c’est évidemment qu’il voit dans la Nature cet élément perdu de l’Homme, dont la souffrance et les malheurs viennent en grande partie de son éloignement d’avec la Nature. Face à la Nature, l’être humain a deux attitudes qui peuvent à la fois la détruire ou la régénérer : c’est pour cela qu’il doit être au cœur de la Nature, conservateur et architecte de ses équilibres, interventionniste raisonné au sein d’écosystèmes qu’il s’applique à comprendre. Faute de quoi, la destruction de la Nature aux mains de l’Homme est presque certaine puisque : « Tout dégénère entre les mains de l’homme. Il force une terre à nourrir les productions d’une autre, un arbre à porter les fruits d’un autre ; il mêle et confond les climats, les éléments, les saisons. »

      D’ailleurs, Rousseau insiste sur la vanité des travaux humains face aux dons de la Nature :

      « Quand d’un côté l’on considère les immenses travaux des hommes, tant de sciences approfondies, tant d’arts inventés, tant de forces employées, des abîmes comblés, des montagnes rasées, des rochers brisés, des fleuves rendus navigables, des terres défrichées, des lacs creusés, des marais desséchés, des bâtiments énormes élevés sur la terre, la mer couverte de vaisseaux et de matelots, et que de l’autre on recherche avec un peu de méditation les vrais avantages qui ont résulté de tout cela pour le bonheur de l’espèce humaine, on ne peut qu’être frappé de l’étonnante disproportion qui règne entre ces choses, et déplorer l’aveuglement de l’homme qui, pour nourrir son fol orgueil et je ne sais quelle vaine admiration de lui-même, le fait courir avec ardeur après toutes les misères dont il est susceptible, et que la bienfaisante nature avait pris soin d’écarter de lui. »

      Si Rousseau va plus loin et affirme selon un mot célèbre que « nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection », c’est simplement pour remarquer que si le retour à l’état de Nature n’est ni possible ni même souhaitable, l’Homme ne doit pas perdre de vue les dommages causés par l’éloignement d’avec la Nature, autant comme concept philosophique que comme réalité concrète de notre environnement. 

      Toutefois, remarquons que Rousseau vante aussi les mérites et l’ingénierie de l’Homme. Quoi qu’on pense de sa vision entropique d’une nature qui va à sa perte et n’est sauvée que par des catastrophes qui remettent l’ordre de la Nature en place, l’action de l’Homme trouve grâce à ses yeux en cela qu’elle permet de faire subsister la vie là où celle-ci n’aurait normalement pas de place. C’est ce qui lui fait dire qu’« avant le travail humain, les sources, mal distribuées, se répandaient plus inégalement, fertilisaient moins la terre, en abreuvaient plus difficilement les habitants ». Mais plus encore, selon Rousseau, « les grandes espèces eussent, à la longue, absorbé les petites : toute la terre n’eût bientôt été couverte que d’arbres et de bêtes féroces ; à la fin tout eût péri ». Et s’il se trouvera toujours ceux pour qui l’intervention de l’Homme est toujours nocive, gageons que le travail de régulation des espèces par ce dernier peut être utile pour la préservation de la biodiversité.

      Cette volonté de préserver la nature, de la conserver, trouve un exemple parfait dans l’herbier de Jean-Jacques Rousseau, une œuvre qui lui tient à cœur tant parce qu’elle est le symbole du soin et de l’attention qu’il porte à la Nature, à la nécessité de la préserver, pour ce qu’elle contient de puissance d’évocation, d’expériences sensibles.

      « Toutes mes courses de botanique, les diverses impressions du local, des objets qui m’ont frappé, les idées qu’il m’a fait naître, les incidents qui s’y sont mêlés, tout cela m’a laissé des impressions qui se renouvellent par l’aspect des plantes herborisées dans ces mêmes lieux. Je ne reverrai plus ces beaux paysages, ces forêts, ces lacs, ces bosquets, ces rochers, ces montagnes, dont l’aspect a toujours touché mon cœur : mais maintenant que je ne peux plus courir ces heureuses contrées je n’ai qu’à ouvrir mon herbier et bientôt il m’y transporte. »

      Rousseau semble en réalité souvent hésiter entre une conception « orphique » de contemplation pré-romantique de la Nature et une volonté plus profonde d’expérimentation, comme lorsqu’il se demande dans les Rêveries du promeneur solitaire qu’elle serait la meilleure manière d’étudier la Nature. C’est pourquoi la formule de Christophe Martin est révélatrice de l’attitude du philosophe qui nous invite, dans une troisième voie, à « faire société » avec la Nature, une attitude qui passe nécessairement par l’acceptation de notre éloignement et par l’accentuation des artifices destinés à organiser cette vie en société avec la Nature.

      « Efforçons-nous de tirer du mal même le remède qui doit le guérir. Par de nouvelles associations, corrigeons, s’il se peut, le défaut de l’association générale. Que notre violent interlocuteur juge lui-même des succès. Montrons-lui dans l’art perfectionné la réparation des maux que l’art commencé fit à la Nature ».

      Ce passage, s’il en est, montre à quel point la solution ne passe pas, pour Rousseau, par un abandon pur et simple de la société et sa dissolution dans un état de nature. L’art est commencé et le processus est irréversible. La seule option qui subsiste pour l’Homme est l’art perfectionné d’une société bien ordonnée qui a conscience de son lien avec la Nature. D’une certaine manière, l’œuvre de Rousseau constitue malgré tout une réfutation, certes modérée, des thèses de « l‘écologie profonde » : si le progrès technique est critiqué par la corruption morale qu’il entraîne, il n’en reste pas moins l’instrument essentiel de la construction d’une existence durable au sein de la nature. Le caractère éminemment actuel des intuitions du philosophe genevois est d’ailleurs tel qu’il se trouve de nos jours peu de gens pour contester l’importance de préserver le vivant, la biodiversité ou de réduire notre influence sur le changement climatique.   

      Les déclinaisons pratiques et politiques de cette invitation à faire société avec la Nature sont nombreuses : cela signifie prendre toutes les mesures utiles pour préserver les espèces animales et végétales qui souffrent de notre emprise ; veiller au bien-être animal, témoigner de notre pitié malgré la reconnaissance de notre qualité d’omnivores. Afin de retrouver un lien sensible avec la nature, l’Homme du XXIème siècle devrait vivre au possible en symbiose avec elle, ce qui est autant affaire de lieux que de perspectives sur l’existence.  

      Revenons à l’épigraphe : ce que Rousseau veut y exprimer est la nécessaire modération de l’enthousiasme de nos explorations, comme par exemple dans l’exploitation des mines :

      « Le règne minéral n’a rien en soi d’aimable et d’attrayant ; ses richesses enfermées dans le sein de la terre semblent avoir été éloignées des regards des hommes pour ne pas tenter leur cupidité. Elles sont là comme en réserve pour servir un jour de supplément aux véritables richesses qui sont plus à sa portée et dont il perd le goût à mesure qu’il se corrompt. Alors il faut qu’il appelle l’industrie, la peine et le travail au secours de ses misères ; il fouille les entrailles de la terre, il va chercher dans son centre aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé des biens imaginaires à la place des biens réels qu’elle lui offrait d’elle-même quand il savait en jouir ».

      Il serait bien sûr facile de faire du Genevois, sur la foi de quelques mots isolés, un critique radical et univoque de la croissance économique, des excès immenses de la technique et de la faillite morale inévitable des sociétés humaines fondées sur la consommation. En somme, il serait aisé d’en faire un épouvantail, une sorte de « khmer vert », selon l’expression consacrée. Rien n’est moins vrai. Rousseau nous incite simplement à la contemplation de la nature et nous avertit des dangers qu’il y aurait à laisser triompher le progrès sans limite. Dès lors, la réponse la plus naturelle à un tel équilibre, c’est sans doute l’éloge d’une certaine frugalité heureuse, voulue par l’Homme lui-même avant que l’effondrement de la Nature ne la lui impose.

      Et pour qui n’en serait pas convaincu :

      « Mon âme, exaltée par ces contemplations sublimes, s’élevait auprès de la Divinité ; et voyant de là mes semblables suivre, dans l’aveugle route de leurs préjugés, celle de leurs erreurs, de leurs malheurs, de leurs crimes, je leur criais d’une faible voix qu’ils ne pouvaient entendre : Insensés, qui vous plaignez sans cesse de la nature, apprenez que tous vos maux vous viennent de vous ! »

       

       

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